Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La SARL " Les Roures " a demandé au tribunal administratif de Marseille d'annuler l'arrêté du 10 mars 2017 par lequel le maire d'Eyaglières a refusé de lui délivrer un permis de construire pour l'extension d'un bâtiment à usage d'habitation.
Par un jugement n° 1703423 du 4 mars 2019 le tribunal administratif de Marseille a annulé cet arrêté.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 7 mai 2019 et le 26 janvier 2020, la commune d'Eygalières, représentée par Me C..., demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Marseille du 4 mars 2019 ;
2°) de rejeter la demande de première instance ;
3°) de mettre à la charge de la SARL " Les Roures " la somme de 2 000 euros, dans le dernier état de ses écritures, sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- sa requête d'appel qui a été enregistrée dans le délai est recevable ;
- le projet ne méconnait ni l'article R. 111-27 du code de l'urbanisme, ni l'article NB11 du règlement du plan d'occupation des sols qui pose des exigences qui ne sont pas moindres et au regard duquel doit être apprécié l'arrêté attaqué ;
- en tout état de cause, la commune demande de substituer le motif selon lequel le projet n'est pas compatible avec le site inscrit des Alpilles.
Par des mémoires en défense, enregistrés le 24 décembre 2019 et le 11 février 2020, la SARL " Les Roures ", conclut au rejet de la requête et demande à la Cour d'enjoindre à la commune d'Eygalières de lui délivrer le permis de construire sollicité, dans un délai de deux mois à compter de la notification de l'arrêt, sous une astreinte de 200 euros par jour de retard, et de mettre à la charge de la commune d'Eygalières la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.
La présidente de la Cour a désigné M. E... D..., en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'urbanisme ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme B...,
- les conclusions de Mme Giocanti, rapporteure publique,
- et les observations de Me C... représentant la commune d'Eygalières.
Considérant ce qui suit :
1. Le maire de la commune d'Eygalières, par arrêté du 10 mars, 2017 a refusé d'accorder à la SARL " Les Roures " un permis de construire pour la rénovation et l'agrandissement du bâtiment d'habitation " le Mas d'Huguette " sur les parcelles cadastrées section AC 61, 179, n° 375 et CM 125 et 126. La commune d'Eygalières relève appel du jugement du 4 mars 2019 par lequel le tribunal administratif de Marseille annulé cette décision à la demande de la SARL " Les Roures.
Sur le bien-fondé du jugement :
2. En application de l'article L. 600-4-1 du code de l'urbanisme, il appartient au juge d'appel, saisi d'un jugement annulant un acte en matière d'urbanisme, de se prononcer sur les différents motifs d'annulation retenus par les premiers juges, dès lors que ceux-ci sont contestés devant lui.
3. Pour annuler la décision attaquée, le tribunal a estimé que les articles R. 111-27 du code de l'urbanisme et NB11 du règlement du plan d'occupation des sols (POS) n'imposaient pas qu'un projet soumis à permis de construire participe à la mise en valeur du site dans lequel il a vocation à s'insérer et qu'en opposant un tel motif le maire d'Eygalières avait commis une erreur de droit. Il a ensuite relevé qu'en admettant même que le maire d'Eygalières ait ainsi entendu appliquer les dispositions de l'article NB11 en ce que le projet litigieux porte atteinte au site inscrit de la chaîne des Alpilles, il ressortait des pièces du dossier que les deux extensions prévues au mas d'Huguette, consistant en l'adjonction de deux rectangles au bâtiment d'habitation préexistant, lui-même déjà composé de quatre rectangles emboités de façon non linéaire, ne sont pas de nature à compromettre l'insertion du bâtiment dans le site des Alpilles, alors au demeurant que le projet prévoit une toiture à pan couverte de tuiles romaines, un revêtement de façade aux couleurs choisies de ton grège et d'enduit de mortier et de sable et dont la composition ne dénote pas de celle du bâtiment existant.
4. Aux termes de l'article NB11 du règlement du POS de la commune d'Eygalières : " Les constructions par leur situation, leur architecture, leurs dimensions et leur aspect extérieur doivent présenter une image compatible avec le caractère ou à l'intérêt des lieux avoisinants, des sites, des paysages naturels ou urbains ainsi qu'avec la conservation des perspectives monumentales. A cet effet elles seront constituées de volumes simples. Les ouvertures en façades devront être plus hautes que 1arges. Les toitures seront recouvertes de tuiles rondes, constituées de DEUX (2) pentes pour les bâtiments principaux et éventuellement d'UNE (1) pente pour les corps de bâtiments secondaires. Les toitures à QUATRE (4) pentes sont interdites. Les enduits de façades seront réalisés à la chaux et seront de couleur sable de pays. Pour les murs constitués en pierres appareillées, l'usage de pierres apparentes autres que celles utilisées historiquement dans le village est à bannir : seront donc interdites les lauzes, pierres de taille en granit ou encore pierres de Gordes. Les clôtures tant à l'alignement que sur les limites séparatives, seront exclusivement constituées de haies vives ou de rideaux d'arbustes doublés à l'intérieur d'un grillage dont la hauteur n'excédera pas 1,50 mètre. ". Ces dispositions ont le même objet que celles, également invoquées par la société requérante, de l'article R. 111-27 du code de l'urbanisme et posent des exigences qui ne sont pas moindres. Dès lors, c'est par rapport aux dispositions du règlement du POS que doit être appréciée la légalité de la décision attaquée.
5. Pour apprécier si un projet de construction porte atteinte au caractère ou à l'intérêt des lieux avoisinants, aux sites, aux paysages naturels ou urbains ainsi qu'à la conservation des perspectives monumentales, il appartient à l'autorité administrative d'apprécier, dans un premier temps, la qualité du site sur lequel la construction est projetée et d'évaluer, dans un second temps, l'impact que cette construction, compte tenu de sa nature et de ses effets, pourrait avoir sur le site.
6. En l'espèce, le projet se situe dans le site inscrit de la chaîne des Alpilles, par arrêté du 26 juillet 1965, qui vise à protéger un paysage exceptionnel et emblématique de basse Provence dont les caractères doivent être préservés et dont les piémonts sont ponctués de mas à l'architecture remarquable de blocs taillés. Toutefois, le projet vise seulement à la rénovation, à l'extension et la surélévation, pour une superficie supplémentaire, de 157 m² d'une construction existante de 160 m². Si l'architecte des bâtiments de France a émis le 21 décembre 2016 un avis défavorable compte tenu de la volumétrie et de la composition des façades du projet, il ressort cependant des pièces du dossier, et notamment de la demande d'autorisation, qu'il s'agit d'ajouter deux volumes à ceux existants d'une longueur d'environ 7 mètres et de porter la construction à une hauteur au faitage de 7 mètres et entre 4 et 5 mètres à l'égout du toit. Et ainsi que l'a relevé le tribunal, la construction pré-existante présentait déjà plusieurs décrochés, comparables à ceux qui se retrouvent dans le secteur environnant, qui comporte plusieurs constructions quelconques. En outre le pétitionnaire a fait un effort d'insertion particulier de son projet. Dans ces conditions, la commune d'Eygalières n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Marseille a invalidé le motif de refus attaqué.
7. L'administration peut cependant, en première instance comme en appel, faire valoir devant le juge de l'excès de pouvoir que la décision dont l'annulation est demandée est légalement justifiée par un motif, de droit ou de fait, autre que celui initialement indiqué, mais également fondé sur la situation existant à la date de cette décision. Il appartient alors au juge, après avoir mis à même l'auteur du recours de présenter ses observations sur la substitution ainsi sollicitée, de rechercher si un tel motif est de nature à fonder légalement la décision, puis d'apprécier s'il résulte de l'instruction que l'administration aurait pris la même décision si elle s'était fondée initialement sur ce motif. Dans l'affirmative il peut procéder à la substitution demandée, sous réserve toutefois qu'elle ne prive pas le requérant d'une garantie procédurale liée au motif substitué.
8. Néanmoins, en se bornant à soutenir que le projet n'est pas compatible avec le site inscrit des Alpilles, sans plus de précision, la commune d'Eygalières ne démontre pas que le refus opposé pouvait légalement se fonder sur un tel motif.
9. Il résulte de tout ce qui précède que la commune d'Eygalière n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille a annulé l'arrêté du 10 mars 2017.
Sur les conclusions en injonction de la SARL Les Roures :
10. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution. La juridiction peut également prescrire d'office cette mesure. ".
11. Lorsque l'exécution d'un jugement ou d'un arrêt implique normalement, eu égard aux motifs de ce jugement ou de cet arrêt, une mesure dans un sens déterminé, il appartient au juge administratif, saisi de conclusions sur le fondement des dispositions précitées ou d'office, de se prononcer sur la nécessité de prendre une telle mesure, en tenant compte, le cas échéant après une mesure d'instruction, de la situation de droit et de fait existant à la date de sa décision. Si, au vu de cette situation de droit et de fait, il apparaît toujours que l'exécution du jugement ou de l'arrêt implique nécessairement une mesure d'exécution, il incombe au juge de la prescrire à l'autorité compétente.
12. Aux termes de l'article L. 600-2 du code de l'urbanisme : " Lorsqu'un refus opposé à une demande d'autorisation d'occuper ou d'utiliser le sol ou l'opposition à une déclaration de travaux régies par le présent code a fait l'objet d'une annulation juridictionnelle, la demande d'autorisation ou la déclaration confirmée par l'intéressé ne peut faire l'objet d'un nouveau refus ou être assortie de prescriptions spéciales sur le fondement de dispositions d'urbanisme intervenues postérieurement à la date d'intervention de la décision annulée sous réserve que l'annulation soit devenue définitive et que la confirmation de la demande ou de la déclaration soit effectuée dans les six mois suivant la notification de l'annulation au pétitionnaire. ". L'article L. 424-1 du code de l'urbanisme dispose que : " L'autorité compétente se prononce par arrêté sur la demande de permis... ". Et selon l'article L. 424-3 du même code, dans sa rédaction issue de l'article 108 de la loi du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques : " Lorsque la décision rejette la demande [...] elle doit être motivée. / Cette motivation doit indiquer l'intégralité des motifs justifiant la décision de rejet ou d'opposition, notamment l'ensemble des absences de conformité des travaux aux dispositions législatives et réglementaires mentionnées à l'article L. 421-6... ". Par ailleurs, aux termes de l'article L. 600-4 1 du code de l'urbanisme : " Lorsqu'elle annule pour excès de pouvoir un acte intervenu en matière d'urbanisme ou en ordonne la suspension, la juridiction administrative se prononce sur l'ensemble des moyens de la requête qu'elle estime susceptibles de fonder l'annulation ou la suspension, en l'état du dossier ".
13. Les dispositions introduites au deuxième alinéa de l'article L. 424-3 du code de l'urbanisme par l'article 108 de la loi du 6 août 2015 visent à imposer à l'autorité compétente de faire connaitre tous les motifs susceptibles de fonder le rejet de la demande d'autorisation d'urbanisme. Combinées avec les dispositions de l'article L. 600-4-1 du code de l'urbanisme, elles mettent le juge administratif en mesure de se prononcer sur tous les motifs susceptibles de fonder une telle décision. Il ressort des travaux parlementaires de la loi du 6 août 2015 que ces dispositions ont pour objet de permettre d'accélérer la mise en oeuvre de projets conformes aux règles d'urbanisme applicables en faisant obstacle à ce qu'en cas d'annulation par le juge du refus opposé à une demande d'autorisation d'urbanisme ou de l'opposition à la déclaration préalable, et compte tenu de ce que les dispositions de l'article L. 600-2 du même code citées au point précédent conduisent à appliquer le droit en vigueur à la date de la décision annulée, l'autorité compétente prenne une nouvelle décision de refus.
14. Il résulte de ce qui précède que, lorsque le juge annule un refus d'autorisation ou une opposition à une déclaration après avoir censuré l'ensemble des motifs que l'autorité compétente a énoncés dans sa décision conformément aux prescriptions de l'article L. 424-3 du code de l'urbanisme ainsi que, le cas échéant, les motifs qu'elle a pu invoquer en cours d'instance, il doit, s'il est saisi de conclusions à fin d'injonction, ou même d'office, ordonner à l'autorité compétente de délivrer l'autorisation. Il n'en va autrement que s'il résulte de l'instruction soit que les dispositions en vigueur à la date de la décision annulée, qui, eu égard aux dispositions de l'article L. 600-2 citées au point 12 demeurent applicables à la demande, interdisent de l'accueillir pour un motif que l'administration n'a pas relevé, ou que, par suite d'un changement de circonstances, la situation de fait existant à la date du jugement y fait obstacle.
15. Le présent arrêt annule le refus de permis de construire opposé à la société requérante, après avoir censuré l'ensemble des motifs que l'autorité compétente a énoncés dans sa décision et rejeté les demandes de substitution de motifs. Toutefois, il résulte de l'instruction que par un arrêté du 9 mai 2019, le maire a de nouveau opposé un refus à la société Les Roures en faisant état de l'existence d'un aléa feu de forêt très fort à exceptionnel. La SARL Les Roures ne conteste pas la réalité de cette exposition de son terrain à un risque d'incendie dans la présente instance. Dans ces conditions, ses conclusions tendant à ce qu'il soit enjoint à la commune d'Eygalières de lui délivrer l'autorisation sollicitée doivent être rejetées.
Sur les conclusions au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
16. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions de la commune d'Eygalières dirigées contre la SARL Les Roures qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante. Il y a lieu en revanche, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la commune d'Eygalières la somme de 2 000 euros, à verser à la SARL Les Roures en application de ces dispositions.
D É C I D E :
Article 1er : La requête de la commune d'Eygalières est rejetée.
Article 2 : La commune d'Eygalières versera une somme de 2 000 euros à la SARL Les Roures sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la SARL Les Roures est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la commune d'Eygalières et à la SARL Les Roures.
Délibéré après l'audience du 22 avril 2021, où siégeaient :
- M. D..., président assesseur, présidant la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,
- Mme B..., première conseillère,
- Mme A..., première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 12 mai 2021.
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N° 19MA02074
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