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04/10/2022 | FRANCE | N°20MA01171

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 4ème chambre, 04 octobre 2022, 20MA01171


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société anonyme (SA) Pierre Houé et associés a demandé au tribunal administratif de Nice :

- d'annuler la décision implicite résultant du silence gardé par le préfet des Alpes-Maritimes sur la demande qu'elle a présentée le 14 novembre 2016 tendant à la mise en œuvre de la procédure d'expropriation pour risques naturels prévue à l'article L. 561-1 du code de l'environnement ;

- d'enjoindre audit préfet, à titre principal, d'engager cette procédure d'expropriation ou, à titre sub

sidiaire, de réexaminer sa demande, dans un délai d'un mois à compter de la notification du ju...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société anonyme (SA) Pierre Houé et associés a demandé au tribunal administratif de Nice :

- d'annuler la décision implicite résultant du silence gardé par le préfet des Alpes-Maritimes sur la demande qu'elle a présentée le 14 novembre 2016 tendant à la mise en œuvre de la procédure d'expropriation pour risques naturels prévue à l'article L. 561-1 du code de l'environnement ;

- d'enjoindre audit préfet, à titre principal, d'engager cette procédure d'expropriation ou, à titre subsidiaire, de réexaminer sa demande, dans un délai d'un mois à compter de la notification du jugement à intervenir ;

- de mettre à la charge de l'Etat la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1700622 du 18 février 2020, le tribunal administratif de Nice a rejeté cette demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés les 9 mars 2020 et 9 avril 2021, la SA Pierre Houé et associés, représentée par Me Ferrant, demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nice du 18 février 2020 ;

2°) d'annuler cette décision implicite résultant du silence gardé par le préfet des Alpes-Maritimes sur la demande qu'elle a présentée le 14 novembre 2016 tendant à la mise en œuvre de la procédure d'expropriation pour risques naturels prévue à l'article L. 561-1 du code de l'environnement ;

3°) d'enjoindre à l'Etat, à titre principal, et par application des dispositions de l'article L. 911-1 du code de justice administrative, d'engager cette procédure d'expropriation ou, à titre subsidiaire, et sur le fondement des dispositions de l'article L. 911-2 du même code, de réexaminer sa demande, dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ainsi que les entiers dépens de l'instance.

Elle soutient que :

- les conditions prévues à l'article L. 561-1 du code de l'environnement sont réunies pour l'enclenchement de la procédure d'expropriation du camping Antipolis dont elle est la gestionnaire ; en particulier, la première de ces conditions tenant à l'existence d'un risque naturel prévisible est remplie dès lors que les parcelles qui lui appartiennent sont classées en zone rouge du plan de prévention des risques inondation (PPRI) et qu'elles sont soumises à un fort risque de crues torrentielles de montée rapide ; en jugeant qu'il n'existait aucun risque menaçant les vies humaines dès lors que son camping avait fait l'objet d'un arrêté de fermeture définitive, le tribunal administratif de Nice a entaché son jugement attaqué d'une erreur de droit ; en effet, le préfet des Alpes-Maritimes n'était pas fondé à se prévaloir de cet arrêté pour refuser la mise en œuvre de la procédure d'expropriation pour risque naturel dès lors que ces deux mesures sont prises au titre de législations indépendantes ; prononcer la fermeture définitive d'un camping est constitutif d'une illégalité ;

- depuis la date de survenance des évènements, soit 2015, l'Etat n'a pas démontré l'absence de solutions alternatives moins coûteuses.

Par un mémoire, enregistré le 1er avril 2020, le ministre de l'intérieur informe la Cour qu'il appartient à la ministre de la transition écologique et solidaire de défendre dans la présente instance.

Il fait valoir qu'il n'est pas le ministre intéressé au sens des dispositions de l'article R. 811-10 du code de justice administrative et que la mise en œuvre de la procédure prévue à l'article L. 561-1 du code de l'environnement relève de la responsabilité des services du ministère de la transition écologique et solidaire.

Par un mémoire en défense, enregistré le 1er mars 2021, la ministre de la transition écologique conclut au rejet de la requête.

Elle fait valoir qu'alors qu'au demeurant, il est de jurisprudence constante que le maire, ou, par substitution, le préfet, peut, sur le fondement du pouvoir de police administrative générale, réglementer les périodes d'ouverture des campings exposés à des risques naturels prévisibles, voire, si la mesure apparaît nécessaire et proportionnée au risque en cause, en prononcer la fermeture définitive, la décision implicite de rejet contestée du préfet des Alpes-Maritimes n'est entachée ni d'une erreur de droit, ni d'une erreur manifeste d'appréciation.

Par une ordonnance du 13 avril 2021, la clôture de l'instruction a été fixée au 30 avril 2021, à 12 heures.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'environnement ;

- le code général des collectivités territoriales ;

- la loi n° 95-101 du 2 février 1995 ;

- la décision n° 2018-698 QPC du 6 avril 2018 du Conseil constitutionnel ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. A...,

- les conclusions de M. Angéniol, rapporteur public,

- et les observations de Me Guillout, substituant Me Ferrant, représentant la SA Pierre Houé et associés.

Une note en délibéré, présentée pour la SA Pierre Houé et associés, par Me Ferrant, a été enregistrée le 26 septembre 2022.

Considérant ce qui suit :

1. Après que le camping Antipolis, situé au lieudit " La Brague ", route du Pylône, à Antibes-Juan-les-Pins (06600), en bordure de la rivière de La Brague, dans un secteur classé en zone rouge du PPRI de cette commune, dans sa version approuvée le 29 décembre 1998,

a subi d'importantes inondations, le 3 octobre 2015, le préfet des Alpes-Maritimes a, par un arrêté du 26 avril 2016, prononcé la fermeture définitive de cet établissement au public. Le 14 novembre 2016, la SA Pierre Houé et associés, gestionnaire de ce camping, a demandé au représentant de l'Etat d'engager la procédure d'expropriation spéciale pour risque naturel majeur prévue à l'article L. 561-1 du code de l'environnement. Le préfet des Alpes-Maritimes n'ayant pas répondu à cette demande, une décision implicite de rejet est née le 17 janvier 2017. La SA Pierre Houé et associés relève appel du jugement du 18 février 2020 par lequel le tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande tendant principalement à l'annulation de cette décision implicite de rejet.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

2. D'une part, aux termes de l'article L. 561-1 du code de l'environnement, dans sa rédaction applicable au présent litige : " Sans préjudice des dispositions prévues au 5° de l'article L. 2212-2 et à l'article L. 2212-4 du code général des collectivités territoriales, lorsqu'un risque prévisible de mouvements de terrain, ou d'affaissements de terrain dus à une cavité souterraine ou à une marnière, d'avalanches, de crues torrentielles ou à montée rapide ou de submersion marine menace gravement des vies humaines, l'Etat peut déclarer d'utilité publique l'expropriation par lui-même, les communes ou leurs groupements, des biens exposés à ce risque, dans les conditions prévues par le code de l'expropriation pour cause d'utilité publique et sous réserve que les moyens de sauvegarde et de protection des populations s'avèrent plus coûteux que les indemnités d'expropriation. (...) ". Aux termes de l'article L. 561-3 du même code, dans sa rédaction applicable au présent litige : " I. - Le fonds de prévention des risques naturels majeurs est chargé de financer, dans la limite de ses ressources, les indemnités allouées en vertu des dispositions de l'article L. 561-1 ainsi que les dépenses liées à la limitation de l'accès et à la démolition éventuelle des biens exposés afin d'en empêcher toute occupation future. En outre, il finance, dans les mêmes limites, les dépenses de prévention liées aux évacuations temporaires et au relogement des personnes exposées. (...) Les mesures de prévention susceptibles de faire l'objet de ce financement sont : / 1° L'acquisition amiable par une commune, un groupement de communes ou l'Etat d'un bien exposé à un risque prévisible de mouvements de terrain ou d'affaissements de terrain dus à une cavité souterraine ou à une marnière, d'avalanches, de crues torrentielles ou à montée rapide, de submersion marine menaçant gravement des vies humaines ainsi que les mesures nécessaires pour en limiter l'accès et en empêcher toute occupation, sous réserve que le prix de l'acquisition amiable s'avère moins coûteux que les moyens de sauvegarde et de protection des populations (...) ".

3. D'autre part, aux termes de l'article L. 2212-2 du code général des collectivités territoriales : " La police municipale a pour objet d'assurer le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques. Elle comprend notamment : (...) / 5° Le soin de prévenir, par des précautions convenables, et de faire cesser, par la distribution des secours nécessaires, les accidents et les fléaux calamiteux ainsi que les pollutions de toute nature, tels que les incendies, les inondations, les ruptures de digues, les éboulements de terre ou de rochers, les avalanches ou autres accidents naturels, les maladies épidémiques ou contagieuses, les épizooties, de pourvoir d'urgence à toutes les mesures d'assistance et de secours et, s'il y a lieu, de provoquer l'intervention de l'administration supérieure (...) ". Aux termes de l'article L. 2212-4 du même code : " En cas de danger grave ou imminent, tel que les accidents naturels prévus au 5° de l'article L. 2212-2, le maire prescrit l'exécution des mesures de sûreté exigées par les circonstances. / Il informe d'urgence le représentant de l'Etat dans le département et lui fait connaître les mesures qu'il a prescrites. ". Enfin, aux termes de l'article L. 2215-1 de ce code : " La police municipale est assurée par le maire, toutefois : (...) / 1° Le représentant de l'Etat dans le département peut prendre, pour toutes les communes du département ou plusieurs d'entre elles, et dans tous les cas où il n'y aurait pas été pourvu par les autorités municipales, toutes mesures relatives au maintien de la salubrité, de la sûreté et de la tranquillité publiques. (...) ".

4. Il résulte de ces dispositions que, même en présence d'un des risques prévisibles énumérés aux articles L. 561-1 et L. 561-3 du code de l'environnement et menaçant gravement des vies humaines, l'autorité administrative n'est pas tenue de mettre en œuvre les procédures d'expropriation ou d'acquisition amiable prévues par ces articles, notamment lorsqu'une mesure de police administrative est suffisante pour permettre de protéger la population ou éviter son exposition au risque.

5. En l'espèce, il ressort des pièces du dossier que, au vu des " évènements climatiques du 3 octobre 2015 qui conduisent à aggraver l'aléa inondation pris en référence dans le PPRI en vigueur afin de prendre en compte la réalité de la vulnérabilité des personnes et des biens ", le préfet des Alpes-Maritimes a, par un arrêté du 26 avril 2016, pris sur le fondement des dispositions précitées du 5° de l'article L. 2212-2 du code général des collectivités territoriales et du 1° de l'article L. 2215-1 du même code, prononcé la fermeture définitive au public du camping Antipolis, dont la SA Pierre Houé et associés est la gestionnaire. Alors qu'à l'appui de sa demande de première instance, elle affirmait que, compte tenu du classement de son terrain d'assiette en zone rouge du PPRI, le camping Antipolis faisait face à un " risque constant d'inondation ", la société appelante fait valoir devant la Cour que " prononcer la fermeture définitive d'un camping est constitutif d'une illégalité ". Mais, en admettant que la décision de fermeture définitive prise par le préfet des Alpes-Maritimes par cet arrêté du 26 avril 2016 ne soit pas proportionnée au risque de crues torrentielles qu'il s'agit de prévenir en tant qu'elle excèderait la période habituelle des inondations en cause et des crues de La Brague, une mesure de fermeture temporaire et corrélée à cette même période serait en tout état de cause suffisante pour permettre d'éviter l'exposition des usagers du camping Antipolis à ce risque. Ainsi, par cette argumentation, au demeurant contradictoire, la SA Pierre Houé et associés n'établit pas qu'en refusant de mettre en œuvre la procédure d'expropriation pour risques naturels prévue à l'article L. 561-1 du code de l'environnement, le préfet des Alpes-Maritimes aurait entaché sa décision contestée d'une erreur manifeste d'appréciation. Ce moyen doit, dès lors, être écarté.

6. Il résulte de ce qui précède que la SA Pierre Houé et associés n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort, que par le jugement attaqué en date du 18 février 2020, le tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande.

Sur les dépens :

7. La présente instance n'a pas donné lieu à dépens au sens des dispositions de l'article R. 761-1 du code de justice administrative. Les conclusions de la SA Pierre Houé et associés présentées sur ce fondement ne peuvent donc qu'être rejetées.

Sur les autres frais liés au litige :

8. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas partie perdante dans la présente instance, la somme dont la SA Pierre Houé et associés demande le versement au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. Les conclusions afférentes de l'appelante doivent donc être également rejetées.

D É C I D E :

Article 1er : La requête de la SA Pierre Houé et associés est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société anonyme (SA) Pierre Houé et associés, et au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.

Copie en sera adressée au préfet des Alpes-Maritimes.

Délibéré après l'audience du 20 septembre 2022, où siégeaient :

- M. Marcovici, président,

- M. Revert, président assesseur,

- M. Lombart, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 4 octobre 2022.

2

No 20MA01171

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Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 20MA01171
Date de la décision : 04/10/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Expropriation pour cause d'utilité publique - Notions générales - Expropriation et autres législations.

Police - Police générale - Sécurité publique - Police des lieux dangereux - Terrains inondables.


Composition du Tribunal
Président : M. MARCOVICI
Rapporteur ?: M. Laurent LOMBART
Rapporteur public ?: M. ANGENIOL
Avocat(s) : SELARL CABINET ARCC

Origine de la décision
Date de l'import : 16/10/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2022-10-04;20ma01171 ?
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