Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme D... C... a demandé au tribunal administratif de Marseille d'annuler l'arrêté du 1er juillet 2021 par lequel le préfet des Bouches-du-Rhône a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi.
Par un jugement n° 2108952 du 18 janvier 2022, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa requête.
Procédure devant la Cour :
I. Par une requête, enregistrée le 15 mars 2022, sous le n° 22MA00840, Mme C..., représentée par Me Cauchon-Riondet, demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du 18 janvier 2022 du tribunal administratif de Marseille ;
2°) d'annuler l'arrêté du 1er juillet 2021 ;
3°) d'enjoindre au préfet des Bouches-du-Rhône, à titre principal, de lui délivrer un certificat de résidence au titre de l'article 6, alinéa 1, 5 de l'accord franco-algérien, dans le délai d'un mois à compter de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 150 euros par jour de retard et, à titre subsidiaire, d'instruire à nouveau sa demande et de prendre une décision dans le mois de la notification de cette décision et, passé ce délai, sous astreinte de 150 euros par jour de retard, ladite astreinte courant pendant un délai de trois mois après lequel elle pourra être liquidée et une nouvelle astreinte fixée et de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour durant l'examen de sa demande ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros à verser à son conseil en application des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
Sur l'arrêté dans son ensemble :
- l'arrêté contesté est insuffisamment motivé ;
- il est entaché d'un défaut d'examen de sa situation ;
Sur la décision portant refus de titre de séjour :
- elle méconnaît les stipulations de l'article 6 alinéa 1, 5 de l'accord franco-algérien, de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
Sur la décision portant obligation de quitter le territoire français :
- elle est illégale en raison de l'illégalité de la décision portant refus de titre de séjour ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- elle viole les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.
Par un mémoire en défense, enregistré le 11 avril 2022, le préfet des Bouches-du-Rhône conclut au rejet de la requête, en soutenant que les moyens d'appel ne sont pas fondés.
Mme C... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 24 mars 2022.
II. Par une requête, enregistrée le 15 mars 2022, sous le n° 22MA00841, Mme C..., représentée par Me Cauchon-Riondet, demande à la Cour :
1°) d'ordonner, sur le fondement de l'article R. 811-17 du code de justice administrative, le sursis à exécution du jugement du tribunal administratif de Marseille du
18 janvier 2022 ;
2°) d'enjoindre au préfet des Bouches-du-Rhône de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler jusqu'à ce qu'il soit statué par la Cour de céans sur le recours au fond, dans un délai de huit jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros à verser à son conseil en application des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- l'exécution du jugement attaqué risque d'entraîner pour elle et son fils des conséquences difficilement réparables ;
- les moyens énoncés dans sa requête sont sérieux.
Par un mémoire en défense, enregistré le 8 avril 2022, le préfet des Bouches-du-Rhône conclut au rejet de la requête.
Le préfet soutient que :
- la requérante ne justifie pas de conséquences difficilement réparables ;
- les moyens soulevés par Mme C... ne sont pas sérieux.
Mme C... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 24 mars 2022.
Vu les autres pièces des dossiers.
Vu :
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant, signée à New-York le 26 janvier 1990 ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 modifié ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la Cour a désigné M. Michaël Revert, président assesseur, pour présider la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. A...,
- et les observations de Me Guarnieri, substituant Me Cauchon-Riondet, représentant Mme C....
Considérant ce qui suit :
1. Mme C..., ressortissante algérienne, née le 24 septembre 1991, déclare être entrée en France le 2 février 2019 sous couvert d'un visa C d'une validité de trente jours, avec son époux et leurs fils B.... Ils ont sollicité, le 21 mars 2019, leur admission au séjour en qualité de parents d'enfant malade. Par deux arrêtés du 26 septembre 2019, le préfet des Bouches-du-Rhône a refusé de leur délivrer un certificat de résidence, leur a fait obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi. Par un arrêt du 31 décembre 2020, la Cour a rejeté les appels de M. et de Mme C... contre les jugements du
29 juin 2020 par lesquels le tribunal administratif de Marseille avait rejeté leurs demandes tendant à l'annulation de ces arrêtés. Le 18 février 2021, Mme C... a présenté une nouvelle demande de titre de séjour en qualité de parent d'enfant malade. Mais par un arrêté du
1er juillet 2021, le préfet des Bouches-du-Rhône a rejeté cette demande, en lui faisant obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours et en fixant le pays de renvoi. Par un jugement du 18 janvier 2022, dont Mme C... relève appel par sa requête n° 22MA00840 et demande le sursis à exécution par sa requête n° 22MA00841, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté du 1er juillet 2021.
2. Les requêtes n° 22MA00840 et n° 22MA00841 présentent à juger les mêmes questions et ont fait l'objet d'une instruction commune. Par suite, il y a lieu de les joindre pour qu'il y soit statué par un seul arrêt.
Sur l'appel :
En ce qui concerne la légalité de l'arrêté en litige :
3. Aux termes de l'article 6 de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 : " (...) Le certificat de résidence d'un an portant la mention "vie privée et familiale" est délivré de plein droit : (...) / 7. Au ressortissant algérien, résidant habituellement en France, dont l'état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité, sous réserve qu'il ne puisse pas effectivement bénéficier d'un traitement approprié dans son pays. ".
4. Ces stipulations ne prévoient la délivrance d'un certificat de résidence qu'à l'étranger lui-même malade et non à l'accompagnant ou aux parents d'un enfant malade. Toutefois, ces stipulations n'interdisent pas au préfet de délivrer un certificat de résidence à un ressortissant algérien qui ne remplit pas l'ensemble des conditions auxquelles est subordonnée sa délivrance de plein droit. Il appartient au préfet, dans l'exercice du pouvoir discrétionnaire dont il dispose sur ce point, d'apprécier, compte tenu de l'ensemble des éléments de la situation personnelle de l'intéressé, l'opportunité d'une mesure de régularisation.
5. Il ressort des pièces du dossier que M. et Mme C... sont entrés en France, selon leur déclaration, le 2 février 2019 sous couvert d'un visa C d'une validité de trente jours avec leur fils cadet né le 10 juillet 2018 qui, à la suite de son admission aux urgences de l'hôpital de la Timone le 4 février 2019, a été diagnostiqué comme souffrant d'une hyperplasie congénitale des glandes surrénales et d'une insuffisance surrénalienne, nécessitant notamment la prise à vie d'un traitement médicamenteux à base d'hydrocortisone, de fludrocortisone et de chlorure de sodium. Pour refuser de délivrer à Mme C... un certificat de résidence en qualité de parent d'enfant malade, le préfet des Bouches-du-Rhône s'est fondé sur l'avis rendu le 26 avril 2021 par le collège des médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII),
selon lequel l'état de santé de l'enfant nécessite une prise en charge médicale dont le défaut peut entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité et qu'eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, il peut y bénéficier effectivement d'un traitement approprié.
6. Toutefois, il ressort des pièces du dossier, et plus particulièrement des certificats médicaux d'un professeur en urologie du centre hospitalier universitaire de la Timone, datés des 26 mars 2019, 26 mars et 7 septembre 2021, que la malformation dont souffre l'enfant de la requérante requiert plusieurs actes chirurgicaux complexes, certains n'ayant pas encore été réalisés à la date de l'arrêté en litige, ainsi qu'un suivi semestriel de la croissance de ses organes génitaux, et que l'enfant pâtirait d'une perte de chance s'il n'était pas suivi régulièrement dans son service par une équipe spécialisée dans cette forme de malformation très rare, dont la prise en charge, à la fois chirurgicale et endocrinologique, ne peut être assurée dans son pays d'origine et relève de la compétence de rares centres hospitaliers en Europe. En outre, les nombreux documents médicaux et pharmacologiques produits par Mme C... montrent que le traitement par fludrocortisone, qui est indispensable à l'état de santé de l'enfant et qui ne peut être remplacé par aucune autre molécule, n'est pas commercialisé en Algérie. Si ces mêmes documents font également apparaître que ce médicament est susceptible, depuis l'Algérie, d'un achat à l'étranger hors parcours de soin, il ne ressort pas de l'ensemble des pièces du dossier, et notamment pas du seul avis du collège des médecins de l'OFII, que Mme C... pourrait y accéder effectivement. Par suite, et dans les circonstances de l'espèce, Mme C... est fondée à soutenir qu'en refusant de lui délivrer un certificat de résidence en raison de la maladie de son fils mineur, le préfet des Bouches-du-Rhône a entaché son arrêté d'une erreur manifeste d'appréciation. L'illégalité du refus de titre de séjour emporte celle de l'obligation faite à Mme C..., par le même arrêté, de quitter le territoire français pour rejoindre l'Algérie.
7. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens de la requête d'appel, que Mme C... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté préfectoral du 1er juillet 2021. Ce jugement et cet arrêté doivent donc être annulés.
En ce qui concerne l'injonction et l'astreinte :
8. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution. / La juridiction peut également prescrire d'office cette mesure. ".
9. L'exécution du présent arrêt implique nécessairement, en application des dispositions législatives précitées, compte tenu du motif d'annulation de l'arrêté en litige retenu en son
point 5, qu'il soit enjoint au préfet des Bouches-du-Rhône de délivrer à Mme C... un certificat de résidence d'un an portant la mention " vie privée et familiale ", dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt et de la munir, durant ces deux mois, d'une autorisation provisoire de séjour. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur la demande de sursis à exécution :
10. La Cour s'étant prononcée sur l'appel de Mme C... contre le jugement du
18 janvier 2022, il n'y a pas lieu pour elle de statuer sur les conclusions de son recours tendant à ce qu'il soit sursis à l'exécution de ce jugement
Sur les frais liés au litige :
11. Mme C... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat, qui est la partie perdante dans les présentes instances, en application des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, une somme de 2 000 euros au bénéfice de Me Cauchon-Riondet, sous réserve que ce conseil renonce à percevoir la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle.
D É C I D E :
Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête n° 22MA00841 tendant au sursis à exécution du jugement n° 2108952 du 18 janvier 2022 du tribunal administratif de Marseille.
Article 2 : Le jugement n° 2108952 du tribunal administratif de Marseille du 18 janvier 2022, et l'arrêté du 1er juillet 2021 par lequel le préfet des Bouches-du-Rhône a refusé de délivrer à
Mme C... un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de
trente jours et a fixé le pays de renvoi, sont annulés.
Article 3 : Il est enjoint au préfet des Bouches-du-Rhône de délivrer à Mme C... un certificat de résidence d'un an portant la mention " vie privée et familiale " dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt et de la munir, durant ces deux mois, d'une autorisation provisoire de séjour.
Article 4 : L'Etat versera, en application des dispositions de l'article 37 de la loi du
10 juillet 1991, à Me Cauchon-Riondet, sous réserve que ce conseil renonce à percevoir la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle, une somme de 2 000 euros.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête n° 22MA00840 est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à Mme D... C..., à Me Cauchon-Riondet, au préfet des Bouches-du-Rhône et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Délibéré après l'audience du 5 juillet 2022, où siégeaient :
- M. Revert, président,
- M. Ury, premier conseiller,
- Mme Renault, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 12 juillet 2022.
N° 22MA00840, 22MA008412