Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Marseille d'annuler l'arrêté du 13 décembre 2019 par lequel le préfet des Bouches-du-Rhône a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays de destination.
Par un jugement n° 2004893 du 14 août 2020, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Marseille a rejeté cette demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 5 février 2021, Mme B..., représentée par Me Harutyunyan, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Marseille du 14 août 2020 ;
2°) d'annuler l'arrêté du préfet des Bouches-du-Rhône du 13 décembre 2019 ;
3°) d'enjoindre au préfet des Bouches-du-Rhône de lui délivrer un titre de séjour, sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat au bénéfice de Me Harutyunyan la somme de 1 500 euros sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle soutient que :
- le refus de séjour a été pris en méconnaissance du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- en lui refusant la délivrance d'une carte de séjour temporaire et en l'obligeant à quitter le territoire français, le préfet a méconnu le 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- les décisions portant refus de séjour et obligation de quitter le territoire français sont entachées d'une erreur manifeste d'appréciation de sa situation personnelle ;
- les décisions portant refus de séjour et obligation de quitter le territoire français ont été prises en méconnaissance de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- la décision de refus de séjour est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation au regard de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
La requête a été communiquée au préfet des Bouches-du-Rhône qui n'a pas produit de mémoire.
Mme B... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 11 décembre 2020.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme C...,
- et les observations de Me Harutyunyan, représentant Mme B....
Considérant ce qui suit :
1. Par un arrêté du 13 décembre 2019, le préfet des Bouches-du-Rhône a refusé à Mme B..., ressortissante arménienne née en 1985, la délivrance d'une carte de séjour temporaire, a obligé l'intéressée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination. Mme B... relève appel du jugement du 14 août 2020 par lequel le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur le bien-fondé du jugement :
En ce qui concerne le refus de séjour :
2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, alors en vigueur : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : / (...) 11° A l'étranger résidant habituellement en France, si son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié. La condition prévue à l'article L. 313-2 n'est pas exigée. La décision de délivrer la carte de séjour est prise par l'autorité administrative après avis d'un collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (...) ".
3. Il ressort des pièces du dossier que Mme B..., qui est atteinte de la maladie de Hodgkin, a bénéficié d'un traitement en Arménie puis en France après son entrée sur le territoire, le 26 novembre 2017. Pour refuser la délivrance d'un titre de séjour à l'intéressée, le préfet des Bouches-du-Rhône s'est notamment fondé sur un avis du collège des médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) émis le 28 août 2019, qui indique que son état de santé nécessite une prise en charge médicale, dont le défaut peut entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité, mais qu'eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont elle est originaire, elle peut y bénéficier effectivement d'un traitement approprié. Les documents produits par Mme B..., relatifs notamment au traitement et au suivi dont elle a bénéficié, et dont il ressort d'ailleurs qu'elle était en rémission complète en septembre 2019, qui ne permettent pas d'établir qu'elle ne pourrait faire l'objet d'un traitement et d'un suivi approprié en Arménie, ne sont pas de nature à infirmer l'avis du collège des médecins de l'OFII. Par suite, en refusant de délivrer à Mme B... un titre de séjour en qualité d'étranger malade, le préfet n'a pas méconnu les dispositions précitées du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
4. En deuxième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ". Aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, alors en vigueur : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : / (...) 7° A l'étranger ne vivant pas en état de polygamie, qui n'entre pas dans les catégories précédentes ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, dont les liens personnels et familiaux en France, appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'intéressé, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec la famille restée dans le pays d'origine, sont tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, sans que la condition prévue à l'article L. 313 2 soit exigée (...) ".
5. Mme B... soutient qu'elle vit en France depuis le mois de novembre 2017, qu'elle a été rejointe en juillet 2019 par son époux, également de nationalité arménienne, qui a présenté une demande d'asile, que leurs deux enfants, nés en 2005 et 2007, sont scolarisés, et qu'elle justifie d'une insertion socio-professionnelle. Il ressort cependant des pièces du dossier que Mme B..., entrée en France seulement deux ans avant la date de la décision attaquée, n'a occupé un emploi en France qu'à compter du mois de novembre 2019. Par ailleurs, il résulte du point 10 du présent arrêt que l'obligation de quitter le territoire est, en ce qui la concerne, eu égard à la situation de son époux, censurée. Eu égard à l'ensemble de ces éléments, et compte tenu de la durée et des conditions de séjour en France de Mme B..., le préfet des Bouches-du-Rhône n'a pas porté au droit de l'intéressée au respect de sa vie privée et familiale en France une atteinte disproportionnée aux buts poursuivis par la décision attaquée. Il n'a donc méconnu ni les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ni les dispositions du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Pour les mêmes motifs, doit être écarté le moyen tiré de ce que le préfet aurait entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation quant à l'appréciation de ses conséquences sur la situation personnelle de la requérante.
6. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, alors en vigueur : " La carte de séjour temporaire mentionnée à l'article L. 313-11 (...) peut être délivrée, sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, à l'étranger ne vivant pas en état de polygamie dont l'admission au séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard des motifs exceptionnels qu'il fait valoir, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 313-2 (...) ".
7. Les conditions du séjour en France de l'appelante, telles qu'analysées aux points 3 et 5, ne font pas apparaître de circonstance exceptionnelle ou de motif humanitaire justifiant l'admission exceptionnelle au séjour de Mme B... au sens des dispositions de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Il suit de là que le préfet des Bouches-du-Rhône, en prenant la décision contestée, n'a pas entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation au regard de ces dispositions.
8. En quatrième lieu, aux termes du paragraphe 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant susvisée : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ".
9. Il résulte du point 10 du présent arrêt que l'obligation de quitter le territoire français de Mme B... est illégale, et censurée. Dans ces conditions, l'intérêt supérieur des enfants de l'intéressée tel qu'il résulte des stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant n'est pas méconnu.
En ce qui concerne l'obligation de quitter le territoire français et la décision fixant le pays de destination :
10. Il ressort des pièces du dossier qu'à la date de l'arrêté en litige, l'époux de Mme B..., entré en France en juillet 2019, résidait régulièrement sur le territoire national en qualité de demandeur d'asile. Ainsi, dans les circonstances particulières de l'espèce, la décision obligeant Mme B... à quitter le territoire français est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation de sa situation.
11. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens, que Mme B... est seulement fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Marseille a rejeté les conclusions de sa demande tendant à l'annulation de la décision portant obligation de quitter le territoire français ainsi que, par voie de conséquence, de la décision fixant le pays à destination duquel elle doit être éloignée, laquelle est privée de base légale. Il y a lieu, dès lors, de réformer ce jugement dans cette mesure.
Sur les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte :
12. Aux termes de l'article L. 614-16 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Si la décision portant obligation de quitter le territoire français est annulée, (...) l'étranger est muni d'une autorisation provisoire de séjour jusqu'à ce que l'autorité administrative ait à nouveau statué sur son cas ". Il y a lieu d'enjoindre au préfet des Bouches-du-Rhône de délivrer à Mme B... une autorisation provisoire de séjour et de procéder à un nouvel examen de sa situation dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt. Il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais liés au litige :
13. Mme B... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Son avocat peut, par suite, se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me Harutyunyan, avocat de Mme B..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Harutyunyan de la somme de 1 000 euros.
D É C I D E :
Article 1er : L'arrêté du préfet des Bouches-du-Rhône du 13 décembre 2019 est annulé en tant qu'il oblige Mme B... à quitter le territoire français et fixe le pays de destination.
Article 2 : Le jugement du magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Marseille n° 2004893 du 14 août 2020 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 3 : Il est enjoint au préfet des Bouches-du-Rhône de réexaminer la situation de Mme B... dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt et de lui délivrer dans cette attente une autorisation provisoire de séjour.
Article 4 : L'Etat versera à Me Harutyunyan une somme de 1 000 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve qu'elle renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête de Mme B... est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... B..., à Me Harutyunyan et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet des Bouches-du-Rhône et au procureur de la République près le tribunal judiciaire de Marseille.
Délibéré après l'audience du 14 avril 2022, où siégeaient :
- Mme Paix, présidente,
- Mme Bernabeu, présidente assesseure,
- Mme Mastrantuono, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 5 mai 2022.
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N° 21MA00499
nc