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23/03/2021 | FRANCE | N°20MA04035

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 8ème chambre, 23 mars 2021, 20MA04035


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme D... a demandé au tribunal administratif de Nîmes d'annuler l'arrêté du 9 janvier 2020, par lequel le préfet du Gard a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé un pays de destination et d'enjoindre au préfet du Gard de lui délivrer un titre de séjour dans un délai de 15 jours à compter de la date de notification du jugement à intervenir sous astreinte de 100 euros par jour de retard, ou, à titre subsidiair

e, de réexaminer sa situation et lui délivrer une autorisation provisoire de séjou...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme D... a demandé au tribunal administratif de Nîmes d'annuler l'arrêté du 9 janvier 2020, par lequel le préfet du Gard a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé un pays de destination et d'enjoindre au préfet du Gard de lui délivrer un titre de séjour dans un délai de 15 jours à compter de la date de notification du jugement à intervenir sous astreinte de 100 euros par jour de retard, ou, à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation et lui délivrer une autorisation provisoire de séjour sous la même astreinte .

Par un jugement n° 2001683, 2001684, 2001685 et 2001686 du 28 septembre 2020, le tribunal administratif de Nîmes a rejeté la requête de Mme D....

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 28 octobre 2020, Mme B... D..., représentée par Me E..., demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nîmes en tant qu'il a rejeté sa demande ;

2°) d'annuler cet arrêté du préfet du Gard du 9 janvier 2020 ;

3°) d'enjoindre au préfet du Gard de lui délivrer un titre de séjour dans le délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, ou subsidiairement une autorisation provisoire de séjour, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 200 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Elle soutient que :

*s'agissant du refus de séjour :

- le préfet n'a pas saisi la commission du titre de séjour en méconnaissance de l'article L. 312-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le préfet n'a pas apprécié l'opportunité d'une mesure de régularisation, que son pouvoir discrétionnaire lui permet de prendre ;

- le préfet a méconnu les stipulations de l'article 6, 5° de l'accord franco-algérien, de la circulaire Valls, du 2° de l'article L. 313-11 code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et celles de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et libertés fondamentales, dès lors qu'elle a établi en France le centre de ses intérêts personnels et familiaux ;

- le préfet a commis une erreur manifeste d'appréciation sur les conséquences de la mesure sur sa situation personnelle ;

*s'agissant de l'obligation de quitter le territoire :

- elle est illégale en raison de l'illégalité du refus de séjour ;

- le préfet a méconnu le 2° l'article L.511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, car elle réside en France depuis qu'elle a 12 ans ;

- le préfet a méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et libertés fondamentales ;

- le préfet a commis une erreur manifeste d'appréciation sur les conséquences de la mesure sur sa situation personnelle.

Par un mémoire en défense enregistré le 16 février 2021, le préfet du Gard conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens invoqués par Mme D... sont infondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 modifié ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi 98-349 du 11 mai 1998 ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

A été entendu au cours de l'audience publique le rapport de M. A....

Considérant ce qui suit :

1. Mme B... D..., ressortissante algérienne, née le 18 août 2001, a sollicité le 14 novembre 2019, auprès du préfet du Gard, ainsi d'ailleurs que ses parents et sa soeur C... l'avaient fait en 2018, la délivrance d'un titre de séjour sur le fondement de l'article 6 de l'accord franco-algérien. Par un jugement du 28 septembre 2020 dont elle relève appel, le tribunal administratif de Nîmes a rejeté sa requête tendant à l'annulation de l'arrêté n° 2020/008 du 9 janvier 2020 par lequel le préfet du Gard a rejeté sa demande et lui a fait obligation de quitter le territoire français.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

En ce qui concerne le refus de titre :

2. En premier lieu, aux termes de l'article 6 de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 : " Le certificat de résidence portant la mention vie privée et familiale est délivré de plein droit : (...) : 5°. Au ressortissant algérien qui n'entre pas dans les catégories précédentes ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial dont les liens personnels et familiaux en France sont tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus ; (...) ". Et aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1° Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ; 2° Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ". Il résulte de ces dernières dispositions que le droit au respect de la vie privée et familiale ne saurait s'interpréter comme comportant, pour un Etat, l'obligation générale de respecter le choix, pour un couple, d'établir sa résidence sur son territoire.

3. D'une part, pour soutenir que la décision attaquée a méconnu les stipulations et dispositions précitées, Mme B... D... se prévaut, d'une part, de son ancienneté et de son intégration sur le territoire français où elle est arrivée le 9 juillet 2013, avec ses parents et sa soeur, alors qu'elle était âgée de onze ans. Elle se prévaut également d'autre part, de la présence sur ce territoire de ses parents, de sa soeur C..., de son oncle et des enfants de celui-ci. Elle indique par ailleurs avoir suivi depuis la rentrée 2013/2014 un parcours scolaire qui l'a conduite actuellement en classe de terminale professionnelle. Alors même que dans sa requête, Mme B... D... produit de nouvelles pièces sur son parcours scolaire, ces éléments supplémentaires ne sont pas de nature à infirmer l'appréciation portée par les premiers juges, alors que ses parents ont passé l'essentiel de leur existence sur le territoire algérien, qu'elle-même y a vécu ses onze premières années, et qu'ils se sont maintenus irrégulièrement sur le territoire français. Rien ne s'oppose à ce que la cellule familiale, se reconstitue dans son pays d'origine, où la requérante, si elle l'affirme, ne démontre pas qu'elle ne pourra y poursuivre son cursus scolaire et où résident les familles de ses oncle et tante. Ainsi, le préfet du Gard n'a pas porté une atteinte disproportionnée au droit au respect de sa vie privée et familiale protégé par les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et les stipulations précitées du 5° de l'article 6 de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 modifié. D'autre part, la situation de Mme D..., ressortissante algérienne est, au regard du droit au séjour, entièrement régie par les stipulations de l'accord franco- algérienne du 27 décembre 1968, relatif à la circulation, à l'emploi et au séjour des ressortissants algériens et de leurs familles. Mme D... ne peut ainsi utilement se prévaloir du 2° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en l'absence dans l'accord franco- algérien de stipulation ayant la même portée, pour contester la légalité de l'arrêté en litige. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de ces dispositions ne peut, en tout état de cause, qu'être écarté. Enfin, la circulaire du ministre de l'intérieur du 28 novembre 2012 relative aux conditions d'examen des demandes d'admission au séjour déposées par des ressortissants étrangers en situation irrégulière dans le cadre du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ne comporte que des orientations générales qui ne sont pas utilement invocables à l'appui d'un recours dirigé contre une décision portant obligation de quitter le territoire français. Par suite, Mme D... ne peut utilement se prévaloir de cette circulaire.

4. En deuxième lieu, certes les stipulations de l'accord franco-algérien n'interdisent pas au préfet, dans l'exercice du pouvoir d'appréciation dont il dispose sur ce point, de décider, en fonction de l'ensemble des éléments de la situation personnelle de l'intéressée, de l'opportunité d'une mesure de régularisation d'une ressortissante algérienne qui ne remplirait pas les conditions auxquelles est subordonnée la délivrance de plein droit d'un titre de séjour. Mais compte tenu de ce qui a été dit au point 3, le préfet du Gard n'a pas davantage commis d'erreur manifeste en ne faisant pas usage de son pouvoir général de régularisation au bénéficie de Mme D... ni commis d'erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences de sa décision sur sa situation personnelle.

5. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 312-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Dans chaque département est instituée une commission du titre de séjour (...) ". L'article L. 312-2 du même code dispose : " La commission est saisie par l'autorité administrative lorsque celle-ci envisage de refuser de délivrer ou de renouveler une carte de séjour temporaire à un étranger mentionné à l'article L. 313-11 ou de délivrer une carte de résident à un étranger mentionné aux articles L. 314-11 et L. 314-12, ainsi que dans le cas prévu à l'article L. 431-3. (...) ". En outre, en vertu de l'article R. 312-2 du code précité : " Le préfet ou, à Paris, le préfet de police saisit pour avis la commission lorsqu'il envisage de refuser de délivrer ou de renouveler l'un des titres mentionnés aux articles L. 313-11, L. 314-11 et L. 314-12 à l'étranger qui remplit effectivement les conditions qui président à leur délivrance (...) Cette demande d'avis est accompagnée des documents nécessaires à l'examen de l'affaire, comportant notamment les motifs qui conduisent le préfet à envisager une décision de retrait, de refus de délivrance ou de renouvellement de titre de séjour, ainsi que les pièces justifiant que l'étranger qui sollicite une admission exceptionnelle au séjour réside habituellement en France depuis plus de dix ans ".

6. Il résulte de ces dispositions que le préfet n'est tenu de saisir la commission que du cas des seuls étrangers qui remplissent effectivement les conditions prévues à l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ou, s'agissant des ressortissants algériens, aux stipulations de portée équivalente des articles 6 et 7 bis de l'accord franco-algérien modifié auxquels il envisage de refuser le titre de séjour demandé et non de celui de tous les étrangers qui sollicitent un tel titre . Par suite, Mme D... n'étant pas, contrairement à ce qu'elle soutient, au nombre des étrangers pouvant obtenir de plein droit un certificat de résidence sur le fondement des stipulations des articles 6-1 et 6-5 de l'accord franco-algérien, compte tenu de ce qui a été dit aux points précédents, le préfet du Gard n'était pas tenu de soumettre son cas à la commission du titre de séjour avant de rejeter sa demande. Le moyen tiré d'un tel vice de procédure doit, dès lors, être écarté.

7. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de statuer sur les fins de non-recevoir soulevées en défense, que Mme D... n'est pas fondée à demander l'annulation de l'arrêté du 9 janvier 2020 en tant qu'il lui a refusé un titre de séjour sur le fondement de l'article 6 de l'accord franco-algérien.

En ce qui concerne l'obligation de quitter le territoire :

8. La requérante n'établit pas l'illégalité de la décision du 9 janvier 2020 refusant son admission au séjour. Le refus d'admission au séjour n'étant entaché d'aucune irrégularité, elle n'est pas fondée à invoquer l'illégalité de cette décision à l'encontre de celle l'obligeant à quitter le territoire français.

9. Pour les mêmes motifs que ceux exposés aux points 3 et 4, la mesure d'obligation de quitter le territoire en litige n'a pas porté au droit au respect de la vie privée et familiale de Mme D... une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels elle a été prise. Cette décision n'a donc pas méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Elle n'est pas davantage entachée d'erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur la situation personnelle de l'intéressée.

10. Toutefois, aux termes de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Ne peuvent faire l'objet d'une obligation de quitter le territoire français : / (...) 2° L'étranger qui justifie par tous moyens résider habituellement en France depuis qu'il a atteint au plus l'âge de treize ans(...) ".

11. Il ressort des pièces du dossier que Mme B... D... réside en France habituellement depuis qu'elle est âgée de 11 ans. Dans ces circonstances, elle est fondée à soutenir, que la décision l'obligeant à quitter le territoire français méconnaît le 2° de l'article 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile est illégale et à solliciter son annulation.

12. Il résulte de ce qui précède que Mme D... est fondée à demander l'annulation de l'arrêté du 9 janvier 2020 en tant qu'il l'oblige à quitter le territoire français.

Sur les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte :

13. Le présent arrêt, qui rejette les conclusions à fin d'annulation présentées par Mme D..., n'appelle qu'une mesure d'exécution. En application des dispositions de l'article L. 512-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, il est enjoint au préfet du Gard de délivrer à Mme B... D... une autorisation provisoire de séjour, dans le délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt, le temps du réexamen de sa situation, sans qu'il soit besoin d'assortir cette injonction d'une astreinte.

14. Il résulte de tout ce qui précède que Mme D... est seulement fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nîmes a rejeté sa demande que dans la mesure où il n'y a pas fait droit s'agissant de la décision l'obligeant à quitter le territoire français.

Sur les frais liés au litige :

15. Il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 200 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative à verser à Mme B... D....

D É C I D E :

Article 1er : La décision du préfet du Gard obligeant Mme D... à quitter le territoire français en date du 9 janvier 2020 est annulée.

Article 2 : Il est enjoint au préfet du Gard de délivrer une autorisation provisoire de séjour à Mme D..., dans le délai d'un mois suivant la notification du présent arrêt, le temps du réexamen de sa situation.

Article 3 : L'État versera à Mme B... D... la somme de 1 200 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête d'appel et de la demande de 1ère instance de Mme D... est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... D..., à Me E..., au préfet du Gard et au ministre de l'intérieur.

Délibéré après l'audience du 23 février 2021, où siégeaient :

- M. A..., président,

- M. d'Izarn de Villefort, président assesseur,

- M. Ury, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 23 mars 2021.

N° 20MA04035 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 8ème chambre
Numéro d'arrêt : 20MA04035
Date de la décision : 23/03/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-01-03 Étrangers. Séjour des étrangers. Refus de séjour.


Composition du Tribunal
Président : M. BADIE
Rapporteur ?: M. Alexandre BADIE
Rapporteur public ?: M. ANGENIOL
Avocat(s) : CHABBERT MASSON

Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2021-03-23;20ma04035 ?
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