Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société Statim Provence a demandé au tribunal administratif de Nîmes d'annuler le titre exécutoire d'un montant de 290 363 euros émis à son encontre le 15 novembre 2018 par la commune de Beaucaire au titre de la participation de raccordement au réseau des eaux usées pour deux lotissements et de la décharger de l'obligation de payer cette somme.
Par jugement n° 1900448 du 7 juillet 2020, le tribunal administratif de Nîmes a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 30 juillet 2020 et le 2 avril 2021, la société Statim Provence, représentée par la SCP d'avocats SVA, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement du 7 juillet 2020 du tribunal administratif de Nîmes ;
2°) d'une part, d'annuler le titre exécutoire du 15 novembre 2018 de la commune de Beaucaire d'un montant de 290 363 euros, ensemble l'avis des sommes à payer du 19 janvier 2019 du même montant et d'autre part, de la décharger de l'obligation de payer cette somme ;
3°) de mettre à la charge de la commune de Beaucaire la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
La société soutient que :
- la créance de la commune est prescrite en application de l'article 2224 du code civil et des articles L. 332-6 2° et L. 332-28 alors en vigueur du code de l'urbanisme, dès lors que le délai de cinq ans a commencé à courir à compter du fait générateur de la créance de la commune, c'est-à-dire de la date de la délivrance des permis de lotir du 7 mai 2004 et 16 novembre 2005 ;
- l'exception de prescription constituant une seule cause juridique, la prescription quinquennale du code civil peut être soulevée pour la première fois en appel ;
- l'annulation d'un précédent titre de perception n'interrompt pas le délai de prescription ;
- par l'effet dévolutif, le titre n'est pas signé ;
- le titre, qui n'indique pas les bases de la liquidation, méconnaît l'article 24 du décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012.
- Par un mémoire en défense enregistré le 21 mars 2021, la commune de Beaucaire, représentée par la Selarl LVI Avocats associés, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de la société Statim Provence la somme de 3 600 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que :
- à titre principal, la société requérante n'est pas recevable à invoquer pour la première fois en appel la prescription quinquennale de l'article 2224 du code civil, qui repose sur une cause juridique nouvelle en appel ;
- à titre subsidiaire et en tout état de cause, sa créance n'est pas prescrite, dès lors que l'annulation pour un vice de forme d'un titre exécutoire ne fait pas obstacle à l'émission d'un nouveau titre et que le contentieux initié par la société contre un précédent titre de perception du 23 décembre 2011 a interrompu le délai de prescription ;
- par l'effet dévolutif, le bordereau du titre exécutoire litigieux est signé par le maire ;
- le courrier de notification du titre indiquait les bases de liquidation.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code civil ;
- le code de l'urbanisme ;
- la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme C...,
- les conclusions de M. Roux, rapporteur public,
- et les observations de Me B... pour la société Statim Provence.
Considérant ce qui suit :
1. La commune de Beaucaire a délivré le 14 mars 2005 à la société Statim Provence un permis de lotir pour un lotissement de 169 lots, portés à 172 lots dénommé "les Collines d'Urgernum". Ce permis prévoyait notamment que les acquéreurs des lots étaient assujettis, lors de l'obtention du permis de construire, au paiement de la participation de raccordement au réseau des eaux usées pour un moment de 991 euros par construction et que la somme totale pour l'ensemble des lots devait être avancée par le lotisseur, conformément aux délibérations du conseil municipal du 12 juin 1989, du 2 mars 1992 et du 4 mars 1996. La commune de Beaucaire a délivré le 16 novembre 2005 à la société Statim Provence un autre permis de lotir pour un lotissement de 121 lots dénommé "les Collines d'Urgernum II". Ce second permis prévoyait la même avance par le lotisseur de la participation de raccordement au réseau des eaux usées pour l'ensemble des lots. Les travaux de voirie et de réseaux ont été réalisés par le lotisseur. Le titre exécutoire émis par la commune le 23 décembre 2011 à l'encontre de la société Statim pour un montant total de 290 363 euros a été annulé par jugement n ° 1301548-1301792 du 20 janvier 2015 du tribunal administratif de Nîmes qui a déchargé la société Statim de l'obligation de payer. Par arrêt définitif n° 15MA01065 du 30 mai 2017 de la Cour statuant sur ce jugement, la Cour a confirmé l'annulation du titre de perception du 23 décembre 2011 émis à l'encontre de la société Statim et la décharge de son obligation de payer et a estimé que la demande de la société Statim Provence, bénéficiaire des permis de lotir, formée contre ce titre exécutoire du 23 décembre 2011 était tardive et que la société Statim Provence ne justifiait pas d'une qualité donnant intérêt pour contester le titre de perception émis à l'encontre de la seule société Statim. La commune de Beaucaire a émis le 15 novembre 2018 le titre de perception en litige à l'encontre de la société Statim Provence pour le même montant total de 290 363 euros. Cette société a demandé au tribunal administratif de Nîmes l'annulation de ce titre de perception et la décharge de l'obligation de payer. Par le jugement dont la société Statim Provence relève appel, les premiers juges ont rejeté sa demande. Par ordonnance n° 20MA02690 du 22 mars 2021, le président de la 9ème chambre a, à la demande de la société Statim Provence, sursis à l'exécution de ce jugement jusqu'à ce qu'il ait été statué sur l'appel de la société contre le jugement du 7 juillet 2020 du tribunal administratif de Nîmes.
Sur l'exception de prescription opposée par la société Statim Provence :
2. D'une part, aux termes du 2° de l'article L. 332-6 du code de l'urbanisme dans sa rédaction en vigueur à la date de la délivrance des permis de lotir ayant prescrit la participation en litige : " Les bénéficiaires d'autorisations de construire ne peuvent être tenus que des obligations suivantes : Le versement des contributions aux dépenses d'équipements publics mentionnées à l'article L. 332-6-1. ". Le 2° a) de l'article L. 332-6-1 de ce code, dans sa rédaction applicable, prévoit parmi les contributions aux dépenses d'équipements publics mentionnées à l'article L. 332-6-1, la participation pour raccordement à l'égout prévue à l'article L. 1331-7 code de la santé publique : " Les propriétaires des immeubles édifiés postérieurement à la mise en service de l'égout auquel ces immeubles doivent être raccordés peuvent être astreints par la commune, pour tenir compte de l'économie par eux réalisée en évitant une installation d'évacuation ou d'épuration individuelle réglementaire, à verser une participation s'élevant au maximum à 80 % du coût de fourniture et de pose d'une telle installation/Une délibération du conseil municipal détermine les conditions de perception de cette participation. ". Aux termes de l'article L. 332-28 du code de l'urbanisme dans sa rédaction applicable : " Les contributions mentionnées ou prévues au 2° de l'article L. 332-6-1 et à l'article L. 332-9 sont prescrites, selon le cas, par l'autorisation de construire, l'autorisation de lotir, l'autorisation d'aménager un terrain destiné à l'accueil d'habitations légères de loisir ou l'acte approuvant un plan de remembrement. Cette autorisation ou cet acte en constitue le fait générateur. Il en fixe le montant (...). ". En vertu de ces dispositions, l'autorisation de construire ou de lotir constitue ainsi le fait générateur de la contribution prévue par l'article L. 332-6 2°du code de l'urbanisme et fixe le montant de cette contribution.
3. D'autre part, aux termes de l'article 2224 du code civil dans sa rédaction issue de la loi du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription : " Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer. ". Le délai de droit commun des créances des personnes publiques fixé par l'article 2224 du code civil s'applique, en l'absence de règles spéciales prévues par d'autres lois, non seulement à la prescription des actions en recouvrement d'une créance publique mais également à la prescription d'assiette de ces créances. Par suite, le délai de prescription de cinq ans prévu à l'article 2224 du code civil est applicable en l'espèce, ce qui n'est d'ailleurs pas contesté par la commune de Beaucaire. L'article 2222 du même code dans sa rédaction postérieure à la loi du 17 juin 2008 prévoit que : " En cas de réduction de la durée du délai de prescription ou du délai de forclusion, ce nouveau délai court à compter du jour de l'entrée en vigueur de la loi nouvelle, sans que la durée totale puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure. ". Le délai de prescription de la dette de la société Statim Provence a commencé à courir à compter du 16 novembre 2005, date de délivrance du deuxième permis de lotir, qui constitue le fait générateur de la participation financière exigée. En application de l'article 2222 du code civil portant dispositions transitoires, le délai de prescription de la créance de la commune expirait donc cinq ans après l'entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008, soit le 19 juin 2013.
4. En premier lieu, la commune de Beaucaire soutient que l'exception de prescription quinquennale de l'article 2224 du code civil est irrecevable pour être invoquée pour la première fois en appel par la société Statim Provence, qui n'avait invoqué devant les premiers juges que la prescription quadriennale prévue par la loi du 31 décembre 1968 et qui n'avait soulevé devant le Tribunal que des moyens tirés du défaut de régularité formelle du titre, sans contester utilement le bien fondé de ce titre. Toutefois et en tout état de cause, l'article 2248 du code civil dispose que : " Sauf renonciation, la prescription peut être opposée en tout état de cause, même devant la cour d'appel. ". Par suite, la commune de Beaucaire n'est pas fondée à soutenir que l'exception de prescription quinquennale prévue par l'article 2224 du code civil soulevée pour la première fois en appel par la société Statim Provence constituerait une demande nouvelle irrecevable.
5. En deuxième lieu, la commune de Beaucaire fait valoir que le délai de prescription de cinq ans, qui a commencé à courir à compter du 16 novembre 2005 ainsi qu'il a été dit au point 3, n'était pas expiré le 15 novembre 2018, date d'émission du titre en litige, dès lors que le titre exécutoire qu'elle a émis le 23 décembre 2011, soit dans le délai de prescription, à l'encontre de la société a interrompu ce délai. Toutefois, ce premier titre de recette, au demeurant émis à l'encontre de la seule société Statim et annulé par le jugement du 20 janvier 2015 du tribunal administratif de Nîmes confirmé sur ce point par l'arrêt définitif de la Cour du 30 mai 2017, n'a pas pu interrompre le délai de prescription quinquennale qui était donc expiré le 15 novembre 2018, date du titre de perception en litige. Par suite, la société Statim Provence est fondée à soutenir que la créance de la commune était prescrite en application de l'article 2224 du code civil.
6. Il résulte de ce qui précède et sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens de la requête, que la société Statim Provence est fondée à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nîmes a rejeté sa demande. Il y a lieu d'annuler le titre de perception émis le 15 novembre 2018 par la commune de Beaucaire à l'encontre de la société Statim Provence et, eu égard au motif d'annulation du titre mettant en cause le bien-fondé de ce titre, de décharger la société de l'obligation de payer la somme de 290 363 euros au titre de la participation de raccordement au réseau des eaux usées.
Sur les frais liés au litige :
7. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la société Statim Provence, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, une quelconque somme à verser à la commune de Beaucaire au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la commune de Beaucaire une somme à verser à la société Statim Provence sur le fondement de cet article.
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement du 7 juillet 2020 du tribunal administratif de Nîmes est annulé.
Article 2 : Le titre de perception émis le 15 novembre 2018 par la commune de Beaucaire à l'encontre de la société Statim Provence est annulé.
Article 3 : La société Statim Provence est déchargée de l'obligation de payer la somme de 290 363 euros au titre de la participation de raccordement au réseau des eaux usées.
Article 4 : Le surplus de la demande de la société Statim Provence est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la société Statim Provence, à la commune de Beaucaire et à la direction régionale des finances publiques d'Occitanie.
Délibéré après l'audience du 15 juin 2021, où siégeaient :
- Mme Simon, présidente assesseure, présidant la formation de jugement en application de l'article R. 222- 26 du code de justice administrative,
- Mme C..., première conseillère,
- Mme A..., première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 29 juin 2021.
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N° 20MA02619