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07/10/2021 | FRANCE | N°20MA03200

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 2ème chambre, 07 octobre 2021, 20MA03200


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... a demandé au tribunal administratif de Nice de condamner l'Etat à lui verser une indemnité de 13 909,62 euros en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis du fait de l'illégalité de la décision implicite de refus de séjour dont il a fait l'objet, qui a été annulée A... un jugement du tribunal administratif de Nice du 10 janvier 2014.

A... un jugement n° 1701091 du 12 mars 2020, le tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

A

... une requête enregistrée le 24 août 2020, M. C..., représenté A... Me Ajil, demande à la Cou...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... a demandé au tribunal administratif de Nice de condamner l'Etat à lui verser une indemnité de 13 909,62 euros en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis du fait de l'illégalité de la décision implicite de refus de séjour dont il a fait l'objet, qui a été annulée A... un jugement du tribunal administratif de Nice du 10 janvier 2014.

A... un jugement n° 1701091 du 12 mars 2020, le tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

A... une requête enregistrée le 24 août 2020, M. C..., représenté A... Me Ajil, demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nice du 12 mars 2020 ;

2°) de condamner l'Etat à lui payer 1 500 euros en compensation de son maintien dans une situation d'irrégularité au cours de la période du 27 novembre 2012 au 10 janvier 2014, 8 554,20 euros et 855,42 euros au titre des salaires qu'il aurait dû percevoir en l'absence de résiliation de la promesse d'embauche et au titre des congés payés afférents, 1 500 euros en réparation de la perte de chance de signer un contrat à durée indéterminée et 1 500 euros en réparation de son préjudice moral ;

3°) d'assortir ces sommes des intérêts de retard à compter de la date de la demande en réparation de ses préjudices ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- d'une part, la décision implicite de refus opposée le 27 novembre 2012 à sa demande de titre de séjour " vie privée et familiale " ayant été annulée A... le tribunal administratif de Nice A... jugement en date du 10 janvier 2014, l'administration a engagé sa responsabilité ; ainsi, le courrier de la préfecture du 10 juin 2014 établit à lui seul, contrairement à ce que les premiers juges ont considéré, qu'il justifiait que le refus implicite de séjour annulé A... le jugement du 10 janvier 2014 méconnaissait les stipulations de l'accord franco-tunisien du 17 mars 1988 et celles de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant et de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ainsi que les dispositions des articles L. 313-11-4°, L. 313-11-6°, L. 313-11-7° et L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- d'autre part, la carence des services préfectoraux est patente dans la mesure où malgré l'injonction qui leur était faite de procéder au réexamen de sa situation A... le jugement du 10 janvier 2014, il n'a été muni d'un récépissé ne l'autorisant pas à travailler que le 1er avril suivant et le titre sollicité ne lui a été délivré que le 10 juin 2014 ;

- la responsabilité de l'administration étant engagée à double titre, il est fondé à obtenir la réparation des préjudices subis ;

- une somme de 1 500 euros réparera justement la période au cours de laquelle il a été maintenu dans une situation d'irrégularité, soit du 27 novembre 2012, date de la naissance du refus implicite illégal, au 10 janvier 2014, date du jugement annulant ce refus illégal ;

- il doit être remboursé des six salaires qu'il aurait dû percevoir si la préfecture lui avait délivré un récépissé avec autorisation de travail avant la date de la résiliation de la promesse d'embauche le 21 mars 2014 (1 425,70€ x 6 = 8 554,20€) et des congés payés y afférents (855,42€) ;

- la perte de chance de signer un contrat à durée indéterminée doit lui être indemnisée à hauteur de 1 500 euros ;

- le préjudice moral qu'il a subi sera compensé A... l'octroi d'une somme de 1 500 euros ;

- ces indemnités doivent être assorties des intérêts au taux légal à compter de la date de sa demande de réparation de ses préjudices.

La requête a été communiquée le 3 septembre 2020 au préfet des Alpes-Maritimes qui n'a pas produit de mémoire en défense.

A... ordonnance du 9 mars 2021, la clôture de l'instruction a été fixée au 9 avril 2021.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- l'accord franco-tunisien du 17 mars 1988 modifié ;

- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Massé-Degois, rapporteure,

- et les conclusions de M. Gautron, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. M. C..., ressortissant marocain né le 21 mars 1967, est entré en France en septembre 1967. Après avoir bénéficié d'une carte de résident valable du 21 mars 1996 au 20 mars 2006, il a sollicité le 23 juillet 2012 son admission au séjour au titre de la vie privée et familiale. Cette demande, réceptionnée le 27 juillet 2012 A... le préfet des Alpes-Maritimes, a fait l'objet d'une décision implicite de rejet le 28 novembre 2012. A... jugement du 10 janvier 2014, devenu définitif, le tribunal administratif de Nice a, d'une part, annulé ce rejet implicite en l'absence de la communication des motifs de cette décision sollicitée A... M. C... A... lettre du 30 novembre 2012, reçue en préfecture le 4 décembre suivant et, d'autre part, enjoint au préfet des Alpes-Maritimes de procéder au réexamen de sa demande dans un délai de trente jours à compter de la notification de sa décision et de lui délivrer, dans cette attente, une autorisation provisoire de séjour. Le préfet des Alpes-Maritimes, après avoir muni l'intéressé d'une autorisation provisoire de séjour le 1er avril 2014 pour une durée de trois mois, lui a délivré un titre de séjour portant mention " vie privée et familiale " A... une décision du 10 juin 2014. A... un courrier du 20 décembre 2016, reçu en préfecture le 23 décembre suivant, M. C... a sollicité du préfet des Alpes-Maritimes l'indemnisation des préjudices qu'il soutient avoir subis à raison de l'illégalité fautive du refus de séjour opposé implicitement à sa demande de 2012. Cette réclamation ayant été rejetée, l'intéressé a saisi le tribunal administratif de Nice d'une demande tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser une indemnité en réparation des préjudices subis en raison de l'illégalité dudit refus implicite. M. C... relève appel du jugement du 12 mars 2020 A... lequel le tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande à fin d'indemnité.

Sur la responsabilité de l'Etat :

2. En premier lieu, il résulte de l'instruction que M. C... est arrivé sur le territoire national à l'âge de six mois, que son père et sa mère résident à Nice ainsi que ses neuf frères et sœurs qui possèdent tous la nationalité française sauf l'aîné de la fratrie, qu'il a bénéficié d'une carte de résident de dix ans valable de mars 1996 à mars 2006, qu'il est le père de deux enfants français nés à Nice en 1992 et 1996 de sa relation avec une ressortissante française et légitimés A... le mariage du couple parental célébré à Nice le 7 mai 1999. Le préfet des Alpes-Maritimes, qui a d'ailleurs finalement délivré le 10 juin 2014 à M. C... le titre de séjour vie privée et familiale sollicité en 2012 ainsi qu'il a été dit au point 1, ne conteste pas que l'intéressé est arrivé en France avant l'âge de 13 ans, qu'il y réside depuis plus de dix ans et qu'il est marié à une française ainsi que père de deux enfants mineurs. A... suite, eu égard à la durée et aux conditions de son séjour en France, M. C... est fondé à soutenir que le refus implicite né le 28 novembre 2012 a porté une atteinte excessive à son droit à une vie privée et familiale normale et que l'illégalité ainsi relevée engage la responsabilité de l'Etat pour les préjudices qui sont la conséquence directe et certaine de cette décision illégale. Ainsi, M. C... est fondé à rechercher la responsabilité de l'Etat à ce titre sur la période comprise entre le 28 novembre 2012 et le 10 juin 2014, soit sur une période de dix-sept mois et demi.

3. En second lieu, A... l'article 2 du jugement du 10 janvier 2014, le tribunal administratif de Nice a enjoint au préfet des Alpes-Maritimes de procéder au réexamen de la demande de titre de séjour " vie privée et familiale " de M. C... dans un délai de trente jours à compter de la date de la notification de sa décision et de lui délivrer, dans cette attente, une autorisation provisoire de séjour. Si M. C... est fondé à reprocher au préfet des Alpes-Maritimes de n'avoir pas respecté les termes du jugement au 10 janvier 2014 en ce qu'il n'a été muni d'une telle autorisation qu'à compter du 1er avril 2014 et qu'il ne s'est vu délivrer le titre sollicité que le 10 juin suivant, il ne peut toutefois lui reprocher de ne pas l'avoir muni d'une autorisation provisoire de séjour lui permettant de travailler dès lors qu'il résulte du point 5 de ce jugement que les premiers juges ont estimé qu'il n'y avait " pas lieu d'assortir cette autorisation provisoire de séjour d'une autorisation de travailler ". Il suit de là que le préfet des Alpes-Maritimes s'étant abstenu tant devant le tribunal que devant la Cour d'exposer les raisons pour lesquelles il se serait trouvé dans l'impossibilité de réexaminer la demande de M. C... dans le délai de trente jours qui lui était imparti et de munir l'intéressé dans cette attente d'une autorisation provisoire de séjour, M. C... n'est fondé à soutenir que la responsabilité de l'Etat est engagée qu'en raison du non-respect des délais fixés A... l'article 2 du jugement du tribunal administratif de Nice du 10 janvier 2014.

Sur les préjudices :

4. En premier lieu, M. C..., qui soutient avoir été empêché de travailler entre les mois de janvier et juin 2014 alors qu'il bénéficiait d'une promesse d'embauche, réclame à ce titre une indemnité de 9 409,62 euros correspondant aux salaires non perçus augmentés de l'indemnité compensatrice de congés payés correspondante. Il soutient également avoir été privé d'une chance de signer un contrat à durée indéterminée, qui doit, selon lui, être indemnisée A... une somme de 1 500 euros.

5. M. C... a versé à l'instance des documents consistant en une promesse d'embauche en qualité de peintre décorateur établie le 28 janvier 2014 A... une entreprise niçoise pour un contrat à durée indéterminée sous réserve de la régularisation de sa situation administrative et en la rupture de promesse d'embauche datée du 21 mars 2014 en l'absence de réponse de sa part à cette promesse. Ces pièces ne sont aucunement contestées A... le préfet des Alpes-Maritimes qui s'est abstenu de produire des observations tant devant le tribunal que devant la Cour. Il suit de là que M. C..., qui doit être regardé comme ayant disposé d'une chance sérieuse de travailler à compter du 28 janvier 2014, justifie d'un préjudice économique à compter de cette date. Dans ces conditions, il sera fait une juste évaluation de son entier préjudice économique en lui allouant la somme de 5 000 euros tous intérêts confondus.

6. En second lieu, M. C... soutient, d'une part, qu'il a été maintenu dans une situation d'irrégularité du 28 novembre 2012, date de la naissance du refus implicite illégal, au 10 janvier 2014, date du jugement annulant ce refus illégal et, d'autre part, qu'il a subi un préjudice moral du fait des fautes commises A... le préfet des Alpes-Maritimes. Dans les circonstances de l'espèce, il sera fait une juste appréciation du préjudice moral et des troubles de toute nature subis A... M. C... à raison de l'illégalité fautive commise à son encontre en lui allouant, à ce titre, une indemnité globale de 1 500 euros tous intérêts confondus.

7. Il résulte de tout ce qui précède qu'il y a lieu, d'une part, d'annuler le jugement du 12 mars 2020 du tribunal administratif de Nice et, d'autre part, de condamner l'Etat à payer à M. C... une somme de 6 500 euros.

Sur les frais liés au litige :

8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à M. C... de la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement n° 1701091 du tribunal administratif de Nice du 12 mars 2020 est annulé.

Article 2 : L'Etat est condamné à verser à M. C... une indemnité de 6 500 euros.

Article 3 : L'Etat versera à M. C... la somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de M. C... est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... C... et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée au préfet des Alpes-Maritimes.

Délibéré après l'audience du 23 septembre 2021, où siégeaient :

- M. Alfonsi, président de chambre,

- Mme Massé-Degois, présidente-assesseure,

- M. Mahmouti, premier conseiller.

Rendu public A... mise à disposition au greffe, le 7 octobre 2021.

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N° 20MA03200

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Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 20MA03200
Date de la décision : 07/10/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Responsabilité de la puissance publique - Faits susceptibles ou non d'ouvrir une action en responsabilité - Responsabilité et illégalité - Illégalité engageant la responsabilité de la puissance publique.

Responsabilité de la puissance publique - Réparation - Préjudice - Absence ou existence du préjudice.

Responsabilité de la puissance publique - Réparation - Préjudice - Caractère certain du préjudice.


Composition du Tribunal
Président : M. ALFONSI
Rapporteur ?: Mme Christine MASSE-DEGOIS
Rapporteur public ?: M. GAUTRON
Avocat(s) : AJIL

Origine de la décision
Date de l'import : 19/10/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2021-10-07;20ma03200 ?
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