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07/06/2022 | FRANCE | N°21MA01149

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 4ème chambre, 07 juin 2022, 21MA01149


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... C... a demandé au tribunal administratif de Nice d'annuler l'arrêté du

1er octobre 2020 par lequel le préfet des Alpes-Maritimes a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours, a fixé le pays de renvoi, et a pris à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an, et d'enjoindre au préfet de lui délivrer un titre de séjour, sous astreinte, ou à titre subsidiai

re de réexaminer sa demande.

Par un jugement n° 2004493 du 26 février 2021, le tribu...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... C... a demandé au tribunal administratif de Nice d'annuler l'arrêté du

1er octobre 2020 par lequel le préfet des Alpes-Maritimes a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours, a fixé le pays de renvoi, et a pris à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an, et d'enjoindre au préfet de lui délivrer un titre de séjour, sous astreinte, ou à titre subsidiaire de réexaminer sa demande.

Par un jugement n° 2004493 du 26 février 2021, le tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 23 mars 2021, M. C..., représenté par

Me Traversini, demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nice ;

2°) d'annuler l'arrêté préfectoral du 1er octobre 2020 ;

3°) d'enjoindre au préfet des Alpes-Maritimes de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " à compter de la décision à intervenir sous astreinte de

100 euros par jour de retard ;

4°) d'enjoindre au préfet des Alpes-Maritimes d'effacer la décision d'interdiction de retour sur le territoire français du fichier du Système d'Information Schengen (SIS) ;

5°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros à verser à son conseil en application des articles 37 et 75 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- c'est à tort que le préfet n'a pas saisi la commission du titre de séjour, dès lors qu'il justifie de 10 ans de présence en France, en méconnaissance de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- les articles L. 313-11 7° et L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, et l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, sont méconnus ;

- l'arrêté attaqué est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation de sa situation personnelle ;

- l'obligation de quitter le territoire français est illégale compte tenu de l'illégalité du refus de séjour ;

- l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, est méconnu ; la décision d'interdiction de retour sur le territoire français n'est pas motivée, et elle est disproportionnée au regard de ses conséquences sur sa vie privée et familiale, outre qu'elle est entachée d'erreur d'appréciation de sa situation personnelle.

M. C... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau d'aide juridictionnelle du 28 mai 2021.

Une ordonnance du 9 mars 2022 a fixé la clôture de l'instruction au 11 avril 2022,

à 12 heures.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

A été entendu au cours de l'audience publique le rapport de M. A....

Considérant ce qui suit :

1. M. B... C..., ressortissant philippin né le 23 octobre 1951, a fait l'objet le 22 novembre 2017 d'un arrêté par lequel le préfet des Alpes-Maritimes a rejeté sa demande de titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours, et a fixé le pays de destination. Le recours contentieux formé contre cet arrêté a été rejeté par un jugement n° 1705301 du 2 mai 2018 du tribunal administratif de Nice. Ce jugement a été confirmé par une ordonnance du président de la 4ème chambre de la cour administrative d'appel de Marseille

n° 18MA02549 du 15 octobre 2018. Par courrier du 3 juin 2019, reçu en préfecture le 6 juin 2019, M. C... a de nouveau sollicité son admission au séjour. Par une décision du 25 juin 2019, le préfet des Alpes-Maritimes a refusé d'enregistrer et d'examiner sa demande. Cette décision a été annulée par un jugement n° 1903635 du 22 février 2020 du tribunal administratif de Nice qui a enjoint au préfet de réexaminer la demande du requérant.

M. C... relève appel du jugement n° 2004493 du 26 février 2021 du tribunal administratif de Nice qui rejette sa requête contre la décision du 1er octobre 2020 du préfet des Alpes-Maritimes qui rejette sa demande de titre de séjour, et lui fait obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours en fixant le pays de destination, avec interdiction de retour pendant une durée d'un an.

Sur les conclusions d'annulation :

En ce qui concerne le refus de séjour :

2. En premier lieu, aux termes des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. (...) Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ". Aux termes des dispositions de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention "vie privée et familiale" est délivrée de plein droit : (...) 7°/ A l'étranger ne vivant pas en état de polygamie, qui n'entre pas dans les catégories précédentes ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, dont les liens personnels et familiaux en France, appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'intéressé, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec la famille restée dans le pays d'origine, sont tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, sans que la condition prévue à l'article L. 313-2 soit exigée. L'insertion de l'étranger dans la société française est évaluée en tenant compte notamment de sa connaissance des valeurs de la République. ".

3. Le droit au respect de la vie privée et familiale ne saurait s'interpréter comme comportant pour un Etat l'obligation générale de respecter le choix, par les couples mariés, de leur domicile commun et d'accepter l'installation de conjoints non nationaux dans le pays.

4. Par ailleurs, l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dispose que : " La carte de séjour temporaire mentionnée à l'article L. 313-11 ou la carte de séjour temporaire mentionnée aux 1° et 2° de l'article L. 313-10 peut être délivrée, sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, à l'étranger ne vivant pas en état de polygamie dont l'admission au séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard des motifs exceptionnels qu'il fait valoir, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 313-2. L'autorité administrative est tenue de soumettre pour avis à la commission mentionnée à l'article L. 312-1 la demande d'admission exceptionnelle au séjour formée par l'étranger qui justifie par tout moyen résider en France habituellement depuis plus de dix ans. ".

5. D'une part, M. C... soutient qu'il justifie de sa résidence habituelle en France depuis plus de dix ans à la date de l'arrêté en litige. Si à cet effet le requérant déclare être entré dans l'espace Schengen le 17 février 2010 via les Pays-Bas muni d'un visa C valable du

17 octobre 2010 au 24 février 2010, il n'établit pas la date de son entrée en France. Ensuite, pour justifier de sa présence continue sur le territoire français, il produit des factures d'énergie à son nom et celui de son épouse, chacun d'eux étant hébergé soit par leur fils soit par leur fille, des documents médicaux épars sur les années en litige, des factures de téléphonie en commun avec d'autres membres de sa famille, son affiliation à l'aide médicale d'Etat pour la période

2017-2018. Mais, de tels éléments ne sont de nature à établir, sur cette période, qu'une présence ponctuelle en France, et alors que la décision du 2 mai 2018 du tribunal administratif de Nice, confirmée par la présente Cour, a jugé que l'appelant ne justifiait pas de sa présence permanente en France depuis 8 ans à la date du 22 novembre 2017, constatations qui ne sont pas davantage infirmées dans la présente instance par des pièces nouvelles. Ainsi, M. C... ne peut être regardé comme justifiant résider en France habituellement depuis au moins dix ans au jour de l'arrêté en litige.

6. D'autre part, l'épouse de M. C..., de nationalité philippine, avec qui il s'est marié aux Philippines le 15 juin 1972, qui est titulaire d'une carte de résident monégasque qui ne permet pas de résider légalement sur le territoire national, y demeure d'une manière irrégulière. Par ailleurs, ainsi qu'il a été dit dans la décision du 2 mai 2018 mentionnée au point 4, son épouse résidait déjà en France en 2000, et dès lors, M. C... a été séparé de son épouse pendant au moins 10 ans, jusqu'à la date de son entrée déclarée en France en 2010. Dans ces conditions, quand bien même deux des trois enfants majeurs de l'intéressé résident régulièrement en France, M. C..., qui ne démontre pas une insertion particulière en France alors qu'il a vécu dans son pays d'origine jusqu'à l'âge de 59 ans, n'est pas fondé à soutenir que l'arrêté litigieux aurait, en méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et des dispositions du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels il a été pris. Pour les mêmes motifs, il ne résulte d'aucune circonstance invoquée par l'intéressé qu'en ne régularisant pas sa situation par la délivrance du titre de séjour sollicité, l'autorité administrative aurait entaché sa décision d'erreur manifeste d'appréciation.

7. En deuxième lieu, dès lors que M. C... ne justifie pas résider habituellement en France depuis plus de dix ans, ni remplir effectivement les conditions pour bénéficier de plein droit d'un titre de séjour sur le fondement des dispositions du 7° de l'article L. 313-11 ou de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, c'est sans entacher sa décision de refus d'admission au séjour de l'intéressé que le préfet des

Alpes-Maritimes n'a pas saisi pour avis la commission du titre de séjour prévue à l'article

L. 312-1 du même code.

8. En troisième lieu, les éléments d'ordre personnel et familial que M. C... invoque ne sont pas de nature à établir, compte tenu de ce qui a été dit au point 5, que son admission au séjour répondrait à des considérations humanitaires ou se justifierait au regard de motifs exceptionnels. Par suite, le moyen tiré de la violation des dispositions précitées de

l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doit être écarté.

En ce qui concerne l'obligation de quitter le territoire français :

9. Il résulte des points précédents qu'aucun des moyens invoqués à l'encontre de la décision portant refus de séjour n'est fondé. Dès lors, le moyen tiré, par voie d'exception, de l'illégalité de cette décision, à l'encontre de la décision portant obligation de quitter le territoire français, doit être écarté.

En ce qui concerne l'interdiction de retour sur le territoire français :

10. Il ressort des termes mêmes des dispositions du quatrième alinéa du III de l'article

L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, que l'autorité compétente, pour fixer la durée de l'interdiction de retour prononcée à l'encontre d'un étranger soumis à une obligation de quitter le territoire français assortie d'un délai de départ volontaire, doit par une décision motivée, tenir compte, dans le respect des principes constitutionnels, des principes généraux du droit et des règles résultant des engagements internationaux de la France, des quatre critères qu'elles énumèrent, sans pouvoir se limiter à ne prendre en compte que certains d'entre eux.

11. Il ressort des pièces du dossier que M. C..., âgé de 68 ans à la date de l'arrêté litigieux, est présent en France avec son épouse, qui certes y réside irrégulièrement, et aux côtés de ses trois enfants, dont deux sont en situation régulière sur le territoire national. Il n'est pas soutenu par le préfet que M. C... représenterait une menace pour l'ordre public. Par suite, et alors même que l'intéressé a déjà fait l'objet d'une mesure d'éloignement, le préfet des

Alpes-Maritimes a méconnu les dispositions du III de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en prononçant à l'encontre de M. C... une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée un an.

12. Il résulte de tout ce qui précède que M. C... est seulement fondé à demander l'annulation de l'arrêté préfectoral du 1er octobre 2020 en tant qu'il prononce à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an, et la réformation en ce sens du jugement attaqué.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

13. D'une part, l'annulation de l'interdiction de retour sur le territoire français implique nécessairement l'effacement de cette dernière décision du fichier Système d'information Shengen. Il y a donc lieu d'enjoindre au préfet des Alpes-Maritimes de procéder à cet effacement dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.

14. D'autre part, le présent arrêt qui annule seulement l'arrêté litigieux en tant qu'il prononce à l'encontre de M. C... une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an, n'implique pas qu'il soit enjoint au préfet des Alpes-Maritimes de lui délivrer une carte de séjour mention " vie privée et familiale ".

Sur les frais exposés à l'occasion du litige :

15. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens (...) ". Il résulte de ces dispositions que le paiement des sommes exposées et non comprises dans les dépens ne peut être mis à la charge que de la partie qui perd pour l'essentiel.

16. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre une somme à la charge de l'Etat au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

DECIDE :

Article 1er : L'arrêté du 1er octobre 2020 du préfet des Alpes-Maritimes est annulé en tant qu'il a prononcé une interdiction de retour d'un an sur le territoire français à l'encontre de M. C....

Article 2 : Le jugement n° 2004493 du 26 février 2021 du tribunal administratif de Nice est reformé en tant qu'il est contraire au présent arrêt.

Article 3 : Il est enjoint au préfet des Alpes-Maritimes de procéder à l'effacement de la mention de l'interdiction de retour sur le territoire français de M. C... du fichier Système d'information Shengen, dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 4 : Le surplus de la requête de M. C... est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... C..., au préfet des Alpes-Maritimes, à Me Traversini, et au ministre de l'intérieur.

Délibéré après l'audience du 24 mai 2022, où siégeaient :

- M. Badie, président,

- M. Revert, président assesseur,

- M. Ury, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 7 juin 2022.

N° 21MA011492


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 21MA01149
Date de la décision : 07/06/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-01-03 Étrangers. - Séjour des étrangers. - Refus de séjour.


Composition du Tribunal
Président : M. BADIE
Rapporteur ?: M. Didier URY
Rapporteur public ?: M. ANGENIOL
Avocat(s) : TRAVERSINI

Origine de la décision
Date de l'import : 14/06/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2022-06-07;21ma01149 ?
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