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24/12/2021 | FRANCE | N°20MA02455

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 4ème chambre, 24 décembre 2021, 20MA02455


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Marseille de condamner

l'Etat à lui verser la somme de 22 500 euros en réparation du préjudice

né de la décision du 26 août 2016 par laquelle le directeur de la plateforme achats finances

Sud Est du service du commissariat des armées a demandé au directeur de la société Multi

services, qui l'employait, de procéder à son remplacement immédiat dans tous les sites de la

défense sur lesquels il intervenait, et d'e

njoindre au ministre de la défense de l'habiliter à intervenir sur l'ensemble des sites relevant de la Défe...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Marseille de condamner

l'Etat à lui verser la somme de 22 500 euros en réparation du préjudice

né de la décision du 26 août 2016 par laquelle le directeur de la plateforme achats finances

Sud Est du service du commissariat des armées a demandé au directeur de la société Multi

services, qui l'employait, de procéder à son remplacement immédiat dans tous les sites de la

défense sur lesquels il intervenait, et d'enjoindre au ministre de la défense de l'habiliter à intervenir sur l'ensemble des sites relevant de la Défense nationale, sous astreinte de 150 euros par jour de retard.

Par un jugement n° 1800721 du 23 juin 2020, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 23 juillet 2020, M. A..., représenté par Me Plantard, demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Marseille du 23 juin 2020 ;

2°) de condamner l'Etat à lui verser les sommes de 22 500 euros et de 3 000 euros en réparation, respectivement, de son préjudice financier résultant de son licenciement, et de son préjudice moral résultant des discriminations qu'il a subies ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la décision du 26 août 2016 demandant à son employeur de procéder à son remplacement immédiat a été annulée par jugement du 26 février 2019 et constitue une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat à son égard, nonobstant l'intervention d'une décision du 26 août 2019 l'autorisant de nouveau à accéder au lycée militaire d'Aix-en-Provence, dès lors que l'accès à toute autre enceinte militaire lui est toujours resté interdit ;

- cette décision illégale est à l'origine de son licenciement, de l'impossibilité pour lui de travailler sur des sites de défense nationale, et d'obtenir d'autres postes, dans un contexte d'état d'urgence ;

- s'il a refusé de réintégrer le site du lycée militaire dès avant son licenciement, c'est parce que les motifs de la décision illégale avaient rompu le lien de confiance avec l'armée ;

- le préjudice financier qu'il a subi en conséquence doit être chiffré à quinze mois de salaires perdus ;

- le traitement brutal, vexatoire et discriminatoire dont il a été l'objet, en même temps que d'autres personnes portant elles aussi un patronyme à consonance étrangère, lui a causé un préjudice moral.

Par ordonnance du 8 novembre 2021, la clôture d'instruction a été fixée au

26 novembre 2021 à 12 heures.

Par un mémoire en défense, enregistré le 26 novembre 2021 à 11h 56, la ministre des armées conclut au rejet de la requête.

La ministre fait valoir que :

- les conclusions tendant à la réparation du préjudice moral, nouvelles en appel et ayant pour effet de porter la somme totale demandée à un montant supérieur à celui réclamé en première instance, sont irrecevables ;

- le requérant, qui a fait le choix de ne pas regagner son poste au lycée militaire, malgré la décision rétablissant son accès du 25 octobre 2016 et qui a continué à être rémunéré pendant la période de suspension, ne peut justifier d'une perte de revenus ;

- la période de quinze mois de préjudice financier n'a donné lieu à aucun justificatif et n'est pas justifiée, compte tenu de la brièveté des effets de la décision illégale.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la sécurité intérieure ;

- l'arrêté du 30 novembre 2011 portant approbation de l'instruction générale interministérielle n° 1300 sur la protection du secret de la défense nationale ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Revert,

- les conclusions de M. Ury, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. M. A..., chef d'équipe au sein de l'entreprise de nettoyage Multiservices (SMS) titulaire d'un marché d'entretien conclu le 6 avril 2016 avec le ministère de la défense pour le nettoyage du lycée militaire d'Aix-en-Provence, a été l'objet le 26 août 2016, avec cinq autres salariés de l'entreprise exerçant leurs fonctions sur d'autres sites de défense nationale, d'une décision par laquelle le directeur de la plateforme achats-finances sud-est a demandé à son employeur de le retirer de ce site. Cette demande indiquait que les enquêtes de sécurité associées aux fiches de contrôles élémentaires concernant ces salariés avaient conduit à émettre des avis autres que " sans objection ". Par jugement du 26 février 2019 rendu sur la demande de M. A... et des cinq autres salariés de l'entreprise, le tribunal administratif de Marseille a annulé cette décision comme ne reposant sur aucun motif. Mais par jugement du 23 juin 2020, dont M. A... relève appel, le tribunal a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 22 500 euros en réparation du préjudice matériel qu'il estime avoir subi du fait de la décision du 26 août 2016.

Sur la fin de non-recevoir opposée par la ministre des armées en première instance

2. Contrairement à ce qu'a soutenu la ministre des armées devant le tribunal, M. A... a présenté aux premiers juges, en des termes suffisamment clairs et précis, des conclusions indemnitaires sur le fondement de la responsabilité de l'Etat pour illégalité fautive, en se prévalant de l'annulation contentieuse de la décision du 26 août 2016 conduisant à son éviction du site du lycée militaire d'Aix-en-Provence. Sa demande, qui était ainsi suffisamment motivée, était donc recevable.

Sur la responsabilité de l'Etat

En ce qui concerne la faute :

3. Ainsi qu'il a été dit au point 1, la décision du 26 août 2016 par laquelle a été demandé à l'employeur de M. A... son remplacement pour assurer l'entretien et le nettoyage du site du lycée militaire d'Aix-en-Provence a été définitivement annulée par jugement du tribunal administratif de Marseille du 26 février 2019, au motif que la ministre, se bornant à exciper à tort du non-lieu à statuer, n'avait livré aucune explication à cette mesure. Cette illégalité constitue une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat à l'égard de M A... qui est ainsi en droit d'obtenir réparation du préjudice direct et certain que lui a causé l'application de cette décision illégale.

En ce qui concerne les préjudices :

S'agissant du préjudice financier

4. Il résulte de l'instruction que, pour prononcer son licenciement le 23 septembre 2016 avec un préavis de deux mois, après avoir vainement cherché à le reclasser, l'employeur de

M. A... s'est fondé sur la décision illégale du 26 août 2016. Néanmoins, par décision du

25 octobre 2016, dont son employeur l'avait informé par téléphone le 3 novembre 2016, le ministère de la défense a de nouveau autorisé M. A... à accéder au site du lycée militaire et son employeur lui a en conséquence proposé de reprendre son travail sur le site du lycée militaire, par lettre du 3 novembre 2016, dès avant la prise d'effet de son licenciement. Si, pour justifier son refus de donner suite à cette proposition et de réintégrer son poste au lycée militaire,

M. A... fait état des conditions dans lesquelles son éviction du site a été prononcée et de la perte de confiance dans l'institution militaire qui en a chez lui découlé, de telles circonstances ne sont pas de nature à faire perdre à son choix de ne pas reprendre ses fonctions son caractère pleinement volontaire. Ainsi, M. A... n'est pas fondé à soutenir que la faute commise par l'Etat en lui interdisant illégalement l'accès au lycée militaire d'Aix-en-Provence le 26 août 2016 serait pour lui à l'origine directe d'un préjudice financier correspondant à une perte de salaires, évaluée à quinze mois de salaire, au reste sans aucun justificatif tant en première instance qu'en appel.

5. En outre, pour réclamer cette même somme, M. A... prétend que du fait de cette décision illégale, il n'a pu travailler sur un site relevant de la défense nationale et s'est vu interdire l'accès à d'autres emplois. Toutefois et d'une part, il ne résulte pas de l'instruction, ainsi que l'ont considéré les premiers juges, qu'à la date de cette mesure, il aurait travaillé ou été habilité à pénétrer sur un autre site de la défense nationale que le lycée militaire d'Aix-en-Provence, ni qu'il aurait sollicité son employeur pour exercer ses fonctions dans un autre établissement militaire. D'autre part, M. A... ne justifie d'aucune démarche engagée auprès d'autres employeurs que la société SMS qui auraient refusé de l'engager compte tenu de cette décision illégale.

S'agissant du préjudice moral

6. En revanche, et d'une part, la personne qui a demandé en première instance la réparation des conséquences dommageables d'un fait qu'elle impute à une administration est recevable à détailler ces conséquences devant le juge d'appel, en invoquant le cas échéant des chefs de préjudice dont elle n'avait pas fait état devant les premiers juges, dès lors que ces chefs de préjudice se rattachent au même fait générateur. Cette personne n'est toutefois recevable à majorer ses prétentions en appel que si le dommage s'est aggravé ou s'est révélé dans toute son ampleur postérieurement au jugement qu'elle attaque. Il suit de là qu'il appartient au juge d'appel d'évaluer, à la date à laquelle il se prononce, les préjudices invoqués, qu'ils l'aient été dès la première instance ou le soient pour la première fois en appel, et de les réparer dans la limite du montant total demandé devant les premiers juges. Il ne peut mettre à la charge du responsable une indemnité excédant ce montant que si le dommage s'est aggravé ou révélé dans toute son ampleur postérieurement au jugement attaqué.

7. Il résulte de ce qui a été dit au point précédent que, bien que n'ayant présenté au tribunal administratif de Marseille que des conclusions tendant à la réparation du préjudice financier qu'il estime avoir subi du fait de son éviction illégale du site du lycée militaire

d'Aix-en-Provence, en demandant à ce titre la somme de 22 500 euros, M. A... est recevable à présenter, pour la première fois en appel, des conclusions tendant à l'indemnisation d'un préjudice moral, dans la mesure où un tel chef de préjudice constitue l'une des conséquences dommageables de ce même fait générateur et où le juge d'appel ne pourra le réparer que dans la limite du montant total demandé devant le tribunal. Par suite, la ministre des armées n'est pas fondée à soutenir que sont irrecevables car nouvelles en appel les prétentions de M. A... tendant à la réparation du préjudice moral qu'il dit avoir subi du fait de la décision illégale du

26 août 2016 l'évinçant du site du lycée militaire d'Aix-en-Provence.

8. D'autre part, il résulte de l'instruction, et plus particulièrement des extraits de la presse quotidienne régionale versés pour la première fois en appel, rendant compte d'un communiqué de presse donné par le ministère de la défense le 28 octobre 2016, que les services des armées ont expliqué l'intervention de l'éviction illégale de M. A..., en même temps que celle de cinq autres salariés de la même entreprise, par un " dysfonctionnement regrettable, à l'origine de décisions prises hâtivement, dans un contexte de menaces ". Ainsi, alors que depuis le 1er septembre 2011 M. A... était salarié de l'entreprise de nettoyage DLTS, à laquelle a succédé la société SMS en 2016 et qu'il occupait son poste au lycée militaire d'Aix-en-Provence depuis de nombreuses années, son éviction illégale de ce site, qui a pris fin le 25 octobre 2016, lui a causé un préjudice moral dont il sera fait une juste indemnisation en lui allouant, à ce titre, la somme de 3 000 euros.

9. Il résulte de ce qui précède que M. A... est fondé à demander la condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 3 000 euros en réparation de son préjudice moral et à obtenir, dans cette mesure, la réformation du jugement attaqué.

10. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de faire application de l'article

L. 761-1 du code de justice administrative en mettant à la charge de l'Etat la somme de

2 000 euros au titre des frais exposés par M. A... et non compris dans les dépens.

DECIDE :

Article 1er : L'Etat versera à M. A... la somme de 3 000 euros en réparation de son préjudice moral.

Article 2 : Le jugement n° 1800721 du tribunal administratif de Marseille en date du

23 juin 2020 est réformé en ce qu'il a de contraire à l'article 1er.

Article 3 : L'Etat versera à M. A... la somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de M. A... est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et à la ministre des armées.

Délibéré après l'audience du 21 décembre 2021, où siégeaient :

- M. Revert, président,

- Mme Marchessaux, première conseillère,

- Mme Renault, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 24 décembre 2021.

N° 20MA024556


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 20MA02455
Date de la décision : 24/12/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-01-04-02 Responsabilité de la puissance publique. - Faits susceptibles ou non d'ouvrir une action en responsabilité. - Responsabilité et illégalité. - Illégalité n'engageant pas la responsabilité de la puissance publique.


Composition du Tribunal
Président : M. REVERT
Rapporteur ?: M. Michaël REVERT
Rapporteur public ?: M. URY
Avocat(s) : SCP PLANTARD ROCHAS et VIRY

Origine de la décision
Date de l'import : 11/01/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2021-12-24;20ma02455 ?
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