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09/04/2021 | FRANCE | N°20MA02398

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 7ème chambre, 09 avril 2021, 20MA02398


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La SAS Natness a demandé au tribunal administratif de Marseille d'annuler la décision du 23 février 2018 par laquelle la ministre du travail a, d'une part, annulé la décision du 23 août 2017 par laquelle l'inspecteur du travail de l'unité départementale des Bouches-du-Rhône l'a autorisée à licencier Mme A... D... pour inaptitude médicale, d'autre part, refusé d'autoriser le licenciement.

Par un jugement n° 1803247 du 2 juillet 2020, le tribunal administratif de Marseille a rejeté cette demande

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Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 24 juillet 2020, la ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La SAS Natness a demandé au tribunal administratif de Marseille d'annuler la décision du 23 février 2018 par laquelle la ministre du travail a, d'une part, annulé la décision du 23 août 2017 par laquelle l'inspecteur du travail de l'unité départementale des Bouches-du-Rhône l'a autorisée à licencier Mme A... D... pour inaptitude médicale, d'autre part, refusé d'autoriser le licenciement.

Par un jugement n° 1803247 du 2 juillet 2020, le tribunal administratif de Marseille a rejeté cette demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 24 juillet 2020, la SAS Natness, représentée par Me C..., demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du 2 juillet 2020 ;

2°) d'annuler la décision du 23 février 2018 de la ministre du travail ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- elle s'est acquittée de ses obligations tenant à l'effort de reclassement ;

- la " charte mobilité franchise " produite par Mme D... confère un droit pour les salariés de la société Casino Distribution France de réintégrer cette société en cas de concession de l'activité en location gérance à un tiers mais n'est pas opposable aux franchisés ;

- cette charte ne peut être analysée comme l'indice d'une permutabilité générale du personnel entre le locataire gérant et le bailleur ;

- le refus opposé par la ministre menace l'existence de la société.

Par un mémoire en défense, enregistré le 8 décembre 2020, la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion conclut au rejet de la requête.

Elle fait valoir qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.

Par un mémoire, enregistré le 22 janvier 2021, Mme D..., représentée par Me B..., conclut au rejet de la requête et demande que soit mise à la charge de la SAS Natness la somme de 2 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.

Les parties ont été informées, en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de la méconnaissance du champ d'application de la loi par la ministre du travail dès lors que, depuis l'entrée en vigueur de l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, le périmètre au sein duquel l'employeur qui envisage de procéder au licenciement d'un salarié pour inaptitude médicale doit s'efforcer de rechercher une solution de reclassement se limite à l'entreprise ou aux entreprises du groupe auquel elle appartient le cas échéant, situées sur le territoire national et dont l'organisation, les activités ou le lieu d'exploitation assurent la permutation de tout ou partie du personnel, la notion de groupe s'entendant par référence aux dispositions du code de commerce désignant le groupe formé par une entreprise appelée entreprise dominante et les entreprises qu'elle contrôle, ce qui exclut notamment, en l'absence de liens capitalistiques, les réseaux formés par des entreprises exploitant des commerces relevant d'une même enseigne.

Par un mémoire enregistré le 18 mars 2021, Mme D... a présenté des observations en réponse au moyen susceptible d'être relevé d'office par la Cour.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code du travail ;

- l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017 ;

- l'ordonnance n° 2017-1718 du 20 décembre 2017 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Coutier, premier conseiller,

- les conclusions de M. Chanon, rapporteur public,

- et les observations de Me C..., représentant la SAS Natness, et de Me B..., représentant Mme D....

Considérant ce qui suit :

1. La SAS Natness exploite depuis 2016, année de sa création, un supermarché sous l'enseigne Casino à La Destrousse, dans le département des Bouches-du-Rhône, dans le cadre de contrats de location gérance et de franchise consentis par la société Distribution Casino France (DCF). Conformément aux dispositions de l'article L. 1224-1 du code du travail, les personnels qui étaient alors en place, parmi lesquels Mme D..., hôtesse de caisse qui avait été recrutée par la société DCF en 1992, ont vu leurs les contrats de travail transférés, la SAS Natness devenant leur nouvel employeur. A la suite de deux avis du médecin du travail, rendus les 22 mai et 30 mai 2017, Mme D... a été déclarée inapte à son poste avec contre-indication de prise manuelle répétitive de produits. L'intéressée étant détentrice de mandats de déléguée du personnel et de conseillère prud'homale, la SAS Natness a demandé à l'inspecteur du travail l'autorisation de la licencier. Par décision du 23 août 2017, l'inspecteur du travail a accordé cette autorisation. Saisie d'un recours hiérarchique formé par Mme D..., la ministre du travail a, par décision du 23 février 2018, d'une part annulé la décision de l'inspecteur du travail, d'autre part refusé d'autoriser le licenciement. La SAS Natness relève appel du jugement du 2 juillet 2020 par lequel le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision de la ministre du 23 février 2018.

Sur l'étendue du litige :

2. La décision de l'inspecteur du travail du 23 août 2017 ayant définitivement disparu de l'ordonnancement juridique par l'effet de l'annulation prononcée par la ministre, et l'éventuelle annulation contentieuse de la décision ministérielle qui s'y est substituée ne pouvant avoir pour effet de la faire revivre, les conclusions à fin d'annulation de la décision du 23 février 2018 doivent être entendues comme mettant seulement en cause la légalité de cette décision en tant qu'elle refuse d'autoriser le licenciement de Mme D....

Sur la légalité :

3. Lorsqu'il est saisi d'un recours hiérarchique contre une décision d'un inspecteur du travail statuant sur une demande d'autorisation de licenciement d'un salarié protégé, le ministre compétent doit, soit confirmer cette décision, soit, si celle-ci est illégale, l'annuler puis se prononcer de nouveau sur la demande d'autorisation de licenciement compte tenu des circonstances de droit et de fait à la date à laquelle il prend sa propre décision.

4. Aux termes de l'article L. 1226-2 du code du travail, dans sa rédaction issue de l'article 7 de l'ordonnance du 22 septembre 2017 modifié par l'article 1er de l'ordonnance du 20 décembre 2017 : " Lorsque le salarié victime d'une maladie ou d'un accident non professionnel est déclaré inapte par le médecin du travail, en application de l'article L. 4624-4, à reprendre l'emploi qu'il occupait précédemment, l'employeur lui propose un autre emploi approprié à ses capacités, au sein de l'entreprise ou des entreprises du groupe auquel elle appartient le cas échéant, situées sur le territoire national et dont l'organisation, les activités ou le lieu d'exploitation assurent la permutation de tout ou partie du personnel. / Pour l'application du présent article, la notion de groupe désigne le groupe formé par une entreprise appelée entreprise dominante et les entreprises qu'elle contrôle dans les conditions définies à l'article L. 233-1, aux I et II de l'article L. 233-3 et à l'article L. 233-16 du code de commerce. (...) ". Il résulte de ces dispositions que le périmètre au sein duquel l'employeur qui envisage de procéder au licenciement d'un salarié pour inaptitude médicale doit s'efforcer de rechercher une solution de reclassement se limite à l'entreprise ou aux entreprises du groupe auquel elle appartient le cas échéant, situées sur le territoire national et dont l'organisation, les activités ou le lieu d'exploitation assurent la permutation de tout ou partie du personnel, la notion de groupe s'entendant par référence aux dispositions du code de commerce désignant le groupe formé par une entreprise appelée entreprise dominante et les entreprises qu'elle contrôle, ce qui exclut notamment, en l'absence de liens capitalistiques, les réseaux formés par des entreprises exploitant des commerces relevant d'une même enseigne.

5. Il ressort des pièces du dossier qu'après avoir annulé la décision de l'inspecteur du travail au motif que, en se limitant à la recherche d'une solution de reclassement pour Mme D..., outre en son propre sein, au seul niveau de la responsable des ressources humaines de la société DCF en charge des régions " Vallée du Rhône " et " Var " alors que la filière supermarchés de la société DCF comprend vingt et une divisions régionales et la filière hypermarchés est divisée en plusieurs directions opérationnelles, la SAS Natness ne pouvait être regardée comme ayant satisfait à son obligation de recherche de reclassement loyale et sérieuse, la ministre du travail, qui se trouvait saisie de la demande d'autorisation de licenciement, a refusé d'accorder cette autorisation, pour ce même motif.

6. Or à la date à laquelle la ministre a pris sa décision, soit le 23 février 2018, les dispositions précitées de l'article L. 1226-2 du code du travail étaient entrée en application, y compris, en l'absence de dispositions expresses contraires prévues par l'ordonnance du 22 septembre 2017, aux procédures de licenciement engagées antérieurement à l'entrée en vigueur de cette ordonnance, le 24 septembre 2017. En vertu du principe mentionné au point 3 ci-dessus, il appartenait à la ministre, à la date de cette décision, de tenir compte de la nouvelle définition du " groupe de reclassement " posée à l'article L. 1226-2 du code du travail, dans sa rédaction en vigueur à cette date. Ces dispositions limitant désormais l'effort de reclassement, lorsqu'une entreprise est regardée comme appartenant à un groupe, au périmètre du groupe défini au sens du droit commercial, ce qui exclut, en l'absence de liens capitalistiques, les réseaux formés, comme en l'espèce, par des entreprises exploitant des commerces relevant d'une même enseigne, la ministre, en estimant que l'effort de reclassement ne pouvait se limiter à la recherche de solutions au sein de la seule société Natness, alors qu'il ressort des pièces du dossier qu'elle est juridiquement et financièrement distincte et autonome du groupe formé par l'enseigne Casino, a méconnu le champ d'application de la loi.

7. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que la SAS Natness est fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande.

Sur les frais liés au litige :

8. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation. ".

9. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de mettre à la charge de l'Etat la somme que la SAS Natness demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Les dispositions du même article font par ailleurs obstacle à ce que les sommes demandées à ce titre par Mme D... soient mises à la charge de la SAS Natness, qui n'est pas la partie perdante.

D É C I D E :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Marseille du 2 juillet 2020 et la décision du 23 février 2018 de la ministre du travail sont annulés.

Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête et les conclusions de Mme D... tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetés.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la SAS Natness, à la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion et à Mme A... D....

Copie en sera adressée à la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi de Provence-Alpes-Côte d'Azur.

Délibéré après l'audience du 26 mars 2021, à laquelle siégeaient :

- M. Pocheron, président de chambre,

- M. Guidal, président-assesseur,

- M. Coutier, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 9 avril 2021.

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N° 20MA02398

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Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 7ème chambre
Numéro d'arrêt : 20MA02398
Date de la décision : 09/04/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

66-07-01-04-035-02 Travail et emploi. Licenciements. Autorisation administrative - Salariés protégés. Conditions de fond de l'autorisation ou du refus d'autorisation. Motifs autres que la faute ou la situation économique. Inaptitude ; maladie.


Composition du Tribunal
Président : M. POCHERON
Rapporteur ?: M. Bruno COUTIER
Rapporteur public ?: M. CHANON
Avocat(s) : DRAGON

Origine de la décision
Date de l'import : 20/04/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2021-04-09;20ma02398 ?
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