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13/10/2022 | FRANCE | N°20MA02510

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 3ème chambre, 13 octobre 2022, 20MA02510


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société par actions simplifiée (SAS) Consulting Interim a demandé au tribunal administratif de Marseille de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2013 et 2014, des rappels de retenue à la source mis à sa charge au titre des années 2013 et 2014, ainsi que des pénalités correspondantes.

Par un jugement n° 1806758, 1807184 du 24 juin 2020, le tribunal administratif de Marseille a rejeté

cette demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 28 juillet...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société par actions simplifiée (SAS) Consulting Interim a demandé au tribunal administratif de Marseille de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2013 et 2014, des rappels de retenue à la source mis à sa charge au titre des années 2013 et 2014, ainsi que des pénalités correspondantes.

Par un jugement n° 1806758, 1807184 du 24 juin 2020, le tribunal administratif de Marseille a rejeté cette demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 28 juillet 2020, la SAS Consulting Interim, représentée par Me Attali-Balensi, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Marseille du 24 juin 2020 ;

2°) de prononcer la décharge des impositions et pénalités en litige ;

3°) de condamner l'Etat aux entiers dépens et de mettre à sa charge la somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- c'est à tort qu'a été remise en cause la déduction de ses résultats des redevances déduites au titre du contrat de concession de marque conclu avec la société B... ;

- par voie de conséquence, les rappels de retenue à la source ne sont pas fondés ;

- en faisant application de la retenue à la source sur les revenus réputés distribués, l'administration lui inflige une double sanction ;

- à titre subsidiaire, la retenue à la source n'aurait dû être appliquée que sur les redevances dont la déduction a été remise en cause ;

- l'administration n'était pas fondée à faire application de la majoration pour manquement délibéré.

Par un mémoire en défense, enregistré le 17 mars 2021, le ministre de l'économie, des finances et de la relance conclut au rejet la requête.

Il fait valoir que les moyens soulevés par la SAS Consulting Interim ne sont pas fondés.

Par une lettre du 12 septembre 2022, les parties ont été informées, en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de l'irrecevabilité des conclusions à fin de décharge des intérêts de retard, dépourvues d'objet en raison de la remise de ces intérêts antérieurement à l'introduction de la requête.

Par un mémoire, enregistré le 15 septembre 2022, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique a indiqué à la Cour ne pas avoir d'observations à formuler au sujet de ce moyen relevé d'office.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention du 10 octobre 1995 entre la France et l'Espagne en vue d'éviter les doubles impositions et de prévenir l'évasion et la fraude fiscales en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme A...,

- et les conclusions de M. Ury, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. La SAS Consulting Interim, qui exploite des agences de travail temporaire, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité portant sur la période allant du 8 février 2013 au 31 décembre 2014. A l'issue de ce contrôle, l'administration fiscale a notamment remis en cause la déduction de ses résultats de redevances comptabilisées au titre d'un contrat de concession de licence de marque conclu avec la société de droit espagnol B..., et fait application de la retenue à la source sur les sommes versées à cette société. La SAS Consulting Interim relève appel du jugement du 24 juin 2020 par lequel le tribunal administratif de Marseille a rejeté ses demandes tendant à la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a ainsi été assujettie au titre des exercices clos en 2013 et 2014, des rappels de retenue à la source mis à sa charge au titre des années 2013 et 2014, et des pénalités correspondantes.

Sur le bien-fondé des impositions :

En ce qui concerne l'impôt sur les sociétés :

2. Aux termes du 1 de l'article 39 du code général des impôts rendu applicable à l'impôt sur les sociétés par l'article 209 du même code : " Le bénéfice net est établi sous déduction de toutes charges, celles-ci comprenant (...) notamment : / 1° Les frais généraux de toute nature (...) ". Si, en vertu des règles gouvernant l'attribution de la charge de la preuve devant le juge administratif, applicables sauf loi contraire, il incombe, en principe, à chaque partie d'établir les faits qu'elle invoque au soutien de ses prétentions, les éléments de preuve qu'une partie est seule en mesure de détenir ne sauraient être réclamés qu'à celle-ci. Il appartient, dès lors, au contribuable, pour l'application des dispositions précitées du code général des impôts, de justifier tant du montant des charges qu'il entend déduire du bénéfice net défini à l'article 38 du code général des impôts que de la correction de leur inscription en comptabilité, c'est-à-dire du principe même de leur déductibilité. Le contribuable apporte cette justification par la production de tous éléments suffisamment précis portant sur la nature de la charge en cause, ainsi que sur l'existence et la valeur de la contrepartie qu'il en a retirée. Dans l'hypothèse où le contribuable s'acquitte de cette obligation, il incombe ensuite au service, s'il s'y croit fondé, d'apporter la preuve de ce que la charge en cause n'est pas déductible par nature, qu'elle est dépourvue de contrepartie, qu'elle a une contrepartie dépourvue d'intérêt pour le contribuable ou que la rémunération de cette contrepartie est excessive.

3. En vertu de ces principes, lorsqu'une entreprise a déduit en charges une dépense réellement supportée, conformément à une facture régulière relative à un achat de prestations ou de biens dont la déductibilité par nature n'est pas contestée par l'administration, celle-ci peut demander à l'entreprise qu'elle lui fournisse tous éléments d'information en sa possession susceptibles de justifier la réalité et la valeur des prestations ou biens ainsi acquis. La seule circonstance que l'entreprise n'aurait pas suffisamment répondu à ces demandes d'explication ne saurait suffire à fonder en droit la réintégration de la dépense litigieuse, l'administration devant alors fournir devant le juge tous éléments de nature à étayer sa contestation du caractère déductible de la dépense. Le juge de l'impôt doit apprécier la valeur des explications qui lui sont respectivement fournies par le contribuable et par l'administration.

4. Le 20 mai 2013, la SAS Consulting Interim a signé un contrat de concession de licence de marque d'une durée de dix ans avec la société de droit espagnol B..., créée le 26 mars 2013, portant sur l'exploitation exclusive de la marque Consulting Interim, moyennant le versement d'une redevance mensuelle égale à 9,5 % du chiffre d'affaires, ramenée à 4,7 % par un avenant du 24 octobre 2013. Elle a ainsi comptabilisé en charges des redevances s'élevant respectivement à 248 478 et 239 711 euros au cours des exercices 2013 et 2014, dont la déduction a été remise en cause par l'administration fiscale. Le ministre relève que la SAS Consulting Interim, créée le 8 février 2013, a fait l'acquisition d'un fonds de commerce d'agence de travail temporaire dont elle a commencé immédiatement l'exploitation grâce à la reprise du personnel, en utilisant la dénomination " Consulting Interim ", avant même le dépôt par la société B..., le 29 avril 2013, de cette marque, qui n'avait aucune notoriété antérieure. Il relève également que la société B... n'avait aucun salarié au cours de la période considérée, et sous-traitait son activité à une société établie en Tunisie, laquelle lui a facturé des prestations relatives à l'ensemble des marques qu'elle détenait pour des montants peu significatifs au regard des montants des redevances comptabilisées par la SAS Consulting Interim. Enfin, il fait état du contrat conclu par la société Consulting Interim le 1er mars 2013 avec une société détenue en totalité par l'un de ses associés, portant sur des missions similaires. Ainsi, le ministre se prévaut d'indices sérieux susceptibles de faire douter de la réalité des prestations fournies par la société B.... Si la SAS Consulting Interim fait valoir que la société B... avait confié les prestations fournies en matière d'aide au développement externe et de stratégie à son sous-traitant tunisien, et que ces prestations ont permis l'accroissement de son chiffre d'affaires, les seuls documents qu'elle produit, à savoir notamment un " compte-rendu d'opération pour B... " rédigé par son sous-traitant, un modèle de courriel, des listes d'adresses mails et de prospects, des " tableaux de campagne " et un script de télémarketing établis par ses soins, ainsi qu'une attestation rédigée par une employée du sous-traitant tunisien, ne permettent pas de démontrer la mise en œuvre au cours des années en cause de prestations de publicité et de démarchage de masse, et donc de justifier de la réalité des prestations facturées par la société B.... Par suite, c'est à bon droit que l'administration a remis en cause la déduction des charges comptabilisées par la société Consulting Interim à raison des redevances dues à la société B... au titre de la concession de licence de la marque Consulting Interim.

En ce qui concerne la retenue à la source :

5. D'une part, aux termes du 1 de l'article 109 du code général des impôts : " Sont considérés comme revenus distribués : / 1° Tous les bénéfices ou produits qui ne sont pas mis en réserve ou incorporés au capital ; (...) ". Aux termes de l'article 110 du même code : " Pour l'application du 1° du 1 de l'article 109 les bénéfices s'entendent de ceux qui ont été retenus pour l'assiette de l'impôt sur les sociétés (...) ". Aux termes du 2 de l'article 119 bis de ce code : " Les produits visés aux articles 108 à 117 bis donnent lieu à l'application d'une retenue à la source dont le taux est fixé par l'article 187 lorsqu'ils bénéficient à des personnes qui n'ont pas leur domicile fiscal ou leur siège en France (...) ". D'autre part, l'article 10 de la convention fiscale franco-espagnole, relatif aux dividendes, stipule : " 1. Les dividendes payés par une société qui est un résident d'un Etat contractant à un résident de l'autre Etat contractant sont imposables dans cet autre Etat. / a) Les dividendes mentionnés au paragraphe 1 sont aussi imposables dans l'Etat contractant dont la société qui paie les dividendes est un résident, et selon la législation de cet Etat, mais si la personne qui reçoit les dividendes en est le bénéficiaire effectif, l'impôt ainsi établi ne peut excéder 15 % du montant brut des dividendes ; / (...) 4. a) Le terme " dividendes " employé dans le présent article désigne les revenus provenant d'actions, actions ou bons de jouissance, parts de mine, parts de fondateur ou autres parts bénéficiaires à l'exception des créances, ainsi que les revenus soumis au régime des distributions par la législation fiscale de l'Etat contractant dont la société distributrice est un résident ; (...) ".

6. En premier lieu, l'administration a, ainsi qu'il a été dit au point 4, remis en cause la déduction par la SAS Consulting Interim, en tant que charges, des redevances comptabilisées au titre de la concession de licence de la marque Consulting Interim par la société B.... Elle a regardé les sommes versées à la société B... comme des revenus distribués sur le fondement du 1° du 1 de l'article 109 du code général des impôts, puis, dès lors que la société B... est établie en Espagne, a fait application de la retenue à la source au taux de 15 % en application du 2 de l'article 119 bis du code général des impôts et des stipulations de l'article 10 de la convention fiscale franco-espagnole. La SAS Consulting Interim, eu égard à ce qui a été dit précédemment, n'est pas fondée à contester les rappels de retenue à la source au motif que l'administration aurait, à tort, remis en cause la déduction des redevances comptabilisées. Toutefois, la retenue à la source a été appliquée non sur le montant des bénéfices désinvestis de la SAS Consulting Interim, à savoir respectivement 248 478 et 239 711 euros au titre des années 2013 et 2014, mais sur le montant des sommes qu'elle a versées à la société B... au cours des mêmes années, soit respectivement 199 500 et 689 022 euros. Par suite, la SAS Consulting Interim est fondée à soutenir que la retenue à la source ne pouvait porter que sur les sommes retenues pour l'assiette de l'impôt sur les sociétés, et non sur les sommes effectivement versées. La retenue à la source ayant été appliquée au titre de l'année 2013 sur un montant de 199 500 euros, inférieur au montant des bénéfices désinvestis, soit 248 478 euros, la société requérante est ainsi seulement fondée à obtenir la décharge de la retenue à la source appliquée au titre de l'année 2014 sur la différence entre le montant des sommes versées, soit 689 022 euros, et le montant des bénéfices désinvestis, soit 239 711 euros.

7. En second lieu, à supposer que la SAS Consulting Interim soutienne avoir fait l'objet d'une double imposition du fait de l'application de la retenue à la source aux sommes imposées à l'impôt sur les sociétés, les deux rectifications sont relatives à des impositions différentes, à savoir l'impôt sur les sociétés pour les charges indûment déduites et la retenue à la source pour les distributions versées à une société établie hors de France. Le moyen doit donc être écarté.

Sur les pénalités :

8. En premier lieu, l'administration, antérieurement à l'introduction de la requête, a prononcé sur le fondement du I de l'article 1756 du code général des impôts la remise des intérêts de retard en raison du placement de la SAS Consulting Interim en redressement judiciaire le 5 septembre 2019. Par suite, les conclusions tendant à la décharge de ces intérêts, dépourvues d'objet, sont irrecevables.

9. En second lieu, aux termes de l'article 1729 du code général des impôts : " Les inexactitudes ou les omissions relevées dans une déclaration ou un acte comportant l'indication d'éléments à retenir pour l'assiette ou la liquidation de l'impôt (...) entraînent l'application d'une majoration de : / a. 40 % en cas de manquement délibéré ; / (...) ".

10. L'administration, en relevant le caractère répété de la déduction des résultats imposables à l'impôt sur les sociétés de la SAS Consulting Interim de montants importants à raison de redevances comptabilisées au titre du contrat de concession de licence de marque conclu avec la société B... et la circonstance que la société requérante ne pouvait ignorer l'absence de contreparties effectives à ces redevances, justifie du bien-fondé de l'application de la majoration exclusive de bonne foi prévue par les dispositions de l'article 1729 du code général des impôts.

11. Il résulte de tout ce qui précède que la SAS Consulting Interim est seulement fondée à demander la réduction de la base de la retenue à la source au titre de l'année 2014 au montant de 239 711 euros et la décharge de la différence entre la retenue calculée sur cette base et la retenue mise à sa charge, ainsi que de la majoration pour défaut de déclaration correspondante, et la réformation en ce sens du jugement du tribunal administratif de Marseille.

Sur les frais liés au litige :

12. En premier lieu, la présente affaire n'a donné lieu à aucun dépens. Par suite, les conclusions présentées par la SAS Consulting Interim sur le fondement de l'article R. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées.

13. En second lieu, dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions de la SAS Consulting Interim présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D É C I D E :

Article 1er : La base de la retenue à la source mise à la charge de la SAS Consulting Interim au titre de l'année 2014 est réduite à 239 711 euros.

Article 2 : La SAS Consulting Interim est déchargée de la différence entre le montant du rappel de retenue à la source mis à sa charge au titre de l'année 2014, et celui qui résulte de l'article 1er ci-dessus, ainsi que de la majoration correspondante.

Article 3 : Le jugement n° 1806758, 1807184 du 24 juin 2020 du tribunal administratif de Marseille est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de la SAS Consulting Interim est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la société par actions simplifiée Consulting Interim et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Copie en sera adressée à la direction de contrôle fiscal Sud-Est Outre-mer.

Délibéré après l'audience du 29 septembre 2022, où siégeaient :

- Mme Paix, présidente,

- Mme Carotenuto, première conseillère,

- Mme Mastrantuono, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition du greffe, le 13 octobre 2022.

2

N° 20MA02510


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 20MA02510
Date de la décision : 13/10/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Contributions et taxes - Impôts sur les revenus et bénéfices - Règles générales - Impôt sur le revenu - Cotisations d`IR mises à la charge de personnes morales ou de tiers - Retenues à la source.

Contributions et taxes - Impôts sur les revenus et bénéfices - Revenus et bénéfices imposables - règles particulières - Bénéfices industriels et commerciaux - Détermination du bénéfice net - Charges diverses.


Composition du Tribunal
Président : Mme PAIX
Rapporteur ?: Mme Florence MASTRANTUONO
Rapporteur public ?: M. URY
Avocat(s) : SELARL FLEURENTDIDIER et ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 20/11/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2022-10-13;20ma02510 ?
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