Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société par action simplifiée (SAS) Energies Var 3 a demandé au tribunal administratif de Nice, de condamner l'Etat à lui verser une somme de 23 079 650 euros, sur le fondement de la rupture de l'égalité devant les charges publiques.
Par un jugement n° 1505176 du 4 décembre 2018, le tribunal administratif de Nice a rejeté cette demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et des mémoires, enregistrés les 5 et 6 février 2019, 19 juin 2020 et 22 janvier 2021, sous le n° 19MA00528, la SAS Energies Var 3, représentée par Me A... demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nice du 4 décembre 2018 ;
2°) de condamner l'Etat à lui verser une somme de 27 093 884 euros ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la décision du conseil d'Etat du 13 juillet 2011 ne saurait avoir l'autorité de la chose jugée ;
- elle n'a pas présenté de conclusions tendant à engager la responsabilité de l'Etat sans faute sur le fondement de la rupture d'égalité dans son recours formé à l'encontre de l'arrêté du 24 avril 2003 du préfet des Alpes-Maritimes ;
- les trois juridictions n'ont statué que sur la responsabilité pour faute de l'Etat ;
- le lien de causalité entre la décision du 6 septembre 2011 et son préjudice est établi ;
- son préjudice présente un caractère exorbitant et spécial ;
- le principe de non indemnisation prévu par l'article L. 214-4 du code de l'environnement n'est pas absolu ;
- s'agissant du seuil n° 10, son préjudice est estimé à la somme de 10 519 952 euros :
- le préjudice afférent au seuil n° 9 est évalué à la somme de 16 573 932 euros.
Par un mémoire en défense, enregistré le 22 décembre 2020, la ministre de la transition écologique conclut au rejet de la requête de la SAS Energies Var 3.
Elle soutient que les moyens soulevés par la SAS Energies Var 3 ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'environnement ;
- le décret n° 94-485 du 9 juin 1994 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme B...,
- les conclusions de M. Chanon, rapporteur public,
- et les observations de Me A... représentant la SAS Energies Var 3.
Considérant ce qui suit :
1. Par arrêtés des 21 juillet 1983, le préfet des Alpes-Maritimes a autorisé la société Sithe et Compagnie à exploiter une microcentrale hydroélectrique sur les seuils respectifs n° 9 et n° 10 du fleuve Var pour une période de quarante-cinq ans. Par deux arrêtés des 24 avril 2003 et 6 septembre 2011, le préfet des Alpes-Maritimes a retiré les autorisations concernant ces seuils. La SAS Energies Var 3, venant aux droits de la société Sithe et Compagnie, a formé, le 3 septembre 2013, une demande préalable d'indemnisation auprès du préfet des Alpes-Maritimes sur le fondement de la responsabilité sans faute de l'Etat pour rupture d'égalité devant les charges publiques qui a fait l'objet d'une décision implicite de rejet. La SAS Energies Var 3 relève appel du jugement du 4 décembre 2018 par lequel le tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser une somme de 23 079 650 euros, sur le fondement de la rupture de l'égalité devant les charges publiques.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. Aux termes de l'article L. 214-3 du code de l'environnement : " sont soumis à autorisation de l'autorité administrative les installations, ouvrages, travaux et activités susceptibles de présenter des dangers pour la santé et la sécurité publique, de nuire au libre écoulement des eaux, de réduire la ressource en eau, d'accroître notablement le risque d'inondation, de porter gravement atteinte à la qualité ou à la diversité du milieu aquatique, notamment aux peuplements piscicoles ". Aux termes du II de l'article L. 214-4 du code de l'environnement, dans sa rédaction applicable à la date des arrêtés contestés : " L'autorisation peut être abrogée ou modifiée, sans indemnité de la part de l'Etat exerçant ses pouvoirs de police, dans les cas suivants : (...) / 2° Pour prévenir ou faire cesser les inondations ou en cas de menace pour la sécurité publique (...) / 4° Lorsque les ouvrages ou installations sont abandonnés ou ne font plus l'objet d'un entretien régulier. ".
3. Selon une décision n° 2011-141 QPC du 24 juin 2011 du Conseil constitutionnel, en premier lieu, les modifications ou retraits des autorisations délivrées par l'État au titre de la police des eaux, en application de l'article L. 214-4 du code de l'environnement, ne peuvent intervenir sans indemnité que dans les cas que cet article énumère de façon limitative. Ils sont opérés dans des circonstances qui, extérieures à la volonté de l'autorité administrative, relèvent soit de l'exercice des pouvoirs de police de l'administration en cas d' " inondation ", de " menace pour la sécurité publique " ou de " menace majeure pour le milieu aquatique ", soit du non-respect par le titulaire de l'autorisation ou de la concession de ses obligations en cas " d'abandon " des installations. Le champ des dispositions contestées est ainsi strictement proportionné aux buts d'intérêt général de préservation du " milieu aquatique " et de protection de la sécurité et de la salubrité publiques. En deuxième lieu, d'une part, les autorisations, prévues par l'article L. 214-3 du code de l'environnement, sont consenties unilatéralement par l'État et ne revêtent donc pas un caractère contractuel et, d'autre part, le législateur n'a pas exclu toute indemnisation dans le cas exceptionnel où la modification ou le retrait de l'autorisation entraînerait pour son bénéficiaire une charge spéciale et exorbitante, hors de proportion avec l'objectif d'intérêt général poursuivi. Les dispositions contestées ne sont contraires à aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit.
En ce qui concerne la responsabilité sans faute de l'Etat concernant le seuil n° 9 :
4. La SAS Energies Var 3 demande que soit engagée la responsabilité sans faute de l'Etat sur le fondement de la rupture d'égalité des charges publiques en raison des préjudices qu'elle estime avoir subis consistant en la perte de son manque à gagner pour la période de 2001 à 2012 correspondant à l'arrêt de la centrale hydro-électrique construite sur le seuil n° 9 et pour la période de 2013 à 2028, ainsi que le coût du démontage de la centrale. Toutefois, il résulte de l'instruction que la décision de retrait d'autorisation du 6 septembre 2011 est fondée, d'une part, sur le caractère d'intérêt général de l'abaissement des seuils préconisé par le schéma d'aménagement et de gestion des eaux (SAGE) " Nappe et basse vallée du Var " approuvé le 7 juin 2007 en vue de garantir le libre écoulement des eaux et de lutter contre les inondations, et, d'autre part, sur l'engravement du seuil qui a conduit à un arrêt de la production depuis l'été 2001 alors que l'usine hydroélectrique non exploitée et sa voie d'accès contribuent à la réduction de la section de passage des crues et à l'exhaussement de la ligne d'eau. Elle est ainsi fondée sur les dispositions du 2° et du 4° de l'article L. 214-4 du code de l'environnement relatives à la prévention des inondations et à la situation d'abandon des ouvrages. Si la suppression du seuil dans le cadre de la prévention des risques d'inondation est susceptible d'engager la responsabilité sans faute de l'Etat pour rupture d'égalité devant les charges publiques, la mesure d'abaissement des seuils a été préconisée après plusieurs années d'inexploitation de la centrale. Si la SAS Energies Var 3 soutient que cette cessation d'exploitation n'est imputable qu'à l'engravement progressif du seuil qui résulterait lui-même des conséquences du décret n° 94-485 du 9 juin 1994 interdisant les extractions dans le lit du fleuve, mettant fin à la possibilité de dégraver, ce décret se borne à soumettre l'exploitation des carrières à la législation relative aux installations classées pour l'environnement en interdisant les extractions en lit mineur des cours d'eau. L'arrêté ministériel du 22 septembre 1994 relatif à l'exploitation des carrières rappelle explicitement à l'article 11 cette interdiction d'extraction tout en disposant qu'un dragage reste possible lorsqu'il est nécessaire à l'entretien ou l'aménagement du cours d'eau. La société requérante, qui n'exploite pas une carrière, reconnaît d'ailleurs la possibilité de dragage mais invoque son coût ainsi que le fait que laisser les matériaux dans le lit du fleuve provoquerait ensuite naturellement un nouvel engravement. Il n'est cependant pas établi que l'engravement naturel du seuil était inéluctable ni qu'il ne résulte pas de l'inaction de la société exploitante en matière de dragage. Est sans incidence la circonstance que la requérante aurait participé à une réunion de la commission locale de l'eau du 5 juillet 2011 concernant la mise en place d'un groupe de travail sur l'hydroélectricité recommandée par la mesure 39 du SAGE et à une réunion du 26 janvier 2012 de ce groupe. Par suite, les préjudices allégués par la SAS Energies Var 3 sont dépourvus de tout lien de causalité direct et certain avec les décisions précitées prises par l'Etat en matière de production d'hydro-électricité sur le fleuve Var. Dès lors, l'appelante n'est pas fondée à soutenir que la responsabilité de l'Etat doit être engagée au titre des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait du retrait de l'autorisation d'exploiter le seuil n° 9.
En ce qui concerne la responsabilité sans faute de l'Etat concernant le seuil n° 10 :
5. Il résulte de l'instruction que par une décision n° 324298 du 13 juillet 2011, le Conseil d'Etat a rejeté la demande indemnitaire des sociétés Energies France et Energies Var 3 fondée sur l'illégalité fautive de l'arrêté du 24 avril 2003 par lequel le préfet des Alpes-Maritimes a procédé au retrait de l'autorisation relative à la centrale hydroélectrique située sur le seuil n° 10 du fleuve Var, en confirmant la légalité de cet arrêté qui repose sur les circonstances que l'entretien de l'ouvrage et sa production électrique étaient interrompus depuis la fin de l'année 1997, le retrait de l'autorisation pouvant dès lors être légalement décidé tant sur le fondement des dispositions de l'arrêté préfectoral du 21 juillet 1983 autorisant la production d'énergie électrique, qui prévoyaient que l'autorisation d'exploiter la centrale pouvait être retirée en cas de cessation de l'exploitation pendant trois ans, que sur celles de l'article 8 du décret du 6 novembre 1995, désormais codifiées à l'article R. 214-80 du code de l'environnement, qui disposent que l'autorisation peut être retirée lorsque l'installation n'a pas été exploitée durant deux années consécutives. Le retrait a ainsi été légalement prononcé en raison de l'absence d'exploitation de la microcentrale, c'est-à-dire de son " abandon " au sens du 4° de l'article L. 214-4 du code de l'environnement. Si la SAS Energies Var 3 soutient que cette cessation d'exploitation n'est imputable qu'à l'engravement progressif du seuil relevé par la décision du 24 avril 2003, qui résulterait lui-même des conséquences du décret n° 94-485 du 9 juin 1994 interdisant les extractions dans le lit du fleuve, mettant fin à la possibilité de dégraver, ce décret se borne à soumettre l'exploitation des carrières à la législation relative aux installations classées pour l'environnement en interdisant les extractions en lit mineur des cours d'eau. L'arrêté ministériel du 22 septembre 1994 relatif à l'exploitation des carrières rappelle explicitement à l'article 11 cette interdiction d'extraction tout en disposant qu'un dragage reste possible lorsqu'il est nécessaire à l'entretien ou l'aménagement du cours d'eau. La société requérante, qui n'exploite pas une carrière, reconnaît d'ailleurs la possibilité de dragage mais invoque son coût ainsi que le fait que laisser les matériaux dans le lit du fleuve provoquerait ensuite naturellement un nouvel engravement. Il n'est cependant pas établi que l'engravement naturel du seuil était inéluctable ni qu'il ne résulte pas de l'inaction de la société exploitante en matière de dragage. Dans ces conditions le préjudice économique invoqué, constitué d'un manque à gagner et des frais de démantèlement de l'installation et évalué à un montant total de 10 519 952 euros, est dépourvu de tout lien de causalité avec la décision administrative de retrait de l'autorisation dans la mesure où le préfet des Alpes-Maritimes s'est borné à prendre acte de la cessation d'exploitation depuis plusieurs années. En outre, dans cette hypothèse l'indemnisation est légalement expressément exclue. Par suite, la responsabilité de l'Etat ne saurait être engagée au titre des préjudices subis par la SAS Energies Var 3 du fait du retrait de l'autorisation d'exploiter le seuil n° 10.
6. Il résulte de tout ce qui précède que la SAS Energies Var 3 n'est pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser une somme de 23 079 650 euros, sur le fondement de la rupture de l'égalité devant les charges publiques.
Sur les frais liés au litige :
7. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que la SAS Energies Var 3 demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
D É C I D E :
Article 1er : La requête de la SAS Energies Var 3 est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la SAS Energies Var 3 et à la ministre de la transition écologique.
Délibéré après l'audience du 9 avril 2021, où siégeaient :
- M. Pocheron, président de chambre,
- M. Guidal, président assesseur,
- Mme B..., première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 23 avril 2021.
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N° 19MA00528
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