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22/03/2022 | FRANCE | N°21MA02210

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 4ème chambre, 22 mars 2022, 21MA02210


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... B... a demandé au tribunal administratif de Bastia de condamner le Comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires (CIVEN) à lui verser la somme de 221 984, 35 euros en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis en raison de son exposition aux essais nucléaires français.

Par un jugement n° 1800381 et n° 1801249 du 8 avril 2021, le tribunal administratif de Bastia a condamné l'Etat à lui verser, à ce titre, la somme de 39 018,35 euros assortis des intérêts au taux lé

gal à compter du 7 juin 2017.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregis...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... B... a demandé au tribunal administratif de Bastia de condamner le Comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires (CIVEN) à lui verser la somme de 221 984, 35 euros en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis en raison de son exposition aux essais nucléaires français.

Par un jugement n° 1800381 et n° 1801249 du 8 avril 2021, le tribunal administratif de Bastia a condamné l'Etat à lui verser, à ce titre, la somme de 39 018,35 euros assortis des intérêts au taux légal à compter du 7 juin 2017.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 8 juin 2021, M. B..., représenté par Me Labrunie, demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de condamner le CIVEN à lui verser la somme de 166 984,35 euros au titre de la réparation intégrale des préjudices subis, assortie des intérêts au taux légal, avec leur capitalisation ;

3°) de majorer le montant de l'indemnisation des préjudices des intérêts de droit à compter du 7 juin 2017 avec capitalisation des intérêts ;

4°) de mettre à la charge du CIVEN la somme de 3 000 euros au titre de l'article

L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- dans son mémoire en défense de première instance, le CIVEN proposait de lui allouer la somme de 45 046 euros, et que partant, en accordant la somme de 39 018,35 euros, le tribunal administratif a statué en deçà des prétentions des parties ;

- ses préjudices patrimoniaux, constitués essentiellement de la nécessité d'obtenir l'assistance d'une tierce personne, doivent être indemnisés à hauteur de la somme de 7 632 euros ;

- son déficit fonctionnel temporaire doit être indemnisé à hauteur de la somme de

11 784 euros ;

- les souffrances qu'il a endurées, évaluées par un médecin expert à 4 sur une échelle

de 7, doivent être indemnisées à hauteur de la somme de 30 000 euros ;

- son préjudice esthétique temporaire, fixé, par un médecin expert, à 1.5 sur une échelle de 7, doit être indemnisé à hauteur de la somme de 30 000 euros ;

- son incapacité permanente partielle, évaluée à 6% par un médecin expert, doit être indemnisée à hauteur de la somme de 26 250 euros ;

- son préjudice d'agrément doit être indemnisé à hauteur de la somme de 20 000 euros ;

- son préjudice esthétique permanent doit être indemnisé à hauteur de la somme de

10 000 euros ;

- son préjudice sexuel doit être indemnisé à hauteur de la somme de 5 000 euros ;

- son préjudice d'anxiété, lié à l'affection par une pathologie évolutive, doit être indemnisé à hauteur de la somme de 50 000 euros ;

- la somme de 318,35 euros, qu'il a exposée pour participer à l'expertise ordonnée par le tribunal, doit lui être restituée ;

- il est fondé à réclamer l'enveloppe forfaitaire globale de 166 984,35.

Par un mémoire enregistré le 30 juillet 2021, le CIVEN fait valoir que l'indemnisation des préjudices subis par M. B... relève, en l'espèce, de l'office du juge administratif, statuant sur la base du rapport d'expertise du docteur A... qu'il a lui-même ordonnée, et non de l'administration, et que ce dernier n'est dès lors pas fondé à soutenir que la proposition d'indemnisation formulée par le CIVEN dans son mémoire en défense de première instance constituerait un montant minimum par lequel le juge serait lié. Le CIVEN sollicite la confirmation du jugement de première instance, en ce compris le montant de l'indemnisation à hauteur de la somme de 39 018,35 euros. Il considère que les moyens soulevés par l'intéressé ne sont pas fondés.

Par un mémoire enregistré le 4 novembre 2021, le CIVEN informe la Cour qu'il ne s'oppose pas au sursis à statuer dans l'attente de la décision du Conseil constitutionnel, saisi d'une QPC sur le texte applicable.

La requête d'appel de M. B... a été communiquée à la ministre des armées qui n'a pas produit de mémoire.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- la loi n° 2020-2 du 5 janvier 2010 ;

- le décret n° 2014-1049 du 15 septembre 2014 ;

- la loi n° 2017-256 du 28 février 2017 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Badie,

- et les conclusions de M. Angéniol, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. M. C... B..., né le 29 mai 1945, a été affecté en qualité de bibliothécaire et discothécaire à In Ecker, en Algérie, du 21 avril 1964 au 21 avril 1965. Il a été victime d'un cancer du côlon diagnostiqué en 2007 alors qu'il était âgé de 62 ans. Il a présenté une demande d'indemnisation sur le fondement de la loi n° 2010-2 du 5 janvier 2010 relative à la

reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français. Par une

décision du 17 juin 2011, le ministre de la défense, suivant la recommandation émise par le

comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires (CIVEN), a rejeté la demande

d'indemnisation présentée, au motif que le risque attribuable aux essais nucléaires français

était négligeable. Sur le fondement des dispositions du II de l'article 113 de la loi du

28 février 2017 de programmation relative à l'égalité réelle outre-mer et portant autres dispositions en matière sociale et économique, qui autorisent les demandeurs à présenter une nouvelle demande d'indemnisation dans le délai de douze mois à compter de l'entrée en vigueur de cette loi, M. B..., par une lettre datée du 7 juin 2017, a saisi le CIVEN en vue de voir réexaminer sa demande d'indemnisation des préjudices résultant de son exposition aux essais

nucléaires. Le CIVEN a implicitement, puis explicitement par une décision du

28 septembre 2018, rejeté cette demande.

2. Par un jugement n° 1800381 et 1801249 du 21 novembre 2019, le tribunal administratif de Bastia a mis à la charge du comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires (CIVEN) la réparation intégrale des préjudices subis par M. B... à raison du cancer du côlon dont il est atteint et ordonné qu'il soit procédé à une expertise médicale afin de déterminer le montant de l'indemnisation de ces préjudices. Le CIVEN a relevé appel de ce jugement, puis s'est désisté de cet appel, désistement dont il a été donné acte par une ordonnance du président de la 4ème chambre de la présente cour n° 20MA00159 du 8 mars 2022. Puis, par un jugement n° 1800381 et n° 1801249 du 8 avril 2021, le tribunal administratif de Bastia, après avoir ordonné une expertise médicale confiée au docteur A..., qui a remis son rapport, a condamné l'Etat à verser à M. B... la somme de 39 018,35 euros assortie des intérêts au taux légal à compter du 7 juin 2017. M. B... a relevé appel de ce jugement.

Sur la régularité du jugement attaqué :

3. Hormis le cas où le juge de première instance a méconnu les règles de compétence, de forme ou de procédure qui s'imposaient à lui et a ainsi entaché son jugement d'une irrégularité, il appartient au juge d'appel, non d'apprécier le bien-fondé des motifs par lesquels le juge de première instance s'est prononcé sur les moyens qui lui étaient soumis, mais de se prononcer directement sur les moyens dirigés contre la décision administrative contestée dont il est saisi dans le cadre de l'effet dévolutif de l'appel.

4. S'il ressort des pièces du dossier de première instance que le CIVEN a, dans son mémoire en défense enregistré le 23 novembre 2020, demandé à ce que le montant de l'indemnité susceptible d'être accordée à M. B... soit fixé à 45 046 euros, cette somme, qui ne constitue en tout état de cause qu'un argument en défense, ne lie pas le juge qui, dans son pouvoir souverain d'appréciation des faits, est libre d'accorder une indemnité déterminée à partir d'un rapport d'expertise médicale. Il s'ensuit que M. B... n'est pas fondé à soutenir qu'en lui accordant une somme inférieure à 45 046 euros, le tribunal administratif aurait, en statuant

en-deçà des prétentions des parties, entaché son jugement d'irrégularité. Il en résulte que ce moyen doit être écarté.

Sur l'évaluation des préjudices :

S'agissant des préjudices patrimoniaux :

5. La victime d'un dommage corporel en lien avec son service qui nécessite de recourir à l'aide d'une tierce personne pour l'assister dans les actes de la vie quotidienne, préserver sa sécurité, contribuer à restaurer sa dignité et suppléer sa perte d'autonomie, est fondée à réclamer, à ce titre, une indemnité compensatoire au titre de ses préjudices patrimoniaux. En pareil cas, le juge administratif détermine le montant de l'indemnité réparant ce préjudice en fonction des besoins de la victime et des dépenses nécessaires pour y pourvoir. Il doit à cette fin se fonder sur un taux horaire déterminé, au vu des pièces du dossier, par référence, soit au montant des salaires des personnes à employer augmentés des cotisations sociales dues par l'employeur, soit aux tarifs des organismes offrant de telles prestations, en permettant le recours à l'aide professionnelle d'une tierce personne d'un niveau de qualification adéquat et sans être lié par les débours effectifs dont la victime peut justifier. Il n'appartient notamment pas au juge, pour déterminer cette indemnisation, de tenir compte de la circonstance que l'aide a été ou pourrait être apportée par un membre de la famille ou un proche de la victime.

6. Il ressort des pièces du dossier que M. B... n'a pas été en mesure, alors qu'il était atteint d'un cancer du côlon et pendant la convalescence qui s'en est suivie, de porter assistance à son épouse, gravement malade depuis plusieurs années, comme il le faisait habituellement, et qu'il a été contraint de solliciter l'aide de tierces personnes dont l'intervention a été évaluée, par le rapport d'expertise remis par le docteur A..., à raison d'une heure par jour pendant

quatorze mois, soit un volume horaire global de 420 heures. Dans ces conditions, il y a lieu d'accorder à M. B... une indemnité compensant ces 420 heures de travail calculée sur la base du salaire minimum interprofessionnel de croissance horaire brut majoré des charges patronales, soit la somme forfaitaire totale de 4 636, 80 euros.

S'agissant des préjudices extrapatrimoniaux :

7. En premier lieu, il résulte des pièces du dossier que le déficit fonctionnel temporaire de M. B... a été évalué par le rapport d'expertise à 78 jours au taux de 100%, à 37 jours au taux de 40% et à 1 009 jours au taux de 20%. Si le requérant sollicite, en appel, la somme de 11 784 euros à ce titre, il a retenu, pour l'application de ces coefficients, la somme forfaitaire de 40 euros par jour, alors qu'aux termes de la méthodologie de calcul du CIVEN issue de sa délibération n° 2020-1 du 22 juin 2020, le montant forfaitaire journalier retenu au titre du déficit fonctionnel temporaire est de 25 euros. Dès lors que c'est à bon droit que les premiers juges ont retenu cette base pour indemniser, de ce chef, M. B... à hauteur de 7 400 euros, ce dernier n'est pas fondé à solliciter la réévaluation de cette somme. Son moyen doit être rejeté.

8. En deuxième lieu, s'agissant des souffrances temporaires endurées par M. B..., ces dernières, qui ont été évaluées par le rapport d'expertise à 4 sur une échelle de 7, ont été correctement indemnisées par les premiers juges à hauteur de la somme de 15 000 euros.

Par suite, son moyen doit être rejeté.

9. En troisième lieu, il ressort du rapport d'expertise que le docteur A... a fixé à

1.5 sur une échelle de 7 le préjudice esthétique temporaire subi par l'intéressé du fait des traitements en lien avec sa pathologie. Eu égard aux désagréments physiques l'ayant affecté,

il y a lieu de faire une juste appréciation de ce chef de préjudice et d'accorder à M. B... la somme de 1 200 euros.

10. En quatrième lieu, il ressort des termes de ce même rapport que l'intéressé conserve, après la consolidation de sa pathologie, soit à l'âge de 65 ans, une incapacité permanente partielle évaluée à 6%. Conformément aux barèmes et méthodologies traditionnellement admis par la jurisprudence, il y a lieu de lui accorder, à ce titre, la somme forfaitaire de 7 920 euros.

11. En cinquième lieu, M. B... doit être regardé comme reprochant au jugement attaqué de ne lui avoir accordé aucune indemnité au titre de son préjudice d'agrément, alors qu'il a fait valoir au cours de l'expertise, selon les termes mêmes du rapport du docteur A..., ne plus pouvoir exercer l'activité sportive de natation qu'il pratiquait avant son affection. Il y a donc lieu de faire une juste appréciation du montant de son préjudice et de lui accorder à ce titre la somme de 1 000 euros.

12. En sixième lieu, il ressort des pièces du dossier et notamment du rapport d'expertise médicale que le préjudice esthétique permanent subi par M. B... s'établit à 1.5 sur une échelle de 7. Compte tenu des termes mêmes de ce rapport, il n'y a pas lieu de réévaluer la somme de 2 000 euros qui lui a été, à bon droit, accordée, à ce titre, par les premiers juges.

Par suite, son moyen doit être rejeté.

13. En septième lieu, il n'y a pas davantage lieu à procéder à la réévaluation du montant qui lui a été accordé, en première instance, au titre du préjudice sexuel, soit la somme de

1 500 euros. Ce moyen doit également être rejeté.

14. En huitième et dernier lieu, il résulte de l'instruction que M. B... qui est contraint de se soumettre à des examens coloscopiques très fréquents dont le résultat l'inquiète, subit un préjudice d'anxiété en raison de la pathologie dont il est atteint et des craintes liées au caractère évolutif de celle-ci. Il en sera fait une juste appréciation en réévaluant à 8 000 euros la somme à allouer au titre de ce chef de préjudice.

15. Il résulte de tout ce qui précède que la somme de 39 018,35 euros que l'Etat a été condamné à verser à M. B... par les premiers juges doit être portée, compte tenu des suppléments d'indemnisation prévus par le présent arrêt, à 44 338,35 euros à verser par le CIVEN. M. B... est donc fondé à demander la réformation dans cette mesure du jugement du tribunal administratif de Bastia du 8 avril 2021.

Sur les intérêts et leur capitalisation :

16. Comme l'ont jugé à bon droit les premiers juges, M. B... a droit aux intérêts au taux légal sur les condamnations prononcées à son profit par le présent arrêt à compter de la date de sa demande d'indemnisation, soit le 7 juin 2017. Ces intérêts seront eux-mêmes capitalisés à chaque échéance annuelle à compter de cette date.

Sur les frais liés au litige :

17. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du CIVEN le versement à M. B... d'une somme de 2 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

Article 1er : La somme de 39 018,35 euros que l'Etat a été condamné à verser à M. B... par le jugement n° 1800381 et n° 1801249 du 8 avril 2021 du tribunal administratif de Bastia est portée à la somme de 44 338,35 euros, à la charge du CIVEN. Cette somme portera intérêts au taux légal à compter du 7 juin 2017. Ces intérêts seront eux-mêmes capitalisés à chaque échéance annuelle à compter de cette date.

Article 2 : Le jugement est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 3 : Le CIVEN versera à M. B... la somme de 2 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... B... et au comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires.

Copie en sera adressée à la ministre des armées.

Délibéré après l'audience du 8 mars 2022, où siégeaient :

- M. Badie, président,

- M. Revert, président assesseur,

- M. Ury, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 22 mars 2022.

N° 21MA02210 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 21MA02210
Date de la décision : 22/03/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

335-01-03 Étrangers. - Séjour des étrangers. - Refus de séjour.


Composition du Tribunal
Président : M. BADIE
Rapporteur ?: M. Alexandre BADIE
Rapporteur public ?: M. ANGENIOL
Avocat(s) : SELARL TEISSONNIERE et ASSOCIÉS

Origine de la décision
Date de l'import : 05/04/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2022-03-22;21ma02210 ?
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