Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société anonyme (SA) Clinique Saint Michel a demandé au tribunal administratif de Toulon, d'une part, d'annuler la décision du 27 janvier 2020 par laquelle le directeur de l'Etablissement français du sang (EFS) a rejeté sa demande du 30 septembre 2019 tendant au paiement d'une indemnité correspondant au montant de la TVA qui lui a été facturée de janvier 2015 à décembre 2018 pour la livraison de produits sanguins et, d'autre part, de condamner l'EFS à lui verser une indemnité de 870,91 euros correspondant au montant de la TVA qu'elle estime avoir indument acquittée au cours de cette période.
Par une ordonnance n° 2001783 du 18 février 2021, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Toulon a rejeté sa demande et mis à sa charge une somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire enregistrés le 19 avril 2021 et le 16 mars 2022, la SA Clinique Saint Michel, représentée par Me Labro, demande à la Cour :
1°) d'annuler cette ordonnance du 18 février 2021 du magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Toulon et la décision contestée du directeur de l'EFS ;
2°) de prononcer le remboursement de la TVA facturée de janvier 2015 à décembre 2018 dans le cadre des livraisons de produits sanguins pour un montant de 870,91 euros ;
3°) de mettre à la charge de l'Etablissement français du sang le versement de la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- en vertu du d) du 1er paragraphe de l'article 132 de la directive 2006/112/CE dite " TVA " précisé par la décision du 5 octobre 2016 de la Cour de Justice de l'Union Européenne, les livraisons de produits labiles dérivés du sang total sont exonérées de TVA dès lors qu'elles contribuent directement à des activités d'intérêt général, c'est-à-dire lorsque les produits sont employés pour des soins ou à des fins thérapeutiques ;
- l'alinéa 2 du paragraphe 4 de l'article 261 du code général des impôts, qui assure la transposition de la directive dite " TVA " prévoit que sont exonérées de cette taxe les livraisons portant sur le sang ;
- les ministres de la santé et de l'administration fiscale ont admis le caractère erroné de leur interprétation de la législation française et de la directive dite " TVA " en publiant le 26 décembre 2018 un arrêté relatif à la cession des produits sanguins labiles supprimant toute référence au traitement de TVA applicable à la facturation et une mise à jour des commentaires de la législation publiée au Bulletin officiel des finances publiques - impôts au terme de laquelle la livraison des produits dérivés du sang total destinés à usage thérapeutique est exonérée de TVA ;
- contrairement à ce qu'a jugé le premier juge, la décision de rejet contestée ne constitue pas un acte pris dans le cadre du contrat administratif qu'elle a conclu avec l'EFS ;
- elle détient non une créance fiscale mais une créance contractuelle à l'encontre de l'EFS qui pouvait demander au Trésor Public la restitution de la TVA qu'elle lui a indument versée ;
- sa demande en restitution de l'indu est recevable ;
- c'est à tort que le premier juge a considéré qu'il ne résultait pas des factures communiquées que les parties avaient entendu stipuler expressément un prix hors taxes ; dès lors, la TVA étant un élément s'ajoutant au prix ferme convenu entre les parties, elle peut faire l'objet d'une demande de remboursement ;
- la prescription quadriennale s'applique à la créance commerciale qu'elle détient à l'encontre de l'EFS, les règles de prescription spéciales ne trouvant pas à s'appliquer en l'espèce ;
- la responsabilité contractuelle de l'EFS, qui ne saurait se prévaloir d'un arrêté illégal, peut être engagée.
Par des mémoires en défense enregistrés le 23 décembre 2021, le 28 février 2022 et le 7 avril 2022, l'Etablissement français du sang, représenté par Me Alparslan, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de la requérante la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il fait valoir que :
- les conclusions aux fins d'annulation de la décision de rejet de la demande de remboursement sont irrecevables ;
- les conclusions en répétition de l'indu sont nouvelles en appel et, par suite, irrecevables ;
- il appartenait à la clinique requérante d'exercer un recours de plein contentieux fiscal dans les formes et délais prévus par les articles L. 190 et R. 196-1 du livre des procédures fiscales ;
- la TVA n'est pas une créance de nature contractuelle mais un impôt versé à l'Etat ;
- une législation prise en contrariété avec le droit européen engage la responsabilité de l'Etat et non celle de l'opérateur économique, fût-ce un établissement public comme l'EFS ;
- il n'a commis aucune faute en appliquant la loi ainsi que l'interprétation de cette loi par l'administration fiscale ;
- le contrat a été exécuté conformément à ses stipulations ;
- il est fondé à se prévaloir de la doctrine administrative alors même que l'interprétation qu'elle donne de la loi serait contraire au droit de l'Union européenne ;
- la prescription applicable en litige est celle qui résulte des dispositions combinées des articles L. 190 et R. 196-1 du livre des procédures fiscales.
Par ordonnance du 7 avril 2022, la clôture de l'instruction a été fixée au 15 avril 2022.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la directive 2006/112/CE du conseil du 28 novembre 2006 relative au système de taxe sur la valeur ajoutée ;
- l'arrêt n° C-412/15 du 5 octobre 2016 de la Cour de justice de l'Union européenne ;
- le code de la santé publique ;
- le code général des impôts ;
- le livre des procédures fiscales ;
- l'arrêté interministériel du 9 mars 2010 relatif au tarif de cession des produits sanguins labiles ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Alfonsi, rapporteur,
- les conclusions de M. Gautron, rapporteur public,
- et les observations de Me Miont, représentant la SA Clinique Saint Michel et de Me Locatelli représentant l'EFS.
Considérant ce qui suit :
1. Par une décision du 27 janvier 2020, le directeur de l'Etablissement français du sang (EFS) a rejeté la réclamation par laquelle la SA Clinique Saint Michel, établissement privé de santé, lui demandait le remboursement d'une somme de 870,91 euros correspondant au montant de la TVA indument acquittée, selon elle, sur la livraison de produits sanguins labiles entre les mois de janvier 2015 et de décembre 2018. La SA Clinique Saint Michel relève appel de l'ordonnance du 18 février 2021 par laquelle le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Toulon a rejeté les conclusions de sa demande tendant, d'une part, à l'annulation de cette décision et, d'autre part, à la condamnation de l'EFS à lui rembourser cette même somme.
Sur la recevabilité des conclusions de la société requérante :
En ce qui concerne la recevabilité des conclusions dirigées contre la décision du 27 janvier 2020 du directeur de l'EFS :
2. La décision du 27 janvier 2020 par laquelle le directeur de l'EFS a rejeté la réclamation de la société requérante a eu pour seul effet de lier le contentieux et a donné à l'ensemble de sa demande le caractère d'un recours de plein contentieux, ce dont il résulte que la société requérante ne peut utilement demander l'annulation de cette décision.
En ce qui concerne la recevabilité de la demande en répétition de l'indu :
3. D'une part, les conclusions par lesquelles la société requérante demande à l'EFS le remboursement d'une somme correspondant au montant de la TVA qu'elle soutient lui avoir indument payée sur les livraisons de produits sanguins labiles, revêtaient, dès la première instance, le caractère d'une action en répétition de l'indu qu'elle ne peut exercer que contre l'établissement qui lui a facturé cette taxe. L'EFS ne saurait, en tout état de cause, opposer une fin de non-recevoir à cette action en soutenant que la société requérante aurait dû exercer une action en restitution d'impositions indument payées sur le fondement des dispositions de l'article L. 190 du livre des procédures fiscales, dès lors qu'elle n'est pas elle-même redevable de ladite taxe puisque les prestations de soins à raison desquelles elle fait usage des produits sanguins labiles fournis par l'EFS ne sont pas soumises à la TVA.
4. D'autre part, en admettant même qu'elle aurait eu la possibilité d'exercer contre l'Etat une action en responsabilité " résultant de la faute commise dans la détermination de l'assiette, le contrôle et le recouvrement de l'impôt ", au sens des dispositions de l'article L. 190 A du livre des procédures fiscales, la société requérante n'en disposerait pas moins de la faculté, dont elle a fait usage en l'espèce, de former un recours en restitution de l'indu en vue d'obtenir de l'EFS le remboursement d'une somme correspondant au montant de la TVA qui, selon elle, lui a été facturée à tort.
5. Il résulte de ce qui vient d'être dit que les fins de non-recevoir opposées par l'EFS tirées, d'une part, de l'existence de recours parallèles et, d'autre part, du caractère nouveau en appel de l'action en restitution de l'indu sur laquelle la société requérante fonde ses prétentions indemnitaires, ne peuvent être accueillies.
Sur l'exception de prescription :
6. L'action engagée par la société requérante qui, comme il vient d'être dit, n'agit pas en qualité de contribuable assujetti à la TVA, a le caractère d'un recours de plein contentieux soumis aux dispositions des articles R. 421-1 et suivants du code de justice administrative et aux règles relatives à la prescription quadriennale prévue par la loi du 31 décembre 1968. Il suit de là que l'exception de prescription tirée de ce que la créance dont se prévaut la société requérante serait prescrite en vertu des dispositions de l'article L. 190 du livre des procédures fiscales, doit être écartée.
Au fond :
7. Jusqu'au mois de décembre 2018, l'EFS a facturé les produits sanguins labiles délivrés à la société requérante en appliquant aux prix de cession un taux de TVA de 2,1 % prévu par l'article 4 de l'arrêté du 9 mars 2010 relatif au tarif de cession des produits sanguins labiles dans sa version en vigueur jusqu'au 26 décembre 2018 faisant application des dispositions de l'article 281 octies du code général des impôts dans sa version en vigueur jusqu'au 31 décembre 2021, aux termes duquel : " La taxe sur la valeur ajoutée est perçue au taux de 2,10 % pour les livraisons portant (...) sur les produits visés au 1° (...) de l'article L. 1221-8 du code de la santé publique. (...) ", c'est-à-dire les " produits sanguins labiles, comprenant notamment le sang total, le plasma dans la production duquel n'intervient pas un processus industriel, quelle que soit sa finalité, et les cellules sanguines d'origine humaine ".
8. Par un arrêt C-412/15 du 5 octobre 2016, la CJUE a jugé que la livraison des produits dérivés du sang humain, lorsqu'elle contribue à des activités d'intérêt général, c'est-à-dire en vue d'être directement employée pour des soins de santé ou à des fins thérapeutiques, doit relever de l'exonération de TVA prévue au d) du 1 de l'article 132 de la directive 2006/112/CE du 28 novembre 2006. Il en résulte que, comme le soutient la société requérante, la soumission à la TVA des produits sanguins labiles qui lui ont été délivrés par l'EFS au cours de la période litigieuse est contraire aux objectifs clairs et inconditionnels des dispositions en cause de la directive 2006/112/CE.
9. Il résulte de ce qui précède que la société requérante a dû acquitter des sommes correspondant à la TVA qui n'était pas légalement due, pour un montant non contesté de 870,91 euros au cours de la période comprise entre les mois de janvier 2015 et décembre 2018. Pour contester l'action en répétition de l'indu formée par la société requérante, l'EFS, qui a facturé cette taxe, ne peut utilement faire valoir ni que le contrat la liant à cette société, qui prévoyait le versement de la TVA, a été parfaitement exécuté, ni qu'ayant reversé cette taxe à l'Etat, il ne s'est pas enrichi, ni qu'il n'a commis aucune faute en appliquant une réglementation qui s'imposait à lui. Ainsi qu'il a été dit aux points 3 et 4, l'EFS ne peut davantage utilement faire valoir que seule une action contre l'Etat aurait dû être engagée par la société requérante.
10. Il résulte de tout ce qui précède que la société requérante est fondée à soutenir que c'est à tort que, par son ordonnance attaquée, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Toulon a rejeté ses conclusions tendant à la condamnation de l'EFS à lui payer une somme de 870,91 euros correspondant au montant de la TVA qui lui a été indument facturée sur la livraison de produits sanguins labiles entre les mois de janvier 2015 et décembre 2018. Il y a donc lieu d'annuler, dans cette mesure, l'ordonnance attaquée et de condamner l'EFS à verser à la société requérante la somme de 870,91 euros.
11. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de laisser à chacune des parties la charge de ses propres frais d'instance.
D É C I D E :
Article 1er : L'ordonnance n° 2001783 du 18 février 2021 du magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Toulon est annulée en tant qu'elle rejette les conclusions de la SA Clinique Saint Michel en répétition de l'indu.
Article 2 : L'EFS est condamné à verser une somme de 870,91 euros à la SA Clinique Saint Michel.
Article 3 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la SA Clinique Saint Michel et à l'Etablissement français du sang.
Délibéré après l'audience du 14 septembre 2022, où siégeaient :
- Mme Helmlinger, présidente de la cour,
- Mme A... et M. Alfonsi, présidents de chambre,
- M. Taormina, président assesseur,
- Mme Carotenuto, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 22 septembre 2022.
2
N° 21MA01489
nl