Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. E... D... a demandé au tribunal administratif de Marseille d'annuler l'arrêté du préfet des Hautes-Alpes n° 05-2017-12-21-1 du 21 décembre 2017 instaurant, au profit de la commune de Saint Etienne le Laus, une servitude d'utilité publique sur la parcelle cadastrée ZC 115, située sur le territoire de la commune, pour assurer le passage sur fonds privés d'une canalisation d'eaux usées.
Par un jugement n° 1803477 du 9 décembre 2019, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 6 février 2020, M. D..., représenté par
Me Aoudiani, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Marseille du 9 décembre 2019 ;
2°) d'annuler l'arrêté du préfet des Hautes-Alpes n° 05-2017-12-21-1 du
21 décembre 2017 ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros en application de
l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- l'arrêté est illégal du fait de l'illégalité de la délibération du 14 avril 2017 de la commune de Saint Etienne le Laus, qui forme avec lui une opération complexe, autorisant le maire de la commune à mener la procédure d'instauration d'une servitude permettant le passage d'une conduite d'eaux usées sur la parcelle dont il est un des copropriétaires indivis, afin assurer le raccordement au réseau d'assainissement du lotissement " Le Grand Champ ", dès lors que, en méconnaissance des dispositions de l'article L. 2131-11 du code général des collectivités territoriales, M. A..., membre du conseil municipal ayant participé au vote de la délibération, était intéressé à l'affaire, en sa qualité de lotisseur du lotissement bénéficiaire de cet aménagement, et que cette délibération est entachée d'un détournement de pouvoir, dès lors qu'elle n'a été prise qu'en vue de faire échec à l'opposition des co-indivisaires de la parcelle
ZC 115 aux travaux, initiés en juin 2016, d'installation de la canalisation d'eaux usées sur cette parcelle, après que M. A..., lotisseur du lotissement " Le Grand Champ " a obtenu l'accord de Mme B... épouse D..., qui n'était que l'une des co-indivisaires de la parcelle, qui ne pouvait agréer un tel accord en l'absence de l'accord de l'ensemble des indivisaires ;
- le projet est entaché d'un défaut d'utilité publique : il vise seulement à raccorder au réseau public d'assainissement les réseaux du lotissement, opération concernant un équipement propre à un lotissement privé et dont le coût est entièrement à la charge de l'aménageur et qui ne peut, dès lors, donner lieu à l'instauration d'une servitude d'utilité publique sur le fondement de l'article L. 152-1 du code rural et de la pêche maritime ;
- l'arrêté préfectoral est entaché d'un détournement de pouvoir dès lors que sa véritable finalité est de satisfaire les intérêts purement privés du promoteur du lotissement, membre de la commission d'urbanisme de la commune, qui a usé de sa qualité de conseiller municipal pour faire adopter une délibération visant à l'instauration d'une servitude d'utilité publique à son profit ; cette servitude n'est d'aucune utilité pour l'assainissement des eaux issues de la construction édifiée sur la parcelle ZC 115 ;
- l'arrêté est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation : le tracé retenu est le seul tracé qui porte atteinte aux droits des tiers et crée une servitude sur un fonds privé alors que le tracé alternatif proposé par M. D... au commissaire enquêteur dans le cadre de l'enquête publique évitait toute intrusion sur son fonds et sur tout autre fonds privé, et qu'en outre, le tracé retenu par la commune n'est pas le plus direct et crée deux angles de nature à gêner l'écoulement des eaux usées.
Par lettre du 10 décembre 2021, la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales a été mise en demeure, en application de l'article R. 612-3 du code de justice administrative, de produire des observations sur la requête, ce qui n'a pas été fait dans le délai imparti.
La clôture de l'instruction a été fixée au 22 mars 2022, par ordonnance du
22 février 2022.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code rural et de la pêche maritime ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme C...,
- et les conclusions de M. Angéniol, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. M. E... D... est propriétaire indivis de la parcelle ZC n° 115, se situant au carrefour des routes départementales RD 942 et RD 142, dans la commune de
Saint Etienne le Laus, dans le département des Hautes-Alpes. Par délibération en date du
14 avril 2017, le conseil municipal de la commune a approuvé le projet d'instauration de servitudes autorisant le passage sur la parcelle ZC 115, sur le fondement de l'article L. 152-1 du code rural, d'une canalisation d'eaux usées pour raccorder le lotissement " Le Grand Champ " au réseau d'assainissement collectif de la commune, a autorisé le lancement de l'enquête parcellaire et donné tout pouvoir au maire de la commune pour signer tout document nécessaire. Cette délibération a été transmise au préfet des Hautes-Alpes le 25 avril 2017. Par arrêté du
19 septembre 2017, le préfet des Hautes-Alpes a décidé d'engager une enquête publique, qui s'est déroulée du 19 octobre au 2 novembre 2017. Le commissaire enquêteur a remis son rapport et ses conclusions le 8 novembre 2017, avec un avis favorable à l'instauration d'une servitude d'utilité publique sur la parcelle citée. Par arrêté du 21 décembre 2017, notifié le 9 janvier 2018, le préfet des Hautes-Alpes a instauré une servitude d'utilité publique sur la parcelle citée permettant le raccordement au réseau d'assainissement du lotissement " Le Grand Champ " également situé sur le territoire de la commune. M. D... a formé, le 22 janvier 2018 un recours gracieux contre cette décision, reçu en préfecture le 6 février 2018. Celui-ci a fait l'objet d'une décision de rejet en date du 23 février 2018. M. D... relève appel du jugement du
9 décembre 2019 par lequel le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du préfet des Hautes-Alpes du 21 décembre 2017.
Sur les conclusions à fin d'annulation de l'arrêté litigieux :
2. Aux termes de l'article R. 612-6 du code de justice administrative : " Si, malgré une mise en demeure, la partie défenderesse n'a produit aucun mémoire, elle est réputée avoir acquiescé aux faits exposés dans les mémoires du requérant ". Si, lorsque le défendeur n'a produit aucun mémoire, le juge n'est pas tenu de procéder à une telle mise en demeure avant de statuer, il doit, s'il y procède, en tirer toutes les conséquences de droit et il lui appartient seulement, lorsque les dispositions précitées sont applicables, de vérifier que l'inexactitude des faits exposés dans les mémoires du requérant ne ressort d'aucune pièce du dossier. En application des dispositions de l'article R. 612-3 du code de justice administrative, la Cour a mis la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales en demeure de présenter ses observations dans la présente instance, demeurée sans suite à la date de clôture de l'instruction.
3. D'une part, aux termes de l'article L. 152-1 du code rural et de la pêche maritime : " Il est institué au profit des collectivités publiques, des établissements publics ou des concessionnaires de services publics qui entreprennent des travaux d'établissement de canalisations d'eau potable ou d'évacuation d'eaux usées ou pluviales une servitude leur conférant le droit d'établir à demeure des canalisations souterraines dans les terrains privés non bâtis, excepté les cours et jardins attenant aux habitations. L'établissement de cette servitude ouvre droit à indemnité. Il fait l'objet d'une enquête publique réalisée selon les modalités prévues au livre Ier du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique. Un décret en Conseil d'Etat fixe les modalités d'application du présent article afin notamment que les conditions d'exercice de la servitude soient rationnelles et les moins dommageables à l'utilisation présente et future des terrains ". Aux termes de l'article R.152-1 du même code : " Les personnes publiques définies au premier alinéa de l'article L. 152-1 et leurs concessionnaires, à qui les propriétaires intéressés n'ont pas donné les facilités nécessaires à l'établissement, au fonctionnement ou à l'entretien des canalisations souterraines d'eau potable ou d'évacuation d'eaux usées ou pluviales, peuvent obtenir l'établissement de la servitude prévue audit article, dans les conditions déterminées aux articles R. 152-2 à R. 152-15 " et aux termes de son article R. 152-4 : " La personne morale de droit public maître de l'ouvrage ou son concessionnaire, qui sollicite le bénéfice de l'article L. 152-1, adresse à cet effet une demande au préfet. ". Il résulte de ces dispositions que l'irrégularité de la délibération par laquelle un conseil municipal a sollicité du préfet le lancement d'une procédure d'instauration de servitudes sur fonds privés pour le passage d'une conduite d'assainissement d'eaux usées, sur le fondement de l'article L. 152-1 du code rural et de la pêche maritime, peut être invoquée à l'encontre de l'arrêté préfectoral instaurant une telle servitude.
4. D'autre part, aux termes de l'article L. 2131-11 du code général des collectivités territoriales : " Sont illégales les délibérations auxquelles ont pris part un ou plusieurs membres du conseil intéressés à l'affaire qui en fait l'objet, soit en leur nom personnel, soit comme mandataires ". La participation au vote permettant l'adoption d'une délibération d'un conseiller municipal intéressé à l'affaire qui fait l'objet de cette délibération, c'est-à-dire y ayant un intérêt qui ne se confond pas avec ceux de la généralité des habitants de la commune, est de nature à en entraîner l'illégalité. De même, sa participation aux travaux préparatoires et aux débats précédant l'adoption d'une telle délibération est susceptible de vicier sa légalité, alors même que cette participation préalable ne serait pas suivie d'une participation à son vote, si le conseiller municipal intéressé a été en mesure d'exercer une influence sur la délibération.
5. Il ressort des pièces du dossier que M. Gérard Perier, conseiller municipal de la commune, membre de la commission d'urbanisme, gérant de la SARL GSP, marchand de biens et lotisseur, lotisseur du lotissement " Le Grand Champ ", a participé à la délibération du
14 avril 2017 dont l'objet a été rappelé au point 1. Il doit donc être regardé comme intéressé personnellement à l'affaire qui a fait l'objet de la délibération. En outre, il ressort des pièces du dossier que le conseil municipal de la commune, qui n'avait jamais envisagé, avant que la tentative d'accord amiable que M. A... a entrepris auprès de l'une des indivisaires de la parcelle ZC 115, d'instaurer une quelconque servitude sur ce terrain, s'est prononcé en faveur du lancement d'une procédure visant à cette fin une fois seulement que d'autres propriétaires indivis de la parcelle s'y sont opposés. Enfin, le maire de la commune a lui-même déclaré, dans le procès-verbal de l'audition menée par la compagnie de gendarmerie départementale de Gap,
le 7 juin 2019, dans le cadre d'une procédure pour soupçon de prise illégale d'intérêts,
que M. A... " a géré le projet de A à Z ", ce qui n'est pas contesté par le ministre de la cohésion des territoires, qui n'a pas produit de mémoire en défense ainsi qu'il a été rappelé au point 2. M. A... a ainsi pu, dans les circonstances de l'espèce, et alors même que la délibération a été adoptée à sept voix pour, une voix contre et deux abstentions, exercer une influence effective dans la décision de solliciter du préfet le bénéfice de l'article L. 152-1 du code rural et de la pêche maritime. Par suite, la commune de Saint Etienne le Laus a méconnu les dispositions précitées de l'article L. 2131-11 du code général des collectivités territoriales.
6. Il résulte du point précédent que la délibération du 14 avril 2017 est entachée d'un vice de procédure. Par suite, M. D... est fondé à se prévaloir de cette irrégularité à l'appui de ses conclusions dirigées contre l'arrêté du préfet des Hautes-Alpes du 21 décembre 2017, instaurant une servitude d'utilité publique sur la parcelle citée permettant le raccordement au réseau d'assainissement du lotissement " Le Grand Champ " et M. D... est fondé à soutenir, sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens de la requête, que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille a rejeté ses conclusions à fin d'annulation de cet arrêté.
Sur les conclusions relatives aux frais de l'instance :
7. En application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros à verser à
M. D..., au titre des frais exposés.
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Marseille du 9 décembre 2019 et l'arrêté du préfet des Hautes-Alpes du 21 décembre 2017 sont annulés.
Article 2 : L'Etat (ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires) versera à M. D... une somme de 2 000 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. E... D... et à la ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.
Copie en sera adressée à la commune de Saint Etienne le Laus et au préfet des Hautes-Alpes.
Délibéré après l'audience publique du 24 mai 2022, où siégeaient :
' M. Badie, président,
' M. Revert, président assesseur,
' Mme Renault, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition du greffe, le 7 juin 2022.
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N° 20MA00592