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24/05/2022 | FRANCE | N°19MA04963

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 4ème chambre, 24 mai 2022, 19MA04963


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme E... C... a demandé au tribunal administratif de Nîmes de condamner la commune d'Aulas, ou subsidiairement le département du Gard, à réparer les conséquences dommageables de l'inondation de sa propriété le 28 novembre 2014 en lui payant la somme de 294 465,38 euros, assortie des intérêts à compter de la réception de la demande préalable, au titre des frais de remise en état de sa propriété, la somme de 9 541,71 euros au titre des pertes de loyers, et la somme de 10 000 euros au titre du préjudi

ce moral, de mettre les dépens à la charge de la commune d'Aulas et du départem...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme E... C... a demandé au tribunal administratif de Nîmes de condamner la commune d'Aulas, ou subsidiairement le département du Gard, à réparer les conséquences dommageables de l'inondation de sa propriété le 28 novembre 2014 en lui payant la somme de 294 465,38 euros, assortie des intérêts à compter de la réception de la demande préalable, au titre des frais de remise en état de sa propriété, la somme de 9 541,71 euros au titre des pertes de loyers, et la somme de 10 000 euros au titre du préjudice moral, de mettre les dépens à la charge de la commune d'Aulas et du département du Gard et de mettre une somme de 10 000 euros à la charge de la commune d'Aulas au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par jugement n° 1700289 du 20 septembre 2019, le tribunal administratif de Nîmes a, d'une part, condamné la commune d'Aulas à payer à Mme C... la somme de

306 799,99 euros, assortie des intérêts à compter du 4 novembre 2016, d'autre part mis à la charge de la commune les frais de l'expertise ordonnée par le jugement avant-dire droit du 21 décembre 2018, taxés et liquidés à la somme de 5 149,16 euros TTC, et la somme de

1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, et enfin rejeté le surplus de la demande de Mme C....

Procédure devant la Cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés le 20 novembre 2019 et le 17 juillet 2020, la commune d'Aulas, représentée par Me Dombre, demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nîmes du 20 septembre 2019 ;

2°) de ne pas homologuer le rapport d'expertise judiciaire du 24 mai 2019 ;

3°) de limiter sa responsabilité à hauteur de 50%, en reconnaissant celle du département du Gard et de Mme C... pour l'autre moitié ;

4°) de rejeter la demande de Mme C... tendant à l'indemnisation de son préjudice lié à la perte de loyers et de son préjudice moral.

La commune soutient que :

- les premiers juges n'ont pas examiné les conclusions de l'expert mandaté par son assureur qui pourtant contredisaient celles de l'expert judiciaire, erronées et partiales, qui ont omis de mettre en charge le caniveau à grilles et de procéder à un relevé ;

- l'urbanisation du quartier, marquée ces vingt dernières années par la délivrance de trois permis de construire, n'est pas intensive mais largement antérieure à la pose du caniveau à grilles sur la voie communale et n'a donc pu jouer de rôle dans la survenance des désordres ;

- le système de buses mis en place par le département du Gard sur la voie départementale, qui demeure sous sa responsabilité, et les rehaussements de la route ayant bouché l'une des barbacanes dans le mur de soutènement de la voie au droit de la propriété de la victime, ont joué un rôle dans la survenance des désordres, en faisant obstacle au libre écoulement des eaux, et doivent engager la responsabilité du département, en l'absence de toute démonstration que la propriété nue située en amont absorberait les apports d'eaux ;

- les événements pluvieux du 28 novembre 2014 constituent un cas de force majeure ;

- en installant elle-même deux grilles au-dessus du caniveau situé au droit de l'entrée de l'ancien garage, sans autorisation, et en n'entretenant pas ces ouvrages, ni le fossé qu'ils couvrent, et alors que la chaussée a été l'objet d'un rehaussement à cet endroit, la victime qui a modifié l'état des lieux et l'écoulement des eaux, a commis une faute de nature à exonérer partiellement la commune de sa responsabilité, ainsi que le relève le département lui-même ;

- le tribunal a omis de prendre en compte, au titre de l'évaluation des préjudices invoqués, les éléments dont la commune s'est prévalue pour démontrer la faute de la victime ;

- en ce qui concerne le préjudice lié à la reconstruction du mur de soutènement et du garage réalisé sans autorisation, il doit être tenu compte de leur vétusté, alors que l'expert judiciaire n'a livré aucune indication sur les modalités de construction de ce mur, l'indemnisation ne saurait excéder le coût de la construction sinistrée, et une part de responsabilité doit reposer sur la victime, de l'ordre de 50% ;

- le préjudice moral n'est pas justifié ;

- faute d'exposer les conditions de départ de ses locataires et d'avoir évoqué ce chef de préjudice dans sa demande préalable, l'intimée ne peut obtenir la réparation du préjudice lié à la perte de loyers ;

- la part de responsabilité du département du Gard ne peut être inférieure à 50%.

Par un mémoire en défense, enregistré le 27 mai 2020, le département du Gard, représenté par la SCP Lesage Berguet Gouard-Robert, conclut au rejet de la requête, subsidiairement à ce que la commune d'Aulas le garantisse de toute condamnation susceptible d'être prononcée contre lui, et à ce que soit mise à la charge de la commune la somme de

2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Le département soutient que :

- compte tenu de la configuration en forte pente des lieux, il appartenait tant à la victime des désordres qu'à la commune de prendre toutes les précautions nécessaires ;

- l'unique dispositif de reprise des eaux pluviales mis en place par la commune sur la voie communale est manifestement insuffisant et engage la responsabilité de la seule commune ;

- en agglomération, en effet, seule la responsabilité de la commune est susceptible d'être engagée du fait de la gestion des eaux pluviales, en application de l'article L. 2226-1 du code général des collectivités territoriales, dans sa rédaction issue de la loi n° 2014-1654 du

29 décembre 2014 ;

- comme l'a estimé l'expert judiciaire, les apports d'eaux pluviales de la route départementale, sur laquelle il n'existe aucun obstacle, notamment aucune buse installée par le département, ni aucun rehaussement de la chaussée emportant obstruction d'une barbacane, n'ont joué aucun rôle causal dans la survenance des désordres, compte tenu du profil de cette voie et de l'existence d'un espace naturel en amont de la zone en litige ;

- subsidiairement, la victime a commis une faute en n'entretenant pas les grilles installées sans autorisation du département sur la voie départementale, à l'entrée de l'ancien garage, en méconnaissance de l'article 640 du code civil et de l'article 51 du règlement de voirie départementale ;

- la somme allouée par les premiers juges à la victime est disproportionnée par rapport au coût de construction du mur de soutènement et du garage, dont les modalités d'édification n'ont pas été déterminées par l'expert judiciaire, ni l'état d'entretien ou de vétusté pris en compte, et devra être ramenée à de plus justes proportions.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 31 juillet 2020 et les 14 juillet et

29 septembre 2021, Mme B... épouse C..., représentée par Me Laporte, conclut au rejet de la requête, au constat qu'elle a engagé les sommes de 278 121, 56 euros et de

23 743, 96 euros TTC au titre des frais et travaux nécessaires à la reconstruction de sa parcelle et de son mur et, par la voie de l'appel incident et dans le dernier état de ses écritures, à la condamnation de la commune à lui verser la somme de 20 000 euros, en sus de la somme déjà accordée par les premiers juges, sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- en concluant en appel à ce que sa responsabilité soit minorée de moitié, la commune reconnaît, par aveu judiciaire, le principe de sa responsabilité dans la survenance des désordres ;

- la responsabilité complète et exclusive de la commune doit être engagée à son égard, compte tenu de sa qualité de tiers à l'ouvrage public qu'est la voie communale qui reçoit presque toutes les eaux de pluie du bassin versant, sans réseau de collecte, et dans un secteur situé en amont du garage détruit, caractérisé par une urbanisation anarchique ;

- elle renonce à rechercher la responsabilité du département, dont les conclusions incidentes à son endroit doivent être rejetées ;

- elle a fait réaliser les études et travaux de reconstruction du mur de soutènement et de sa parcelle, grâce aux fonds versés par l'assureur, en exécution du jugement attaqué, mais pour un montant supérieur à la somme allouée par les premiers juges ;

- les moyens d'appel de la commune et du département ne sont pas fondés.

Par ordonnance du 3 février 2022, la clôture d'instruction a été fixée au 21 février 2022, à 12 heures.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code civil ;

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. A...,

- les conclusions de M. Angéniol, rapporteur public,

- et les observations de Me Chabbert-Masson, représentant Mme C....

Considérant ce qui suit :

1. Mme C... est propriétaire d'une maison de village et d'un garage à Aulas, édifiés sur la parcelle cadastrée section B 219, le long du chemin départemental 190 en contrebas du croisement avec une voie communale desservant le hameau de Pracoustal.

Le 28 novembre 2014, lors d'un violent épisode pluvieux, le garage, son mur de soutènement et une partie de sa parcelle ont été emportés par des écoulements d'eau et de boue. Imputant ce sinistre à un défaut de conception et d'entretien des ouvrages d'écoulement des eaux pluviales des voies communale et départementale ainsi qu'aux conditions d'urbanisation du quartier des Faysses situé en amont, Mme C... a demandé le 26 octobre 2016 au maire de la commune le versement de la somme de 293 580 euros en réparation des préjudices qu'elle estimait avoir subis du fait des désordres survenus sur sa propriété. Après avoir ordonné une expertise par jugement avant dire droit du 21 décembre 2018, le tribunal administratif de Nîmes a, par jugement du 20 septembre 2019, condamné la commune d'Aulas à payer à Mme C... la somme de 306 799,99 euros, assortie des intérêts à compter du 4 novembre 2016, mis à la charge de la commune les frais de l'expertise taxés et liquidés à la somme de 5 149,16 euros TTC, et la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

La commune d'Aulas relève appel de ce jugement, dont Mme C... demande la réformation uniquement en tant que le tribunal n'a mis à la charge de la commune que la somme de

1 500 euros au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.

Sur la responsabilité de la commune d'Aulas :

2. Le maître de l'ouvrage est responsable, même en l'absence de faute, des dommages que les ouvrages publics dont il a la garde peuvent causer aux tiers tant en raison de leur existence que de leur fonctionnement. Il ne peut dégager sa responsabilité que s'il établit que ces dommages résultent de la faute de la victime ou d'un cas de force majeure, sans pouvoir utilement invoquer le fait du tiers.

3. Dans le cas d'un dommage causé à un immeuble, la fragilité ou la vulnérabilité de celui-ci ne peuvent être prises en compte pour atténuer la responsabilité du maître de l'ouvrage, sauf lorsqu'elles sont elles-mêmes imputables à une faute de la victime. En dehors de cette hypothèse, de tels éléments ne peuvent être retenus que pour évaluer le montant du préjudice indemnisable.

En ce qui concerne l'imputabilité des dommages :

4. Il résulte de l'instruction, et il n'est pas sérieusement contesté, que les pluies d'une très forte intensité qui se sont abattues le 28 novembre 2014 sur la commune d'Aulas, qui ont débuté le 27 novembre et se sont terminées le 29 novembre, à raison de quelque 75 litres d'eau par m² en 24 heures, soit en deçà des seuils critiques fixés par Météo France, ne présentaient pas un caractère de violence imprévisible constituant un cas de force majeure. D'ailleurs, le préfet du Gard a notifié à la commune le rejet de sa demande tendant à ce que son territoire soit à ce titre déclaré en état de catastrophe naturelle, par arrêté du 27 avril 2015, devenu définitif et pris au motif, précisé par lettre du 6 mai 2015 et pas davantage utilement critiqué par la commune dans la présente instance, d'une durée de retour de l'événement inférieure à 10 ans, sur le plan de la pluviométrie et de l'hydrologie. Ainsi que l'ont considéré à bon droit les premiers juges, tenant compte à la fois de l'intensité et de l'imprévisibilité de cet épisode pluvieux, la commune d'Aulas n'est donc pas fondée à se prévaloir d'une situation de force majeure pour prétendre s'exonérer de toute responsabilité, ni pour demander que sa responsabilité soit appréciée en prenant en compte une telle situation.

5. Il résulte de l'instruction, et plus particulièrement du rapport d'expertise rendu le

24 mai 2019 sur le jugement avant dire droit du 21 décembre 2018, dont les conclusions ne sont entachées d'aucune partialité et dont il n'est pas justifié par la commune qu'elles auraient omis d'envisager l'ensemble des causes possibles des dommages subis par la propriété de

Mme C..., que l'effondrement du garage de celle-ci, du mur de soutènement de son jardin d'agrément et d'une partie de cette parcelle, est dû à un apport important d'eaux de ruissellement provenant de manière quasi exclusive de la route communale qui présente une déclivité de 10 % et une inclinaison dans sa partie gauche en direction de la propriété de l'intéressée. Selon ce même rapport, le phénomène pluvieux survenu le 28 novembre 2014 a été aggravé non seulement par l'insuffisance du réseau communal de collecte des eaux pluviales sur la route communale, laquelle consiste à la fois en un sous-dimensionnement de l'unique caniveau à grilles, implanté au niveau du stop, et qui plus est mal entretenu comme le montre un procès-verbal de constat d'huissier du 26 novembre 2014, et en l'absence d'autres ouvrages de cette nature sur le reste de la longueur de cette voie, mais également par le tracé de celle-ci, sur laquelle a été formé un bourrelet bitumeux longitudinal conduisant les eaux vers cet ouvrage. Pour parvenir à ces conclusions, ce rapport a procédé à une comparaison de l'importance de ces ouvrages avec le débit du bassin versant de plus trois hectares dont les eaux sont orientées à plus de 98 % vers la route communale, et le niveau d'imperméabilisation de certaines propriétés riveraines de cette voie qui, avant d'accueillir des constructions et des clôtures, étaient à même d'absorber une partie des eaux de ruissellement.

6. Contrairement à ce que soutient la commune, si l'appréciation portée par l'expert sur le sous-dimensionnement du caniveau à grilles, pris tant dans sa profondeur que dans le diamètre de son collecteur, ne résulte pas d'une mise en charge de l'ouvrage par ses soins, cette analyse, qui ne se borne pas à formuler une simple hypothèse, a donné lieu à des prises de mesure par ce dernier, dont l'exactitude et la pertinence ne sont pas discutées, et non pas à des mesures opérées par l'huissier de justice dans son constat du 24 novembre 2016. D'ailleurs, les constatations de cet officier ministériel, en ce qui concerne le caniveau à grilles implanté sur la voie communale, n'ont porté que sur son encombrement par de la végétation et des graviers, et permettent de considérer, compte tenu de l'importance de cet encombrement, que l'ouvrage n'était pas correctement entretenu au jour du sinistre, nonobstant l'attestation contraire du troisième adjoint au maire du 25 mai 2018. En se bornant à déclarer que doivent être minorés le niveau et les effets de l'imperméabilisation issue de l'urbanisation depuis 1992 des propriétés riveraines de la voie communale, en amont de son croisement avec la voie départementale 190, et que depuis vingt ans, le mur de soutènement de la propriété C... a résisté, la commune d'Aulas, qui ne peut utilement se prévaloir de faits de tiers, ne démontre pas que les dommages subis par l'intéressée trouveraient une autre cause que l'insuffisance de ses ouvrages. En se bornant, également, à se prévaloir, comme en première instance, d'un extrait du rapport du cabinet d'expertise Polyexpert, qui se limite à réfuter les conclusions du rapport d'expertise judiciaire concernant le positionnement de certaines barbacanes du mur de soutènement de

Mme C..., et à se plaindre de la non-communication par Mme C..., au dossier d'instance, des comptes rendus des réunions avec l'expert de sa propre compagnie d'assurance, sur lesquels elle aurait fondé son argumentation de première instance, mais dont les premiers juges n'ont tiré aucune conséquence, la commune ne critique pas utilement la conclusion que les dommages subis par l'intéressée ont été aggravés par l'insuffisance des ouvrages communaux.

7. Par conséquent, il résulte clairement de l'instruction que les dommages subis par la propriété de Mme C... sont imputables à la présence et au fonctionnement d'ouvrages publics dont la commune d'Aulas a la propriété et la garde, et à l'égard desquels l'intéressée a la qualité de tiers.

En ce qui concerne la responsabilité du département du Gard :

8. Certes, alors que Mme C... avait renoncé dans le dernier état de ses écritures devant le tribunal à rechercher la responsabilité du département du Gard, les premiers juges ont expressément écarté, au point 4 de leur jugement, tout rôle causal de la voie départementale

RD 190 et de ses accessoires dans la survenance du sinistre compte tenu, d'une part, de ce que ces ouvrages n'accueillent que 1,08% des eaux du bassin versant, et d'autre part, du profil incliné de cette voie déviant les ruissellements vers un espace naturel situé en amont de la propriété de la requérante. Mais dans la mesure où seule sa responsabilité est recherchée tant en première instance qu'en appel, la commune d'Aulas, qui ne demande pas que le département la garantisse de l'indemnisation à laquelle elle a été condamnée par les premiers juges, ne peut utilement contester sur ce point leur jugement.

9. Par ailleurs, pour s'exonérer totalement, ou même partiellement comme elle le demande, de la responsabilité qui lui incombe, la commune d'Aulas ne saurait se prévaloir des fautes qu'aurait commises le département du Gard, tiers aux ouvrages communaux, dont les agissements ou les ouvrages dont il a la garde, parmi lesquels la route départementale 190, auraient selon elle constitué une des causes des désordres causés à la propriété de Mme C..., ou en auraient aggravé les conséquences.

En ce qui concerne la faute de la victime :

10. La commune d'Aulas demande à être exonérée d'une partie de sa responsabilité en invoquant les fautes commises par Mme C..., en s'abstenant d'entretenir les deux grilles installées sans autorisation devant le garage sinistré et couvrant une rigole existante, ainsi que le mur de soutènement de son jardin de loisir, dont le mode constructif serait déficient.

11. Toutefois et d'une part, il résulte du rapport d'expertise judiciaire, éclairés par les réponses de l'expert aux dires du conseil de la commune, que si ces ouvrages installés à l'initiative du propriétaire riverain ne sont pas adaptés pour traiter des volumes d'effluents non captés en amont par le caniveau positionné au niveau du stop de la voie communale, une telle insuffisance est indépendante de l'entretien des ouvrages. Dans ces conditions qui ne sont pas discutées par l'appelante, la circonstance, avérée par les constatations du procès-verbal d'huissier du 24 novembre 2016 et du rapport d'expertise judiciaire, que les deux grilles placées devant le garage sinistré de Mme C... au-dessus de la rigole existante n'étaient pas entretenues au jour du sinistre, en méconnaissance des dispositions du règlement de voirie départementale, n'a pu jouer de rôle causal dans la survenance des dommages. Il en va de même de la circonstance, à la supposer établie, que ces grilles auraient été installées sans autorisation du gestionnaire de la voirie départementale, et de celle que Mme C... n'aurait pas inséré dans le contrat de bail conclu avec les locataires de son bien de mars 2012 à mars 2015, une obligation spécifique d'entretien de ces ouvrages.

12. D'autre part, il ne résulte pas de l'instruction, notamment pas du rapport d'expertise, non utilement discuté, ni d'une photographie produite par la commune et datant selon elle de 2010 ou de 2011, que le mur de soutènement du jardin d'agrément de Mme C..., constitutif d'un mur poids réalisé d'après l'expert selon les règles de l'art, et jonché de quelques végétations, aurait souffert d'un manque d'entretien de nature à influer sur sa structure et sa solidité. Il ne résulte pas davantage des éléments du dossier que le nombre de barbacanes dont est doté ce mur, leur profondeur et leur positionnement, ne seraient pas adaptés à la hauteur de l'ouvrage et à la poussée des eaux captées par le jardin de loisir ainsi soutenu. Par suite, la commune d'Aulas ne démontre pas que Mme C... aurait commis une faute de nature à l'exonérer de sa responsabilité dans la survenance des désordres causés à son mur de soutènement.

13. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de tirer les conséquences d'un prétendu aveu judiciaire de la commune d'Aulas quant à sa responsabilité, que celle-ci n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement querellé, le tribunal administratif de Nîmes a admis son entière et exclusive responsabilité dans la survenance des dommages causés à la propriété de Mme C....

Sur l'indemnisation des préjudices subis :

En ce qui concerne les préjudices matériels :

14. Lorsqu'un dommage causé à un immeuble engage la responsabilité d'une collectivité publique, le propriétaire peut prétendre à une indemnité couvrant, d'une part, les troubles qu'il a pu subir, du fait notamment de pertes de loyers, jusqu'à la date à laquelle, la cause des dommages ayant pris fin et leur étendue étant connue, il a été en mesure d'y remédier et, d'autre part, une indemnité correspondant au coût des travaux de réfection. Ce coût doit être évalué à cette date, sans pouvoir excéder la valeur vénale, à la même date, de l'immeuble exempt des dommages imputables à la collectivité.

15. En premier lieu, le coût de la reconstruction du mur de soutènement, suivant la solution technique, non contestée, consistant en la réalisation d'un mur poids de type Aigremont, a été chiffré par l'expert à la somme de 273 702 euros, toutes taxes comprises. Le coût de la reconstruction du garage, sur un emplacement différent de sa localisation d'origine, pas davantage contesté par la commune, a été quant à lui évalué à 18 963,38 euros. Il n'est pas allégué que ces sommes correspondent à d'autres travaux que ceux qui sont strictement nécessaires, ni que les procédés envisagés pour la remise en état ne sont pas les moins onéreux possibles. Compte tenu de l'usage que Mme C... fait de son bien, l'amélioration de l'état de ce mur ancien et de son garage ne justifie pas un abattement de vétusté, ainsi que l'ont estimé les premiers juges au point 13 de leur jugement, et contrairement à ce que demande la commune d'Aulas pour prétendre que la somme allouée par le tribunal en réparation des préjudices subis par Mme C... serait disproportionnée. Si, pour affirmer que ces sommes seraient supérieures à la valeur vénale de la propriété de Mme C..., la commune se limite à se prévaloir des déclarations que l'intéressée aurait tenues au cours de l'audience devant le tribunal, selon lesquelles sa propriété ne vaudrait pas plus de 250 000 euros, celles-ci ne sont corroborées par aucune pièce du dossier. La seule circonstance, à la supposer établie, que le garage en cause aurait été édifié sans autorisation, qui ne fait pas obstacle par elle-même à sa reconstruction en vertu d'une autorisation d'urbanisme dûment obtenue, n'est pas de nature à démontrer que le coût de la reconstruction tel qu'évalué par l'expert, et la somme allouée à ce titre par les premiers juges à Mme C..., seraient disproportionnés, ou supérieurs à la valeur vénale de l'ouvrage.

16. En deuxième lieu, bien que dans sa demande d'indemnisation préalable,

Mme C... n'ait pas sollicité la réparation du préjudice lié à la perte de loyers, elle était recevable à la demander devant le tribunal, dès lors que ce chef de préjudice se rapporte au même fait générateur que celui invoqué dans sa demande, et correspondant à l'insuffisance des ouvrages communaux de collecte et d'évacuation des eaux pluviales. Ainsi et alors que par son jugement avant dire droit du 21 décembre 2018, devenu définitif, le tribunal administratif de Nîmes a expressément écarté la fin de non-recevoir opposée par la commune d'Aulas à la demande de Mme C..., et tirée de ce qu'elle n'avait pas lié le contentieux en ce qui concerne le préjudice lié à la perte de loyers, la commune n'est, en tout état de cause, pas fondée à opposer l'irrecevabilité de ces prétentions. En prétendant, en outre, que les éléments apportés par

Mme C... pour obtenir la réparation de ce chef de préjudice ne sont pas " très convaincants ", et que les conditions de départ de ses locataires ne sont pas précisées, ni le lien de causalité démontré, la commune, qui ne discute pas de la sorte le point 14 du jugement querellé, n'assortit pas cette branche de son moyen des précisions suffisantes pour en apprécier la pertinence.

17. En dernier lieu, dans la mesure où la commune d'Aulas réclame le rejet des prétentions de Mme C... relatives aux frais d'huissier qu'elle a engagés et qui ont été indemnisés par le jugement attaqué, en se fondant sur la part de responsabilité de cette dernière dans la survenance de ses dommages, et où le présent arrêt confirme sa responsabilité entière et exclusive, ses conclusions présentées à ce titre ne peuvent qu'être rejetées.

En ce qui concerne les préjudices personnels :

18. La simple allégation de la commune d'Aulas selon laquelle les premiers juges ont indemnisé le préjudice moral de Mme C..., sans que celle-ci n'apporte d'élément permettant de le retenir, alors que le tribunal a réparé seulement les troubles dans les conditions d'existence qu'elle a subis du fait des dommages causés à sa propriété, ne peut suffire à critiquer efficacement l'indemnisation par le tribunal de ce chef de préjudice.

19. Il résulte de tout ce qui précède que la commune d'Aulas n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement querellé, le tribunal administratif de Nîmes l'a condamnée à verser à Mme C... la somme de 306 799,99 euros, assortie des intérêts à compter du

4 novembre 2016.

Sur l'appel en garantie formé par le département du Gard :

20. Le présent arrêt ne prononçant aucune condamnation à l'encontre du département du Gard, les conclusions de ce dernier tendant à être garanti par la commune d'Aulas de toute condamnation éventuelle ne peuvent qu'être rejetées.

Sur les frais et honoraires d'expertise :

21. Les frais de l'expertise ordonnée par le jugement avant dire droit du

21 décembre 2018, taxés et liquidés à la somme de 5 149,16 euros TTC par ordonnance du

4 juin 2019, sont laissés à la charge définitive de la commune d'Aulas, ainsi que l'a considéré à bon droit le tribunal au point 20 non contesté de son jugement.

Sur les frais liés au litige :

22. Si Mme C... sollicite, par la voie de l'appel incident, la réformation du jugement attaqué, en ce qu'il a limité à 1 500 euros la somme mise à la charge de la commune d'Aulas au titre de l'article L 761-1 du code de justice administrative, elle n'assortit pas ses prétentions de moyens propres. Ses conclusions incidentes doivent donc être rejetées.

23. Il y a lieu, en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, de mettre à la charge de la commune d'Aulas, partie perdante dans cette instance, la somme de

2 000 euros au titre des frais exposés par Mme C... et non compris dans les dépens. Les conclusions présentées sur le même fondement par la commune doivent en revanche être rejetées. Il doit en aller de même de celles présentées au même titre par le département du Gard.

DECIDE :

Article 1er : La requête de la commune d'Aulas est rejetée.

Article 2 : La commune d'Aulas versera à Mme C... la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le surplus des conclusions de Mme C... et les conclusions du département du Gard sont rejetés.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la commune d'Aulas, au département du Gard et à Mme E... B... épouse C....

Copie en sera adressée à l'expert, M. D....

Délibéré après l'audience du 10 mai 2022, où siégeaient :

- M. Badie, président,

- M. Revert, président assesseur,

- M. Ury, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 24 mai 2022.

N° 19MA049632


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 19MA04963
Date de la décision : 24/05/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

67-03-03 Travaux publics. - Différentes catégories de dommages. - Dommages causés par l'existence ou le fonctionnement d'ouvrages publics.


Composition du Tribunal
Président : M. BADIE
Rapporteur ?: M. Michaël REVERT
Rapporteur public ?: M. ANGENIOL
Avocat(s) : SCP JOEL DOMBRE

Origine de la décision
Date de l'import : 07/06/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2022-05-24;19ma04963 ?
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