Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Monsieur F... E... a demandé au tribunal administratif de Marseille d'annuler la décision du 27 janvier 2020 par lequel le préfet des Bouches-du-Rhône a rejeté sa demande de regroupement familial au bénéfice de son épouse.
Par un jugement n° 2002907 du 18 mai 2021, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
I. Par une requête, enregistrée le 29 septembre 2021, sous le n° 21MA04012, M. E..., représenté par Me Carmier, demande à la Cour :
1°) d'annuler la décision du 27 janvier 2020 du Préfet des Bouches-du-Rhône et le jugement du tribunal administratif de Marseille du 18 mai 2021 ;
2°) d'ordonner, à titre principal, au préfet des Bouches-du-Rhône de délivrer à son épouse un titre de séjour, ou, à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation et de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour dans l'attente de ce réexamen ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros à verser à Me Carmier sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative, et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- le préfet, qui n'était pas en situation de compétence liée pour refuser le regroupement familial demandé, a méconnu les stipulations de l'article 4 de l'accord franco-algérien ;
- il a également violé les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la décision est entachée d'erreur manifeste d'appréciation ;
- elle méconnaît enfin l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.
Par un mémoire en défense, enregistré le 13 décembre 2021, le préfet des Bouches-du-Rhône a conclu au rejet de la requête de M. E....
Il soutient qu'aucun moyen n'est fondé.
II. Par une requête, enregistrée le 29 septembre 2021, sous le n° 21MA04013, M. E..., représenté par Me Carmier, demande à la Cour d'ordonner, sur le fondement de l'article R. 811-17 du code de justice administrative, le sursis à exécution du jugement attaqué.
Il soutient que :
- les moyens qu'il invoque sont sérieux et de nature à entraîner l'annulation du jugement litigieux ;
- les conséquences sont difficilement réparables.
Par un mémoire en défense, enregistré le 13 décembre 2021, le préfet des Bouches-du-Rhône conclut au rejet de la requête de M. E....
Il fait valoir que les moyens soulevés ne sont pas fondés.
M. E... a été admis à l'aide juridictionnelle totale par deux décisions du 3 septembre 2021 du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Marseille.
Vu les autres pièces des dossiers.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention signée à New-York le 26 janvier 1990 relative aux droits de l'enfant ;
- l'accord franco-algérien modifié du 27 décembre 1968 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Le rapport de Mme Paix a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. E..., de nationalité algérienne, relève régulièrement appel du jugement du 18 mai 2021par lequel le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande d'annulation de la décision du 27 janvier 2020 par laquelle le préfet des Bouches-du-Rhône a rejeté sa demande de regroupement familial au bénéfice de son épouse. Il demande, par requête séparée, le sursis à exécution de ce jugement.
2. Les requêtes n° 21MA04012 et 21MA04013 sont relatives à un même jugement et ont fait l'objet d'une instruction commune. Il y a lieu de les joindre pour y être statué par un seul et même arrêt.
Sur le refus de séjour :
3. Aux termes de l'article 4 de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 : " (...) Sans préjudice des dispositions de l'article 9, l'admission sur le territoire français en vue de l'établissement des membres de famille d'un ressortissant algérien titulaire d'un certificat de résidence d'une durée de validité d'au moins un an, présent en France depuis au moins un an sauf cas de force majeure, et l'octroi du certificat de résidence sont subordonnés à la délivrance de l'autorisation de regroupement familial par l'autorité française compétente. / Le regroupement familial ne peut être refusé que pour l'un des motifs suivants : / 1. Le demandeur ne justifie pas de ressources stables et suffisantes pour subvenir aux besoins de sa famille. (...) / 2. Le demandeur ne dispose ou ne disposera pas à la date d'arrivée de sa famille en France d'un logement considéré comme normal pour une famille comparable vivant en France. / Peut être exclu de regroupement familial : (...) / 2. Un membre de la famille séjournant à un autre titre ou irrégulièrement sur le territoire français. (...) ". Et l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales prévoit que : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
4. Il résulte des pièces du dossier que M. E..., titulaire d'un titre de séjour en qualité de résident, valable jusqu'au 5 août 2028, est marié avec une compatriote, Mme D... C..., depuis le 29 juillet 2017, l'intéressée étant entrée initialement en France en 2016, munie d'un visa de trente jours à entrées multiples. Le couple a un enfant né le 7 juillet 2018, et élève également les deux premiers enfants mineurs, français, de M. E..., nés en 2006 et en 2008, et pour lesquels le domicile a été fixé chez leur père par jugement du tribunal de grande instance du 16 février 2015. M. E... exerce la profession de chauffeur livreur.
5. Le départ de Mme C... aurait ainsi nécessairement pour effet compte tenu notamment de l'activité professionnelle de M. E..., d'imposer à son épouse de retourner avec leur très jeune enfant dans leur pays d'origine, laissant en France deux enfants français d'une précédente union, âgés de douze et quatorze ans à la date de la décision attaquée. Cela provoquerait l'éclatement de la cellule familiale, et aurait des conséquences non seulement sur la situation de l'enfant Jennah, mais également sur celle des deux autres enfants, dont B... C... s'occupe compte tenu des horaires de travail de son mari. Par suite, cette décision porte une atteinte disproportionnée au droit à la vie privée et familiale des époux E... et de leurs enfants. A... en résulte et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la requête, que M. E... est fondé à soutenir que les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ont été méconnues.
6. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que M. E... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande d'annulation du refus de regroupement familial opposé par le préfet des Bouches-du-Rhône, et à demander l'annulation de cette décision, et du jugement du tribunal administratif de Marseille.
Sur les conclusions aux fins de sursis à exécution :
7. Le présent arrêt statuant sur la demande d'annulation de M. E..., sa demande de sursis à exécution est dépourvue d'objet. Il n'y a pas lieu d'y statuer.
Sur les conclusions aux fins d'injonction :
8. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public (...) prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution (...) ".
9. Eu égard à ce qui a été dit au point 5, il y a lieu d'enjoindre au préfet des Bouches-du-Rhône de délivrer à Mme C... épouse E... le titre de séjour sollicité.
Sur les frais d'instance :
10. M. E... a obtenu l'aide juridictionnelle par décision du 3 septembre 2021. Il y a lieu dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au bénéfice de Me Carmier qui s'engage à renoncer à percevoir le montant de la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle.
D É C I D E :
Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions tendant au sursis à exécution du jugement du tribunal administratif de Marseille.
Article 2 : Le jugement n° 2002907 du tribunal administratif de Marseille et la décision du 27 janvier 2020 refusant le regroupement familial demandé par M. E... au bénéfice de son épouse sont annulés.
Article 3 : Il est enjoint au préfet des Bouches-du-Rhône de délivrer à Mme D... C... épouse E... un titre de séjour " Vie privée et familiale ".
Article 4 : L'Etat versera à Me Carmier, sous réserve qu'il renonce à percevoir la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle, la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. F... E..., à Me Carmier et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet des Bouches-du-Rhône et au procureur de la République près le tribunal judiciaire de Marseille.
Délibéré après l'audience du 27 janvier 2022, où siégeaient :
- Mme Paix, présidente,
- Mme Bernabeu, présidente assesseure,
- Mme Carotenuto, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 17 février 2022.
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N° 21MA04012, 21MA04013
nc