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24/05/2022 | FRANCE | N°20MA02937

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 4ème chambre, 24 mai 2022, 20MA02937


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La SARL Station-Service Campometa a demandé au tribunal administratif de Bastia, de condamner la collectivité de Corse à lui verser la somme de 195 005 euros, assortis de l'intérêt légal, en réparation du préjudice commercial grave et spécial qu'elle estime avoir subi en raison des travaux réalisés au rond-point de Furiani, et de mettre à la charge de la collectivité de Corse les frais d'expertise.

Par un jugement n° 1800454 du 13 février 2020, le tribunal administratif de Bastia a condamné

la collectivité de Corse à verser à la SARL Station-Service Campometa la somme de 19...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La SARL Station-Service Campometa a demandé au tribunal administratif de Bastia, de condamner la collectivité de Corse à lui verser la somme de 195 005 euros, assortis de l'intérêt légal, en réparation du préjudice commercial grave et spécial qu'elle estime avoir subi en raison des travaux réalisés au rond-point de Furiani, et de mettre à la charge de la collectivité de Corse les frais d'expertise.

Par un jugement n° 1800454 du 13 février 2020, le tribunal administratif de Bastia a condamné la collectivité de Corse à verser à la SARL Station-Service Campometa la somme de 195 005 euros, avec intérêt légal à compter du 2 février 2018, mis à la charge définitive de la collectivité de Corse les dépens de l'instance pour une somme de 3 834,28 euros TTC, a condamné la collectivité de Corse à verser à la SARL Station-Service Campometa la somme de 1 500 euros de frais de procès, et a rejeté le surplus des conclusions des parties.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire enregistrés le 11 août 2020 et le 30 juillet 2021, la collectivité de Corse, représentée par Me Cloix, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement du 13 février 2020 du tribunal administratif de Bastia ;

2°) de rejeter la demande de la SARL Station-Service Campometa ;

3°) à titre subsidiaire, de limiter sa condamnation à la somme de 62 588 euros au titre de l'indemnité due à la SARL Station-Service Campometa ;

4°) de mettre à la charge de la SARL Station-Service Campometa les dépens de l'instance ;

5°) de condamner la SARL Station-Service Campometa à lui verser la somme de

2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement est irrégulier pour ne pas avoir répondu à l'ensemble de ses moyens qui n'étaient pas inopérants, tirés de l'incohérence du rapport d'expertise, de l'absence de liaison de la diminution du chiffre d'affaires et des travaux, et du défaut de caractère spécial du préjudice allégué ;

- le rapport d'expertise est entaché de graves incohérences ; il n'existe aucune causalité entre les travaux d'aménagement et la perte de chiffre d'affaires de la station-service qui ne démontre aucun préjudice grave et spécial, dès lors que son accès a été maintenu durant les travaux ; le quantum du préjudice alloué est erroné ; elle ne peut être condamnée à payer que la somme de 62 588 euros.

Par un mémoire enregistré le 17 novembre 2020, la SARL Station-Service Campometa, représentée par Me Canazzi, conclut au rejet de la requête, et à ce qu'il soit mis à la charge de la collectivité de Corse la somme de 1 500 euros au titre des frais d'instance.

Elle soutient que les moyens de la collectivité de Corse ne sont pas fondés.

Une ordonnance du 9 juillet 2021 a fixé la clôture de l'instruction au 9 septembre 2021 à 12 heures.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. A...,

- les conclusions de M. Angéniol, rapporteur public,

- et les observations de Me Vaysse, substituant Me Cloix, représentant la collectivité

de Corse.

Considérant ce qui suit :

1. La collectivité de Corse relève appel du jugement du 13 février 2020 du tribunal administratif de Bastia qui la condamne à verser à la SARL Station-Service Campometa la somme de 195 005 euros, avec intérêt légal à compter du 2 février 2018, et qui a mis à sa charge les dépens de l'instance pour une somme de 3 834,28 euros TTC.

Sur la régularité du jugement :

2. Le tribunal qui s'est notamment fondé sur les conclusions de l'expertise judiciaire, dont il n'est pas soutenu qu'elle est irrégulière, en la regardant comme une pièce du dossier pour déterminer le quantum du préjudice accordé à la société requérante, a implicitement mais nécessairement considéré que celles-ci n'étaient pas incohérentes. Par ailleurs, les premiers juges, qui n'étaient pas tenus de répondre à l'ensemble des arguments de la collectivité de Corse, se sont prononcés sur le caractère à la fois grave et spécial du préjudice susceptible d'engager sa responsabilité, et sur l'évaluation de celui-ci, et n'ont donc pas entaché leur jugement d'omission à statuer. Par suite, la collectivité de Corse n'est pas fondée à demander l'annulation de ce jugement.

Sur le bien-fondé du jugement :

En ce qui concerne la responsabilité de la collectivité de Corse :

3. Si, en principe, les modifications apportées à la circulation générale et résultant soit de changements effectués dans l'assiette, de la direction ou l'aménagement des voies publiques, soit de la création de voies nouvelles, ne sont pas de nature à ouvrir droit à indemnité, il en va autrement dans le cas où ces modifications ont pour conséquence d'interdire ou de rendre excessivement difficile l'accès des riverains à la voie publique. En outre, lorsqu'il est saisi par un requérant, qui s'estime victime d'un dommage de travaux publics, de conclusions indemnitaires à raison d'un préjudice anormal et spécial, il appartient au juge administratif de porter une appréciation globale sur l'ensemble des chefs de dommages allégués.

4. La SARL Station-Service Campometa, qui exerce son activité sous l'enseigne " Vito " est installée depuis l'année 2007 à proximité du rond-point de Furiani. La collectivité de Corse a procédé à l'aménagement du carrefour giratoire de Furiani, sur la route territoriale 20, ancienne route nationale 193, par la création d'une chaussée en souterrain avec un ilot central en béton, et une voie dénivelée dans chaque sens pour les gabarits réduits, par des travaux qui ont débuté le courant du mois de mai 2015 et se sont prolongés jusqu'en février 2017. Pendant les quatre jours du week-end de Pentecôte de l'année 2015, il n'a pas été possible d'accéder à la station-service depuis la route nationale, et dans la nuit du 21 au 22 mai 2015, une voie provisoire a été aménagée pour permettre notamment l'accès à ladite station essence. Ce trajet provisoire a été modifié par deux fois durant la période de mai 2015 au 3 février 2017, date de fin des travaux. La collectivité de Corse conteste que la SARL Station-Service Campometa justifie d'un préjudice grave et spécial évalué à la somme de 195 005 euros lié aux difficultés d'accès à son commerce, en raison des désordres provoqués par les travaux en cause.

5. Il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise du 8 novembre 2017, que le chiffre d'affaires de la station-service a baissé dès le mois de mai 2015, date de début des travaux, et que par rapport à l'année 2014, il a diminué de 39,4% pour l'année 2015, et de 43,1% pour l'année 2016, pour ensuite remonter après février 2017, date de fin des travaux. Il est constant que l'entrée directe à la station-service depuis la route territoriale a été, en mai 2015, supprimée, nécessitant d'emprunter une contre-allée, après avoir obliqué à droite dans le rond-point, pour prendre ensuite immédiatement à gauche, et avoir coupé la voie descendante du village de Furiani. Il résulte d'un procès-verbal d'huissier du 6 juillet 2015, qui n'est pas contredit, que cette contre-allée recevait une circulation peu intense. Si en début d'année 2016, une entrée directe a été aménagée depuis la route territoriale, l'embranchement réalisé obligeait à des manœuvres en chicane peu pratiques. En outre, à part la pose d'un panneau signalant la station-service sur le carrefour provisoire (enseigne " Vito "), aucune signalisation n'a été positionnée en amont de l'entrée du giratoire, permettant ainsi aux usagers de la voirie d'anticiper la manœuvre pour rejoindre la contre-allée. Enfin, un accès plus direct à la contre-allée a été mis en place après le rond-point, mais cet embranchement réalisé par des plots bétonnés formait un angle de faible ouverture, peu pratique, et alors que la sortie s'avérait difficile en raison du flux de la circulation sur la route principale, et que l'accès à une station-service est un facteur déterminant de sa fréquentation, dans un contexte de forte concurrence puisque quatre concurrents à la Station-Service Campometa se situent à moins de 500 mètres de son emplacement. Ainsi, la baisse des chiffres d'affaires de la SARL Station-Service Campometa peut être reliée aux travaux d'aménagement du carrefour qui ont rendu son accès excessivement difficile. En outre, d'une part, la collectivité de Corse n'est pas fondée à soutenir que cette baisse des chiffres d'affaires sur la période 2015/2016 est due à l'installation d'un centre de lavage Car-Wash près de la station-service, dès lors qu'il est constant que celle-ci n'est intervenue qu'après la fin des travaux en février 2017. D'autre part, si la collectivité de Corse fait valoir une baisse du chiffre d'affaires de la station-service entre les années 2012 et 2013, il est constant que cette baisse est justifiée par la fermeture en août 2012 d'une station-service située à Bastia, établissement secondaire de la SARL Station-Service Campometa. Ainsi, cette inflexion du résultat de la société est sans rapport avec la baisse des seuls chiffres d'affaires de l'établissement situé à Furiani. Eu égard à ce qui vient d'être dit, il en va de même de la circonstance que l'assemblée générale des actionnaires du 7 octobre 2013 a constaté que la société a dégagé une perte importante au cours d'un exercice, supérieure à la moitié de son capital social et de ses éventuelles réserves. Enfin, si la collectivité de Corse fait valoir que la société a nécessairement accepté ce type de sujétion en raison de l'adoption du schéma régional des routes nationales de Corse approuvé par une délibération du 22 décembre 1995, actualisé par délibération du 19 décembre 2003, portant notamment sur le giratoire de Furiani, cette argumentation doit être écartée dès lors que le simple fait d'exploiter une station-service sur le réseau routier ne saurait emporter, par lui-même, l'acceptation du risque d'être exposé à de fortes nuisances liées à l'aménagement du carrefour giratoire de Furiani, sur la période de mai 2015 à février 2017. Dans ces conditions, les dommages résultant des travaux réalisés sur le rond-point de Furiani et sur la route territoriale excédaient les sujétions normales imposées aux riverains des voies publiques dans un but d'intérêt général, du fait d'un accès rendu excessivement difficile, et constituent un préjudice anormal et spécial susceptible d'engager la responsabilité de la collectivité de Corse.

En ce qui concerne l'évaluation des préjudices :

6. Comme il vient d'être dit, la diminution des chiffres d'affaires de la société par rapport à l'année 2014 est de 39,4% pour l'année 2015, et de 43,1% pour l'année 2016. Cette baisse doit être regardée comme la conséquence de la réalisation des travaux sur le rond-point de Furiani. L'expert-comptable désigné par le tribunal a évalué à 195 005 euros le manque à gagner de la SARL Station-Service Campometa sur les années 2015 et 2017, chiffre retenu par les premiers juges. Il résulte de l'instruction que l'expert a calculé la moyenne du chiffre d'affaires constatés sur les années 2013 et 2014, soit 2 185 635 euros. Il a déterminé par différence entre ce montant et ceux effectivement réalisés en 2015 et 2016, soit 1 323 237 euros et 1 242 431 euros en 2016, des chiffres d'affaires théoriques de 862 398 en 2015 et de 943 204 euros en 2016. Il a ensuite calculé un taux théorique de marge variable de 10,80% par référence à la moyenne constatée sur les exercices 2013 et 2014. Enfin, il a appliqué ce taux de marge sur coût variable aux chiffres d'affaires théoriques cités ci-avant pour déterminer la marge sur coût variable dont a été privée la SARL Station-Service Campometa. La collectivité de Corse fait valoir l'incohérence de cette méthode au motif que le quantum de la marge sur coût variable déterminée par l'expert s'établit respectivement pour les années 2015 et 2016 aux montants de 93 139 euros et de 101 866 euros, alors qu'en les additionnant aux marges réelles réalisées pour ces mêmes années par l'exploitante, soit 191 165 euros et 151 079 euros, les montants de 284 304 euros et de 252 945 euros ainsi obtenus, sont supérieurs de 30% et de 12% à la marge sur coût variable de référence de 2014 fixée à 218 537. La collectivité de Corse soutient que la perte de revenus normalement admise en cas de préjudice anormal et spécial ne peut pas dépasser 20%, et que la marge sur coût variable de la SARL Station-Service Campometa est affectée d'un aléa de 14% entre l'année 2014 et l'année 2013. Elle sollicite une réfaction de 34% de la perte de marge pour limiter l'indemnisation à la somme de 62 588 euros.

7. Si la SARL Station-Service Campometa établit avoir subi une réduction de son chiffre d'affaires du fait des travaux en cause, elle n'est fondée à demander réparation que de la seule perte de bénéfice. En l'espèce, il y a lieu de déterminer la marge théorique sur les années 2015 et 2016, en appliquant au chiffre d'affaires moyen de 2 185 635 euros précisé au point 6, le taux de marge de 10,8% tel que déterminé par l'expert, soit 236 048, auquel il faut retrancher, pour chacune des deux années, la marge réelle constatée, soit 191 165 pour 2015 et 151 079 pour 2016, pour déterminer une baisse de marge sur les chiffres d'affaires théoriques des années 2015 et 2016 de respectivement, 44 883 et 84 369. Par suite, il y a lieu de condamner la collectivité de Corse à verser à la SARL Station-Service Campometa la somme globale de 129 252 euros en réparation du manque à gagner subi.

8. Il résulte de tout ce qui vient d'être dit, que la collectivité de Corse est seulement fondée à demander que l'indemnité que le tribunal administratif de Bastia l'a condamné à verser à la SARL Station-Service Campometa, soit ramenée à la somme de 129 252 euros.

Sur les intérêts légaux :

9. La SARL Station-Service Campometa a droit aux intérêts au taux légal correspondant à sa créance à compter du 2 février 2018, date de réception de sa demande d'indemnisation.

Sur les dépens :

10. Les frais de l'expertise qui ont été taxés et liquidés à la somme de

3 824,28 euros TTC par une ordonnance du 21 novembre 2017 du président du tribunal administratif de Bastia, sont portés à la charge définitive de la collectivité de Corse.

Sur les frais liés au litige :

11. Dans les circonstances de l'espèce, les frais exposés à l'occasion de l'instance sont laissés à la charge de chacune des parties

D E C I D E :

Article 1er : La collectivité de Corse est condamnée à verser à la Station-Service Campometa la somme de 129 252 euros. Cette somme portera intérêt au taux légal à compter du 2 février 2018.

Article 2 : L'article 1er du jugement n° 1800454 du tribunal administratif de Bastia du

13 février 2020 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 3 : Les frais de l'expertise taxés et liquidés à la somme de 3 824,28 euros TTC sont portés à la charge définitive de la collectivité de Corse.

Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la collectivité de Corse et à la SARL Station-Service Campometa.

Copie en sera adressée à M. B... C..., expert.

Délibéré après l'audience du 10 mai 2022, où siégeaient :

- M. Badie, président,

- M. Revert, président assesseur,

- M. Ury, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 24 mai 2022.

N° 20MA029372


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 20MA02937
Date de la décision : 24/05/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

67-03-04 Travaux publics. - Différentes catégories de dommages. - Dommages créés par l'exécution des travaux publics.


Composition du Tribunal
Président : M. BADIE
Rapporteur ?: M. Didier URY
Rapporteur public ?: M. ANGENIOL
Avocat(s) : CANAZZI

Origine de la décision
Date de l'import : 07/06/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2022-05-24;20ma02937 ?
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