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08/03/2022 | FRANCE | N°19MA05304

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 4ème chambre, 08 mars 2022, 19MA05304


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... C... a demandé au tribunal administratif de Marseille de condamner l'Etat à lui payer la somme de 80 000 euros en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait du harcèlement moral dont elle soutient avoir été victime.

Par un jugement no 1801243 du 7 octobre 2019, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 4 décembre 2019, Mme C..., représentée par

Me Lounis, demande à la

Cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Marseille du 7 octobre 2019 ;

2°) de ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... C... a demandé au tribunal administratif de Marseille de condamner l'Etat à lui payer la somme de 80 000 euros en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait du harcèlement moral dont elle soutient avoir été victime.

Par un jugement no 1801243 du 7 octobre 2019, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 4 décembre 2019, Mme C..., représentée par

Me Lounis, demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Marseille du 7 octobre 2019 ;

2°) de condamner l'Etat à lui payer la somme de 80 000 euros en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait du harcèlement moral dont elle a été victime ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- elle a été victime de faits constitutifs de harcèlement moral de la part d'un supérieur hiérarchique,

- elle a subi un préjudice moral, professionnel et de santé.

Par un mémoire en défense, enregistré le 2 mars 2021, le ministre de l'économie, des finances et de la relance conclut au rejet de la requête de Mme C....

Il soutient que l'administration n'a commis aucune faute et que les préjudices dont

Mme C... demande l'indemnisation ne sont pas établis.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Renault,

- et les conclusions de M. Angéniol, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. Mme C..., contrôleuse des douanes et droits indirects de 2ème classe au sein du bureau principal des douanes de Fos-Port-Saint-Louis, relève appel du jugement du

7 octobre 2019 par lequel le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l'Etat à réparer les préjudices résultant du harcèlement moral dont elle estime avoir été victime de la part de son supérieur hiérarchique.

Sur le bien-fondé du jugement :

En ce qui concerne la responsabilité de l'administration :

2. Aux termes de l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, issu de la loi du 17 janvier 2002 de modernisation sociale : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. (...). ". Aux termes de l'article 11 de cette même loi, dans sa rédaction alors en vigueur : " I - A raison de ses fonctions et indépendamment des règles fixées par le code pénal et par les lois spéciales, le fonctionnaire (...) bénéficie, dans les conditions prévues au présent article, d'une protection organisée par la collectivité publique qui l'emploie à la date des faits en cause ou des faits ayant été imputés de façon diffamatoire (...). / IV - La collectivité publique est tenue de protéger le fonctionnaire contre les atteintes volontaires à l'intégrité de la personne, les violences, les agissements constitutifs de harcèlement, les menaces, les injures, les diffamations ou les outrages dont il pourrait être victime sans qu'une faute personnelle puisse lui être imputée. Elle est tenue de réparer, le cas échéant, le préjudice qui en est résulté (...). ".

3. Il appartient à un agent public qui soutient avoir été victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral, de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence d'un tel harcèlement et il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile. Pour apprécier si des agissements dont il est allégué qu'ils sont constitutifs d'un harcèlement moral revêtent un tel caractère, le juge administratif doit tenir compte des comportements respectifs de l'agent auquel il est reproché d'avoir exercé de tels agissements et de l'agent qui estime avoir été victime d'un harcèlement moral. En revanche, la nature même des agissements en cause exclut, lorsque l'existence d'un harcèlement moral est établie, qu'il puisse être tenu compte du comportement de l'agent qui en a été victime pour atténuer les conséquences dommageables qui en ont résulté pour lui. Le préjudice résultant de ces agissements pour l'agent victime doit alors être intégralement réparé.

4. Mme C... soutient qu'elle a été victime de harcèlement de la part de son chef de service, qui s'est manifesté, en particulier, par le ton méprisant et humiliant avec lequel il formulait ses réponses aux demandes formulées en lien avec son activité de représentante syndicale, ou avec son activité dans le service, par l'agression verbale et le comportement menaçant qu'il a eu à son égard le 29 octobre 2014, alors qu'elle était enceinte de sept mois et que sa grossesse était pathologique, l'interdiction qui lui a été faite de pénétrer dans son bureau et l'obligation de passer par son adjoint pour mettre des dossiers à sa signature, les difficultés qu'il a mises pour lui accorder " un délai de route " lequel est de droit, pour se rendre à la commission exécutive de son organisation syndicale, les exigences illégitimes de justification de l'exercice de son activité de contrôle, des notations qui ne reflètent pas la qualité réelle de son travail et, enfin, par la situation humiliante et traumatisante dans laquelle il l'a volontairement placée en l'obligeant, le 4 octobre 2016, sans l'informer de l'objet de cette convocation, à recevoir devant témoin les réprimandes sévères du directeur régional au sujet de la divulgation de fausses nouvelles à laquelle elle se serait livrée.

5. Il résulte de l'instruction, notamment des attestations concordantes et des messages et courriers produits par la requérante que, le 24 octobre 2014, alors qu'elle se trouvait occupée dans le local de reprographie, le chef de service de Mme C..., après l'avoir provoquée verbalement au sujet d'une différence d'appréciation portant sur l'entretien des véhicules de service, l'a, en l'absence de réponse de l'intéressée, violemment prise à partie, ceci, alors qu'elle était enceinte de sept mois et fragilisée par une situation de grossesse pathologique. Il est établi en outre que, le 4 octobre 2016, après qu'elle a relaté à ses collègues de travail, de manière informelle, le déroulement de la séance du comité d'hygiène et de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) du 29 septembre 2016 auquel elle avait participé, elle a été convoquée dans son bureau par son chef de service, au motif que le directeur souhaitait lui parler, sans lui permettre de prendre la communication dans son bureau à elle, ni l'informer du motif de cette communication. Une fois entrée dans le bureau de son supérieur hiérarchique, celui-ci a appelé le directeur qui, à distance mais mis sur haut-parleur, l'a prise à partie avec véhémence, en présence du chef de service et de ses deux adjoints, en l'accusant de répandre de fausses nouvelles relativement au déroulé et conclusions de la séance du CHSCT. Cet événement, qui a placée l'intéressée, non informée, non préparée et non assistée, dans une situation humiliante qu'elle a vécue comme traumatisante, a été reconnu comme un accident du travail. D'autre part, il ressort de plusieurs échanges de courriels de Mme C... et de son chef de service, en particulier en date du 29 septembre 2015 concernant la demande de Mme C... de bénéficier d'un " délai de route " pour se rendre à la commission exécutive de son organisation syndicale et du 24 septembre 2015 concernant une demande de renseignement sur un dossier professionnel, que le chef de service emploie un ton volontairement déplaisant pour répondre aux demandes de l'intéressée. Dans le cas particulier de la réponse adressée à Mme C... le 29 octobre 2014, laquelle lui avait fait part de remarques sur la nouvelle obligation qui était faite aux agents de veiller eux-mêmes à l'entretien des véhicules de service, le ton employé peut être qualifié d'insultant et humiliant, en tout état de cause inapproprié. Il est établi enfin que le chef de service a, en septembre 2015, interdit à la requérante de s'adresser directement à lui et de pénétrer dans son bureau, au mépris de tous les usages en cours dans le service. Si les autres griefs invoqués, en particulier un exercice particulièrement tatillon des prérogatives du supérieur hiérarchique et une notation qui peut être qualifiée de " minimale " ne semblent pas excéder les limites de l'exercice de l'autorité hiérarchique, les faits établis et précédemment énumérés, qui revêtent un caractère de répétition, sont susceptibles de faire présumer l'existence d'agissements constitutifs d'un harcèlement moral à l'encontre de Mme C....

6. Le ministre de l'économie et des finances conteste cette présomption en soutenant que les faits allégués ne sont pas établis dès lors que de nombreuses pièces apportées par

Mme C... au soutien de ses allégations émanent du syndicat auquel elle appartient et que le rapport de la commission d'enquête administrative constituée à la demande des représentants du personnel, lors de la séance du 29 septembre 2015 du CHSCT, qui relève " un management inadapté et contesté du chef de bureau " n'a pas pour objet de se prononcer sur des faits allégués de harcèlement moral dont seraient victimes certains agents. S'il résulte de l'instruction que la hiérarchie de Mme C... a souligné les tensions existant dans le service entre le chef de service et le syndicat CGT, auquel appartient l'intéressée, au sujet de la restructuration du service, une telle circonstance n'est pas de nature à justifier le comportement adopté par le chef de service à l'égard de Mme C.... En outre, la circonstance que l'engagement professionnel du chef de service et les résultats qu'il obtient sont soulignés par sa hiérarchie, qui reconnaît toutefois " qu'il peut avoir des réactions parfois vives en situation de stress ", ne permet pas d'établir que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. Enfin, il ne résulte pas de l'instruction que, en qualité de représentante syndicale comme en qualité d'agente du service, Mme C... aurait eu un comportement de nature à concourir à la dégradation de ses conditions de travail.

7. Il résulte de tout ce qui précède, compte tenu de l'ensemble des échanges contradictoires entre les parties, que Mme C... est fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Marseille a considéré que la responsabilité de l'Etat ne pouvait être engagée en raison du harcèlement moral dont elle a été victime dans l'exercice de ses fonctions.

En ce qui concerne les préjudices :

8. Mme C... soutient que le harcèlement moral dont elle a été victime lui a causé un préjudice moral et professionnel, qu'il a eu des conséquences sur sa santé et sa vie personnelle.

9. En premier lieu, les pièces du dossier ne permettent pas d'établir l'existence d'un préjudice professionnel et Mme C... n'établit pas que son préjudice en matière de santé, du fait de l'incapacité permanente, évaluée par l'expert mandaté par l'administration, le docteur A..., dans le cadre de la reconnaissance de l'accident de service dont elle a été reconnue victime, à 5%, dans son rapport du 15 novembre 2017, ne serait pas indemnisé dans le cadre de la reconnaissance de l'accident de service.

10. En second lieu, il résulte de l'instruction que les agissements constitutifs de harcèlement moral dont a été victime Mme C..., du fait des répercussions qu'ils ont eu dans sa vie personnelle et de leur retentissement psychologique, lui ont causé un préjudice moral dont il sera fait une juste appréciation en l'estimant à 8 000 euros, somme que l'Etat doit être condamné à verser à Mme C... en réparation de ce dommage.

Sur les frais liés au litige :

11. Il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros, à verser à Mme C..., sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D É C I D E :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Marseille du 7 octobre 2019 est annulé.

Article 2 : L'Etat est condamné à verser à Mme C... une somme de 8 000 euros en réparation de ses préjudices.

Article 3 : L'Etat versera à Mme C... une somme de 2 000 euros en application de

l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... C... et au ministre de l'économie, des finances et de la relance.

Délibéré après l'audience du 22 février 2022, où siégeaient :

- M. Badie, président,

- M. Revert, président assesseur,

- Mme Renault, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition du greffe, le 8 mars 2022.

2

N° 19MA05304


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 19MA05304
Date de la décision : 08/03/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

36-07-10-005 Fonctionnaires et agents publics. - Statuts, droits, obligations et garanties. - Garanties et avantages divers. - Protection contre les attaques.


Composition du Tribunal
Président : M. BADIE
Rapporteur ?: Mme Thérèse RENAULT
Rapporteur public ?: M. ANGENIOL
Avocat(s) : SELARL ERGASIA

Origine de la décision
Date de l'import : 22/03/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2022-03-08;19ma05304 ?
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