Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. G... B... a demandé au tribunal administratif de Marseille de déclarer le centre hospitalier Louis Raffali de Manosque (CH de Manosque) responsable des conséquences dommageables subies du fait du retard de prise en charge de l'affection dont il souffrait le 22 janvier 2015, d'ordonner un complément d'expertise et de condamner cet établissement public de santé à lui verser une provision d'un montant de 50 000 euros au titre de ses préjudices.
Par un jugement avant dire droit n° 1706218 du 4 février 2019, le tribunal administratif de Marseille a déclaré le CH de Manosque responsable des conséquences dommageables de l'intervention subie par M. B... le 22 janvier 2015 et a ordonné la réalisation d'une expertise.
A la suite du dépôt du rapport d'expertise, M. B... a demandé au tribunal de condamner le CH de Manosque à lui verser la somme de 214 657 euros en réparation des préjudices subis.
Par un jugement n° 1706218 du 6 janvier 2020, le tribunal administratif de Marseille a condamné le CH de Manosque à verser à M. B... la somme de 26 520 euros en réparation de ses préjudices, a mis à la charge de l'établissement de soins les frais d'expertise et une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, a déclaré commun le jugement à la caisse primaire d'assurance maladie des Hautes-Alpes et à la caisse des dépôts et consignations et a rejeté le surplus de la demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 3 mars 2020, M. B..., représenté par Me Villegas, demande à la Cour :
1°) de réformer le jugement du tribunal administratif de Marseille du 6 janvier 2020 en tant qu'il a limité à la somme de 26 520 euros le montant de l'indemnité à laquelle il a condamné le CH de Manosque ;
2°) de porter le montant de cette indemnité à 214 657 euros ;
3°) de mettre à la charge du CH de Manosque la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le taux de perte de chance doit être fixé à 75% ;
- il a droit à une meilleure indemnisation de son déficit fonctionnel temporaire, des souffrances endurées, de son déficit fonctionnel permanent, de son préjudice sexuel, de son préjudice esthétique permanent et de l'incidence professionnelle ;
- il subit un préjudice d'agrément, un préjudice moral et des pertes de gains professionnels futurs qui doivent être indemnisés.
Par un mémoire en défense enregistré le 22 janvier 2021, le CH de Manosque, représenté par Me Le Prado, conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par M. B... ne sont pas fondés.
La requête a été communiquée à la caisse primaire d'assurance maladie des Hautes-Alpes et à la caisse des dépôts et consignations qui n'ont pas produit de mémoire.
Par un courrier enregistré le 13 août 2021, Me Villegas a informé la Cour que les héritiers de son client décédé le 21 juin 2020, ses fils A.... Nadir et Hocine B..., ce dernier, mineur, étant représentée par sa mère Mme E... F..., entendent reprendre l'instance.
Par un mémoire, enregistré le 25 octobre 2021, le CH de Manosque demande à la Cour, par la voie de l'appel incident, de réduire le montant des indemnités mises à sa charge.
Par un mémoire, enregistré le 27 octobre 2021, M. C... B... et M. D... B..., mineur représenté par sa mère, déclarent reprendre l'instance suite au décès de leur père et demandent à la Cour :
1°) de réformer le jugement du tribunal administratif de Marseille du 6 janvier 2020 en tant qu'il a limité à la somme de 26 520 euros le montant de l'indemnité à laquelle il a condamné le CH de Manosque ;
2°) de porter le montant de l'indemnité réparant le préjudice de leur père décédé à 183 157 euros, de condamner le CH de Manosque à verser à M. D... B... la somme de 18 750 euros en réparation de son préjudice moral subi consécutivement à la perte de chance de survie de son père en lien avec la faute commise par l'établissement hospitalier et à M. C... B... la somme de 11 250 euros au titre du même préjudice ;
3°) à titre subsidiaire, d'ordonner un complément d'expertise à fin d'évaluation de la perte de chance de survie de M. B... en lien avec la faute commise par le CH de Manosque ;
4°) de mettre à la charge du CH de Manosque, outre les dépens, la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par courrier du 5 novembre 2021, les parties ont été informées, par application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office tiré de l'irrecevabilité des conclusions formulées par M. D... B... et M. C... B... tendant à la condamnation du CH de Manosque à indemniser le préjudice moral qu'ils ont chacun personnellement subi consécutivement à la perte de chance de survie de leur père en lien avec la faute commise par l'établissement hospitalier, de telles conclusions étant nouvelles en appel.
Une réponse à cette mesure d'information, présentée par MM. B..., a été enregistrée le 9 novembre 2021.
Une réponse à cette mesure d'information, présentée par le CH de Manosque, a été enregistrée le 10 novembre 2021.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Massé-Degois,
- les conclusions de M. Gautron, rapporteur public,
- et les observations de Me Para représentant M. B... et Mme F....
Considérant ce qui suit :
1. M. G... B..., dont l'instance a été reprise par ses fils, A.... Nadir et Hocine B..., après son décès survenu le 21 juin 2020, a relevé appel du jugement du 6 janvier 2020 en tant que par celui-ci le tribunal administratif de Marseille a limité la condamnation du centre hospitalier de Manosque à réparer les préjudices qu'il a subis à la suite de sa prise en charge par cet établissement le 22 juin 2015 à la somme de 26 520 euros.
Sur la recevabilité des conclusions formées par MM. Hocine et Nadir B... :
2. Il ressort des pièces du dossier que M. G... B... a demandé devant les premiers juges la réparation de ses préjudices patrimoniaux et extra-patrimoniaux consécutifs à la prise en charge dont il a fait l'objet par les services des urgences du CH de Manosque le 22 janvier 2015 et devant la Cour une meilleure indemnisation de ceux-ci. MM. Hocine et Nadir B..., les fils de M. G... B..., en leur qualité d'ayants-droit, ont déclaré par un mémoire enregistré le 27 octobre 2021 reprendre l'instance initiée par leur père décédé postérieurement à l'introduction de son appel. Par ce même mémoire, ils ont demandé à la Cour de condamner le CH de Manosque à réparer le préjudice moral qu'ils ont chacun personnellement subi consécutivement à la perte de chance de survie de leur père en lien avec la faute commise par l'établissement hospitalier. Toutefois, ces conclusions présentent le caractère de conclusions nouvelles en appel. Elles sont, en conséquence, irrecevables et doivent être rejetées.
Sur la responsabilité et la perte de chance :
3. D'une part, il résulte de l'instruction, et en particulier des rapports des expertises ordonnées par le juge des référés et le président du tribunal administratif de Marseille les 19 janvier 2016 et 1er avril 2019, qu'ainsi que l'ont retenu les premiers juges, la prise en charge de M. G... B... par le service des urgences du centre hospitalier de Manosque le 22 janvier 2015 a été marquée par un retard de diagnostic et de prise en charge adaptée du syndrome coronarien aigu en pleine phase évolutive qu'il présentait.
4. D'autre part, il résulte également de l'instruction, et notamment du premier rapport d'expertise judiciaire, que Monsieur G... B..., alors âgé de presque 50 ans, présentait des antécédents de cardiopathie héréditaire familiale pour laquelle il devait effectuer une surveillance cardiologique régulière qu'il n'a pas faite, était porteur d'un tabagisme actif et n'a pas consulté de médecin dès le 19 janvier 2015 malgré des douleurs thoraciques. Dans ces conditions, si le second rapport d'expertise judiciaire indique que la perte de chance subie par M. B... d'obtenir une évolution plus favorable a été de l'ordre de 70 à 80%, c'est à juste titre que les premiers juges ont retenu que le taux de perte de chance devait être fixé à 70 % eu égard à ses antécédents familiaux et à sa négligence à consulter un praticien malgré l'apparition de douleurs précordiales deux jours avant la prise en charge litigieuse, alors que son état antérieur le prédisposait à la survenue d'un infarctus du myocarde. MM. B... ne sont donc pas fondés à soutenir que ce taux de perte de chance doit être fixé à 75%.
Sur les préjudices :
En ce qui concerne les préjudices extrapatrimoniaux :
5. Il résulte de l'instruction, et notamment du second rapport d'expertise, que M. G... B... a subi un déficit fonctionnel temporaire total pendant les hospitalisations du 22 janvier 2015 au 3 février 2015, puis du 20 au 22 juin 2017 pour la pose du défibrillateur automatique implanté, et partiel à hauteur de 60%, en dehors de ces périodes, jusqu'à la date de consolidation de son état de santé le 22 juin 2017. En fixant l'indemnisation de ce préjudice à la somme de 4 970 euros après application du taux de perte de chance, les premiers juges n'en ont pas fait une insuffisante évaluation.
6. Il résulte de l'instruction, en particulier du même rapport d'expertise, que M. G... B... a enduré des souffrances, comprenant la douleur physique mais également les souffrances psychiques et morales, évaluées à 5 sur une échelle allant de 1 à 7. Les premiers juges ont procédé à une juste appréciation de ce préjudice en en fixant la réparation à la somme de 9 450 euros après application du taux de perte de chance.
7. Il résulte de l'instruction, et notamment des rapports d'expertise, qu'alors que la prise en charge d'un syndrome coronarien aigu tel que celui présenté par M. G... B... dans un délai de 6 heures, avec désobstruction d'une sténose coronaire mono tronculaire permet d'éviter des séquelles dans 90% des cas, avec seul un risque d'intervention d'une nouvelle sténose évalué à 1% par année de vie, l'intéressé, qui souffrait de diverses pathologies, présentait un taux de déficit fonctionnel permanent de 70 %, dont 60 % en lien exclusif avec la cardiopathie, non pas préexistante contrairement à ce qu'ont retenu à tort les premiers juges, mais séquellaire des fautes commises. M. G... B..., né le 24 janvier 1965, qui était âgé de 52 ans à la date de la consolidation de son état de santé fixée au 22 juin 2017, est décédé le 21 juin 2020 à l'âge de 55 ans, en étant atteint, jusqu'à cette date, d'un déficit fonctionnel de 60% en lien exclusif avec la cardiopathie résultant des fautes commises par le CH de Manosque. Il y a lieu, eu égard au décès de M. B... survenu trois années après la date de la consolidation de son état de santé, de confirmer l'indemnité de 8 400 euros, allouée par les premiers juges après application du taux de perte de chance, au titre de ce chef de préjudice.
8. Il ne résulte pas de l'instruction que M. G... B... exerçait auparavant des activités sportives ou de loisirs qu'il n'aurait plus pu pratiquer après la consolidation de son état de santé. Par suite, ainsi que l'ont retenu les premiers juges, aucune indemnisation au titre d'un quelconque préjudice d'agrément ne peut être accordée.
9. Il résulte de l'instruction, en particulier du second rapport d'expertise, que le préjudice esthétique de M. G... B..., évalué à 1 sur une échelle allant de 1 à 7, a fait l'objet d'une évaluation suffisante par les premiers juges qui ont fixé le montant de la réparation à 700 euros après application du taux de perte de chance.
10. Il résulte de l'instruction que le préjudice sexuel subi par M. G... B... a été justement indemnisé par les premiers juges qui l'ont fixé à la somme de 1 000 euros après application du taux de perte de chance.
11. Il ne résulte pas de l'instruction qu'un lien de causalité direct et certain est établi entre les conséquences du retard de diagnostic et de prise en charge appropriée de la pathologie cardiaque de M. G... B... et les problèmes familiaux et financiers qu'il a rencontrés par la suite. Cette demande présentée au titre d'un préjudice moral spécifique lié à ces difficultés doit donc, ainsi que l'ont retenu les premiers juges, être rejetée.
En ce qui concerne les préjudices patrimoniaux :
12. Si M. G... B..., alors agent hospitalier au CH de Manosque, a été placé en congé de longue durée à compter du mois de juin 2016 à plein traitement, puis à demi-traitement à compter du mois de juillet 2019, d'une part, il ne résulte pas de l'instruction, et notamment pas du second rapport d'expertise, qui ne retient pas de pertes de gains professionnels futurs, que cet arrêt de ses activités professionnelles serait en lien direct et certain avec les fautes commises, alors que l'intéressé a été également opéré au mois de juin 2016 d'un cancer de l'estomac ayant également nécessité un traitement par chimiothérapie. Cette demande, présentée au titre des pertes de gains professionnels futures, doit donc, ainsi que l'ont retenu les premiers juges, être rejetée.
13. Il résulte enfin de l'instruction que M. G... B... a présenté, en raison des conséquences des fautes commises, une pénibilité accrue au travail. Les premiers juges ont procédé à une juste évaluation de l'incidence professionnelle en évaluant ce poste de préjudice à la somme de 2 000 euros après application du taux de perte de chance.
14. Il résulte de tout ce qui précède que MM. Nadir et Hocine B... ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont évalué à la somme de 26 520 euros le montant de l'indemnisation du préjudice de leur père depuis décédé.
15. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge du centre hospitalier de Manosque, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que MM. Nadir et Hocine B... demandent au titre des frais du litige.
D É C I D E :
Article 1er : La requête des consorts B... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... B..., à Mme E... F..., représentante légale de M. D... B..., au centre hospitalier Louis Raffali de Manosque, à la caisse primaire d'assurance maladie des Hautes-Alpes et à la caisse des dépôts et consignations.
Délibéré après l'audience du 25 novembre 2021, où siégeaient :
- M. Alfonsi, président de chambre,
- Mme Massé-Degois, présidente assesseure,
- M. Mahmouti, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 9 décembre 2021.
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N° 20MA01079
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