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26/04/2022 | FRANCE | N°20MA01099

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 4ème chambre, 26 avril 2022, 20MA01099


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La SARL Carrosserie des Marines a demandé au tribunal administratif de Bastia de condamner la collectivité de Corse, venant aux droits du département de la Corse-du-Sud, à lui verser une somme de 55 000 euros, avec intérêts de droits, en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis à la suite de l'effondrement du mur de soutènement du bâtiment qu'elle exploite.

Par un jugement n° 1800314 du 30 décembre 2019, le tribunal administratif de Bastia a condamné la collectivité de Corse à ver

ser la somme de 10 000 euros à la SARL Carrosserie des Marines, assortie des intérêt...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La SARL Carrosserie des Marines a demandé au tribunal administratif de Bastia de condamner la collectivité de Corse, venant aux droits du département de la Corse-du-Sud, à lui verser une somme de 55 000 euros, avec intérêts de droits, en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis à la suite de l'effondrement du mur de soutènement du bâtiment qu'elle exploite.

Par un jugement n° 1800314 du 30 décembre 2019, le tribunal administratif de Bastia a condamné la collectivité de Corse à verser la somme de 10 000 euros à la SARL Carrosserie des Marines, assortie des intérêts de retard à compter du 20 novembre 2017, ainsi que 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, et a rejeté le surplus des conclusions des parties.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 4 mars 2020 et le 30 avril 2021, la SARL Carrosserie des Marines, représentée par Me Savelli, demande à la Cour :

1°) de réformer ce jugement du 30 décembre 2019 en tant qu'il n'a pas condamné la collectivité de Corse à lui verser la somme totale de 53 826 euros en réparation de ses préjudices ;

2°) de condamner la collectivité de Corse à lui payer la somme totale de 53 826 euros ;

3°) de mettre à la charge de la collectivité de Corse la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ainsi que les dépens de l'instance.

Elle soutient que :

- l'effondrement du mur de soutènement bordant l'angle arrière gauche du bâtiment qu'elle loue est dû à la mise en place d'une buse d'évacuation sans déflecteurs anti-ravinement, ce qui a entraîné une érosion de la base du mur et du talus en pied de mur ; la collectivité de Corse, propriétaire de l'ouvrage public, est responsable des dommages liés au déséquilibre de l'horizontalité de la dalle du hangar, qui a causé l'impossibilité d'utiliser la cabine de peinture ; elle est fondée à demander en réparation de ses préjudices, la somme de 43 826 euros en sus de la somme de 10 000 euros déjà allouée par les premiers juges.

Par un mémoire en défense, enregistré le 6 avril 2021, la collectivité de Corse, représentée par Me Meridjen, conclut, par la voie de l'appel incident, à l'annulation du jugement du tribunal administratif de Bastia du 30 décembre 2019 en ce qu'il a condamné la collectivité à indemniser la SARL Carrosserie des Marines, et, en tout état de cause, au rejet de la requête d'appel et à ce qu'il soit mis à la charge de la SARL une somme de 1 500 euros de frais d'instance.

La collectivité soutient que :

- elle n'est pas responsable du sinistre subi, dès lors que la chute du mur est due au mauvais entretien du ruisseau, dont la responsabilité ne lui incombe pas, en vertu des articles

L. 215-2 et L. 214-14 du code de l'environnement, qu'aucun défaut d'entretien de la buse ne peut lui être imputé et qu'il n'est pas établi que le bâtiment objet du sinistre ait été bâti dans les règles de l'art ;

- la société ne justifie pas de son préjudice.

Une ordonnance du 4 mai 2021 a clos l'instruction au 28 mai 2021 à 12 heures.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Ury,

- et les conclusions de M. Angéniol, rapporteur public,

Considérant ce qui suit :

1. La SARL Carrosserie des Marines a pris à bail commercial, le 30 octobre 1997, un bâtiment à usage de hangar situé A..., à Ajaccio. Des intempéries survenues en septembre 2014 ont provoqué l'effondrement du mur de soutènement bordant l'angle arrière du terrain d'assiette de ce bâtiment. La SARL Carrosserie des Marines a demandé au tribunal administratif de Bastia de condamner la collectivité de Corse, venant aux droits du département de la Corse-du-Sud, à lui verser la somme de 55 000 euros en réparation des préjudices liés au dysfonctionnement de la cabine de peinture dont l'étanchéité n'était plus assurée en raison de la déclivité de la dalle du hangar, suite au sinistre. La SARL Carrosserie des Marines relève appel du jugement du 30 décembre 2019 du tribunal administratif de Bastia en tant qu'il n'a pas fait intégralement droit à sa demande de condamnation de la collectivité de Corse à lui verser la somme totale de 53 826 euros en réparation de ses préjudices. Par la voie de l'appel incident, la collectivité de Corse conclut à l'annulation de ce jugement en tant qu'il l'a condamnée à verser à la SARL La Carrosserie des Marines la somme de 10 000 euros à la SARL Carrosserie des Marines, assortie des intérêts de retard à compter du 20 novembre 2017.

Sur l'appel incident :

2. Le maître de l'ouvrage est responsable, même en l'absence de faute, des dommages que les ouvrages publics dont il a la garde peuvent causer aux tiers tant en raison de leur existence que de leur fonctionnement. Il ne peut dégager sa responsabilité que s'il établit que ces dommages résultent de la faute de la victime ou d'un cas de force majeure. Ces tiers ne sont pas tenus de démontrer le caractère grave et spécial du préjudice qu'ils subissent lorsque le dommage n'est pas inhérent à l'existence même de l'ouvrage public ou à son fonctionnement et présente, par suite, un caractère accidentel.

3. En premier lieu, il est constant que, à la suite de fortes précipitations en novembre 2014, le mur de soutènement situé sur la façade nord du hangar utilisé par la société requérante comme atelier de carrosserie s'est effondré, ce qui a déstabilisé le talus en amont, entraînant un déséquilibre des fondations du bâtiment et modifiant ainsi l'horizontalité de la dalle du hangar. Il résulte de l'instruction, et notamment des énonciations claires du rapport rendu le 12 mars 2017 par l'expert désigné le 20 janvier 2015 par le juge des référés du tribunal de grande instance d'Ajaccio, qu'a été constaté un dégarnissage sous la base du mur qui se situe à fleur du lit du ruisseau qui le borde, et dont l'eau s'écoule en amont d'une buse en béton de quatre mètres de diamètre, qui passe sous la route nationale. L'expert relève en outre dans son rapport que suite aux fortes intempéries, le mur qui avait été sapé précédemment par l'érosion des sorties d'eau de la buse située à son pied, laquelle a été posée après sa construction, s'est brutalement déstabilisé de sa base pour s'effondrer. Cet expert ajoute que le positionnement de la buse près du mur de soutènement, laquelle n'a pas été assortie de déflecteurs anti-ravinement afin de protéger la base du mur, et le talus en pied de mur, a contribué de façon majeure à la chute du mur. Ce défaut déterminant de la buse en béton, qui constitue un ouvrage public compte tenu de son usage et qui a causé les désordres constatés, engage donc la responsabilité du maître de cet ouvrage, même sans faute, à l'égard des tiers à celui-ci.

4. En deuxième lieu, le maître de l'ouvrage public à l'origine des dommages ne peut dégager sa responsabilité que s'il établit que ces dommages résultent d'une faute de la victime ou d'un cas de force majeure. Or, d'une part, il résulte de l'instruction que la SARL Carrosserie des Marines a la qualité de tiers à l'égard de l'ouvrage public que constitue la buse, et non celle d'usager de cet ouvrage. Dès lors, la collectivité de Corse ne peut utilement prétendre pouvoir s'exonérer de sa responsabilité en invoquant l'absence de défaut d'entretien normal de l'ouvrage. D'autre part, la circonstance que, selon le rapport d'expertise judiciaire du 12 mars 2017, l'absence d'entretien des berges du ruisseau a pu constituer une cause d'aggravation de l'affaiblissement de la base du mur de soutènement n'est pas de nature à atténuer la responsabilité encourue par la collectivité de Corse, alors au surplus que, ainsi qu'il a été dit au point précédent, l'effondrement du mur est dû de manière décisive à la mauvaise conception de la buse. Enfin, en se bornant à affirmer qu'aucune étude des avoisinants n'a été réalisée avant l'édification du hangar loué par la SARL et que ce bâtiment aurait été édifié postérieurement au mur de soutènement et à la pose de la buse, la collectivité de Corse, qui n'asseoit ses allégations sur aucune pièce du dossier, n'établit pas que cette société, qui n'est pas la propriétaire du mur de soutènement, ni du hangar, dont la réalisation en dehors des règles de l'art, notamment au regard dudit mur, n'est du reste ni justifiée ni même alléguée, aurait commis une faute de nature à l'exonérer même partiellement de sa responsabilité.

5. Il résulte de tout ce qui vient d'être dit que la collectivité de Corse n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Bastia a reconnu sa responsabilité sans faute à l'égard de la SARL Carrosserie des Marines.

Sur l'appel principal :

6. Il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise précité, que suite à l'écroulement du mur, en raison du déséquilibre de l'horizontalité de la dalle du hangar, la cabine de peinture a présenté une perte d'étanchéité sur son angle sud, induisant un défaut de pressurisation qui empêche une répartition homogène des peintures, et qui a entraîné l'impossibilité d'utiliser la cabine de peinture, et par suite, une activité ralentie et une perte de clientèle. L'expert a chiffré la perte de chiffre d'affaires sur la période de novembre 2013 à

juin 2016 à 75 000 euros, et la perte de bénéfices sur la période considérée de 25 mois à

10 000 euros, somme qui a été accordée par les premiers juges, alors que la société requérante avait demandé la somme de 55 000 euros.

7. En cause d'appel, la SARL Carrosserie des Marines retient une perte de chiffre d'affaires sur la période en cause de 72 202 euros, et demande également l'allocation d'une somme de 21 450 euros correspondant aux frais de remise en état de la cabine de peinture. Elle demande que la collectivité de Corse soit condamnée à lui verser une somme globale de

43 826 euros en sus des 10 000 euros accordés en première instance. Cependant, d'une part, dès lors qu'elle ne présente qu'un devis pour justifier de l'engagement de la somme de 21 450 euros, sans présenter de facture correspondant à la dépense effectuée pour réparer la cabine de peinture, elle n'établit pas avoir effectivement engagé cette somme. D'autre part, la société requérante qui se borne à faire valoir une perte de chiffre d'affaires de 72 202 euros, très proche de celle retenue par l'expert à 75 000 euros et à affirmer que pour rendre son rapport, celui-ci n'aurait pas tenu compte de l'un de ses dires, n'apporte aucun élément de nature à contredire la pertinence du calcul de son bénéfice, seul poste indemnisable, tel que fixé par l'expert à 12% du chiffre d'affaires, soit 10 000 euros. Par suite, elle n'établit pas avoir subi, outre le préjudice évalué à la somme de 10 000 euros, le préjudice invoqué et calculé par elle à 43 826 euros.

8. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de statuer sur la recevabilité de sa requête d'appel, que la SARL Carrosserie des Marines n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bastia a fixé à 10 000 euros la somme allouée en réparation de ses préjudices.

Sur les dépens :

9. En l'absence de dépens dans la présente instance, les conclusions de la SARL Carrosserie des Marines tendant à ce qu'ils soient mis à la charge de la Collectivité de Corse, ne peuvent qu'être rejetées.

Sur les frais liés à l'instance :

10. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de laisser à chacune des parties la charge des frais qu'elles ont exposés pour la présente instance.

D É C I D E :

Article 1er : La requête de la SARL Carrosserie des Marines est rejetée.

Article 2 : Les conclusions de la collectivité de Corse sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la SARL Carrosserie des Marines et à la collectivité de Corse.

Délibéré après l'audience du 5 avril 2022, où siégeaient :

- M. Revert, président,

- M. Ury, premier conseiller,

- Mme Renault, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 26 avril 2022.

Le rapporteur,

D. URYLe président,

M. REVERTLa greffière,

C. LAUDIGEOIS

La République mande et ordonne préfet de la Corse-du-Sud en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme

La greffière,

N° 20MA010992


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 20MA01099
Date de la décision : 26/04/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

67-02-02-03 Travaux publics. - Règles communes à l'ensemble des dommages de travaux publics. - Régime de la responsabilité. - Qualité de tiers.


Composition du Tribunal
Président : M. REVERT
Rapporteur ?: M. Didier URY
Rapporteur public ?: M. ANGENIOL
Avocat(s) : MERIDJEN

Origine de la décision
Date de l'import : 10/05/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2022-04-26;20ma01099 ?
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