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19/10/2021 | FRANCE | N°19MA02547

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 4ème chambre, 19 octobre 2021, 19MA02547


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... Brunet a demandé au tribunal administratif de Bastia d'annuler l'arrêté du 2 octobre 2017 par lequel le préfet de la Haute-Corse a refusé de reconnaître sa maladie comme maladie professionnelle et sa tentative de suicide comme un accident de service.

Par un jugement n° 1701303 du 4 avril 2019, le tribunal administratif de Bastia a rejeté cette demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire enregistrés le 4 juin 2019 et le 29 avril 2021,

Mme Brunet

, représentée par Me Solinski, demande à la Cour, dans le dernier état de ses écritures :

1°) d'...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... Brunet a demandé au tribunal administratif de Bastia d'annuler l'arrêté du 2 octobre 2017 par lequel le préfet de la Haute-Corse a refusé de reconnaître sa maladie comme maladie professionnelle et sa tentative de suicide comme un accident de service.

Par un jugement n° 1701303 du 4 avril 2019, le tribunal administratif de Bastia a rejeté cette demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire enregistrés le 4 juin 2019 et le 29 avril 2021,

Mme Brunet, représentée par Me Solinski, demande à la Cour, dans le dernier état de ses écritures :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Bastia ;

2°) d'annuler l'arrêté du 2 octobre 2017 du préfet de la Haute-Corse ;

3°) d'enjoindre à l'administration de réexaminer sa situation, de la placer en congé de maladie imputable au service ainsi que de reconnaître l'accident de travail, et de la faire bénéficier de son traitement complet à compter du 30 octobre 2016 ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- sa requête est recevable ;

- la décision attaquée est entachée de vices de procédure car elle n'a pas été précédée d'une enquête administrative, et que le médecin expert qui a rendu un rapport du 28 juillet 2016, qu'elle a récusé, n'était pas impartial ;

- la dégradation de son état de santé et sa tentative de suicide sont directement imputables au service, du fait de l'agression verbale subie le 29 octobre 2015 et de la dégradation de son environnement de travail.

Par un mémoire enregistré le 24 juillet 2020, le ministre de la transition écologique soutient qu'il n'est pas compétent pour défendre l'Etat dans ce dossier, lequel relève du ministre de l'agriculture et de l'alimentation.

Par un mémoire en défense, enregistré le 21 avril 2021, le ministre de l'agriculture et de l'alimentation conclut au rejet de la requête.

Il soutient à titre principal que la requête est irrecevable au motif qu'elle ne présente aucun moyen d'appel, et à titre subsidiaire, que les moyens de la requérante sont infondés.

Par ordonnance du 10 mai 2021, la clôture d'instruction a été fixée au 28 mai 2021 à 12h00.

Mme Brunet a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 27 novembre 2020.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;

- le décret n° 86-442 du 19 mars 1986 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Ury,

- les conclusions de M. Angéniol, rapporteur public.

- et les observations de Mme Brunet.

Considérant ce qui suit :

1. Mme Brunet, secrétaire administrative de classe supérieure du ministère de l'agriculture et de l'alimentation, en poste à la direction départementale des territoires et de la mer (DDTM) de la Haute-Corse, a été placée en congé de maladie ordinaire à compter du

30 octobre 2015. Le 7 juin 2016, elle a tenté de mettre fin à ses jours par ingestion médicamenteuse à son domicile. Par un arrêté du 4 octobre 2016, elle a été rétroactivement placée en congé de longue maladie à compter du 30 octobre 2015. Le 17 mars 2017, elle a présenté une demande de reconnaissance d'imputabilité au service des troubles anxio-dépressifs dont elle souffre et de sa tentative de suicide comme accident de service. Elle relève appel du jugement du

4 avril 2019 par lequel le tribunal administratif de Bastia a rejeté sa requête contre la décision du

2 octobre 2017 du préfet de la Haute-Corse qui refuse de faire droit à sa demande.

Sur les conclusions à fin d'annulation de la décision attaquée :

En ce qui concerne la légalité externe :

2. En premier lieu, aux termes de l'article 19 du décret du 19 mars 1986 :

" (...) La commission de réforme doit être saisie de tous témoignages rapports et constatations propres à éclairer son avis (...) ".

3. Il ressort des pièces du dossier que le directeur de la DDTM s'est entretenu le

5 février 2016 avec Mme Brunet à la suite de " l'agression verbale " dont elle se disait victime de la part de son supérieur hiérarchique, lors d'un entretien le 29 octobre 2015, et qu'elle avait fait connaître à son service par une lettre du 7 décembre 2015. Le même directeur a entendu le

23 décembre 2015 le supérieur hiérarchique de l'intéressée, qui, pour sa part, a évoqué un rappel ferme des consignes relatives aux projets d'engagements financiers des aides de l'Etat, mais non une violence verbale. Ce fonctionnaire a rédigé un rapport relatif à l'évènement. Ainsi, contrairement à ce que soutient Mme Brunet, une enquête interne a été diligentée par le service et, par la suite, un rapport circonstancié a été établi par sa hiérarchie. En outre, la commission de réforme a disposé, pour rendre son avis sur la situation de Mme Brunet, du rapport du supérieur hiérarchique de l'intéressée et de l'avis médical établi par le médecin expert psychiatre, le

16 mai 2017. Par suite, le moyen tiré de ce que la commission de réforme aurait émis un avis défavorable sur l'imputabilité au service de la tentative de suicide de Mme Brunet ou de sa maladie sans disposer d'éléments suffisants doit être écarté.

4. En deuxième lieu, il ressort des pièces du dossier que le préfet de la Haute-Corse qui a pris la décision contestée à partir des éléments évoqués au point 3 et au vu de l'avis de la commission de réforme, a statué en connaissance de cause, sans qu'il lui ait été nécessaire de faire lui-même procéder à une enquête administrative qu'aucun principe général du droit, ni aucune disposition législative ou réglementaire n'impose.

5. En troisième lieu, Mme Brunet soutient que la procédure suivie devant la commission de réforme a été viciée dès lors que celle-ci a pris connaissance du rapport établi le 28 juillet 2016 par un médecin expert qu'elle avait récusé au motif qu'il l'avait accueilli à l'hôpital juste après sa tentative de suicide. Toutefois, il est constant que le médecin ainsi mis en cause par la requérante est intervenu à l'occasion de l'examen par le comité médical d'une demande tendant à son placement en congé de longue maladie, l'expertise diligentée pour l'examen par la commission de réforme de sa demande de reconnaissance de l'imputabilité au service d'une maladie ou d'un accident ayant été établie par un autre médecin. La seule circonstance que l'entier dossier médical de l'intéressée transmis à la commission de réforme comprenait le rapport du médecin en cause, qui concluait d'ailleurs en faveur de l'intéressée dans le cadre de la procédure d'admission à un congé de longue maladie, n'a pas été de nature à vicier la procédure suivie devant la commission de réforme.

6. Par suite, Mme Brunet n'est pas fondée à soutenir que l'arrêté attaqué du préfet de la Haute-Corse a été pris à l'issue d'une procédure irrégulière.

En ce qui concerne la légalité interne :

7. Antérieurement aux dispositions de l'article 21 bis de la loi du 13 juillet 1983 qui ne sont applicables qu'aux maladies ou aux accidents survenus postérieurement à leur entrée en vigueur, une maladie contractée par un fonctionnaire, ou son aggravation, doit être regardée comme imputable au service si elle présente un lien direct avec l'exercice des fonctions ou avec des conditions de travail de nature à susciter le développement de la maladie en cause, sauf à ce qu'un fait personnel de l'agent ou toute autre circonstance particulière conduisent à détacher la survenance ou l'aggravation de la maladie du service. Par ailleurs, un accident survenu sur le lieu et dans le temps du service, dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice par un fonctionnaire de ses fonctions ou d'une activité qui en constitue le prolongement normal présente, en l'absence de faute personnelle ou de toute autre circonstance particulière détachant cet événement du service, le caractère d'un accident de service. Constitue un accident de service un évènement survenu à une date certaine, par le fait ou à l'occasion du service, dont il est résulté une lésion, quelle que soit la date d'apparition de celle-ci. Sauf à ce qu'il soit établi qu'il aurait donné lieu à un comportement ou à des propos excédant l'exercice normal du pouvoir hiérarchique, lequel peut conduire le supérieur hiérarchique à adresser aux agents des recommandations, remarques, reproches ou à prendre à leur encontre des mesures disciplinaires, un entretien, notamment d'évaluation, entre un agent et son supérieur hiérarchique, ne saurait être regardé comme un événement soudain et violent susceptible d'être qualifié d'accident de service, quels que soient les effets qu'il a pu produire sur l'agent. Enfin, constitue un accident de service, un suicide ou une tentative de suicide sur le lieu et dans le temps du service, en l'absence de circonstances particulières le détachant du service. Il en va également ainsi, en dehors de ces hypothèses, si le suicide ou la tentative de suicide présente un lien direct, mais non nécessairement exclusif, avec le service. Il appartient dans tous les cas au juge administratif, saisi d'une décision de l'autorité administrative compétente refusant de reconnaître l'imputabilité au service d'un tel événement, de se prononcer au vu des circonstances de l'espèce.

8. En premier lieu, Mme Brunet fait valoir qu'elle a développé les troubles anxio-dépressifs dont elle est atteinte à la suite de " l'agression verbale " qu'elle a subi de la part de son chef de service, le 29 octobre 2015. Il ressort des pièces du dossier, et notamment de la fiche de poste de Mme Brunet, qu'elle était spécialement chargée d'" appuyer les unités dans l'élaboration et la gestion des engagements juridiques de subvention (arrêtés ou conventions) et dans la certification de service fait - partie administrative ". Il n'est pas contesté que face aux difficultés d'exécution de son poste, le chef de service de l'intéressée a réparti son travail entre deux autres agents. Il est constant également que, le 29 octobre 2015, son chef de service a échangé avec l'intéressée sur les carences observées dans le respect des procédures de suivi et de la qualité des engagements financiers. Toutefois, hormis ses propres allégations, aucun élément ne vient corroborer la réalité des violences verbales dont Mme Brunet se plaint de la part de ce fonctionnaire, et notamment pas les certificats médicaux qu'elle produit qui se bornent à reprendre ses propos et à évoquer une difficulté au travail. Dans ces conditions, le rappel des consignes du service concernant les carences constatées qui se rattachait à l'exercice normal du pouvoir hiérarchique ne peut être regardé comme ayant été constitutif d'un accident de service.

9. En deuxième lieu, il résulte des différents éléments médicaux versés au dossier, que Mme Brunet était, antérieurement à sa tentative de suicide du 7 juin 2016, atteinte d'une maladie dégénérative qui entraîne des troubles cognitifs et un déficit attentionnel, fragilisée par plusieurs interventions médicales en décembre 2013 et février 2014 sur la colonne vertébrale et avait, en outre, vécu une procédure de divorce qui s'était terminée en 2015. Elle avait, par ailleurs, au cours de sa vie, déjà commis deux tentatives de suicide, à l'âge de 16 ou 17 ans et à l'âge de 30 ans. Dans ces conditions, la tentative du 7 juin 2016, alors que l'intéressée était à son domicile, en arrêt de maladie depuis plus de sept mois, et quand bien même, dans une lettre d'adieu, elle met clairement en cause son chef de service, ne peut être regardée comme ayant un lien direct avec le service.

10. Enfin, Mme Brunet fait valoir que ses troubles anxio-dépressifs trouvent également leur origine dans les faits de harcèlement moral et de discrimination professionnelle dont elle soutient avoir été victime. Mme Brunet fait valoir, à cet effet, que son supérieur hiérarchique lui a ordonné de laver elle-même les véhicules du service. Cependant, hormis son allégation, aucun élément du dossier ne vient contredire l'affirmation de l'administration selon laquelle la demande d'organisation du nettoyage des véhicules du service portait sur la gestion de la logistique, sans que Mme Brunet ait été elle-même chargée d'assurer cette tâche physiquement, étant précisé qu'en sa qualité de secrétaire administrative, elle était notamment chargée de " gérer la logistique du service (intendance, véhicules, congés et absence, enquêtes formation et moyens ". En faisant valoir ce seul évènement, qui n'est pas démontré, la requérante ne fait pas état d'éléments permettant de faire présumer l'existence d'un harcèlement moral. Par ailleurs, ainsi qu'il a été dit au point 9, la pathologie dépressive de l'intéressée, si elle a pu être favorisée par certaines conditions de son activité professionnelle, s'était déjà manifestée précédemment. Il résulte de ce qui vient d'être dit, que, si Mme Brunet a connu des difficultés relationnelles avec sa hiérarchie, la dégradation de son état de santé ne peut être regardée comme présentant un lien direct avec des conditions de travail de nature à susciter le développement d'une telle maladie, alors même que l'expert mandaté par la commission de réforme mais qui indiquait avoir réalisé son expertise au regard des seules déclarations de Mme Brunet a émis un avis favorable à cette reconnaissance.

11. Il résulte de ce qui précède que Mme Brunet n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bastia a rejeté sa requête.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

12. Le présent arrêt rejette les conclusions à fin d'annulation de Mme Brunet. Par suite, ses conclusions en injonction ne peuvent être accueillies.

Sur l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas partie perdante dans la présente instance, la somme que Mme Brunet demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.

D É C I D E :

Article 1er : La requête de Mme Brunet est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... Brunet et au ministre de l'agriculture et de l'alimentation.

Copie en sera adressée au préfet de la Haute-Corse et au ministre de la transition écologique.

Délibéré après l'audience du 5 octobre 2020, où siégeaient :

- Mme Helmlinger, présidente de la Cour,

- M. Revert, président assesseur,

- M. Ury, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 19 octobre 2021.

N° 19MA025476


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 19MA02547
Date de la décision : 19/10/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

36-05-04-01-03 Fonctionnaires et agents publics. - Positions. - Congés. - Congés de maladie. - Accidents de service.


Composition du Tribunal
Président : Mme HELMLINGER
Rapporteur ?: M. Didier URY
Rapporteur public ?: M. ANGENIOL
Avocat(s) : SOLINSKI

Origine de la décision
Date de l'import : 02/11/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2021-10-19;19ma02547 ?
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