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30/06/2022 | FRANCE | N°20MA00449

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 3ème chambre, 30 juin 2022, 20MA00449


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... D... a demandé au tribunal administratif de Nîmes de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales auxquelles il a été assujetti au titre de l'année 2013 et des pénalités correspondantes.

Par un jugement n° 1703741 du 20 décembre 2019, le tribunal administratif de Nîmes a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés le 3 février 2020, le 17 août 2020 et le 17 sept

embre 2020, ce dernier mémoire annulant et remplaçant le précédent, M. D..., représenté par Me Andri...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... D... a demandé au tribunal administratif de Nîmes de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales auxquelles il a été assujetti au titre de l'année 2013 et des pénalités correspondantes.

Par un jugement n° 1703741 du 20 décembre 2019, le tribunal administratif de Nîmes a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés le 3 février 2020, le 17 août 2020 et le 17 septembre 2020, ce dernier mémoire annulant et remplaçant le précédent, M. D..., représenté par Me Andrieu, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement du 20 décembre 2019 du tribunal administratif de Nîmes ;

2°) de prononcer la décharge des impositions en litige et pénalités correspondantes ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 6 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, au titre des frais engagés tant en première instance qu'en appel.

Il soutient que :

- le tribunal administratif a entaché son jugement d'une erreur de droit en lui opposant rétroactivement une doctrine administrative, qui ajoute à la loi fiscale ;

- l'opération d'apport des actions de la société F... au profit de la société B... doit bénéficier du régime prévu à l'article 150-0 B ter du code général des impôts ;

- il s'est conformé aux objectifs poursuivis tant par le législateur que par le droit européen ;

- l'administration ne rapporte pas la preuve qui lui incombe que les conditions définies par l'article L. 64 du livre des procédures fiscales sont réunies ;

- une soulte n'est pas un acte individualisable au sens de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales ;

- en matière fiscale, la notion de rompus et de parité d'échange ne se confond pas avec celle de soulte, ainsi que l'indique la doctrine administrative référencée BOI-RPPM-PVBMI-30-10-20 n° 310 ;

- l'opération en cause présentait bien une motivation étrangère aux seules considérations fiscales et la condition de réinvestissement du produit de la cession des titres apportés à la société B... a bien été respectée ;

- un revenu, qui figure sur un compte courant bloqué à la suite d'une décision juridique, comme tel est le cas en l'espèce, ne saurait être considéré comme étant disponible et donc soumis à l'impôt sur le revenu ;

- il est fondé à se prévaloir de la doctrine administrative référencée BOI-IR-BASE-10-10-10-40.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 8 juillet 2020 et les 10 et 24 septembre 2020, le ministre de l'économie, des finances et de la relance conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme E...,

- et les conclusions de Mme Courbon, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. Le 23 décembre 2013, M. D... a constitué la société B..., société holding dont il est l'unique actionnaire. Le même jour, il a apporté à cette société, 200 actions qu'il détenait dans la société F.... En rémunération de cet apport, 991 973 parts sociales d'une valeur nominale d'un euro lui ont été attribuées ainsi qu'une soulte de 86 259 euros. La soulte et la plus-value perçues à l'occasion de cette opération ont été placées en report d'imposition sur le fondement de l'article 150-0 B ter du code général des impôts. A l'issue d'un contrôle sur pièces dont le requérant a fait l'objet, par une proposition de rectification du 15 décembre 2016, l'administration a estimé que le versement de cette soulte était constitutif d'un abus de droit et a remis en cause le bénéfice du report d'imposition pour cette soulte qui a été imposée à l'impôt sur le revenu dans la catégorie des plus-values mobilières. M. D... relève appel du jugement du 20 décembre 2019 par lequel le tribunal administratif de Nîmes a rejeté sa demande tendant à la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de prélèvements sociaux auxquelles il a été assujetti au titre de l'année 2013, ainsi que des pénalités correspondantes.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Hormis le cas où le juge de première instance a méconnu les règles de compétence, de forme ou de procédure qui s'imposaient à lui et a ainsi entaché son jugement d'une irrégularité, il appartient au juge d'appel non d'apprécier le bien-fondé des motifs par lesquels le juge de première instance s'est prononcé sur les moyens qui lui étaient soumis mais de se prononcer directement sur les moyens dont il est saisi dans le cadre de l'effet dévolutif de l'appel. M. D... ne peut donc utilement se prévaloir, pour demander l'annulation du jugement attaqué, de l'erreur de droit que les premiers juges auraient commise.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

3. En premier lieu, aux termes de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales, dans sa rédaction applicable au litige : " Afin d'en restituer le véritable caractère, l'administration est en droit d'écarter, comme ne lui étant pas opposables, les actes constitutifs d'un abus de droit, soit que ces actes ont un caractère fictif, soit que, recherchant le bénéfice d'une application littérale des textes ou de décisions à l'encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, ils n'ont pu être inspirés par aucun autre motif que celui d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que l'intéressé, si ces actes n'avaient pas été passés ou réalisés, aurait normalement supportées eu égard à sa situation ou à ses activités réelles. (...) ".

4. Il résulte de ces dispositions que, lorsque l'administration use des pouvoirs que lui confère ce texte dans des conditions telles que la charge de la preuve lui incombe, elle est fondée à écarter comme ne lui étant pas opposables certains actes passés par le contribuable, dès lors que ces actes ont un caractère fictif ou que, recherchant le bénéfice d'une application littérale des textes à l'encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, ils n'ont pu être inspirés par aucun autre motif que celui d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que l'intéressé, s'il n'avait pas passé ces actes, aurait normalement supportées, eu égard à sa situation ou à ses activités réelles. L'administration fiscale apporte cette preuve par la production de tous éléments suffisamment précis attestant du caractère fictif des actes en cause ou de l'intention du contribuable d'éluder ou d'atténuer ses charges fiscales normales. Dans l'hypothèse où l'administration s'acquitte de cette obligation, il incombe ensuite au contribuable, s'il s'y croit fondé, d'apporter la preuve de la réalité des actes contestés ou de ce que l'opération litigieuse est justifiée par un motif autre que celui d'éluder ou d'atténuer ses charges fiscales normales.

5. Aux termes du I de l'article 150-0 B ter du code général des impôts, dans sa rédaction applicable au litige : " L'imposition de la plus-value réalisée, directement ou par personne interposée, dans le cadre d'un apport de valeurs mobilières, de droits sociaux, de titres ou de droits s'y rapportant tels que définis à l'article 150-0 A à une société soumise à l'impôt sur les sociétés ou à un impôt équivalent est reportée si les conditions prévues au III du présent article sont remplies. Le contribuable mentionne le montant de la plus-value dans la déclaration prévue à l'article 170. / Les apports avec soulte demeurent soumis à l'article 150-0 A lorsque le montant de la soulte reçue excède 10 % de la valeur nominale des titres reçus. (...) ".

6. En instituant un mécanisme de report d'imposition, le législateur a entendu favoriser les restructurations d'entreprises susceptibles d'intervenir par échange de titres en évitant que l'imposition immédiate de la plus-value constatée à l'occasion d'une telle opération, alors que le contribuable ne dispose pas des liquidités lui permettant d'acquitter cet impôt, fasse obstacle à sa réalisation. Si, dans la version du texte applicable au litige, le report d'imposition bénéficie à la totalité de la plus-value résultant d'une opération d'apport avec soulte lorsque le montant de celle-ci n'excède pas 10 % de la valeur nominale des titres reçus en rémunération de l'apport, le but ainsi poursuivi par le législateur n'est pas respecté si la stipulation d'une soulte au profit de l'apporteur en complément de l'attribution de titres de la société bénéficiaire de l'apport n'a aucune autre finalité que de permettre à celui-ci d'appréhender, en franchise immédiate d'impôt, des liquidités détenues par cette société ou par celle dont les titres sont apportés. Dans ce cas, l'administration est fondée, sur le fondement de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales, à considérer qu'en stipulant l'octroi de cette soulte, les parties à l'opération d'apport ont recherché le bénéfice d'une application littérale des dispositions de l'article 150-0 B ter du code général des impôts à l'encontre des objectifs poursuivis par le législateur, dans le seul but d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que l'apporteur aurait normalement supportées.

7. Pour constituer le 23 décembre 2013 la société B..., dont il détenait 100 % du capital, M. D... a apporté 200 actions de la société F..., en échange desquelles il a reçu 991 973 parts sociales d'une valeur nominale d'un euro et une soulte de 86 259 euros, ce montant représentant moins de 10 % de la valeur nominale des titres reçus. Le versement de la soulte de 86 259 euros a été porté au crédit du compte courant d'associé de M. D... au sein de la société B.... Pour remettre en cause le bénéfice du report d'imposition, prévu par les dispositions précitées de l'article 150-0 B ter du code général des impôts, sous lequel M. D... avait placé cette opération d'apport, l'administration a retenu, selon les termes de la proposition de rectification adressée au requérant, que le 28 janvier 2014, les 200 actions de la société F... ont été cédées par la société B... à la société C... pour un prix de 1 105 676 euros. L'administration a également relevé que l'opération de cession réalisée trente jours après l'apport des actions de la société F... à la société B... avait été préparée en amont dès lors que les 4 200 actions de la première société avaient été cédées simultanément par tous les actionnaires à la société C... pour un prix global de 23 219 196 euros. L'administration a considéré que le versement de la soulte de 86 259 euros ne présentait pas d'intérêt économique pour la société bénéficiaire de l'apport et que cette opération d'apport à la société B... a permis à M. D... de céder les actions de la société F... dans le cadre d'une opération globale de transfert de capital, en appréhendant des liquidités en franchise d'impôt sur une partie de la plus-value de cession. L'administration fiscale apporte ainsi des éléments suffisamment précis attestant que le versement de la soulte litigieuse caractérise une appréhension des liquidités de la société B... en franchise immédiate d'impôts et poursuivait un but exclusivement fiscal par application littérale des dispositions de l'article 150-0 B ter du code général des impôts, contraire à l'intention du législateur.

8. Si le requérant fait valoir notamment que le versement de cette soulte était motivé par des raisons économiques de développement des prises de participation et de réinvestissement dans des activités économiques, ainsi que des raisons patrimoniales, il ne fait valoir aucun motif ni intérêt économique particulier pour la société bénéficiaire de l'apport de nature à justifier le versement de cette soulte à M. D..., associé unique de ladite société. Par suite, ces circonstances, et alors même que la société B... a réinvesti une partie du produit de la cession des titres de la société F... pour souscrire au capital de plusieurs sociétés, ne sont pas de nature à démontrer que le versement de la soulte litigieuse présentait un intérêt économique pour la société bénéficiaire de l'apport et qu'il aurait ainsi été justifié par un motif autre que la volonté d'atténuer les charges fiscales du requérant. L'administration fiscale doit, en conséquence, être regardée comme établissant l'abus de droit.

9. En deuxième lieu, les circonstances invoquées par le requérant selon lesquelles la notion de soulte est plus large que celle retenue par l'administration fiscale, qu'une soulte ne se confondrait pas avec la notion de rompus et qu'elle n'aurait pas comme vocation de rétablir une parité dans l'échange ne sont pas, en tout état de cause, de nature à modifier cette analyse.

10. En troisième lieu, il résulte de ce qui précède que le service vérificateur s'est uniquement fondé sur les dispositions des articles 150-0 B ter du code général des impôts et L. 64 du livre des procédures fiscales pour procéder aux rectifications litigieuses, en utilisant un faisceau d'indices ressortant de la situation du contribuable, qui ne peut, sur le fondement de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales, invoquer les commentaires publiés sous la référence BOI-RPPM-PVBMI-30-10-20 n° 310 du 31 octobre 2012, applicables au seul sursis d'imposition et qui n'avaient, en tout état de cause, ni pour objet, ni pour effet, de faire obstacle à la mise en œuvre de la procédure de répression des abus de droit. Pour les mêmes motifs, alors même que l'administration, postérieurement à l'année 2013 en litige, a publié des commentaires sous la référence BOI-RPPM-PVBMI-30-10-60 précisant les cas dans lesquels elle estimait pouvoir faire usage de cette procédure pour remettre en cause le report d'imposition de certaines soultes consenties à l'occasion d'opérations d'apports de titres, M. D... n'est pas fondé à soutenir que ces rectifications procèderaient de l'application d'une doctrine administrative qui lui est inopposable. Enfin, est inopérant le moyen tiré de l'illégalité de cette doctrine administrative, qui ne constitue pas le fondement des impositions en litige.

11. En quatrième lieu, à supposer que le requérant ait entendu se prévaloir de la directive du Conseil 90/434/CEE du 23 juillet 1990 concernant le régime fiscal commun applicable aux fusions, scissions, apports d'actifs et échanges d'actions intéressant des sociétés membres d'Etats différents, celle-ci ne crée d'obligations à l'égard des Etats membres qu'au regard des opérations qui concernent des sociétés d'au moins deux Etats membres. L'opération en litige, qui est purement interne, n'entre donc pas dans le champ d'application de cette directive.

12. En cinquième lieu, aux termes de l'article 12 du code général des impôts : " L'impôt est dû chaque année à raison des bénéfices ou revenus que le contribuable réalise ou dont il dispose au cours de la même année ". L'article 156 du même code dispose que : " L'impôt sur le revenu est établi d'après le montant total du revenu net annuel dont dispose chaque foyer fiscal (...) ". Un contribuable est régulièrement assujetti à l'impôt à raison de sommes ayant le caractère de revenus qui ont été inscrites sur un compte bloqué dès lors que leur indisponibilité ne résulte pas d'une circonstance indépendante de sa volonté.

13. M. D... soutient que le montant de la soulte inscrit au crédit de son compte courant d'associé a fait l'objet d'une décision de blocage en date du 23 décembre 2013. Toutefois, M. D..., unique associé de la société B..., n'allègue pas avoir été empêché par des circonstances indépendantes de sa volonté de disposer au 31 décembre de l'année en litige, de la somme de 86 259 euros portée sur son compte courant d'associé. Par suite, il n'est pas fondé à soutenir que cette somme ne pouvait être considérée comme un revenu disponible, alors même que la soulte n'aurait " jamais été remboursée " par la société B....

14. Enfin, M. D... n'est pas fondé à se prévaloir de la doctrine administrative référencée BOI-IR-BASE-10-10-10-40 qui ne donne pas de la loi une interprétation différente de celle dont il est ici fait application.

15. Il résulte de tout ce qui précède que M. D... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nîmes a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de M. D... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... D... et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Copie en sera adressée à la direction de contrôle fiscal Sud-Est Outre-mer.

Délibéré après l'audience du 16 juin 2022, où siégeaient :

- Mme Paix, présidente,

- Mme Bernabeu, présidente assesseure,

- Mme Carotenuto, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 30 juin 2022.

2

N° 20MA00449


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 20MA00449
Date de la décision : 30/06/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Contributions et taxes - Généralités - Règles générales d'établissement de l'impôt - Abus de droit et fraude à la loi.

Contributions et taxes - Impôts sur les revenus et bénéfices - Revenus et bénéfices imposables - règles particulières - Plus-values des particuliers - Plus-values mobilières.


Composition du Tribunal
Président : Mme PAIX
Rapporteur ?: Mme Sylvie CAROTENUTO
Rapporteur public ?: Mme COURBON
Avocat(s) : SCP MARCE ANDRIEU MAQUENNE CARAMEL

Origine de la décision
Date de l'import : 02/08/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2022-06-30;20ma00449 ?
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