La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

23/09/2021 | FRANCE | N°20MA01536

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 2ème chambre, 23 septembre 2021, 20MA01536


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... C... épouse E... a demandé au tribunal administratif de Marseille de condamner le centre hospitalier (CH) de Montperrin à lui verser une somme de 122 763 euros en réparation des préjudices moral et matériel subis du fait du harcèlement moral exercé à son encontre, une somme de 20 000 euros en réparation de la discrimination qu'elle subit dans le déroulement de sa carrière, ainsi qu'une somme de 17 131,20 euros au titre d'un rappel de traitement.

Par un jugement n° 1801804 du 3 février

2020, le tribunal administratif de Marseille a condamné le CH de Montperrin à ver...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... C... épouse E... a demandé au tribunal administratif de Marseille de condamner le centre hospitalier (CH) de Montperrin à lui verser une somme de 122 763 euros en réparation des préjudices moral et matériel subis du fait du harcèlement moral exercé à son encontre, une somme de 20 000 euros en réparation de la discrimination qu'elle subit dans le déroulement de sa carrière, ainsi qu'une somme de 17 131,20 euros au titre d'un rappel de traitement.

Par un jugement n° 1801804 du 3 février 2020, le tribunal administratif de Marseille a condamné le CH de Montperrin à verser à Mme C... la somme de 10 000 euros en réparation du harcèlement moral qu'elle a subi et rejeté le surplus des conclusions de sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 3 avril 2020, par Me Darmon, et par des mémoires enregistrés les 26 février 2021, 13 avril 2021 et 19 mai 2021, Mme C..., représentée par Me Martinez, demande à la Cour, dans le dernier état de ses écritures :

1°) de réformer ce jugement du tribunal administratif de Marseille du 3 février 2020 en tant qu'il a limité l'indemnité au versement de laquelle le CH de Montperrin a été condamné à la somme de 10 000 euros ;

2°) de porter à 85 000 euros le montant de cette indemnité, dont 10 000 euros au titre de son préjudice moral lié au harcèlement moral du Dr D..., 30 000 euros au titre de son préjudice moral lié au harcèlement moral institutionnel, 20 000 euros au titre de son préjudice moral lié aux conséquences sur sa vie familiale, 20 000 euros au titre de son préjudice moral lié à l'atteinte de son intégrité physique et psychologique, et 5 000 euros au titre des troubles dans les conditions de son existence ;

3°) de mettre à la charge du CH de Montperrin une somme de 15 832 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- elle a été victime de harcèlement moral de la part du Dr A..., de 2012 à 2014, et du Dr D... à compter de novembre 2016 ;

- elle a été placée en arrêt de travail pour syndrome anxio-dépressif à plusieurs reprises ;

- le CH de Montperrin n'a pas pris de mesure pour la protéger et ne lui a pas accordé la protection fonctionnelle en dépit de plusieurs signalements effectués sur la situation qu'elle subissait ;

- elle a subi depuis novembre 2017 une perte de traitement et de primes qui s'élève à 41 212 euros ;

- la procédure de reconnaissance d'imputabilité au service de sa maladie, à compter de sa demande du 27 février 2018, relève également d'une situation de harcèlement moral dès lors qu'elle a été placée en disponibilité d'office à compter du 29 août 2018 à la suite d'une procédure irrégulière, que le CH de Montperrin a refusé de lui accorder le bénéfice de la maladie professionnelle par une décision du 19 avril 2019, ces deux décisions ayant par ailleurs été annulées par le tribunal administratif de Marseille ;

- elle a été contrainte d'engager plusieurs procédures judiciaires pour faire valoir ses droits ;

- son état de santé s'est dégradé ;

- une procédure de mise à la retraite anticipée pour invalidité a été initiée.

Par un mémoire en défense, enregistré le 14 avril 2021, le CH de Montperrin, représenté par la SELARL Jean-Pierre et Walgenwitz Avocats associés, demande à la cour :

1°) de rejeter la requête de Mme C... ;

2°) par la voie de l'appel incident, d'annuler le jugement du tribunal administratif de Marseille du 3 février 2020 ;

3°) de mettre à la charge de Mme C... une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il fait valoir que :

- les faits de harcèlement moral de la part du Dr D... ne sont pas établis ;

- Mme C... n'a jamais alerté sa hiérarchie sur les faits de harcèlement moral avant le 24 janvier 2014 ;

- elle n'a pas demandé à ce que lui soit octroyée la protection fonctionnelle et n'a pas porté plainte contre le Dr A... ;

- contrairement à ce que soutient Mme C..., son placement en disponibilité d'office ainsi que les difficultés pour faire reconnaître l'imputabilité de sa pathologie au service ne caractérisent pas une situation de harcèlement moral ;

- si Mme C... a bien été dans une situation de souffrance au travail lorsqu'elle travaillait avec le Dr A..., cette situation ne relève pas du harcèlement moral, d'ailleurs, même en l'absence de celui-ci, l'état de santé de Mme C... ne s'est pas amélioré ;

- le préjudice moral évalué à la somme de 85 000 euros n'est pas établi ;

- ses droits statutaires ont été rétablis conformément au jugement rendu par le tribunal administratif de Marseille.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 modifiée portant droits et obligations des fonctionnaires ;

- la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique hospitalière ;

- le décret n° 91-129 du 31 janvier 1991 modifié ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Mahmouti,

- les conclusions de M. Gautron, rapporteur public,

- et les observations de Me Martinez, représentant Mme C....

Considérant ce qui suit :

1. A compter du 1er novembre 2012, Mme C..., psychologue de classe normale, a été affectée, par mutation, au centre médico-psychologique (CMP) Paul Cézanne, qui est l'un des deux services pédopsychiatriques du centre hospitalier de Montperrin. Après avoir adressé une réclamation au CH de Montperrin le 7 novembre 2017, Mme C... a demandé au tribunal administratif de Marseille de condamner ce centre hospitalier à lui verser des indemnités de 122 763 euros et 20 000 euros réparant, respectivement, les préjudices moral et matériel résultant d'un harcèlement moral et la discrimination dans le déroulement de sa carrière qu'elle soutenait avoir subis, outre une somme de 17 131,20 euros au titre de rappels de traitement. Mme C... relève appel du jugement du 3 février 2020 en tant que par celui-ci, le tribunal administratif de Marseille ne lui a accordé qu'une indemnité de 10 000 euros en réparation du préjudice résultant du harcèlement moral dont il a reconnu qu'elle avait été victime et demande à la cour de porter ce montant à 85 000 euros. Par la voie de l'appel incident, le CH de Montperrin demande l'annulation de ce jugement et le rejet de la demande présentée par Mme C... devant le tribunal administratif de Marseille.

Sur la responsabilité du centre hospitalier :

En ce qui concerne le harcèlement moral :

2. Aux termes du premier alinéa de l'article 6 quinquiès de la loi du 13 juillet 1983 : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel (...) ".

3. Il appartient à un agent public qui soutient avoir été victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence d'un tel harcèlement. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. Le juge se détermine au vu de ces échanges contradictoires qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile. Pour apprécier si des agissements dont il est allégué qu'ils sont constitutifs d'un harcèlement moral revêtent un tel caractère, le juge administratif doit tenir compte des comportements respectifs de l'administration auquel il est reproché d'avoir exercé de tels agissements et de l'agent qui estime avoir été victime d'un harcèlement moral. Pour être qualifiés de harcèlement moral, ces agissements doivent être répétés et excéder les limites de l'exercice normal du pouvoir hiérarchique.

4. Comme les premiers juges l'ont retenu par des motifs pertinents et suffisamment circonstanciés, par leur nature, leur caractère répété et leurs effets, les agissements du médecin responsable du CMP de novembre 2012 à janvier 2014 doivent être regardés comme constitutifs de harcèlement moral de nature à engager la responsabilité du CH de Montperrin, qui ne peut s'en exonérer en se bornant à faire valoir qu'il s'agissait d'agissements isolés. Il y a par conséquent lieu de retenir l'existence d'une situation de harcèlement moral à l'encontre de Mme C... pour la période de novembre 2012 à janvier 2014 par adoption des motifs retenus à bon droit par le tribunal aux points 4 à 9 de son jugement.

5. En revanche, et dès lors qu'il n'est pas sérieusement contesté par la simple réitération en appel de l'argumentation soumise aux premiers juges, que les difficultés professionnelles de Mme C... avec le nouveau médecin responsable à compter de novembre 2016 ne constituaient pas une situation de harcèlement moral, il y a lieu d'écarter ce moyen par adoption des motifs retenus également à bon droit par le tribunal au point 8 de son jugement.

6. Par ailleurs, Mme C... soutient devant la cour que la procédure menée par le CH de Montperrin à la suite de sa demande, le 27 février 2018, de reconnaissance de maladie professionnelle est également constitutive d'un harcèlement moral. Si la décision du 6 septembre 2018 plaçant Mme C... en disponibilité d'office à demi-traitement à compter du 29 août 2018 et celle du 19 avril 2019 rejetant sa demande de reconnaissance d'imputabilité au service de sa maladie ont par la suite été annulées par le tribunal administratif de Marseille, les seules circonstances que le CH a saisi tardivement la commission de réforme, qu'il a refusé de reconnaître l'imputabilité au service de sa maladie, s'appuyant pour cela sur l'expertise du docteur F... et l'avis de la commission de réforme, et qu'il a commis une erreur en la plaçant dans la position de disponibilité à demi-traitement au-delà du délai de deux mois suivant sa demande de reconnaissance de maladie professionnelle ne peuvent être regardées comme caractérisant une situation de harcèlement moral.

En ce qui concerne les autres fautes du centre hospitalier :

7. Les motifs par lesquels le tribunal a écarté toute autre faute commise par le CH de Montperrin, que ce soit concernant l'inaction de celui-ci, l'absence d'octroi de la protection fonctionnelle à Mme C..., et l'absence d'un registre de santé et de sécurité au travail, ne sont pas utilement remis en cause par Mme C.... Par suite, il y a lieu d'écarter ces moyens par adoption des motifs retenus à bon droit par le tribunal aux points 10 et 11 de son jugement.

Sur les préjudices :

8. Compte tenu de la durée et de la nature des agissements dont Mme C... a été victime et eu égard aux conséquences sur sa santé physique et mentale, les premiers juges ont fait une évaluation insuffisante du préjudice qu'elle a subi en l'évaluant à la somme de 10 000 euros. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de porter le montant de cette indemnité à la somme de 25 000 euros et de rejeter, par voie de conséquence, les conclusions incidentes par lesquelles le centre hospitalier de Montperrin demande l'annulation du jugement attaqué et le rejet de la demande présentée par Mme C... devant le tribunal administratif de Marseille.

Sur les frais liés au litige :

9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du centre hospitalier de Montperrin la somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par Mme C... et non compris dans les dépens. En revanche, les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de la requérante, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que ce centre hospitalier sollicite au titre des frais non compris dans les dépens qu'il a exposés au titre de la présente instance.

D É C I D E :

Article 1er : La somme de 10 000 euros que le centre hospitalier de Montperrin a été condamné à verser à Mme C... par le jugement du 3 février 2020 est portée à 25 000 euros.

Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Marseille du 3 février 2020 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 3 : Le centre hospitalier de Montperrin versera à Mme C... une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... C... épouse E... et au centre hospitalier de Montperrin.

Délibéré après l'audience du 6 septembre 2021, où siégeaient :

- M. Alfonsi, président de chambre,

- Mme Massé-Degois, présidente-assesseure,

- M. Mahmouti, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 23 septembre 2021.

6

N° 20MA01536

nl


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 20MA01536
Date de la décision : 23/09/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

36-07-10 Fonctionnaires et agents publics. - Statuts, droits, obligations et garanties. - Garanties et avantages divers.


Composition du Tribunal
Président : M. ALFONSI
Rapporteur ?: M. Jérôme MAHMOUTI
Rapporteur public ?: M. GAUTRON
Avocat(s) : DARMON

Origine de la décision
Date de l'import : 05/10/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2021-09-23;20ma01536 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award