Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
L'entreprise individuelle Le Bilboq a demandé au tribunal administratif de Bastia de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des rappels de taxe sur la valeur ajoutée mis à sa charge au titre de la période allant du 1er janvier 2011 au 31 décembre 2011, ainsi que des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu auxquelles son gérant a été assujetti au titre des années 2011 et 2012, et de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par un jugement n° 1900333 du 1er octobre 2020, le tribunal administratif de Bastia a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et deux mémoires, enregistrés les 1er novembre 2020, 7 décembre 2020 et 27 mai 2021, et un mémoire enregistré le 23 juillet 2021, qui n'a pas été communiqué, l'entreprise individuelle Le Bilboq et M. B... A..., représentés par Me Albert, demandent à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Bastia du 1er octobre 2020 ;
2°) de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des rappels de taxe sur la valeur ajoutée mis à la charge de l'entreprise individuelle Le Bilboq au titre de la période du 1er janvier 2011 au 31 décembre 2011, ainsi que des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu auxquelles M. A... a été assujetti au titre des années 2011 et 2012 ;
3°) de prononcer le maintien du sursis de paiement des créances en litige ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- la décision de rejet de la réclamation sur les cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu est irrégulière dès lors qu'elle a été envoyée à l'adresse de l'entreprise individuelle et non à celle de M. et Mme A... ; le paragraphe n° 190 de l'instruction BOI-CTX-PREA-10-80 du 12 septembre 2012 a ainsi été méconnu ;
- l'avis rendu par la commission départementale des impôts n'a pas été notifié conformément aux articles L. 59-1 et R. 59-1 du livre des procédures fiscales ; cette absence de notification ne leur a pas permis de se défendre utilement ;
- la charge de la preuve incombe à l'administration ;
- la méthode de reconstitution du chiffre d'affaires employée par l'administration est radicalement viciée et contraire à la doctrine administrative et à la jurisprudence sur les conditions d'extrapolation de données concernant une période antérieure ou postérieure à la période de reconstitution ; l'extrapolation de données postérieures, relevées chez une autre personne morale, dont les conditions d'exploitation sont différentes, ne peut être admise ;
- les pénalités appliquées sont insuffisamment motivées et ne sont pas fondées.
Par deux mémoires en défense, enregistrés les 21 avril 2021 et 28 juin 2021, le ministre de l'économie, des finances et de la relance conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que :
- le moyen tiré de l'irrégularité de la notification de la décision de rejet de la réclamation est inopérant ;
- les autres moyens invoqués par les appelants ne sont pas fondés.
La clôture de l'instruction a été fixée au 21 juin 2022, par application des dispositions de l'article R. 613-1 du code de justice administrative, par une ordonnance du même jour.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Danveau, premier conseiller,
- les conclusions de M. Gautron, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. M. A... a exploité jusqu'au 8 juin 2012 une entreprise individuelle de restauration sous l'enseigne " Le Bilboq " à Ajaccio, laquelle a fait l'objet d'une vérification de comptabilité portant sur la période du 1er janvier 2011 au 8 juin 2012. A l'issue de cette vérification, l'administration a notifié aux intéressés, par une proposition de rectification du 17 septembre 2014, des rappels de taxe sur la valeur ajoutée au titre de la période du 1er janvier 2011 au 31 décembre 2011, ainsi que des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu au titre des années 2011 et 2012. L'entreprise individuelle Le Bilboq et M. A... relèvent appel du jugement du 1er octobre 2020 du tribunal administratif de Bastia qui a rejeté leur demande de décharge de ces impositions.
Sur la procédure d'imposition :
2. L'irrégularité de la notification de la décision de rejet d'une réclamation par l'administration n'a d'incidence, le cas échéant, que sur le délai imparti au contribuable pour contester cette décision et reste sans influence sur la régularité de la procédure d'imposition. Par suite, et en tout état de cause, la circonstance que la décision de rejet de la réclamation n'ait été notifiée qu'à l'entreprise individuelle Le Bilboq et non à M. A... reste sans incidence sur la procédure d'imposition suivie à son égard en matière de cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu. Par suite, le moyen ne peut, en toute hypothèse, qu'être écarté.
3. Aux termes de l'article R. 59-1 du livre des procédures fiscales : " L'administration notifie l'avis de la commission ou du comité consultatif au contribuable et l'informe en même temps du chiffre qu'elle se propose de retenir comme base d'imposition ". Selon l'article R. 60-3 de ce livre : " L'avis ou la décision de la commission départementale ou nationale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires doit être motivé. Il est notifié au contribuable par l'administration des impôts ".
4. Il résulte de l'instruction que, le 17 juin 2017, soit avant la mise en recouvrement des impositions litigieuses, M. A... s'est vu notifier, par l'administration fiscale, une lettre modèle n° 2230 datée du 1er juin 2017. Cette lettre l'informait de l'avis rendu le 3 avril 2017 par la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires sur le désaccord dont elle l'avait saisie et sur la composition de cette commission. Cette lettre reproduisait par ailleurs, dans son intégralité, l'avis motivé rendu par cette commission selon un imprimé n° 2220. Ainsi que l'a jugé à bon droit le tribunal administratif, aucune des dispositions précitées du livre des procédures fiscales n'imposait de notifier une ampliation de la minute de l'avis rendu par la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires. Il suit de là que les appelants, qui étaient au demeurant en mesure de solliciter la communication de ce document, n'ont été privé d'aucune des garanties de la procédure contradictoire. Par suite, le moyen tiré de ce que la procédure d'imposition serait entachée d'irrégularité à défaut de notification régulière de l'avis de la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires doit être écarté.
Sur le bien-fondé des impositions :
En ce qui concerne la charge de la preuve :
5. Aux termes de l'article L. 192 du livre des procédures fiscales : " Lorsque l'une des commissions ou le comité mentionnés à l'article L. 59 ou le comité prévu à l'article L. 64 est saisi d'un litige ou d'une rectification, l'administration supporte la charge de la preuve en cas de réclamation, quel que soit l'avis rendu par la commission ou le comité. / Toutefois, la charge de la preuve incombe au contribuable lorsque la comptabilité comporte de graves irrégularités et que l'imposition a été établie conformément à l'avis de la commission ou du comité. La charge de la preuve des graves irrégularités invoquées par l'administration incombe, en tout état de cause, à cette dernière lorsque le litige ou la rectification est soumis au juge. (...) ".
6. Il résulte de l'instruction que la commission des impôts et des taxes sur le chiffre d'affaires a confirmé, dans l'avis rendu au cours de sa séance du 3 avril 2017, le bien-fondé de la méthode dite " des vins " employée par l'administration fiscale pour reconstituer les recettes de l'entreprise individuelle Le Bilboq et le montant du chiffre d'affaires reconstitué au titre de l'exercice clos en 2012. Elle a toutefois revu le montant du chiffre d'affaires reconstitué au titre de l'exercice clos en 2011, en portant le taux de pertes, d'offerts et de consommations du personnel et du gérant de 10 % à 43 %. L'administration fiscale ayant établi les impositions en litige conformément à l'avis de la commission, la charge de la preuve des graves irrégularités invoquées par l'administration incombe à cette dernière tandis que la charge de la preuve de l'exagération des impositions appartient ensuite au contribuable dès lors que le rejet de la comptabilité est fondé.
En ce qui concerne la méthode de reconstitution du chiffre d'affaires :
7. Il résulte de l'instruction que M. A..., qui ne conteste plus en appel le rejet de la comptabilité de son entreprise individuelle, n'a présenté aucune pièce justificative de recettes au titre des exercices 2011 et 2012 et s'est vu notifier un procès-verbal de défaut de présentation de comptabilité probante le 28 mai 2014. Le service a, en outre, relevé l'absence d'état détaillé des stocks. Par suite, c'est par une exacte appréciation des circonstances de l'affaire que les premiers juges ont estimé que l'administration établissait l'existence de graves irrégularités entachant la comptabilité de l'entreprise individuelle de M. A... et qu'elle était en droit de l'écarter et de procéder à la reconstitution du chiffre d'affaires de l'entreprise.
8. Il résulte de l'instruction que le vérificateur a reconstitué le chiffre d'affaires issu de l'activité de l'entreprise individuelle de restauration Le Bilboq en utilisant la méthode dite " des vins ", qui consiste à déterminer le pourcentage des vins dans le chiffre d'affaires global puis à reconstituer le chiffre d'affaires des ventes de vins à partir des factures d'achats de bouteilles de vins établies par les fournisseurs de l'établissement et d'un coefficient de marge, en tenant compte d'un taux de perte, d'offerts, de consommations du personnel et du gérant et d'utilisation en cuisine de 43 % en 2011 et de 10 % en 2012. Il a, enfin, reconstitué le chiffre d'affaires total de chacun des exercices à partir des recettes reconstituées de vente des vins et des doubles des notes de restaurant remises aux clients sur la période du 15 mai 2012 au 30 avril 2013.
9. Les appelants soutiennent que la méthode de reconstitution des chiffres d'affaires des exercices clos au 31 décembre 2011 et au 15 mai 2012 est viciée dès lors qu'elle n'a pas été élaborée à partir d'éléments intrinsèques de l'entreprise individuelle mais repose sur les données comptables de la SARL Le Bilboq. Cependant, il résulte de l'instruction que l'entreprise individuelle Le Bilboq a cessé le 15 mai 2012 son activité de restauration qui s'est poursuivie sous la forme juridique d'une SARL, dont M. A... est le gérant et associé à hauteur de 50 %. La proposition de rectification du 17 septembre 2014 adressée à M. A... souligne que les conditions d'exploitation de la SARL Le Bilboq étaient identiques à celles de l'entreprise individuelle sur la période examinée, et mentionne que M. A... a confirmé cette information, retracée dans un procès-verbal daté du 2 juillet 2014, au cours des opérations de contrôle. En l'absence de pièces justificatives de recettes et d'inventaires des stocks présentés par M. A..., l'administration fiscale était fondée à appliquer la méthode dite " des vins " à partir notamment des notes de restaurant fournies par la SARL Le Bilboq sur la période du 15 mai 2012 au 30 avril 2013, tout en utilisant des données d'exploitation propres à l'entreprise individuelle, telles que les factures des fournisseurs de vins obtenues après exercice du droit de communication. Les appelants se bornent à soutenir que la reconstitution des recettes de l'entreprise individuelle, fondée sur l'extrapolation du chiffre d'affaires d'une personne morale distincte, est incohérente au regard des conditions d'exploitation et des périodes d'exercice comptable distinctes entre les deux entreprises. A cet égard, ils insistent sur les particularités de l'exercice 2012, limité à la période du 1er janvier au 15 mai 2012, qui a été rectifié par comparaison avec une année pleine d'exploitation et sans tenir compte de la période d'activité estivale essentielle pour le secteur de la restauration. Cependant, les appelants n'apportent pas davantage en appel qu'en première instance d'éléments ou de justificatifs à l'appui de leurs écritures, de nature à établir que les données ainsi prises en compte par le vérificateur ne correspondraient pas, contrairement à ce que M. A... a admis au cours du contrôle, aux conditions d'exploitation de son établissement. Si les appelants se prévalent par ailleurs d'un écart de 13 % entre le chiffre d'affaires de la SARL Le Bilboq au 30 avril 2013 et celui de l'entreprise individuelle reconstitué au titre de l'exercice 2011, ce seul élément, à le supposer même avéré, ne saurait, de ce seul fait, faire regarder la méthode employée par l'administration fiscale comme exagérément sommaire ou radicalement viciée. Par suite, l'entreprise individuelle Le Bilboq et M. A... ne rapportent pas la preuve, qui leur incombent, du caractère exagéré des impositions mises à leur charge.
10. Enfin, à supposer que les appelants ait entendu solliciter sur le fondement de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales le bénéfice d'une doctrine administrative selon laquelle " les reconstitutions du bénéfice brut doivent être effectuées à partir des conditions concrètes de fonctionnement de l'entreprise et non d'éléments prédéterminés ou étrangers à la gestion propre de celle-ci (...) ", ils ne donnent pas, en tout état de cause, avec une précision suffisante, les références de la doctrine qu'ils invoquent.
Sur les pénalités :
11. Aux termes de l'article 1729 du code général des impôts : " Les inexactitudes ou les omissions relevées dans une déclaration ou un acte comportant l'indication d'éléments à retenir pour l'assiette ou la liquidation de l'impôt ainsi que la restitution d'une créance de nature fiscale dont le versement a été indûment obtenu de l'État entraînent l'application d'une majoration de : / a. 40 % en cas de manquement délibéré (...) ".
12. Les appelants reprennent en appel, sans l'assortir d'éléments nouveaux ou de critiques utiles du jugement, le moyen tiré de l'insuffisante motivation des pénalités. Il y a lieu d'écarter ce moyen par adoption des motifs pertinents retenus par les premiers juges.
13. Pour justifier l'application des pénalités pour manquement délibéré, l'administration fiscale s'est fondée sur les graves irrégularités de la comptabilité de l'entreprise individuelle Le Bilboq et l'importance et le caractère répété des minorations de recettes, lesquelles ont représenté 48,51 % des recettes reconstituées en 2011 et 16,28 % en 2012. Si le montant des rectifications a, suite à l'avis de la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires, été diminué, au titre du seul exercice 2011, en raison de l'admission d'un ratio plus important de pertes et offerts sur les achats de vins, le montant du chiffre d'affaires rectifié, arrêté à 560 832 euros hors taxes au lieu de 818 568 euros hors taxes, ainsi que le résultat rectifié, arrêté à 162 093 euros alors qu'il avait été déclaré à hauteur de 36 909 euros, traduisent des omissions significatives. Il en va de même de l'exercice 2012, limité à la période du 1er janvier 2012 au 15 mai 2012 en raison de la cessation de l'activité de l'entreprise, le résultat non déclaré ayant été déterminé à hauteur de 9 203 euros. La circonstance que les opérations de contrôle de la SARL Le Bilboq n'aient donné lieu à aucune rectification n'a aucune incidence sur le bien-fondé des pénalités mises à la charge de l'entreprise individuelle et de M. A... au titre de la période litigieuse. Dans ces conditions, eu égard à la nature de ces manquements, à leur importance et à leur répétition, l'administration a démontré l'intention délibérée de M. A... de minorer les impôts dus et a dès lors à bon droit appliqué la majoration de 40 % pour manquement délibéré prévue par les dispositions précitées de l'article 1729 du code général des impôts.
Sur les conclusions tendant au maintien d'un sursis de paiement :
14. Aux termes de l'article L. 277 du livre des procédures fiscales : " Le contribuable qui conteste le bien-fondé ou le montant des impositions mises à sa charge est autorisé, s'il en a expressément formulé la demande dans sa réclamation et précisé le montant ou les bases du dégrèvement auquel il estime avoir droit, à différer le paiement de la partie contestée de ces impositions et des pénalités y afférentes. / L'exigibilité de la créance et la prescription de l'action en recouvrement sont suspendues jusqu'à ce qu'une décision définitive ait été prise sur la réclamation soit par l'administration, soit par le tribunal compétent (...) ".
15. Les dispositions de l'article L. 277 du livre des procédures fiscales, qui ont pour objet de permettre de surseoir au paiement des impositions lorsqu'il a été formé contre elles une réclamation contentieuse, n'ont de portée que pendant la durée de l'instance devant le tribunal administratif. Lorsque le tribunal s'est prononcé au fond, son jugement rend à nouveau exigibles les impositions dont il n'a pas prononcé la décharge. Hormis les procédures spécialement édictées en matière de référé, aucune disposition législative ou réglementaire n'a prévu une procédure de sursis de paiement des impositions contestées pendant la durée de l'instance devant la cour administrative d'appel. Par suite, les conclusions de la requête tendant au maintien du sursis de paiement et de la mise en recouvrement des impositions en litige doivent être rejetées.
16. Il résulte de tout ce qui précède que l'entreprise individuelle Le Bilboq et M. A... ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bastia a rejeté leur demande.
Sur les frais liés au litige :
17. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans le cadre de la présente instance, la somme demandée par l'entreprise individuelle Le Bilboq et M. A... au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de l'entreprise individuelle Le Bilboq et de M. A... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à l'entreprise individuelle Le Bilboq, à M. B... A... et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Copie en sera adressée à la direction du contrôle fiscal Sud-Est.
Délibéré après l'audience du 10 novembre 2022, où siégeaient :
- Mme Fedi, présidente de chambre,
- M. Taormina, président assesseur,
- M. Danveau, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 25 novembre 2022.
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N° 20MA04057