Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
L'institution de gestion sociale des armées (IGESA) a demandé au tribunal administratif de Bastia de condamner l'Etat à lui verser la somme de 174 020,09 euros, avec intérêts de droit à compter du 26 décembre 2017 et capitalisation des intérêts, en réparation du préjudice qu'elle estime avoir subi du fait de l'illégalité de la décision autorisant le licenciement de six de ses salariés.
Par un jugement n° 1800439 du 6 mars 2020, le tribunal administratif de Bastia a, à l'article 1er, condamné l'Etat à verser à l'IGESA une somme de 25 050,69 euros, augmentée des intérêts au taux légal à compter du 26 décembre 2017, assortis de leur capitalisation et, à l'article 3, rejeté le surplus des conclusions de la requête.
Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 6 mai 2020 sous le n° 20MA01763, l'institution de gestion sociale des armées, représentée par Me Meridjen, demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Bastia du 6 mars 2020 en tant qu'il a limité son indemnisation à la somme de 25 050,69 euros ;
2°) d'annuler la décision implicite de rejet du 27 février 2018 du ministre du travail ;
3°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 173 420, 90 euros, assortie des intérêts à compter du 26 décembre 2017 et de leur capitalisation ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros, en application de l'article L. 761-1 du code de procédure administrative.
Elle soutient que :
- l'administration a commis une faute en prenant des décisions entachées d'incompétence et en autorisant des licenciements dont la cause économique n'était pas justifiée ;
- le tribunal a, à tort, retenu un partage de responsabilité dès lors que les autorisations de licenciement, pour incompétence de l'auteur de l'acte, sont exclusivement liées à la faute de l'administration ;
- il a estimé à tort que l'indemnisation du chef du préjudice résultant de la condamnation sur le fondement des dispositions de l'article L 1235-3 du code du travail trouve sa cause directe et exclusive dans la faute commise par l'employeur préalablement à la demande d'autorisation de licenciement ;
- l'Etat ne peut pas être exonéré de sa responsabilité ;
- les fautes de l'administration lui ont causé un préjudice financier comprenant les condamnations prononcées à son encontre par le juge prud'homal à hauteur de 157 160,90 euros, la somme de 3 000 euros versée au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et les frais de justice pour un montant de 13 260 euros.
La requête a été communiquée au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion qui n'a pas produit de mémoire.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code du travail ;
- le code de procédure civile ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme A...,
- les conclusions de M. Guillaumont, rapporteur public ;
- et les observations de Me Costa, substituant Me Meridjen, représentant l'institution de gestion sociale des armées.
Considérant ce qui suit :
1. Par une demande du 28 mai 2013, l'institution de gestion sociale des armées (IGESA) a sollicité de l'inspecteur du travail de la section 15B de Paris l'autorisation de licencier pour motif économique huit salariés protégés en raison de la fermeture du foyer central le 2 juin 2012. Par des décisions du 13 septembre 2013, l'inspectrice du travail de l'unité territoriale de Haute-Corse, saisie de cette demande par l'inspecteur du travail de Paris, a autorisé les licenciements demandés. A la demande de six des huit salariés concernés, les décisions autorisant leur licenciement ont toutefois été annulées par un jugement du 15 janvier 2015 du tribunal administratif de Bastia, au motif tiré de l'incompétence de l'auteur des décisions. Les six salariés ont saisi le conseil des prud'hommes le 26 octobre 2015 en vue d'obtenir réparation de leurs préjudices. Par des jugements du 15 juin 2017, le conseil des prud'hommes de Mulhouse a condamné l'IGESA à verser à ces salariés une somme totale de 157 160,90 euros. L'IGESA a présenté, le 21 décembre 2017, à la ministre du travail une demande indemnitaire préalable, reçue le 26 décembre suivant, qui a fait l'objet d'une décision implicite de rejet. Elle relève appel du jugement du 6 mars 2020 du tribunal administratif de Bastia en tant qu'il a limité son indemnisation à la somme de 25 050,69 euros augmentée des intérêts au taux légal à compter du 26 décembre 2017 et de leur capitalisation. L'IGESA doit être regardée comme demandant l'annulation de l'article 3 du jugement contesté qui a rejeté le surplus des conclusions de sa requête.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. En application des dispositions du code du travail, le licenciement d'un salarié protégé ne peut intervenir que sur autorisation de l'autorité administrative. L'illégalité de la décision autorisant un tel licenciement constitue une faute de nature à engager la responsabilité de la puissance publique à l'égard de l'employeur, pour autant qu'il en soit résulté pour celui-ci un préjudice direct et certain.
En ce qui concerne le partage de responsabilité :
3. En application des principes généraux de la responsabilité de la puissance publique, il peut le cas échéant être tenu compte, pour déterminer l'étendue de la responsabilité de l'Etat à l'égard de l'employeur à raison de la délivrance d'une autorisation de licenciement entachée d'illégalité, au titre notamment du versement au salarié des indemnités mises à la charge de l'employeur par le juge judiciaire, de la faute également commise par l'employeur en sollicitant la délivrance d'une telle autorisation.
4. Si l'IGESA soutient que l'administration a autorisé des licenciements dont la cause économique n'était pas justifiée, ce dernier motif n'a pas été retenu par le jugement du 15 janvier 2015 du tribunal administratif de Bastia, alors qu'il était invoqué devant ce tribunal par les salariés qui l'avaient saisi. Ainsi les décisions de l'inspecteur du travail du 13 septembre 2013 de l'inspectrice du travail de l'unité territoriale de Haute-Corse autorisant le licenciement de huit salariés de l'IGESA n'ayant pas été annulées pour ce motif, elles ne peuvent entraîner une illégalité fautive de nature à engager la responsabilité de l'Etat.
5. En revanche, l'illégalité de ces décisions du 13 septembre 2013 a été retenue par ce jugement du 15 janvier 2015 du tribunal administratif de Bastia au motif tiré de l'incompétence territoriale de l'inspectrice du travail de la Haute-Corse lequel est devenu définitif et revêtu de l'autorité absolue de la chose jugée. Par suite, cette illégalité fautive est de nature à engager la responsabilité de l'Etat. L'IGESA est ainsi en droit d'obtenir la condamnation de l'Etat à réparer le préjudice direct et certain résultant pour elle de ces décisions illégales.
6. En l'espèce, le conseil des prud'hommes de Mulhouse a estimé, après avoir vérifié que le foyer central où étaient affectés les six salariés constituait un établissement relevant du même secteur d'activité que l'ensemble IGESA, que la cause économique devait être évaluée au niveau de l'IGESA et non uniquement au sein du foyer central et que l'employeur n'a fourni aucun élément sur la situation économique globale de l'IGESA de sorte qu'en ne rapportant pas la preuve qui lui incombe de la réalité de la cause économique, le licenciement doit être déclaré dépourvu de cause réelle et sérieuse. Ainsi, à supposer même que l'inspectrice du travail ait estimé à tort que la cause économique avancée par l'employeur pour justifier le bien-fondé de la demande devait être appréciée dans le périmètre constitué par le seul établissement du foyer central, illégalité qui au demeurant n'a pas été retenue par le jugement du 15 janvier 2015 du tribunal administratif de Bastia, l'IGESA a lui-même commis une faute en demandant des autorisations de licenciement alors que ces licenciements étaient dépourvus de cause réelle et sérieuse du fait de ses propres manquements de nature à exonérer l'Etat de la moitié de la responsabilité encourue.
En ce qui concerne les préjudices :
S'agissant de l'indemnité versée au titre de l'article L. 2422-4 du code du travail :
7. Aux termes de l'article L. 2422-4 du code du travail : " Lorsque l'annulation d'une décision d'autorisation est devenue définitive, le salarié investi d'un des mandats mentionnés à l'article L. 2422-1 a droit au paiement d'une indemnité correspondant à la totalité du préjudice subi au cours de la période écoulée entre son licenciement et sa réintégration, s'il en a formulé la demande dans le délai de deux mois à compter de la notification de la décision. / L'indemnité correspond à la totalité du préjudice subi au cours de la période écoulée entre son licenciement et l'expiration du délai de deux mois s'il n'a pas demandé sa réintégration. / Ce paiement s'accompagne du versement des cotisations afférentes à cette indemnité qui constitue un complément de salaire ".
8. Il résulte de l'instruction que par cinq jugements du 15 juin 2017 le conseil des prud'hommes de Mulhouse a condamné l'IGESA à verser à cinq salariés un montant total de 36 841,38 euros d'indemnité spécifique prévue à l'article L. 2422-4 du code du travail. Ce préjudice auquel a été exposé l'IGESA présente un lien de causalité direct et certain avec l'illégalité ayant entaché les décisions du 13 septembre 2013 sur le fondement desquelles les licenciements de ces salariés ont été prononcés. Toutefois, compte tenu du partage de responsabilité retenu au point 6, les premiers juges ont estimé, à juste titre, que l'Etat devait être condamné à verser à l'IGESA la somme de 18 420,69 euros correspondant à la moitié de l'indemnité de 36 841,38 euros qu'elle s'est trouvée contrainte de payer à ses salariés à ce titre.
S'agissant de l'indemnité versée au titre de l'article L. 1235-3 du code du travail :
9. Aux termes de l'article L. 1235-3 du code du travail, dans sa rédaction applicable au litige : " Si le licenciement d'un salarié survient pour une cause qui n'est pas réelle et sérieuse, le juge peut proposer la réintégration du salarié dans l'entreprise, avec maintien de ses avantages acquis. /Si l'une ou l'autre des parties refuse, le juge octroie une indemnité au salarié. Cette indemnité, à la charge de l'employeur, ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois. Elle est due sans préjudice, le cas échéant, de l'indemnité de licenciement prévue à l'article L. 1234-9. ".
10. Il résulte des six jugements du 15 juin 2017 que le conseil des prud'hommes de Mulhouse a condamné l'IGESA à verser à six salariés un montant total de 112 819,52 euros d'indemnité spécifique prévue à l'article L. 1235-3 du code du travail pour licenciement sans cause réelle et sérieuse sur le fondement de ces dispositions au motif que l'employeur n'a fourni aucun élément sur la situation économique globale de l'IGESA de sorte qu'elle ne rapportait pas la preuve qui lui incombe de la réalité de la cause économique. Il n'a ainsi pas déduit l'absence de cause réelle et sérieuse du motif de l'annulation des autorisations administratives retenu par le juge administratif et tiré de l'incompétence territoriale de l'inspectrice du travail de la Haute-Corse. Ainsi, ce préjudice ne présente pas de lien direct et certain avec l'illégalité des autorisations de licenciement délivrées le 13 septembre 2013 par l'inspectrice du travail de Haute-Corse alors même que cette dernière aurait estimé que le périmètre d'analyse de la cause économique était circonscrit au seul périmètre du foyer central. Par suite, l'IGESA n'est pas fondée à demander la condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 112 819,52 euros correspondant à la réparation du préjudice tiré du versement de l'indemnité prévue par l'article L. 1235-3 du code du travail.
S'agissant des frais d'honoraires d'avocat exposés dans le cadre des instances prud'hommales :
11. L'IGESA demande le remboursement des frais d'honoraires d'avocat qu'elle a exposés devant le conseil des prud'hommes de Mulhouse et le juge départiteur de cette juridiction pour un montant total de 13 260 euros dont elle justifie la réalité en produisant les factures correspondantes. Le tribunal a, à juste titre, alloué à l'IGESA la somme de 6 630 euros au titre de ces frais dès lors qu'il existe un lien direct entre la faute de l'administration et la circonstance que les salariés aient saisi le conseil des prud'hommes pour que soit constaté le non-règlement de l'indemnité prévu à l'article L. 2422-2 du code du travail et en tenant compte du partage de responsabilité à hauteur de 50 %.
S'agissant des frais mis à la charge de l'IGESA au titre de l'article 700 du code de procédure civile estimés à 7 500 euros :
12. Aux termes de l'article 700 du code de procédure civile : " Le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer : / 1° A l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens (...) ".
13. La somme de 7 500 euros mise à la charge de l'IGESA au titre des frais engagés et supportés devant la juridiction judiciaire, en application de l'article 700 du code de procédure civile, ont été exposées par les ex-salariés pour les besoins de l'instance qui leur ont permis d'obtenir réparation de licenciements illégaux autorisés par les décisions du 13 septembre 2013. Ainsi, ces dépenses résultent directement de la faute de l'administration. Il suit de là que l'IGESA est fondée à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué, le tribunal a rejeté sa demande. Par suite, l'Etat doit être condamné à lui verser la somme de 3 750 euros, après application du partage de responsabilité retenu au point 6.
S'agissant des frais mis à la charge de l'IGESA au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
14. Les frais de justice exposés devant le juge administratif en conséquence directe d'une faute de l'administration sont susceptibles d'être pris en compte dans le préjudice résultant de la faute imputable à celle-ci, dans les conditions suivantes. Lorsqu'une partie avait la qualité de demanderesse à une instance à l'issue de laquelle le juge annule pour excès de pouvoir une décision administrative illégale, la part de son préjudice correspondant à des frais exposés et non compris dans les dépens est réputée intégralement réparée par la décision que prend le juge dans l'instance en cause sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Lorsqu'en revanche une partie autre que l'administration ayant pris la décision illégale avait la qualité de défenderesse à une telle instance ou relève appel du jugement rendu à l'issue de l'instance ayant annulé cette décision, les frais de justice utilement exposés par elle, ainsi que, le cas échéant, les frais mis à sa charge par le juge au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, sont susceptibles d'être pris en compte dans le préjudice résultant de la faute imputable à l'administration.
15. La somme de 3 000 euros mise à la charge de l'IGESA au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, partie perdante à l'instance ayant donné lieu au jugement du 15 janvier 2015 du tribunal administratif de Bastia qui a annulé les décisions du 13 septembre 2013 ayant autorisé le licenciement de six salariés, constitue pour l'institution requérante un préjudice direct et certain, dont elle est fondée à obtenir réparation. Il y a cependant lieu, compte tenu du partage de responsabilité retenu au point 6, de ne condamner l'Etat à indemniser l'IGESA que de la moitié du préjudice subi à ce titre, soit la somme de 1 500 euros.
16. Il résulte de tout ce qui précède que l'IGESA est seulement fondée à demander que l'indemnité, que le tribunal administratif de Bastia a condamné l'Etat à lui verser, soit portée à la somme de 30 300,69 euros.
Sur les intérêts et la capitalisation des intérêts :
17. D'une part, l'IGESA a droit aux intérêts au taux légal correspondant à l'indemnité de 30 300,69 euros à compter du 26 décembre 2017, date de réception par la ministre du travail de sa demande indemnitaire.
18. D'autre part, la capitalisation des intérêts peut être demandée à tout moment devant le juge du fond, même si, à cette date, les intérêts sont dus depuis moins d'une année. En ce cas, cette demande ne prend toutefois effet qu'à la date à laquelle, pour la première fois, les intérêts sont dus pour une année entière. La capitalisation des intérêts a été demandée par l'IGESA dans sa requête enregistrée le 24 avril 2018 au greffe du tribunal administratif de Bastia. Il y a lieu de faire droit à cette demande à compter du 26 décembre 2018, date à laquelle était due, pour la première fois, une année d'intérêts, ainsi qu'à chaque échéance annuelle à compter de cette date.
Sur les frais liés au litige :
19. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation. ".
20. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par l'IGESA et non compris dans les dépens.
D É C I D E :
Article 1er : La somme de 25 050,69 euros que l'Etat a été condamné à verser à l'institution de gestion sociale des armées par le jugement du 6 mars 2020 du tribunal administratif de Bastia est portée à la somme de 30 300,69 euros augmentée des intérêts au taux légal à compter du 26 décembre 2017. Les intérêts échus au 26 décembre 2018 puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date seront capitalisés pour produire eux-mêmes intérêts.
Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Bastia du 6 mars 2020 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera à l'institution de gestion sociale des armées une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de l'institution de gestion sociale des armées est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à l'institution de gestion sociale des armées et au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion.
Délibéré après l'audience du 23 septembre 2022, où siégeaient :
- Mme Chenal-Peter, présidente de chambre,
- M. Prieto, premier conseiller,
- Mme Marchessaux, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 7 octobre 2022.
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N° 20MA01763
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