La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

17/03/2022 | FRANCE | N°20MA00322

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 3ème chambre, 17 mars 2022, 20MA00322


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société par actions simplifiée (SAS) House Design a demandé au tribunal administratif de Marseille de prononcer la décharge de la majoration de 80 % pour manœuvres frauduleuses dont ont été assorties les cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre de l'année 2013 et celle de l'amende fiscale qui lui a été infligée sur le fondement du 1 du I de l'article 1737 du code général des impôts.

Par un jugement n° 1800258 du 20 novembre 2019,

le tribunal administratif a prononcé un non-lieu à statuer sur les conclusions de la requê...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société par actions simplifiée (SAS) House Design a demandé au tribunal administratif de Marseille de prononcer la décharge de la majoration de 80 % pour manœuvres frauduleuses dont ont été assorties les cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre de l'année 2013 et celle de l'amende fiscale qui lui a été infligée sur le fondement du 1 du I de l'article 1737 du code général des impôts.

Par un jugement n° 1800258 du 20 novembre 2019, le tribunal administratif a prononcé un non-lieu à statuer sur les conclusions de la requête de la SAS House Design dans la mesure du dégrèvement prononcé postérieurement à son introduction, à hauteur de 10 667 euros au titre de la majoration de 80 %, et a rejeté le surplus de sa demande.

Procédure suivie devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 23 janvier 2020, la SAS House Design, représentée par Me Di Angelo, puis, Me Bordet, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement précité en tant qu'il a rejeté le surplus de ses conclusions ;

2°) de prononcer la décharge de l'amende précitée et de la majoration de 40 % pour manquement délibéré demeurant à sa charge ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

Sur la régularité du jugement :

- le jugement a omis de statuer, en violation de l'article L. 9 du code de justice administrative, sur le moyen tiré de ce que l'amende en litige ne pouvait être légalement infligée au destinataire de la facture, seul le fournisseur en étant redevable ;

Sur l'amende fiscale :

- c'est à tort que l'administration a regardé la facture d'un montant de 150 000 euros émise par la société Jeman Travaux le 30 avril 2012 comme une facture de complaisance sur le fondement du 1 du I de l'article 1737 du code général des impôts ;

- d'une part, les travaux ont bien été exécutés par la société précitée ;

- d'autre part, cette amende ne peut être infligée au destinataire que si l'administration établit que ce dernier a délibérément transmis au service une facture dont il connaissait le caractère erroné, ce qui n'est pas en l'espèce le cas ;

Sur la majoration de 40 % :

- elle n'est pas fondée pour les mêmes motifs que ceux ci-dessus exposés.

Par un mémoire en défense, enregistré le 31 mars 2020, le ministre de l'action et des comptes publics demande à la Cour de rejeter la requête de la SAS House Design.

Il fait valoir que les moyens invoqués par l'appelante ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Bernabeu,

- les conclusions de Mme Courbon, rapporteure publique,

- et les observations de Me Collet pour la SAS House Design.

Considérant ce qui suit :

1. La société par actions simplifiée (SAS) House Design, qui exerce une activité de marchand de biens, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité portant sur la période du 1er janvier 2012 au 31 décembre 2013 au terme de laquelle l'administration lui a, par proposition de rectification du 22 juillet 2015, notamment notifié des rehaussements d'impôt sur les sociétés. En cours d'instance devant le tribunal administratif de Marseille, l'administration fiscale a, par une décision du 5 juillet 2018, prononcé le dégrèvement de la pénalité de 80 % établie sur le fondement du c de l'article 1729 du code général des impôts, à concurrence d'une somme de 10 667 euros, pour lui substituer l'application de la majoration de 40 % prévue par les dispositions du a du même article. Par un jugement n° 1800258 du 20 novembre 2019, le tribunal administratif de Marseille a prononcé un non-lieu à statuer sur les conclusions de la requête de la SAS House Design à concurrence du dégrèvement ainsi prononcé et a rejeté le surplus de sa demande. La société House Design relève appel de ce jugement en tant qu'il lui est défavorable.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Aux termes de l'article L. 9 du code de justice administrative : " Les jugements sont motivés ". Contrairement à ce qu'allègue la société appelante, elle n'a pas soulevé en première instance, en tant que tel, un moyen tiré d'une erreur commise par le service s'agissant du redevable légal de l'amende, mais uniquement soutenu que l'amende ne pouvait lui être appliquée, en sa qualité de destinataire de la facture, en l'absence de démonstration de sa participation à une fraude. Par suite, les premiers juges, qui ont au demeurant admis implicitement l'application des dispositions du 1 du I de l'article 1737 du code général des impôts au destinataire de la facture, n'avait donc pas à viser un tel moyen ni à y répondre explicitement. Par ailleurs, ils ont répondu, au point 8 de leur jugement, au moyen tel qu'il était soulevé par la société. Ainsi, l'unique moyen tiré de l'irrégularité du jugement attaqué doit être écarté.

Sur le bien-fondé de l'amende prévue au 1 du I de l'article 1737 du code général des impôts :

3. Aux termes du I de l'article 1737 du code général des impôts : " Entraîne l'application d'une amende égale à 50 % du montant : / 1. Des sommes versées ou reçues, le fait de travestir ou dissimuler l'identité ou l'adresse de ses fournisseurs ou de ses clients, les éléments d'identification mentionnés aux articles 289 et 289 B et aux textes pris pour l'application de ces articles ou de sciemment accepter l'utilisation d'une identité fictive ou d'un prête-nom ". Il résulte de ces dispositions que l'administration peut mettre l'amende ainsi prévue à la charge de la personne qui a délivré la facture ou à la charge de la personne destinataire de la facture si elle établit que la personne concernée a soit travesti ou dissimulé l'identité, l'adresse ou les éléments d'identification de son client ou de son fournisseur, soit accepté l'utilisation, en toute connaissance de cause, d'une identité fictive ou d'un prête-nom.

4. D'une part, il résulte de l'instruction, notamment de la proposition de rectification du 22 juillet 2015, que la société House Design a déduit en charges au titre de l'exercice 2013 un montant de 80 000 euros correspondant à des travaux " de terrassement de masse de 2 500 mètres cubes, transport et déballe, évacuation et transport de souches ainsi que du remblai des terres autour du garage " mentionnés sur une facture émise par la société Jeman Travaux le 5 février 2013, alors qu'un libellé de travaux identique avait déjà été porté sur une facture d'un montant de 150 000 euros établie par la même société quelques mois plus tôt, le 30 avril 2012. Le service vérificateur a relevé que l'objet social déclaré de la société Jeman Travaux était la réalisation de " travaux de maçonnerie générale ", activités qui ne correspondaient pas aux travaux de terrassement facturés, pour la réalisation desquels cette société ne disposait pas de moyens techniques adaptés. Si la SAS House Design soutient en appel que la réalisation de travaux de terrassement n'est pas incompatible avec l'objet social de ladite société, qui réside en " la réalisation de Travaux de maçonnerie générale et gros œuvre de bâtiment (4399C) ", cependant, ainsi que le relève l'administration, le " gros œuvre de bâtiment ", qui consiste en la construction de l'ossature d'un ouvrage, débute dès la réception des fondations profondes et des terrassements. Les travaux de terrassements sont, d'ailleurs, répertoriés dans la sous-classe INSEE 4312A dénommée " Travaux de terrassement courants et travaux préparatoires ". En outre, et surtout, l'administration fait valoir sans être contredite qu'il ressort des statuts du 7 mars 2012, que la constitution de la société Jeman Travaux entre ses deux associés s'est notamment faite grâce aux apports en nature suivants : un véhicule de type R21 Névada, un groupe électrogène, un fourgon Peugeot Boxer, une bétonnière, un échafaudage de maçon de 200 m² et un parc informatique, lesquels relèvent d'une activité de maçonnerie et non de terrassement. Par ailleurs, le service a constaté que la société Jeman Travaux, entreprise de maçonnerie générale, créée le 5 mars 2012 et liquidée dès le 25 septembre 2013, n'était qu'un prestataire occasionnel de la SAS House Design, qui faisait habituellement appel à la société STBS, spécialisée dans le terrassement. Or, au cours des opérations de vérification comme devant le tribunal puis la Cour, la société House Design n'a pu produire de document permettant de justifier du caractère inhabituel de l'intervention alléguée de la société Jeman Travaux sur le chantier, ni même aucun échange de mails, devis, courriers commerciaux, ou demandes d'acomptes entre elle-même et la société précitée. Enfin, la présence de cette dernière sur le chantier n'a, au demeurant, jamais pu être établie. Par suite, et contrairement à ce que soutient la SAS House Design, l'administration fiscale établit que l'identité du prestataire figurant sur la facture concernée n'est pas celle de l'entreprise ayant effectué les travaux de terrassement concernés.

5. D'autre part, il résulte également de l'instruction, et il n'est pas contesté, que la facture du 30 avril 2012, comme celle du 5 février 2013 d'ailleurs, ont été émises au nom de la société Groupe Margaux d'Immeubles alors qu'elles ont été enregistrées dans la comptabilité de la société House Design, bénéficiaire des travaux. Le service a constaté, en se fondant sur des éléments recueillis dans le cadre du droit de communication exercé auprès des établissements bancaires détenteurs des comptes de la société House Design, que le règlement des travaux de terrassement litigieux n'avait pas été porté au crédit des comptes bancaires de la société Jeman Travaux, mais à celui de la société Groupe Margaux d'Immeubles. En outre, il n'est pas contesté que la maîtrise d'œuvre des travaux a été confiée, par la SAS House Design, à la société Groupe Margaux d'Immeubles et qu'un contrat d'assistance à maîtrise d'ouvrage, pour lesdits travaux, a été conclu entre la requérante et la société Areva Immobilier. Or, le gérant de la société House Design, M. P. R., est également associé et gérant de la société Groupe Margaux d'Immeubles et dirigeant de la société Areva Immobilier. Dès lors qu'est établie l'existence d'une communauté d'intérêt entre la SAS House Design et les sociétés Groupe Margaux d'Immeubles et Areva Immobilier, et compte tenu de la teneur des missions d'assistance à maîtrise d'ouvrage et, plus particulièrement, de maîtrise d'œuvre, exercées par lesdites sociétés, la société appelante ne peut sérieusement soutenir qu'elle ignorait que les travaux de terrassement en litige n'avaient pas été effectués par la société Jeman Travaux. Enfin, la SAS House Design a dissimulé comptablement, sous le compte fournisseur " Jeman ", l'identité du bénéficiaire réel du règlement de la facture, la société Groupe Margaux d'Immeubles. Le décaissement de fond a ainsi profité à une société dans laquelle M. P. R., gérant de la SAS House Design, a également ses intérêts. Il en résulte que la SAS House Design a ainsi accepté l'utilisation, en toute connaissance de cause, sur la facture concernée émise par la société Jeman Travaux, de l'identité fictive d'un fournisseur. Dans ces conditions, c'est à bon droit que l'administration a appliqué au montant litigieux l'amende prévue par le 1 du I de l'article 1737 du code général des impôts.

Sur le bien-fondé des pénalités pour manquement délibéré :

6. Aux termes de l'article 1729 du code général des impôts : " Les inexactitudes ou les omissions relevées dans une déclaration ou un acte comportant l'indication d'éléments à retenir pour l'assiette ou la liquidation de l'impôt ainsi que la restitution d'une créance de nature fiscale dont le versement a été indûment obtenu de l'Etat entraînent l'application d'une majoration de : / a. 40 % en cas de manquement délibéré (...) ". Il résulte de ces dispositions que la pénalité pour manquement délibéré a pour seul objet de sanctionner la méconnaissance par le contribuable de ses obligations déclaratives. Pour établir ce manquement délibéré, l'administration doit apporter la preuve, d'une part, de l'insuffisance, de l'inexactitude ou du caractère incomplet des déclarations et, d'autre part, de l'intention de l'intéressé d'éluder l'impôt.

7. Ainsi qu'il a été précédemment exposé aux points 4 et 5 du présent arrêt, l'administration fiscale établit que la société House Design a comptabilisé en charge la facture du 5 février 2013 d'un montant de 80 000 euros qui ne lui était pas adressée, concernant des prestations qui n'ont pas été rendues par la société émettrice, et qu'elle a délibérément débité le compte fournisseur " Jeman " du montant du chèque dont le bénéficiaire était en réalité la société Groupe Margaux d'Immeubles. Eu égard notamment à l'étroite communauté d'intérêts existant entre la société précitée et la SAS House Design, cette dernière ne pouvait ignorer qu'elle n'était pas en droit de déduire de son résultat imposable le montant figurant sur cette facture libellée au nom de la société Groupe Margaux d'Immeubles et ne correspondant à aucune prestation rendue par la société Jeman Travaux. Dans ces conditions, c'est à bon droit que l'administration a appliqué au rehaussement d'impôt sur les sociétés la majoration pour manquement délibéré prévue au a de l'article 1729 du code général des impôts.

8. Il résulte de tout ce qui précède que la SAS House Design n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille a rejeté le surplus de sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions tendant à l'allocation de frais liés à l'instance doivent également être rejetées.

D É C I D E :

Article 1er : La requête de la SAS House Design est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société par actions simplifiée House Design et au ministre de l'économie, des finances et de la relance.

Copie en sera adressée à la direction de contrôle fiscal Sud-Est Outre-mer.

Délibéré après l'audience du 3 mars 2022, où siégeaient :

- Mme Paix, présidente,

- Mme Bernabeu, présidente assesseure,

- Mme Carotenuto, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 17 mars 2022.

2

N° 20MA00322


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 20MA00322
Date de la décision : 17/03/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

19-01-04-015 Contributions et taxes. - Généralités. - Amendes, pénalités, majorations.


Composition du Tribunal
Président : Mme PAIX
Rapporteur ?: Mme Mylène BERNABEU
Rapporteur public ?: Mme COURBON
Avocat(s) : DI ANGELO

Origine de la décision
Date de l'import : 29/03/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2022-03-17;20ma00322 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award