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22/02/2022 | FRANCE | N°19MA05549

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 4ème chambre, 22 février 2022, 19MA05549


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société en nom collectif (SNC) " La Gare " a demandé au tribunal administratif de Nîmes :

- sous le n° 1702358, d'annuler la décision, notifiée le 3 juillet 2017, par laquelle la maire d'Apt a refusé de retirer l'arrêté du 26 janvier 2017 par lequel elle a autorisé le déplacement du débit de tabac géré par la SNC " Le Marigny " et, par voie de conséquence, d'annuler ledit arrêté ;

- sous le n° 1703646, d'annuler la décision, en date du 2 octobre 2017, par laquelle le préfet du

Vaucluse a refusé de retirer l'arrêté du 26 janvier 2017 par lequel la maire d'Apt a autorisé ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société en nom collectif (SNC) " La Gare " a demandé au tribunal administratif de Nîmes :

- sous le n° 1702358, d'annuler la décision, notifiée le 3 juillet 2017, par laquelle la maire d'Apt a refusé de retirer l'arrêté du 26 janvier 2017 par lequel elle a autorisé le déplacement du débit de tabac géré par la SNC " Le Marigny " et, par voie de conséquence, d'annuler ledit arrêté ;

- sous le n° 1703646, d'annuler la décision, en date du 2 octobre 2017, par laquelle le préfet du Vaucluse a refusé de retirer l'arrêté du 26 janvier 2017 par lequel la maire d'Apt a autorisé le déplacement du débit de tabac géré par la SNC " Le Marigny " et, par voie de conséquence, d'annuler ledit arrêté ;

- sous le n° 1703648, d'annuler la décision du 2 octobre 2017 par laquelle le préfet du Vaucluse a refusé de faire droit aux demandes indemnitaires présentées par M. A..., gérant de la SNC " La Gare ", de condamner l'Etat à verser à ce dernier une somme de

277 107, 70 euros en réparation de ses préjudices, avec intérêts au taux légal et capitalisation des intérêts.

Par des jugements n°s 1702358, 1703646 et 1703648 du 18 octobre 2019, le tribunal administratif de Nîmes a rejeté l'ensemble des demandes de la SNC " La Gare ".

Procédure devant la Cour :

I. Par une requête, enregistrée le 18 décembre 2019 sous le n° 19MA05549,

la SNC " La Gare ", représentée par Me Durand, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Nîmes n° 1703646 du

18 octobre 2019 ;

2°) d'annuler la décision du 2 octobre 2017 par laquelle le préfet du Vaucluse a refusé de retirer l'arrêté du 26 janvier 2017 par lequel la maire d'Apt a autorisé le déplacement du débit de tabac géré par la SNC " Le Marigny " ;

3°) d'enjoindre au préfet de prendre les mesures qu'implique l'annulation de sa décision, et notamment, de retirer l'arrêté litigieux, sous astreinte de 2 000 euros par jour de retard à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 800 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement attaqué a omis de statuer sur le moyen tiré de ce que la décision du

2 octobre 2017 par laquelle le préfet du Vaucluse a refusé de retirer l'arrêté du 26 janvier 2017 était illégale dès lors que cet arrêté avait été pris en méconnaissance des articles 9, 13 et du 2°) de l'article 11 du décret du 28 juin 2010 ;

- la décision portant refus de retrait de l'arrêté litigieux est entachée d'incompétence négative dès lors que le préfet du Vaucluse avait l'obligation de retirer l'arrêté de la maire d'Apt du 26 janvier 2017, dès lors que celle-ci, qui avait reçu l'ordre de la sous-préfète d'Apt de retirer son arrêté, avait refusé de s'y conformer alors qu'elle ne disposait d'aucun pouvoir d'appréciation, agissant en la matière au nom de l'Etat sous l'autorité hiérarchique du préfet de département ;

- cette décision méconnaît l'article L. 242-1 du code des relations entre le public et les usagers en tant qu'elle est fondée sur la tardiveté de la demande ;

- l'arrêté du 26 janvier 2017, qui a pour effet de déséquilibrer le réseau de vente existant, méconnaît les articles 9 et 13 du décret du 28 juin 2010.

Par un mémoire en défense, enregistré le 17 août 2020, le ministre chargé des comptes publics conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

- la décision de refus de retirer l'arrêté de la maire d'Apt du 26 janvier 2017 pouvait être légalement prise aux motifs, d'une part, que le délai pour retirer un acte administratif était expiré à la date à laquelle il a pris sa décision et, d'autre part, qu'il ne pouvait retirer un acte administratif légal ;

- aucun des moyens de la requête n'est fondé.

Par lettre du 15 décembre 2021, les parties ont été informées, en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen, relevé d'office, tiré de l'irrecevabilité des conclusions à fin d'annulation de la décision du 2 octobre 2017 du préfet du Vaucluse refusant de retirer l'arrêté du 26 janvier 2017 par lequel la maire d'Apt a autorisé le déplacement du débit de tabac "Le Marigny", car formées après l'expiration du délai de recours contentieux contre cette décision.

II. Par une requête, enregistrée le 18 décembre 2019, sous le n° 19MA05550,

la SNC " La Gare ", représentée par Me Durand, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Nîmes n° 1702358 du

18 octobre 2019 ;

2°) d'annuler la décision, notifiée le 3 juillet 2017, par laquelle la maire d'Apt a refusé de retirer l'arrêté du 26 janvier 2017 par lequel elle a autorisé le déplacement du débit de tabac géré par la SNC " Le Marigny " ;

3°) d'enjoindre à la maire d'Apt de prendre les mesures qu'impliquent l'annulation de sa décision, et notamment, d'exécuter la demande du préfet de retirer l'arrêté litigieux, sous astreinte de 2 000 euros par jour de retard à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 800 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la décision portant refus de retrait de l'arrêté litigieux est entachée d'incompétence dès lors que la maire d'Apt, qui avait reçu l'ordre de la sous-préfète d'Apt de retirer son arrêté, a refusé de s'y conformer alors qu'elle ne disposait d'aucun pouvoir d'appréciation, agissant en la matière au nom de l'Etat sous l'autorité hiérarchique du préfet de département ;

- cette décision ne pouvait être prise aux motifs, d'une part, que le retrait de l'arrêté litigieux aurait pour effet d'interdire au gérant de la SNC " Le Marigny " d'exercer son activité, d'autre part, que ce retrait risquait de faire naître un contentieux intenté par ce dernier ;

- l'arrêté du 26 janvier 2017 est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation au regard de l'article 9 du décret du 28 juin 2010 et en ce qu'il induit un déséquilibre du réseau local des buralistes, apprécié sur l'ensemble du secteur de la commune.

Par un mémoire en défense, enregistré le 17 août 2020, le ministre chargé des comptes publics conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens ne sont pas fondés.

Par lettre du 15 décembre 2021, les parties ont été informées, en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen, relevé d'office, tiré de l'irrecevabilité des conclusions à fin d'annulation de la décision, notifiée le 3 juillet 2017, par laquelle la maire d'Apt a refusé de retiré son arrêté du

26 janvier 2017 par lequel elle a autorisé le déplacement du débit de tabac "Le Marigny", car formées après l'expiration du délai de recours contentieux contre cette décision.

III. Par une requête, enregistrée le 18 décembre 2019, sous le n° 19MA05551,

la SNC " La Gare ", représentée par Me Durand, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Nîmes n° 1703648 du

18 octobre 2019 ;

2°) d'annuler la décision en date du 2 octobre 2017 par laquelle le préfet de Vaucluse refuse de faire droit à la demande indemnitaire formée par M. A... dans les intérêts de son établissement ;

3°) de condamner l'Etat à lui verser une somme de 277 107, 70 euros en réparation de des préjudices de la société et de son gérant, M. A..., avec intérêts au taux légal et capitalisation des intérêts ;

4°) d'ordonner au préfet de prendre les mesures qu'impliquent nécessairement l'annulation de sa décision, sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard à compter de la notification du jugement à intervenir ;

5°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 800 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement est irrégulier dès lors que le tribunal n'a pas statué sur le moyen tiré de ce que la décision du 2 octobre 2017 par laquelle le préfet du Vaucluse a refusé de retirer l'arrêté du 26 janvier 2017 par lequel la maire d'Apt a autorisé le déplacement du débit de tabac géré par la SNC " Le Marigny " est illégale dès lors qu'elle est entachée d'une abstention fautive ;

- la responsabilité de l'Etat est engagée du fait de l'illégalité fautive de la décision du

2 octobre 2017 par laquelle le préfet du Vaucluse a refusé de faire droit à sa demande de retrait de l'arrêté du 26 janvier 2017 ;

- la responsabilité de l'Etat est engagée du fait de l'illégalité fautive de l'arrêté du

26 janvier 2017 par lequel la maire d'Apt a autorisé le déplacement du débit de tabac géré par la SNC " Le Marigny ", en méconnaissance du 2° de l'article 11 du décret du 28 juin 2010 ;

- la responsabilité de l'Etat est engagée du fait de la carence fautive dont a fait preuve le préfet en s'abstenant de retirer l'arrêté litigieux ;

- la responsabilité de l'Etat est engagée du fait du comportement fautif du préfet de Vaucluse, qui a pris à son égard des engagements qu'il n'était pas en mesure de tenir ;

- ces différentes fautes ont causé au gérant de la SNC " La Gare ", M. A..., des préjudices se décomposant comme suit :

- 151 107,70 euros en réparation du préjudice relatif aux pertes financières subies par son établissement entre juin et août 2017 ;

- 116 000 euros en réparation du préjudice subi relatif à la perte de chance sérieuse d'assurer la pérennité de son fonds de commerce ;

- 5 000 euros en réparation du préjudice relatif aux frais de procédure et d'expertise comptable ;

- 5 000 euros en réparation de son préjudice moral.

Par un mémoire en défense, enregistré le 17 août 2020, le ministre chargé des comptes publics conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :

- la loi n° 2009-526 du 12 mai 2009 ;

- le décret n° 2010-720 du 28 juin 2010 ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Renault,

- les conclusions de M. Ury, rapporteur public,

- et les observations de Me Durand, représentant la SNC " La Gare ".

Considérant ce qui suit :

1. Les recours enregistrés sous les numéros 19MA05549, 19MA05550 et 19MA05551 concernent les mêmes parties et présentent à juger des questions connexes. Il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul arrêt.

2. Par arrêté du 26 janvier 2017, la maire d'Apt a autorisé le déplacement du débit de tabac " Le Marigny " de la place du Postel à l'avenue de Lançon, à Apt. Par lettre du

13 avril 2017, M. A..., gérant du débit de tabac " La Gare ", a demandé au préfet du Vaucluse " d'interrompre le transfert " du débit de tabac " Le Marigny " et par courriel du

14 avril 2017, il a demandé à la maire d'Apt d'annuler son arrêté. Par lettres du 21 mai 2017,

M. A... a saisi tant le préfet que la maire d'Apt d'une demande de retrait de l'arrêté litigieux, demande qu'il a réitérée auprès du préfet du Vaucluse par lettres du 30 mai et du

7 août 2017. Par décision datée du 22 mai 2017, la maire d'Apt a rejeté la demande de retrait de l'arrêté du 26 janvier 2017 faite pour la SNC " La Gare " par M. A.... Par lettre du

11 août 2017, ce dernier a, en outre, saisi le préfet d'une demande indemnitaire préalable tendant à la réparation des préjudices, financiers et moraux, qui seraient nés du comportement fautif de l'administration. Par décision du 2 octobre 2017, le préfet du Vaucluse a refusé de faire droit, d'une part, à la demande de retrait de l'arrêté du 26 janvier 2017 et, d'autre part, à la demande indemnitaire. La SNC " La Gare " relève appel des jugements du tribunal administratif de Nîmes nos 1702538, 1703646 et 1703648 du 18 octobre 2019, en ce qu'ils ont rejeté ses demandes tendant, respectivement, à l'annulation de la décision de la maire d'Apt notifiée le 3 juillet 2017, à l'annulation de la décision du préfet du Vaucluse du 2 octobre 2017 en tant qu'elle rejetait sa demande de retrait de l'arrêté du 26 janvier 2017, enfin, à l'annulation de la décision du préfet du Vaucluse du 2 octobre 2017 en tant qu'elle refusait de faire droit à sa demande indemnitaire et à la condamnation de l'Etat à lui verser une somme de 277 107, 70 euros en réparation de ses préjudices.

Sur les requêtes 19MA05549 et 19MA05550 :

En ce qui concerne la régularité du jugement du tribunal administratif de Nîmes

n° 1703646 du 18 octobre 2019 :

3. Il ressort des mémoires produits devant le tribunal administratif de Nîmes dans cette instance que les moyens tirés de la méconnaissance des dispositions des articles 9 et 13 ainsi que du 2° de l'article 11 du décret du 28 juin 2010 étaient soulevés au soutien des conclusions tendant à l'annulation de l'arrêté du 26 janvier 2017. Il ressort des termes du jugement attaqué que les conclusions à fin d'annulation de l'arrêté du 26 janvier 2017 ont été rejetées au motif qu'elles étaient tardives, et par suite irrecevables. Dans ces conditions, les premiers juges n'avaient pas à se prononcer sur le bien-fondé des moyens soulevés au soutien de ces conclusions. La SNC " La Gare " n'est ainsi pas fondée à soutenir que le jugement est entaché d'omission à statuer et donc irrégulier et à en demander, pour ce motif, l'annulation.

En ce qui concerne le bien-fondé des jugements nos 1702358 et 1703746 :

4. L'exercice, au-delà du délai de recours contentieux contre un acte administratif, de recours administratifs tendant au retrait de cet acte ne saurait avoir pour effet de rouvrir le délai de recours. Le rejet de telles demandes n'est ainsi en principe, hors le cas où l'administration a refusé de faire usage de son pouvoir de retirer un acte administratif obtenu par fraude, pas susceptible de recours.

5. Aux points 3 des jugements attaqués, qui ne sont pas contestés en appel sur ce point, les premiers juges ont considéré que les tiers justifiant d'un intérêt pour agir disposaient, pour déférer devant le juge de l'excès de pouvoir l'arrêté de la maire d'Apt du 26 janvier 2017, d'un délai de deux mois à compter du 1er février 2017, date à laquelle l'arrêté a été affiché en mairie, en application de l'article R. 421-1 du code de justice administrative. La SNC " La Gare ", à supposer même qu'elle doive être regardée comme ayant demandé au préfet du Vaucluse et à la maire d'Apt de retirer l'arrêté litigieux dès ses courriers des 13 et 14 avril 2017, a, de la sorte et en tout état de cause, formé ces demandes postérieurement au délai de recours contre cet arrêté. Dès lors, la société requérante, qui ne soutient pas que l'arrêté en litige a été obtenu par fraude, n'était pas recevable à demander l'annulation des décisions du 22 mai et du

2 octobre 2017 rejetant ses demandes de retrait de l'arrêté de la maire d'Apt du 26 janvier 2017, formées après l'expiration du délai initial du recours contentieux contre cet acte.

6. Il résulte de ce qui précède que la SNC " La Gare " n'est pas fondée à se plaindre de ce que, par les jugements pré-mentionnés, le tribunal administratif de Nîmes a rejeté ses demandes tendant à l'annulation de la décision de la maire d'Apt du 22 mai 2017 et de celle du préfet du Vaucluse du 2 octobre 2017 en tant qu'il a rejeté sa demande tendant au retrait de l'arrêté de la maire d'Apt du 26 janvier 2017.

Sur la requête n° 19MA05551:

En ce qui concerne la régularité du jugement n° 1703648 :

7. La SNC " La Gare " soutient que le jugement est irrégulier dès lors que le tribunal a omis de statuer sur le moyen tiré de ce que la décision du 2 octobre 2017, par laquelle le préfet du Vaucluse a refusé de retirer l'arrêté de la maire d'Apt du 26 janvier 2017, est illégale dès lors qu'elle est entachée d'une abstention fautive. Cependant, il ressort des termes du jugement attaqué qu'après avoir, aux points 6 à 11, écarté l'ensemble des moyens visant à établir l'illégalité de l'arrêté de la maire d'Apt du 26 janvier 2017, les premiers juges ont, au point 12, jugé en conséquence que la société requérante ne pouvait valablement soutenir que l'administration aurait adopté un comportement fautif de nature à engager sa responsabilité en maintenant une décision illégale. Par suite, la SNC " La Gare " n'est pas fondée à soutenir que le jugement est entaché d'omission à statuer et donc irrégulier et à en demander, pour ce motif, l'annulation.

En ce qui concerne le bien-fondé du jugement :

8. Il résulte de l'article 568 du code général des impôts, de l'article 56 AA de

l'annexe IV à ce code et des dispositions de l'article 1er du décret susvisé du 28 juin 2010, que les décisions d'autorisation d'implantation, de transfert et de déplacement d'un débit de tabac sont prises par le maire au nom de l'Etat.

9. La demande présentée le 11 août 2017 par la SNC " La Gare " au préfet de Vaucluse tendait à obtenir la réparation des dommages résultant de l'arrêté de la maire d'Apt du

26 janvier 2017 et du refus du préfet de retirer cet arrêté. La décision du 2 octobre 2017 par laquelle le préfet de Vaucluse a rejeté cette demande a eu pour seul effet de lier le contentieux. Par suite en formulant des conclusions tendant à l'annulation de cette décision et à la condamnation de l'Etat à l'indemniser de ses préjudices, la SNC " La Gare " a donné à l'ensemble de sa requête enregistrée sous le n° 19MA05551 le caractère d'un recours de plein contentieux.

S'agissant de l'illégalité fautive de la décision du 2 octobre 2017 en tant qu'elle refuse de retirer l'arrêté du 26 janvier 2017 :

10. Les dispositions de l'article L. 242-1 du code des relations entre le public et l'administration, selon lesquelles " L'administration ne peut abroger ou retirer une décision créatrice de droits de sa propre initiative ou sur la demande d'un tiers que si elle est illégale et si l'abrogation ou le retrait intervient dans le délai de quatre mois suivant la prise de cette décision ", n'ont ni pour objet ni pour effet d'ouvrir aux tiers la possibilité de contester une décision individuelle créatrice de droits au-delà du délai de recours contentieux contre cette décision, ni de contraindre l'administration à retirer une telle décision dans un délai de quatre mois, même en cas d'illégalité de cette dernière. Il résulte de ces mêmes dispositions que l'administration ne peut retirer une décision créatrice de droits de sa propre initiative que si le retrait intervient dans le délai de quatre mois suivant la prise de cette décision.

11. D'une part, il résulte de l'instruction, ainsi qu'il a été dit au point 5, que la SNC " La Gare " n'a pas introduit, dans le délai de recours, de recours administratif contre l'arrêté du 26 janvier 2017, lequel, en ce qu'il autorise le déplacement d'un débit de tabac, constitue une décision individuelle créatrice de droits dans le chef de son bénéficiaire. D'autre part, à la date de la décision attaquée, le 2 octobre 2017, le délai de 4 mois dont disposait le préfet de Vaucluse pour retirer la décision de la maire d'Apt était expiré. Par suite, le préfet de Vaucluse ne pouvait légalement, à la date de sa décision, retirer l'arrêté attaqué. Dans ces conditions, la requérante ne peut se prévaloir de l'illégalité fautive de la décision de refus de faire droit à sa demande de retirer l'arrêté litigieux.

S'agissant de l'illégalité fautive de l'arrêté du 26 janvier 2017 :

12. Aux termes de l'article 11 du décret du 28 juin 2010 relatif à l'exercice du monopole de la vente au détail des tabacs manufacturés : " Les implantations de débits de tabac sont interdites : (...) 2° Dans les centres commerciaux, hormis ceux constitués exclusivement de commerces de proximité desservant principalement ou en totalité les résidents d'une commune ou de l'un de ses quartiers ". Aux termes de l'article 13 de ce même décret : " Un débit de tabac ordinaire permanent peut être déplacé à l'intérieur d'une même commune dans les conditions prévues à l'article 70 de la loi du 12 mai 2009 susvisée. Les dispositions des articles 9 et 11 s'appliquent aux déplacements intracommunaux (...) ".

13. Si la SNC " La Gare " soutient que le débit de tabac dont le déplacement a été autorisé serait situé en dehors de la ville, " au cœur d'un centre commercial composé de nombreuses enseignes nationales et d'une grande surface locomotive ", il résulte de l'instruction qu'il est situé à proximité d'une boulangerie et d'un opticien. Ces commerces ne sauraient constituer un centre commercial au sens des dispositions précitées du 2° de l'article 11 du décret du 18 juin 2010, bien que l'ensemble soit doté de places de stationnement dédiées " aux clients du centre commercial " selon les termes de l'affichette se situant à l'entrée du parking. En tout état de cause, ces commerces constituent des commerces de proximité desservant principalement les résidents de la commune d'Apt. Par suite, la société requérante n'est pas fondée à soutenir que la responsabilité de l'Etat est engagée du fait de l'illégalité fautive de l'arrêté du

26 janvier 2017 de la maire d'Apt.

S'agissant du comportement fautif de l'administration :

14. La société requérante soutient, en outre, que l'administration aurait adopté un comportement fautif de nature à engager sa responsabilité en maintenant une décision illégale, en l'induisant en erreur et en prenant à son égard des engagements qu'elle ne pouvait tenir.

15. Cependant, d'une part, ainsi qu'il a été dit au point 10, les dispositions de l'article L. 242-1 du code des relations entre le public et l'administration n'ont ni pour objet ni pour effet d'ouvrir aux tiers la possibilité de contester une décision individuelle créatrice de droits au-delà du délai de recours contentieux contre cette décision, ni de contraindre l'administration à retirer une telle décision dans un délai de quatre mois, même en cas d'illégalité de cette dernière. Dans ces conditions, la société requérante ne saurait utilement rechercher la responsabilité de l'Etat pour s'être abstenue de retirer une telle décision au-delà du délai de quatre mois ainsi posé.

16. D'autre part, à supposer même que les services de la préfecture de Vaucluse soient revenus sur leur position, après que la sous-préfète d'Apt a adressé à la maire d'Apt un courrier, en date du 15 mai 2017, lui demandant de retirer son arrêté du 26 janvier 2017, la SNC

" La Gare " n'établit ni même n'allègue que ce changement de position l'aurait conduite, en pure perte, à engager des dépenses ou à mettre en œuvre un quelconque projet. Dans ces conditions, faute d'établir un quelconque préjudice qui serait lié audit comportement de l'administration, elle n'est pas fondée à demander la condamnation de l'Etat à l'indemniser à ce titre.

17. Il résulte de ce qui précède que la SNC " La Gare " n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement n° 1703648, le tribunal administratif de Nîmes a rejeté ses conclusions à fin d'indemnisation.

Sur les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte :

18. Le présent jugement, qui rejette les conclusions à fin d'annulation et d'indemnisation, n'appelle aucune mesure d'exécution. Les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte présentées par la SNC " La Gare " ne peuvent dès lors qu'être rejetées.

Sur les conclusions à fin d'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

19. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, une somme quelconque au titre des frais exposés par l'appelante et non compris dans les dépens. Les prétentions présentées à ce titre ne peuvent donc qu'être rejetées.

D É C I D E :

Article 1er : Les requêtes n°s 19MA05549, 19MA05550 et 19MA05551 de la SNC " La Gare " sont rejetées.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la SNC " La Gare " et au ministre de l'action et des comptes publics.

Copie en sera adressée au préfet de Vaucluse et à la commune d'Apt.

Délibéré après l'audience du 21 décembre 2021, où siégeaient :

- M. Revert, président,

- Mme Marchessaux, première conseillère,

- Mme Renault, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition du greffe, le 22 février 2022.

2

Nos 19MA05549, 19MA05550, 19MA05551


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 19MA05549
Date de la décision : 22/02/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Commerce - industrie - intervention économique de la puissance publique - Réglementation des activités économiques - Modalités de la réglementation - Modalités de la réglementation des monopoles.

Procédure - Introduction de l'instance - Délais.

Responsabilité de la puissance publique - Faits susceptibles ou non d'ouvrir une action en responsabilité - Responsabilité et illégalité - Absence d'illégalité et de responsabilité.


Composition du Tribunal
Président : M. REVERT
Rapporteur ?: Mme Thérèse RENAULT
Rapporteur public ?: M. URY
Avocat(s) : DURAND

Origine de la décision
Date de l'import : 08/03/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2022-02-22;19ma05549 ?
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