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20/10/2022 | FRANCE | N°21MA01770

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 2ème chambre, 20 octobre 2022, 21MA01770


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... A... a demandé au tribunal administratif de Marseille d'ordonner une médiation entre lui et le centre hospitalier d'Arles et de condamner ledit centre hospitalier à lui payer la somme totale de 112 773,30 euros en réparation des préjudices subis du fait des opérations pratiquées dans cet établissement les 28 septembre 2012 et 25 janvier 2013.

Par jugement ns 1905829 et 1907770 du 15 mars 2021, le tribunal administratif de Marseille a notamment condamné le centre hospitalier d'Arles à verser

à M. A... la somme de 31 102 euros dont sera déduite la provision de 5 000 eu...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... A... a demandé au tribunal administratif de Marseille d'ordonner une médiation entre lui et le centre hospitalier d'Arles et de condamner ledit centre hospitalier à lui payer la somme totale de 112 773,30 euros en réparation des préjudices subis du fait des opérations pratiquées dans cet établissement les 28 septembre 2012 et 25 janvier 2013.

Par jugement ns 1905829 et 1907770 du 15 mars 2021, le tribunal administratif de Marseille a notamment condamné le centre hospitalier d'Arles à verser à M. A... la somme de 31 102 euros dont sera déduite la provision de 5 000 euros accordée par la société hospitalière d'assurances mutuelles (SHAM).

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 11 mai 2021 et le 30 mars 2022, M. C... A..., représenté par Me Alcalde, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement en tant que le tribunal n'a pas fait droit à ses conclusions indemnitaires dans leur intégralité ;

2°) de condamner en conséquence le centre hospitalier d'Arles à lui verser la somme totale de 150 273,30 euros avec intérêts au taux légal à compter du 11 septembre 2019 ;

3°) de mettre les dépens à la charge du centre hospitalier d'Arles.

Il soutient que :

- ses conclusions indemnitaires sont recevables, tout comme sa demande tendant au paiement des intérêts au taux légal ;

- c'est par une exacte appréciation que le tribunal a retenu la responsabilité du centre hospitalier d'Arles et qu'il n'a pas retenu seulement l'existence d'une perte de chance d'éviter le dommage subi ;

- c'est à tort que les premiers juges ont rejeté ses demandes tendant à l'indemnisation de ses frais de déplacement exposés pour se rendre au cabinet de son avocat, de ses pertes de gains professionnels actuels, des frais de véhicule adapté, de ses dépenses de santé futures et de son préjudice d'agrément ;

- les premiers juges ont fait une insuffisante évaluation du déficit fonctionnel temporaire qu'il a subi, des souffrances qu'il a endurées, de son préjudice esthétique permanent et de son préjudice sexuel ;

- il a également le droit au versement de la somme de 20 000 euros en réparation de la chance perdue d'être correctement pris en charge ou, à titre subsidiaire, de son préjudice moral.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 29 mars et 1er avril 2022, le centre hospitalier d'Arles, représenté par Me Le Prado, conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que :

- les conclusions indemnitaires du requérant sont irrecevables en tant qu'elles excèdent la somme demandée par le requérant tant dans sa demande indemnitaire préalable que dans sa demande de première instance ;

- certaines des demandes formulées par le requérant ne sont pas fondées et d'autres doivent être limitées dans leur montant.

La clôture de l'instruction a été fixée au 10 juin 2022 par une ordonnance du même jour, en application des dispositions de l'article R. 613-1 du code de justice administrative.

La procédure a été communiquée aux caisses primaires d'assurance maladie du Gard et de l'Hérault, qui n'ont pas produit de mémoire.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de la sécurité sociale ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

La présidente de la cour a désigné M. Taormina, président-assesseur de la 2ème chambre, pour présider, en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative, la formation de jugement.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. D...,

- les conclusions de M. Gautron, rapporteur public,

- et les observations de Me Alcalde, représentant M. A....

Considérant ce qui suit :

1. M. A..., maçon-couvreur, a été victime d'une chute d'une échelle sur son lieu de travail le 19 septembre 2012. Il a été transporté au centre hospitalier d'Arles où ont été diagnostiquées, notamment, une fracture ouverte de stade 1 du coude gauche avec déplacement très important, un éclatement de la tête radiale et une fracture non déplacée du coronoïde. Le 28 septembre 2012, il a été opéré au sein dudit centre hospitalier pour mise en place d'une prothèse du coude. Alors qu'il ne disposait pas du matériel adéquat pour mettre en place cette prothèse, le centre hospitalier d'Arles s'est abstenu de transférer celui-ci alors qu'il était possible de le faire. Par ailleurs, lors des deux interventions chirurgicales pratiquées le 28 septembre 2012 et le 25 janvier 2013, l'équipe médicale a omis de calculer le niveau de résection du col du radius pour rétablir sa longueur exacte et a mis en place une prothèse de taille surdimensionnée. Ces erreurs dans le choix de la taille de la prothèse et le positionnement de celle-ci ont engendré des douleurs chez M. A... qui a, pour y remédier, dû subir trois interventions, l'une au sein de la clinique des Franciscains, puis deux au sein de centre hospitalier de Montpellier, la première, le 16 décembre 2014, tendant à la résection partielle de la tête cubitale avec ligamentoplastie au niveau du poignet pour le stabiliser et la seconde, le 7 mars 2016, pour ligamentoplastie.

2. M. A... relève appel du jugement du 15 mars 2021 en tant que le tribunal administratif de Marseille n'a pas fait droit à l'intégralité de ses conclusions indemnitaires formulées à l'encontre du centre hospitalier d'Arles.

Sur le principe de responsabilité :

3. Aux termes de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " I. - Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute (...) ".

4. Il résulte de ce qui a été relaté au point 1 et ainsi que l'a jugé à juste titre le tribunal aux points 5 à 7 de son jugement, que les fautes ainsi commises dans la prise en charge de M. A... ont engagé de manière pleine et entière la responsabilité du centre hospitalier d'Arles au titre des dommages en résultant, ce que ce dernier ne conteste, au demeurant, pas.

Sur les préjudices :

En ce qui concerne les préjudices extrapatrimoniaux :

S'agissant des préjudices temporaires :

5. Il résulte de l'instruction que M. A... a subi, du fait des fautes précitées au point précédent, un déficit fonctionnel temporaire total du 25 janvier 2013 au 30 janvier 2013, du 12 juin 2013 au 6 août 2013, du 14 décembre 2014 au 16 décembre 2014 et du

7 mars 2016 au 13 mars 2016, un déficit partiel à hauteur de 50 % du 31 janvier 2013 au

30 mars 2013, du 17 décembre 2014 au 17 février 2015 et du 14 mars 2016 au 15 mai 2016, à hauteur de 25 % du 1er avril 2013 au 11 juin 2013, du 7 août 2013 au 7 février 2014, du 18 mars 2015 au 19 septembre 2015 et du 16 mai 2016 au 17 décembre 2016, à hauteur de

10 % enfin du 8 février 2014 au 13 décembre 2014, du 20 septembre 2015 au 6 mars 2016 et du 18 décembre 2016 au 6 mai 2017, date de consolidation de son état de santé. Les premiers juges n'ont pas fait une évaluation insuffisante de ce poste de préjudice en fixant le montant de sa réparation à la somme de 5 200 euros.

6. Il résulte également de l'instruction que les premiers juges n'ont pas fait une évaluation insuffisante des souffrances endurées par M. A..., évaluées par l'expert à 4,5 sur une échelle de 1 à 7, en fixant la réparation de ce poste de préjudice à la somme de 10 400 euros.

7. Enfin, il résulte de l'instruction, et il n'est contesté par aucune des parties, que les premiers juges ont fait une juste appréciation du préjudice esthétique temporaire de M. A... résultant du port, à la suite de l'intervention du 16 décembre 2014, d'une attelle, en l'évaluant à la somme de 500 euros.

S'agissant des préjudices permanents :

8. Il résulte de l'instruction, et il n'est contesté par aucune des parties, que les premiers juges n'ont pas fait une évaluation insuffisante du déficit fonctionnel permanent de 10 % que M. A..., âgé de 52 ans à la date de consolidation de son état de santé, conserve du fait des fautes du centre hospitalier d'Arles, en fixant la réparation de ce poste de préjudice à la somme de 12 000 euros.

9. Si M. A... demande réparation du préjudice d'agrément, il ne produit aucune pièce de nature à établir la réalité de ce préjudice. Les circonstances qu'il invoque selon lesquelles il a " souvent été dans une situation de convalescence l'empêchant de vivre normalement " et qu'il ne pourra pas, à l'avenir, entreprendre de se livrer à des activités de loisirs ne sont quant à elles pas de nature à ouvrir un quelconque droit au titre de ce poste de préjudice. Au demeurant, la gêne dont il fait état est déjà prise en compte dans le cadre de la réparation de son déficit fonctionnel permanent alors qu'il ne justifie pas du préjudice particulier pris en compte dans celui de la réparation du préjudice d'agrément.

10. S'il n'est pas contesté que M. A... subit un préjudice sexuel résultant de l'asthénie provoquée par le traitement antalgique dont le second rapport d'expertise précise qu'il lui a été prescrit jusqu'au 21 janvier 2019, il n'établit pas que la somme de 1 000 euros réparerait de manière insuffisante ce chef de préjudice.

11. Enfin, en s'abstenant de préciser les raisons pour lesquelles il conteste l'appréciation faite par les premiers juges de son préjudice esthétique permanent, le requérant ne démontre pas que ceux-ci en ont fait une évaluation insuffisante.

En ce qui concerne les préjudices patrimoniaux :

S'agissant des préjudices temporaires :

12. D'une part, M. A... a droit à la somme, non contestée par les parties, que les premiers juges ont fixé à 602 euros au titre des déplacements qu'il a effectués pour se rendre à Nice à l'occasion des deux accédits du Dr B... les 28 juin 2016 et 15 octobre 2018. En revanche, il ne démontre pas davantage devant la cour que devant le tribunal, la réalité des frais de déplacement exposés pour se rendre chez son avocate en produisant une extraction du logiciel de rendez-vous de celle-ci sans étayer ce document d'éléments objectifs, notamment des factures. Dès lors, et comme l'a fait le tribunal, il y a lieu de fixer ce poste de préjudice à la somme de 602 euros.

13. D'autre part, l'expert a indiqué que le requérant n'aurait, en dehors même de toute faute commise par le centre hospitalier d'Arles, au regard de la gravité de la fracture initiale dont il a été victime, pu reprendre son emploi de maçon-couvreur, ce que le requérant ne conteste pas. Si ce dernier soutient en appel qu'il aurait toutefois pu exercer une activité moins exigeante physiquement durant cette même période, il s'abstient de préciser laquelle et n'allègue ni ne démontre qu'il dispose d'une autre expérience ou qualification qu'il aurait pu mettre à profit. Dans ces conditions, et comme l'ont exactement estimé les premiers juges, M. A... n'établit pas la réalité du préjudice de pertes de gains professionnels actuels dont il demande réparation.

S'agissant des préjudices permanents :

14. Si M. A..., qui ne justifie pas de l'achat d'un véhicule adapté au handicap dont il demeure atteint à la suite de ses prises en charge par le centre hospitalier d'Arles, soutient qu'il " sera contraint en vieillissant de s'équiper d'un véhicule automatique plus facile à conduire ", cette assertion n'est nullement justifiée et demeure hypothétique, l'expert n'ayant d'ailleurs pas retenu la nécessité d'un véhicule adapté. Dès lors, c'est à bon droit que les premiers juges ont rejeté la demande d'indemnisation qu'il a formulée au titre de ce poste de préjudice.

15. M. A... n'apporte aucun élément ni ne développe même une quelconque argumentation de nature à démontrer la réalité des dépenses de santé futures dont il demande l'indemnisation.

En ce qui concerne la chance perdue d'être correctement pris en charge et le préjudice moral :

16. Si M. A... demande une indemnisation de la chance perdue d'être correctement pris en charge, cette demande n'est pas distincte des souffrances morales qu'il a subies et qui sont réparées au titre des souffrances endurées et du déficit fonctionnel permanent. S'il se plaint également d'une douleur morale à avoir affronté " un long contentieux judiciaire ", il ne résulte pas de l'instruction que cette circonstance soit établie alors que, plus particulièrement, la SHAM lui a alloué une provision de 5 000 euros et que M. A... n'a adressé, au centre hospitalier d'Arles, une demande indemnitaire préalable qu'en 2019.

17. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner la fin de non-recevoir opposée par le centre hospitalier d'Arles, que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Marseille a limité à la somme de 31 102 euros le montant total des indemnités qu'il a condamné le centre hospitalier d'Arles à lui payer.

Sur les intérêts :

18. Aux termes de l'article 1231-6 du code civil : " Les dommages et intérêts dus à raison du retard dans le paiement d'une obligation de somme d'argent consistent dans l'intérêt au taux légal, à compter de la mise en demeure. Ces dommages et intérêts sont dus sans que le créancier soit tenu de justifier d'aucune perte... ". Aux termes de l'article 1231-7 du même code : " En toute matière, la condamnation à une indemnité emporte intérêts au taux légal même en l'absence de demande ou de disposition spéciale du jugement. Sauf disposition contraire de la loi, ces intérêts courent à compter du prononcé du jugement à moins que le juge n'en décide autrement. / En cas de confirmation pure et simple par le juge d'appel d'une décision allouant une indemnité en réparation d'un dommage, celle-ci porte de plein droit intérêt au taux légal à compter du jugement de première instance. Dans les autres cas, l'indemnité allouée en appel porte intérêt à compter de la décision d'appel. Le juge d'appel peut toujours déroger aux dispositions du présent alinéa ".

19. M. A... a droit à la somme de 31 102 euros, minorée de la provision de 5 000 euros accordée par la SHAM dont il a donné quittance le 22 mai 2019. En application des dispositions précitées, il a droit, ainsi qu'il le demande, aux intérêts de la somme de 26 102 euros à compter du 11 septembre 2019, date d'enregistrement de sa requête au greffe du tribunal.

Sur la déclaration d'arrêt commun :

20. Il y a lieu de déclarer le présent arrêt commun à la caisse primaire d'assurance maladie du Gard et à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Hérault qui, régulièrement mises en cause dans la présente instance, n'ont pas produit de mémoire.

Sur la charge des dépens :

21. La mise à la charge définitive du centre hospitalier d'Arles des frais d'expertise judiciaire par le tribunal n'est pas contestée devant la cour devant laquelle il n'a été généré aucun dépens supplémentaire.

Sur les conclusions formulées en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

22. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a lieu de mettre à la charge d'aucune des parties une somme au titre des frais exposés par les autres parties et non compris dans les dépens, en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D É C I D E :

Article 1er : La somme de 26 102 euros que le centre hospitalier d'Arles a été condamné par le jugement du tribunal administratif de Marseille du 15 mars 2021 à verser à M. A... portera intérêts au taux légal à compter du 11 septembre 2019.

Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Marseille du 15 mars 2021 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 3 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 4 : Le présent arrêt est déclaré commun aux caisses primaires d'assurance maladie du Gard et de l'Hérault.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... A..., au centre hospitalier d'Arles et aux caisses primaires d'assurance maladie du Gard et de l'Hérault.

Délibéré après l'audience du 6 octobre 2022 où siégeaient :

- M. Taormina, président-assesseur, présidant la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,

M. Mahmouti, premier conseiller,

- M. Danveau, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 20 octobre 2022.

2

N° 21MA01770


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 21MA01770
Date de la décision : 20/10/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-02-01-01 Responsabilité de la puissance publique. - Responsabilité en raison des différentes activités des services publics. - Service public de santé. - Établissements publics d'hospitalisation.


Composition du Tribunal
Président : M. TAORMINA
Rapporteur ?: M. Jérôme MAHMOUTI
Rapporteur public ?: M. GAUTRON
Avocat(s) : SCP D'AVOCATS DELRAN BARGETON-DYENS SERGENT ALCALDE

Origine de la décision
Date de l'import : 30/10/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2022-10-20;21ma01770 ?
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