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25/04/2022 | FRANCE | N°20MA04589

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 7ème chambre, 25 avril 2022, 20MA04589


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Toulon d'annuler la décision du 24 juin 2019 par laquelle la ministre des armées a rejeté son recours administratif préalable obligatoire formé devant la commission des recours des militaires à l'encontre de la décision du 21 janvier 2019 portant débarquement du bâtiment de commandement et de ravitaillement " Marne ", d'enjoindre à la ministre des armées de la rétablir, rétroactivement si nécessaire, dans l'ensemble de ses fonctions, droits, préro

gatives et autres intérêts dont elle a été privée par les effets des décisions...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Toulon d'annuler la décision du 24 juin 2019 par laquelle la ministre des armées a rejeté son recours administratif préalable obligatoire formé devant la commission des recours des militaires à l'encontre de la décision du 21 janvier 2019 portant débarquement du bâtiment de commandement et de ravitaillement " Marne ", d'enjoindre à la ministre des armées de la rétablir, rétroactivement si nécessaire, dans l'ensemble de ses fonctions, droits, prérogatives et autres intérêts dont elle a été privée par les effets des décisions en cause, sans délai et, enfin, de condamner l'Etat à lui verser la somme de 6 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1903023 du 13 octobre 2020, le tribunal administratif de Toulon a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 10 décembre 2020, Mme B..., représentée par Me Maumont, demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du 13 octobre 2020 du tribunal administratif de Toulon ;

2°) d'annuler la décision du 24 juin 2019 ;

3°) d'enjoindre à la ministre des armées de la rétablir, rétroactivement si nécessaire, dans l'ensemble de ses fonctions, droits, prérogatives et autres intérêts dont elle a été privée par les effets des décisions en cause, sans délai ;

4°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 6 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la décision contestée est insuffisamment motivée ;

- elle n'a pas reçu communication de l'intégralité des éléments en relation avec l'affaire ;

- la matérialité des faits ayant justifié son débarquement n'est pas établie ;

- la décision attaquée a le caractère d'une sanction disciplinaire déguisée et non d'une mesure prise dans l'intérêt du service ;

- elle est entachée d'un détournement de pouvoir et de procédure ;

- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.

Par un mémoire en défense, enregistré le 8 février 2022, la ministre des armées, conclut au rejet de la requête de Mme B....

Elle fait valoir que les moyens soulevés par Mme B... ne sont pas fondés.

Le mémoire présenté pour Mme B..., enregistré le 4 mars 2022, n'a pas été communiqué.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la défense ;

- l'arrêté du 20 juillet 2009 relatif à la politique d'emploi du personnel militaire de la marine relevant de la direction du personnel militaire de la marine ;

- l'instruction du 24 juillet 2018 relative à l'emploi et à la gestion des marins des équipages de la flotte et des marins des ports ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Marchessaux,

- les conclusions de M. Chanon, rapporteur public,

- et les observations de Me Mougin, substituant Me Maumont, représentant Mme B..., et de Mme B....

Considérant ce qui suit :

1. Mme A... B... née le 2 novembre 1988 s'est engagée le 2 novembre 2011 dans la marine nationale par la voie d'un contrat d'une durée de quatre ans, renouvelé à plusieurs reprises et venant à échéance le 1er novembre 2022. Le 1er août 2015, elle a été promue quartier-maître de première classe. Le 7 novembre 2016, elle a été affectée sur le bâtiment de commandement et de ravitaillement (BCR) " Marne " en tant qu'opérateur en gestion du personnel et a occupé les fonctions d'adjointe au responsable du bureau d'administration des ressources humaines. Le 9 janvier 2019, le commandant C... " a rédigé un rapport circonstancié sur la manière de servir de ce marin et a demandé son débarquement à la direction du personnel militaire de la marine pour " manière de servir insuffisante ". La requérante a été informée de cette demande. Par une décision du 21 janvier 2019, la direction du personnel militaire de la marine a fait droit à cette demande de débarquement et a affecté Mme B... à l'état-major du commandement de l'arrondissement Méditerranée, à compter du même jour. Le 28 janvier 2019, elle a sollicité un réexamen de sa situation auprès du l'inspecteur général des armées-marine, lequel a rejeté sa demande le 5 février 2019. Le 26 février 2019, Mme B... a formé un recours administratif préalable obligatoire auprès de la commission des recours des militaires, lequel a été rejeté par la ministre des armées par une décision du 24 juin 2019, notifiée à la requérante le 27 juin 2019. Elle relève appel du jugement du 13 octobre 2020 par lequel le tribunal administratif de Toulon a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision du 24 juin 2019.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

2. Aux termes de l'article R. 4125-10 du code de la défense, dans sa version alors applicable à la date de la décision contestée : " Dans un délai de quatre mois à compter de sa saisine, la commission notifie à l'intéressé la décision du ministre compétent, ou le cas échéant, des ministres conjointement compétents. La décision prise sur son recours, qui est motivée en cas de rejet, se substitue à la décision initiale. Cette notification, effectuée par lettre recommandée avec avis de réception, fait mention de la faculté d'exercer, dans le délai de recours contentieux, un recours contre cette décision devant la juridiction compétente à l'égard de l'acte initialement contesté devant la commission (...) ".

3. La décision en litige énonce les considérations de droit et de fait qui la fondent et est ainsi suffisamment motivée.

4. Aux termes de l'article L. 4121-5 du code de la défense : " Les militaires peuvent être appelés à servir en tout temps et en tout lieu (...) ". Aux termes de l'article 6 de l'arrêté du 20 juillet 2009 : " (...) La durée d'affectation en métropole du personnel non officier est normalement fixée à trois ans (...) ". L'article 7 de cet arrêté dispose que : " Les durées des affectations peuvent être prolongées ou réduites : - par la DPMM (direction du personnel militaire de la marine), pour les besoins du service (...). Les modalités d'application de cet article font l'objet d'une instruction, qui précise également la durée maximale de prolongation ou de réduction d'affectation ". Selon le point 2 de l'annexe II de l'instruction du 24 juillet 2018 : " La durée d'affectation peut être écourtée : (...) - sur demande du commandant de formation, via l'AGE, après agrément par la DPMM en cas de demande conformément au point 15 de l'annexe III (incapacité ou empêchement à tenir un emploi ou pour manière générale de servir insuffisante). Selon les faits et éléments rapportés, la DPMM se réserve le droit de requalifier l'objet de la décision de débarquement (...) ". Le point 15 de l'annexe III de cette même instruction prévoit que : " (...) 15.2. Débarquement de personnel au port base. / Le dossier de demande de débarquement pour incapacité ou empêchement à tenir un emploi ou pour manière générale de servir insuffisante (en termes de compétences et de comportement) doit impérativement comporter :/ un rapport détaillé sur la manière générale de servir de l'intéressé, justifiant la demande de débarquement ; / une copie de la notification à l'intéressé, de la demande de débarquement dont il fait l'objet, conformément aux dispositions de la circulaire n° 233/DEF/DPMM/JUR du 27 septembre 2006 modifiée, relative aux recours administratifs dans le domaine de l'administration des militaires de la marine nationale à l'exclusion des recours de nature financière, mentionnant notamment le droit de l'intéressé à la communication de l'ensemble des documents composant son dossier en relation avec les faits qui lui sont reprochés. La demande de débarquement ne constituant pas une décision administrative, la notification ne doit pas indiquer de voies ou délais de recours ; / toutes pièces jugées utiles (relevé de sanctions, annulation de volontariat, avis du service local de psychologie appliquée (SLPA), retrait de qualifications opérationnelles, etc.) ".

5. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier qu'au cours de l'affectation de Mme B... sur le BCR " Marne ", deux commandants successifs de ce bâtiment ont demandé au service local de psychologie appliquée (SLPA) de Toulon de la recevoir en consultation psychologique. Si le premier avis du SLPA du 4 avril 2018 ne fait état que d'une dégradation de ses relations avec un officier-marinier supérieur et de ce qu'elle a déposé une main courante à l'encontre de celui-ci en raison du harcèlement moral dont elle s'estimait victime, il conclut que " dans l'immédiat il n'y a pas d'élément clinique patent pouvant justifier son éviction du bord ". En revanche, le second avis, du 26 novembre 2018, met en évidence des difficultés comportementales et relationnelles rencontrées par la requérante avec ses supérieurs et avec les membres de l'équipage C... " au cours de l'année 2018. Ce dernier avis fait notamment apparaître qu'elle " ne semble pas percevoir l'ensemble des interrogations qu'elle suscite " et " minimise son implication dans ces tensions ", que " si les difficultés évoquées ne peuvent (lui) être unilatéralement imputées, la répétition des difficultés relationnelles rencontrées interroge ", que " son tempérament affirmé, procédurier, son manque de pondération et de retenue dans ses jugements l'amènent à se positionner d'une manière maladroite et parfois inadaptée ", que " désireuse d'être reconnue dans son travail, elle ne perçoit pas toujours que la forme de ses réponses indispose son entourage professionnel " et qu'" elle dit souhaiter se remettre en question mais démontre une faible tolérance à la critique ". Cet avis relève également que cette situation engendre un sentiment d'anxiété dans son entourage professionnel et une mise en danger de la chaîne hiérarchique qui n'a plus la confiance de l'intéressée pouvant entraîner à court terme une réaction disproportionnée ou inappropriée. Ainsi, l'avis préconise le débarquement de Mme B..., dans son intérêt et celui de l'unité. La requérante ne conteste pas sérieusement ces éléments, en produisant devant la Cour des photographies éparses la montrant en compagnie d'autres militaires, un certificat du 30 novembre 2020 établi par un médecin généraliste selon lequel elle serait " apte à la vie en communauté " et différents témoignages de soutien qui ne se prononcent pas sur les faits en litige. Les circonstances que Mme B... a été déclarée, le 26 mars 2018, médicalement apte au service et qu'un avis favorable lui a été donné, le 12 novembre 2018, par le service local de psychologie appliqué de la marine à sa candidature au brevet d'aptitude technique, ne sont pas de nature à remettre en cause l'appréciation portée par l'autorité militaire sur le comportement de l'intéressée en milieu embarqué. En faisant état des importantes difficultés relationnelles de Mme B... avec sa hiérarchie et les membres de l'équipage, telles qu'elles sont clairement établies par l'avis susmentionné du service local de psychologique appliquée de Toulon du 26 novembre 2018, la ministre des armées, qui au demeurant ne remet aucunement en cause les qualités professionnelles de l'intéressée et relève par ailleurs que " ses compétences professionnelles et sa disponibilité ont été reconnues au cours de son affectation à bord ", n'a pas entaché sa décision d'une inexactitude matérielle des faits. Ce moyen doit dès lors être écarté.

6. En deuxième lieu, une mesure revêt le caractère d'une sanction disciplinaire déguisée lorsque, tout à la fois, il en résulte une dégradation de la situation professionnelle de l'agent concerné et que la nature des faits qui ont justifié la mesure et l'intention poursuivie par l'administration révèlent une volonté de sanctionner cet agent.

7. En l'espèce, si Mme B... a déposé une main courante à l'encontre d'un officier-marinier supérieur le 29 mars 2018 pour les faits de harcèlement moral dont elle se disait être victime, ayant donné lieu à une enquête administrative de type " A ", il ne ressort pas des pièces du dossier que la décision en litige, intervenue dix mois après ces évènements, soit justifiée par ces circonstances ni qu'elle soit en lien avec les compétences professionnelles de Mme B..., ainsi qu'il a été dit au point 5. La décision querellée est consécutive à une série d'évènements s'étant déroulés au cours de l'année 2018 traduisant les difficultés comportementales de la requérante ainsi que ses relations de travail conflictuelles avec ses supérieurs et ses collègues. Ainsi, la décision de l'autorité militaire était motivée par la résolution des tensions entre Mme B... et le personnel naviguant de nature à porter atteinte au bon fonctionnement du service et poursuivait, pour ces motifs, un but d'intérêt général. Le simple fait que sa candidature à un brevet d'aptitude technique (BAT) a recueilli un avis " très favorable " le 21 avril 2017 puis à nouveau le 17 mai 2018 du commandant C... " ainsi qu'un avis favorable du service local de psychologie appliqué de la marine le 12 novembre 2018 mais n'a reçu qu'un avis " très défavorable " le 21 novembre 2018 par le nouveau commandant C... " ne saurait suffire à faire regarder la décision en litige comme présentant un caractère disciplinaire. Par ailleurs, si la décision contestée a fait perdre à Mme B... les indemnités et majorations destinées à compenser les contraintes de la vie embarquée et les périodes de navigation, ces avantages financiers n'étaient plus justifiés du fait de la modification des conditions et du lieu d'exercice de ses nouvelles fonctions. En outre, en se bornant à soutenir qu'elle est passée d'un niveau adjudant chargé du BARL à opérateur, l'appelante ne démontre pas qu'elle a subi une rétrogradation, alors que la ministre des armées fait valoir que le nouveau poste correspond à son grade, à son échelon et à sa spécialité. Par suite, l'autorité militaire n'ayant pas eu l'intention de sanctionner un comportement fautif de l'intéressée, le moyen tiré de ce que la décision contestée serait en réalité une sanction disciplinaire déguisée doit être écarté comme manquant en fait.

8. Compte tenu des faits décrits ci-dessus aux points 5 et 7, il y a lieu d'écarter les moyens tirés du détournement de pouvoir et de procédure dont serait entachée la décision contestée.

9. En dernier lieu, si la requérante a reçu plusieurs distinctions au cours de sa carrière militaire ainsi qu'une lettre de félicitations de la part de l'ancien commandant C... " en mai 2018 et qu'elle obtenu de bonnes notations pour les années 2017 et 2018, la qualité de ses services rendus ayant été jugée exceptionnelle, il ressort du formulaire d'observations annexé au bulletin de notation de l'année 2018 que le notateur a estimé que sa " capacité de remise en cause ", sa " maîtrise de soi ", étaient perfectibles et que " ses qualités professionnelles remarquables et son potentiel confirmé pour accéder au BAT (...) doivent l'encourager à réfléchir à sa place actuelle dans la hiérarchie, qui semble lui peser. Elle doit également travailler la gestion de ses émotions ". Par suite et au regard des éléments exposés aux points 5 et 7 relatifs au comportement de Mme B..., à ses difficultés rencontrées dans le travail de groupe et in fine, à sa manière de servir qui ne permettait pas son maintien sur son poste embarqué, la ministre des armées a pu, dans l'intérêt du service et sans entacher sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation, prononcer le débarquement de Mme B....

10. Il résulte de tout ce qui précède que Mme B... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulon a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 24 juin 2019.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

11. La présente décision rejetant les conclusions à fin d'annulation de Mme B... et n'appelant, dès lors, aucune mesure d'exécution, ses conclusions à fin d'injonction doivent dès lors être rejetées.

Sur les frais liés au litige :

12. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation. ".

13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme demandée par Mme B... au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.

D É C I D E :

Article 1er : La requête de Mme B... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... B... et à la ministre des armées.

Délibéré après l'audience du 8 avril 2022, à laquelle siégeaient :

- M. Pocheron, président de chambre,

- Mme Ciréfice, présidente assesseure,

- Mme Marchessaux, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 25 avril 2022.

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N° 20MA04589

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Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 7ème chambre
Numéro d'arrêt : 20MA04589
Date de la décision : 25/04/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

08-01-01 Armées et défense. - Personnels militaires et civils de la défense. - Questions communes à l'ensemble des personnels militaires.


Composition du Tribunal
Président : M. POCHERON
Rapporteur ?: Mme Jacqueline MARCHESSAUX
Rapporteur public ?: M. CHANON
Avocat(s) : MDMH - MAUMONT MOUMNI AVOCATS ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 30/04/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2022-04-25;20ma04589 ?
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