Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Nice de condamner l'Etat à lui verser la somme de 33 764,37 euros en réparation de ses préjudices, assortie des intérêts au taux légal à compter de sa demande préalable.
Par un jugement n° 1700029 du 30 avril 2019, le tribunal administratif de Nice a condamné l'Etat à verser à Mme A... une somme de 150 euros en réparation de son préjudice moral, assortie des intérêts au taux légal à compter du 26 septembre 2016 et rejeté le surplus des conclusions de sa requête.
Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 2 juillet 2019, Mme A..., représentée par
Me Falzone-Soler, demande à la Cour :
1°) de réformer ce jugement du tribunal administratif de Nice du 30 avril 2019 ;
2°) de porter la somme que l'Etat doit être condamné à lui verser en réparation de ses préjudices, à titre principal, à 24 327,72 euros, subsidiairement à 12 587 euros ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la faute commise par l'Etat en n'instaurant que le 16 février 2016 la commission prévue par l'article 19 du décret du 25 juillet 2011, en retardant son licenciement, lui a causé un préjudice financier en lui interdisant de percevoir de quelconques ressources entre la date à laquelle aurait dû intervenir son licenciement, le 6 novembre 2015 et son intervention effective, le 22 mars 2016 ;
- son préjudice s'élève à 24 327,72 euros dans la mesure où elle a été privée de la possibilité de percevoir des revenus équivalents à ceux qu'elle percevait avant son licenciement, en retrouvant un emploi comparable ;
- à tout le moins ce licenciement tardif l'a privée de la possibilité de percevoir, durant cette période, des allocations chômage, qui se seraient élevées, durant la période considérée, à 12 587 euros ;
- son préjudice moral s'élève à 3 000 euros.
Par un mémoire en défense enregistré le 8 juillet 2021, le garde des sceaux, ministre de la justice, conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les conclusions à fin de réformation du jugement en tant qu'il a rejeté la demande de l'intéressée de condamnation de l'Etat à l'indemniser de son préjudice financier sont irrecevables dès lors que l'invocation de la perte de toute ressource financière excède la demande préalable formée devant l'administration et la demande formulée en première instance qui se bornaient à demander l'indemnisation de la perte de ses salaires durant la période litigieuse.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- l'ordonnance n° 45-2592 du 2 novembre 1945 ;
- le décret n° 2011-875 du 25 juillet 2011 ;
- l'arrêté du 24 décembre 2015 relatif aux commissions chargées d'émettre un avis sur le projet de licenciement d'un huissier de justice salarié par le titulaire d'un office ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Renault,
- et les conclusions de M. Angéniol, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Mme A... a été recrutée par la SCP Ragué comme huissier de justice salariée par un contrat à durée indéterminée à compter du 12 août 2013. Elle a été mise à pied à titre conservatoire à compter du 1er octobre 2015, convoquée à un entretien préalable au licenciement le 16 octobre 2015 et licenciée le 22 mars 2016 après avis de la commission prévue par
l'article 19 du décret du 25 juillet 2011. Elle demande la réformation du jugement du
30 avril 2019 par lequel le tribunal administratif de Nice a limité à 150 euros la somme qu'il a condamné l'Etat à lui verser en réparation du préjudice que lui a causé la faute qu'il a commise en s'abstenant de créer dans un délai raisonnable la commission compétente pour donner un avis sur les licenciements des huissiers de justice salariés prévue par l'article 19 du décret du
25 juillet 2011, retardant de la sorte la date de son licenciement.
Sur les conclusions à fin d'indemnisation :
2. Aux termes de l'article 3 ter de l'ordonnance n° 45-2592 du 2 novembre 1945, dans sa version issue de la loi n° 2010-1609 du 22 décembre 2010 : " L'huissier de justice peut exercer sa profession en qualité de salarié d'une personne physique ou morale titulaire d'un office d'huissier de justice. (...) Un décret en Conseil d'Etat fixe les modalités d'application du présent article, et notamment les règles applicables au règlement des litiges nés à l'occasion de l'exécution d'un contrat de travail après médiation du président de la chambre départementale des huissiers de justice, celles relatives au licenciement de l'huissier de justice salarié et les conditions dans lesquelles il peut être mis fin aux fonctions d'officier public de l'huissier de justice salarié. ". Aux termes de l'article 19 du décret du 25 juillet 2011 : " Tout licenciement envisagé par le titulaire de l'office d'un huissier de justice salarié est soumis à l'avis d'une commission instituée par le garde des sceaux, ministre de la justice, dans le ressort d'une ou de plusieurs cours d'appel et composée comme suit : / 1° Un magistrat, président, désigné conjointement par le premier président de la cour d'appel du lieu du siège de la commission et le procureur général près la même cour ; / 2° Deux huissiers de justice titulaires d'office ou associés, désignés sur proposition de la chambre régionale ou des chambres régionales des huissiers de justice conjointement par le premier président et le procureur général mentionnés ci-dessus ; / 3° Deux huissiers de justice salariés exerçant dans le ressort de la cour, désignés dans les mêmes conditions sur proposition des organisations syndicales les plus représentatives des huissiers de justice salariés, ou à défaut de la chambre régionale ou des chambres régionales des huissiers de justice. / Les membres de la commission sont nommés pour quatre ans. / Chacun d'eux a un suppléant désigné dans les mêmes conditions. ".
3. Il résulte de l'instruction que la commission prévue par les dispositions précitées n'a été créée, dans le ressort de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, que par arrêté du
24 décembre 2015, que Mme A... a été convoquée, le 8 mars 2016, devant cette commission qui a rendu un avis favorable à son licenciement pour faute grave, lequel est intervenu le
22 mars 2016. Il n'est pas contesté que la constitution de la commission par arrêté du garde des sceaux, ministre de la justice, a été réalisée au-delà du délai raisonnable dont disposait le pouvoir réglementaire pour prendre les mesures nécessaires au prononcé du licenciement d'un huissier de justice salarié dans les formes prévues par les dispositions précitées de l'article 19 du décret du 25 juillet 2011, et que ce retard constitue une faute de nature à engager la responsabilité de l'administration.
En ce qui concerne le préjudice matériel :
S'agissant de la recevabilité de la demande :
4. Il résulte des termes de la réclamation préalable adressée au ministre de la justice, en date du 23 septembre 2016, que Mme A... a demandé l'indemnisation du préjudice matériel que lui a causé son licenciement, qu'elle a estimé en se fondant sur les salaires qu'elle percevait de son employeur avant sa mise à pied. Dès lors que Mme A... avait bien demandé l'indemnisation de son préjudice matériel, et non de la perte de ses seuls salaires, dans sa réclamation préalable, et que la somme qu'elle demande à ce titre n'excède pas la somme demandée dans cette réclamation, le ministre n'est pas fondé à soutenir que ces conclusions sont irrecevables faute d'avoir fait l'objet d'une demande préalable.
S'agissant de l'indemnisation du préjudice matériel:
5. D'une part, il n'est pas contesté qu'en l'absence d'avis préalable de la commission, Mme A... ne pouvait être licenciée et que, du fait de sa mise à pied à titre conservatoire, à compter du 1er octobre 2015, elle n'a perçu aucun revenu, que ce soit de son employeur
la SCP Ragué, d'un autre employeur ou sous forme d'allocations chômage. D'autre part, il résulte de l'instruction que si aucun retard n'avait été pris dans la création de la commission prévue par l'article 19 du décret du 25 juillet 2011, le licenciement de Mme A... serait intervenu, dans des conditions de diligences normales pour effectuer une saisine de la commission, la réunir, recueillir son avis et prononcer la mesure de licenciement, dans un délai de deux mois, soit le 1er décembre 2015. Le retard pris dans la création de la commission a donc prolongé le délai de licenciement de Mme A..., intervenu le 22 mars 2016, de 3 mois et
22 jours. L'intéressée a été, par suite, privée de tout revenu durant la même période.
6. Si Mme A... n'établit pas, par les pièces produites, avoir perdu une chance sérieuse d'occuper, durant la période mentionnée au point précédent, un emploi équivalent lui assurant la même rémunération, elle établit en revanche avoir été privée de la possibilité de percevoir des allocations chômage entre la date de son licenciement et le 1er mai 2016, date à laquelle elle a commencé à percevoir cette allocation qui s'élevait, selon les documents émanant de Pôle emploi joints à la requête d'appel, à une somme de 91, 21 euros brut par jour. Il sera fait une juste évaluation de ce préjudice matériel, en tenant compte du délai de carence à compter de l'inscription à Pôle emploi, en le fixant à 9 300 euros.
En ce qui concerne le préjudice moral :
7. Mme A..., qui n'apporte pas en appel d'éléments nouveaux permettant de justifier la somme qu'elle demande au titre de son préjudice moral, n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont limité à 150 euros l'indemnisation que l'Etat a été condamné à lui verser ce titre.
8. Il résulte de ce qui précède qu'il y a lieu de porter la somme que le tribunal administratif de Nice a condamné l'Etat à verser à Mme A... à 9 450 euros, dont sera déduit, s'il a déjà été versé, le montant de 150 euros.
Sur les conclusions relatives aux frais d'instance :
9. Il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros, à verser à
Mme A..., sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D É C I D E :
Article 1er : La somme de 150 euros que l'Etat a été condamné à verser à Mme A... par le jugement du tribunal administratif de Nice du 30 avril 2019 est portée à 9 450 euros, dans les conditions exposées au point 8.
Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Nice du 30 avril 2019 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera à Mme A... une somme de 2 000 euros en application de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de Mme A... est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... A... et au garde des sceaux, ministre de la justice.
Délibéré après l'audience du 9 novembre 2021, où siégeaient :
- M. Badie, président,
- M. Revert, président assesseur,
- Mme Renault, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition du greffe, le 14 décembre 2021.
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N° 19MA03002