Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La SARL Statim Provence a demandé au tribunal administratif de Marseille, par deux actes introductifs d'instance, d'annuler la décision du 30 octobre 2018 par laquelle le maire de Paradou a délégué à l'établissement public foncier de Provence-Alpes-Côte d'Azur (EPF-PACA) l'exercice du droit de préemption urbain sur les parcelles cadastrées section AB nos 196, 197, 198, 202, 311 et 312, au lieu-dit " Le Meindray ", ainsi que la décision du 27 novembre 2018 du président de l'EPF-PACA préemptant ces parcelles.
Par un jugement nos 1810985, 1900694 du 2 mars 2020, le tribunal administratif de Marseille a rejeté les demandes de la SARL Statim Provence après les avoir jointes.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 30 avril 2020 et le 16 janvier 2021, la SARL Statim Provence, représentée par Me Lucas, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 2 mars 2020 du tribunal administratif de Marseille ;
2°) d'annuler la décision du 30 octobre 2018 du maire de Paradou et la décision du 27 novembre 2018 du président de l'EPF-PACA ;
3°) d'enjoindre à l'EPF-PACA, sous astreinte de 150 euros par jour de retard, de proposer l'acquisition des parcelles aux anciens propriétaires et, à défaut, à elle-même, dans un délai de deux mois à compter de l'arrêt à intervenir ;
4°) de mettre à la charge de l'EPF-PACA la somme de 3 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le tribunal administratif a omis de se prononcer sur le moyen tiré de l'absence d'intérêt général de la décision de préemption ;
- il a dénaturé ses écritures, car elle avait soulevé en première instance un moyen tiré de ce que les décisions contestées méconnaissaient le plan local d'urbanisme, et non l'exception d'illégalité de ce dernier ;
- le litige n'a pas perdu son objet ;
- elle dispose d'un intérêt à agir ;
- la décision de délégation n'est pas motivée ;
- elle n'a pas été régulièrement précédée de l'avis du service des domaines ;
- elle est insuffisamment précise ;
- elle est illégale du fait de l'imprécision de la convention habitat conclue entre la commune et l'EPF-PACA ;
- elle ne respecte pas les conditions prévues par cette convention ;
- elle délègue le droit de préemption pour une opération qui n'est pas justifiée par un intérêt général suffisant ;
- elle ne pouvait être justifiée par la poursuite de l'orientation d'aménagement et de programmation du Meindray ;
- la décision de préemption est insuffisamment motivée ;
- elle n'a pas été régulièrement précédée de l'avis du service des domaines ;
- elle n'est pas justifiée par un intérêt général suffisant ;
- elle méconnaît le plan local d'urbanisme, dès lors que l'orientation d'aménagement et de programmation du Meindray ne s'applique pas au projet de la commune ;
- elle méconnait également l'arrêt n° 17MA01915 rendu le 4 avril 2018 par la cour ;
- la décision de préemption est illégale en conséquence de l'illégalité de la décision de délégation ;
- les deux décisions sont entachées de détournement de pouvoir et de procédure.
Par deux mémoires en défense, enregistrés le 30 juin 2020 et le 18 février 2021, l'EPF-PACA, représenté par Me Charbonnel, demande à la cour :
1°) à titre principal, de rejeter la requête de la SARL Statim Provence ;
2°) à titre subsidiaire, de prononcer un non-lieu à statuer sur celle-ci ;
3°) à titre très subsidiaire, de rejeter les demandes présentées par la SARL Statim Provence en première instance ;
4°) en tout état de cause, de mettre à sa charge la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- il n'y a pas lieu de statuer sur la requête de la SARL Statim Provence, car il a acquis les parcelles en question sans que l'acte de vente ait mis à sa charge l'obligation de viabiliser les terrains, et car l'article L. 213-11-1 du code de l'urbanisme ne peut être appliqué ;
- la SARL Statim Provence n'a pas intérêt à agir ;
- les autres moyens soulevés ne sont pas fondés.
La requête a été communiquée à la commune de Paradou, qui n'a pas produit de mémoire.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'urbanisme ;
- le code de justice administrative.
Après avoir entendu en audience publique :
- le rapport de M. Merenne,
- les conclusions de M. Pecchioli, rapporteur public,
- et les observations de Me Lucas, représentant la société Statim Provence, et de Me Barata, représentant l'EPF-PACA.
Considérant ce qui suit :
1. Les consorts A... et la SARL Statim Provence ont conclu le 27 septembre 2018 un compromis de vente portant sur les parcelles cadastrées section AB nos 196, 197, 198, 202, 311 et 312, au lieu-dit " Le Meindray ", sur le territoire de la commune de Paradou. Le maire de Paradou a délégué l'exercice du droit de préemption urbain sur ces parcelles à l'EPF-PACA par une décision du 30 octobre 2018. Ce dernier a préempté les parcelles par une décision du 27 novembre 2018. La SARL Statim Provence a contesté ces décisions devant le tribunal administratif de Marseille par deux actes introductifs d'instance. Elle fait appel du jugement du 2 mars 2020 par lequel le tribunal administratif de Marseille a rejeté ses demandes après les avoir jointes.
Sur la régularité du jugement :
2. D'une part, la SARL Statim Provence a invoqué en page 7 du mémoire en réplique produit dans l'instance n° 1810985 un moyen dirigé contre la décision de délégation, tiré de " l'intérêt général de la préemption " qu'elle regardait elle-même comme " une erreur ou un abus de droit ". Le tribunal administratif, après avoir qualifié ce moyen d'erreur de droit, l'a écarté comme inopérant au point 6 du jugement attaqué. Le tribunal a en outre écarté le même moyen, dirigé contre la décision de préemption, aux points 13 à 15 du jugement attaqué. Il n'a donc pas omis d'y statuer.
3. D'autre part, l'exception d'illégalité désigne le moyen par lequel une partie, à l'appui de ses conclusions, conteste la légalité d'un acte qui n'est pas l'objet du litige. La SARL Statim Provence a fait valoir à de nombreuses reprises devant les juges du fond que le plan local d'urbanisme de la commune de Paradou et l'une de ses orientations d'aménagement et de programmation étaient " irréguliers " (illégaux) et que les décisions contestées étaient également illégales de ce fait. Ainsi, alors même que l'un de ses mémoires indiquait par ailleurs " qu'il ne s'agit pas tant d'invoquer l'illégalité [du plan local d'urbanisme] que d'en demander l'application complète ", le tribunal administratif, en retenant qu'elle invoquait l'exception d'illégalité de ces documents, ne s'est pas mépris sur les écritures de la société requérante, certes confuses et contradictoires, mais leur a au contraire, dans le cadre de son office, restitué leur exacte portée. Le tribunal a également écarté, au point 16 du jugement attaqué, les moyens tirés de la méconnaissance du plan local d'urbanisme et de l'orientation d'aménagement et de programme comme inopérants. Il n'a ainsi ni omis de statuer sur les moyens soulevés, ni statué sur des moyens qui n'étaient pas soulevés.
Sur la décision de délégation :
4. En premier lieu, il ne résulte d'aucun principe ni d'aucun texte que la décision par laquelle le titulaire du droit de préemption délègue son droit à une autre personne, sur le fondement de l'article L. 213-3 du code de l'urbanisme, doive être motivée, ou précédée d'un avis du service des domaines.
5. En deuxième lieu, la décision du maire de Paradou du 30 octobre 2018 délègue à l'EPF-PACA l'exercice du droit de préemption urbain sur les parcelles cadastrées section AB nos 196, 197, 198, 202, 311 et 312, au lieu-dit " Le Meindray ". Son objet est donc suffisamment défini et précis, contrairement à ce que soutient la société requérante.
6. En troisième lieu, la commune pouvait légalement déléguer l'exercice du droit de préemption à l'EPF-PACA sur le fondement de l'article L. 213-3 du code de l'urbanisme, indépendamment même de la convention conclue le 27 avril 2017 entre la commune et l'EPF-PACA pour l'acquisition et le portage foncier de biens permettant la réalisation de programmes d'habitat.
7. En dernier lieu, la décision de délégation ne constitue pas elle-même une décision de préemption. Elle n'est pas non plus prise sur le fondement ou pour l'application de la décision qui lui est postérieure. Tous les moyens invoquant l'illégalité de la préemption sont donc inopérants.
Sur la décision de préemption :
En ce qui concerne la légalité externe :
8. En premier lieu, à supposer même que les clauses de la convention du 27 avril 2017 revêtent un caractère réglementaire, la décision de délégation a formalisé l'accord du maire préalable à l'acquisition, ainsi que le prévoit l'article 3 de cette convention.
9. En deuxième lieu, le premier alinéa de l'article R. 213-21 du code de l'urbanisme dispose que : " Le titulaire du droit de préemption doit recueillir l'avis du service des domaines sur le prix de l'immeuble dont il envisage de faire l'acquisition dès lors que le prix ou l'estimation figurant dans la déclaration d'intention d'aliéner ou que le prix que le titulaire envisage de proposer excède le montant fixé par l'arrêté du ministre chargé du domaine prévu à l'article R. 1211-2 du code général de la propriété des personnes publiques. " Le troisième alinéa du même article ajoute que " L'avis du directeur départemental ou, le cas échéant, régional des finances publiques doit être formulé dans le délai d'un mois à compter de la date de réception de la demande d'avis. Passé ce délai, il peut être procédé librement à l'acquisition. " Enfin, le premier alinéa de l'article R. 213-6 du même code précise que : " Dès réception de la déclaration [d'intention d'aliéner], le maire en transmet copie au directeur départemental ou, le cas échéant, régional des finances publiques en lui précisant si cette transmission vaut demande d'avis. "
10. Il ressort des pièces du dossier que le maire de Paradou a saisi pour avis la direction départementale des finances publiques des Bouches-du-Rhône le 4 octobre 2018 en transmettant copie de la déclaration d'intention d'aliéner. Cette demande d'avis, régulièrement effectuée au regard de l'article R. 213-6 du code de l'urbanisme, a été de nature à faire courir le délai d'un mois prévu au troisième alinéa de l'article R. 213-21, alors même que le service des domaines aurait estimé à tort que le dossier n'aurait été " en état " que le 20 novembre 2018. L'EPF-PACA pouvait dès lors procéder librement à l'acquisition en application du troisième alinéa de l'article R. 213-21 du code de l'urbanisme, y compris au regard de l'article 3 de la convention du 27 avril 2017. En outre, la circonstance que cette demande d'avis ait été formulée par l'intermédiaire de l'EPF-PACA, qui n'a bénéficié qu'ultérieurement d'une délégation de signature, mais avait conclu la convention en question avec la commune, n'entache pas la régularité de cette consultation. Le moyen tiré de l'absence de consultation du service des domaines doit donc être écarté.
11. En troisième lieu, la décision de préemption indique qu'elle est destinée à constituer une réserve foncière afin de réaliser un programme d'habitat de vingt à trente logements, dont une partie de logements sociaux, un parc interquartiers, une voie publique Nord-Sud avec de larges trottoirs et un réseau de liaison de modes doux Est-Ouest. Elle mentionne ainsi, conformément à l'article L. 210-1 du code de l'urbanisme, l'objet pour lequel ce droit est exercé, qui est constitué de plusieurs éléments. En revanche, ces dispositions n'imposent pas de faire état d'un " objectif final " auquel ferait obstacle une " pluralité de motivation " (un projet composé de plusieurs éléments), comme le soutient la société requérante. Elles n'imposent pas plus de joindre ou de viser des documents déterminés, ainsi que l'a jugé le tribunal administratif.
En ce qui concerne la légalité interne :
12. En premier lieu, contrairement à ce que soutient la société requérante, l'arrêt de la cour n° 17MA01915 du 4 avril 2018, qui a confirmé l'annulation du retrait du permis d'aménager qu'elle avait obtenu le 30 janvier 2014, n'a aucun rapport avec l'orientation d'aménagement et de programmation du Meindray du plan local d'urbanisme de Paradou, adopté le 28 mars 2018, et n'a eu aucune incidence sur la légalité de celle-ci, quelles qu'aient pu être les réserves émises par le commissaire enquêteur lors de l'enquête publique et la réponse apportée par la commune à ces réserves.
13. En deuxième lieu, la circonstance que l'acquéreur évincé exercerait une activité conforme à l'objectif poursuivi par la décision de préemption est sans incidence sur la légalité de la décision attaquée. Par suite, la SARL Statim Provence ne peut utilement faire valoir qu'elle a l'intention de construire des logements sur les parcelles en question.
14. En troisième lieu, le caractère insuffisant ou excessif du prix auquel le titulaire du droit de préemption se propose d'acquérir le bien préempté est sans incidence sur la légalité de la décision de préemption.
15. En quatrième lieu, le coût d'acquisition correspond approximativement à la moitié du budget annuel d'investissement de la commune. L'impact excessif de cette acquisition sur l'endettement de la commune, n'est pas démontré, s'agissant d'un projet central de son développement.
16. En cinquième lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier que le montant prévisionnel de trois millions d'euros prévu par la convention habitat à caractère multi-sites conclue entre la commune et l'EPF-PACA représente le budget maximal pour l'aménagement du secteur du Meindray. La part du coût d'acquisition des parcelles en question au sein de ce montant ne porte par elle-même aucune atteinte à l'intérêt général.
17. En sixième lieu, la décision de préemption s'inscrit dans le cadre de l'orientation d'aménagement et de programmation du Meindray, qui vise à aménager un secteur faiblement construit à l'est de la commune afin de rétablir une continuité urbaine entre le centre village et les extensions urbaines formées par des lotissements. Ainsi qu'il a été dit, elle est destinée à constituer une réserve foncière afin de réaliser un programme d'habitat de vingt à trente logements, dont une partie de logements sociaux, un parc interquartiers, une voie publique Nord-Sud avec de larges trottoirs et un réseau de liaison de modes doux Est-Ouest. La faisabilité de la construction de logements est établie par les pièces du dossier, contrairement à ce que soutient la SARL Statim Provence.
18. Il résulte de ce qui a été vu aux points 12 à 17 que le moyen tiré de l'absence d'intérêt général du projet doit être écarté.
19. En outre, si l'exercice du droit de préemption par l'EPF-PACA, au nom de la commune, conduit à faire échec au projet de la SARL Statim Provence, il est justifié par le propre projet de la commune, qui répond à un objectif d'intérêt général ainsi qu'il vient d'être dit. Le moyen tiré d'un détournement de pouvoir et de procédure doit donc être écarté.
20. Enfin, il résulte de ce qui a été vu aux points 4 à 7 que le moyen tiré de l'exception d'illégalité de la décision de délégation, invoqué à l'encontre de la décision de préemption, doit être écarté.
21. La SARL Statim Provence n'est donc pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande.
Sur les frais liés au litige :
22. Il y a lieu, en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, de mettre à la charge de la SARL Statim Provence le versement de la somme de 3 000 euros à la l'EPF-PACA au titre des frais qu'il a exposés et non compris dans les dépens. Les dispositions de cet article font en conséquence obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions présentées par la SARL Statim Provence sur le même fondement.
D É C I D E :
Article 1er : La requête de la SARL Statim Provence est rejetée.
Article 2 : La SARL Statim Provence versera la somme de 3 000 euros à l'EPF-PACA en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la SARL Statim Provence, à l'établissement public foncier de Provence-Alpes-Côte d'Azur et à la commune de Paradou.
Délibéré après l'audience du 8 novembre 2021, où siégeaient :
- M. Bocquet, président,
- M. Marcovici, président assesseur,
- M. Merenne, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 22 novembre 2021.
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No 20MA01741