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05/03/2021 | FRANCE | N°18MA05006

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 7ème chambre, 05 mars 2021, 18MA05006


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La Sarl Marlain a demandé au tribunal administratif de Nice d'annuler la décision du 4 juillet 2016 par laquelle la commune de Caussols a rejeté sa réclamation préalable et de condamner la commune à lui verser une somme de 464 000 euros en réparation du préjudice subi, assortie des intérêts au taux légal.

Par un jugement n° 1603555 du 28 septembre 2018, le tribunal administratif de Nice a, à l'article 1er, condamné la commune de Caussols à verser à la Sarl Marlain la somme de 4 000 euros asso

rtie des intérêts au taux légal à compter du 6 juin 2016 et, à l'article 2, rejeté l...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La Sarl Marlain a demandé au tribunal administratif de Nice d'annuler la décision du 4 juillet 2016 par laquelle la commune de Caussols a rejeté sa réclamation préalable et de condamner la commune à lui verser une somme de 464 000 euros en réparation du préjudice subi, assortie des intérêts au taux légal.

Par un jugement n° 1603555 du 28 septembre 2018, le tribunal administratif de Nice a, à l'article 1er, condamné la commune de Caussols à verser à la Sarl Marlain la somme de 4 000 euros assortie des intérêts au taux légal à compter du 6 juin 2016 et, à l'article 2, rejeté le surplus des conclusions de sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés les 28 novembre 2018, 31 août 2020, 14 octobre 2020, 16 novembre 2020 et 17 décembre 2020 sous le n° 18MA05006, la Sarl Marlain, représentée par Me A... demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nice du 28 septembre 2018 en tant qu'il a seulement condamné la commune de Caussols à lui verser la somme de 4 000 euros et a rejeté le surplus de ses conclusions ;

2°) d'annuler la décision du 4 juillet 2016 et, en tant que de besoin, la décision implicite de rejet de sa demande préalable indemnitaire ;

3°) de condamner la commune de Caussols à lui verser la somme de 483 986,75 euros en réparation de ses préjudices assortie des intérêts au taux légal à compter de sa demande préalable ;

4°) de mettre à la charge de la commune de Caussols la somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- sa requête est recevable ;

- la commune a commis une faute concernant la qualification des locaux de dépendance du domaine public ;

- du fait de l'existence d'une clause de tacite reconduction, la commune a commis une faute en résiliant la convention en cours sans justifier d'un motif d'intérêt général ou d'une faute suffisamment grave ni respecter une procédure contradictoire avec mise en demeure de résiliation ;

- la commune l'a induite en erreur sur la nature du bail consenti, ainsi que sur la nature des locaux et l'existence d'un fonds de commerce ;

- la non indemnisation de la perte du fonds de commerce revient à admettre un enrichissement sans cause de la commune résultant de sa propre faute ;

- la perte de son fonds de commerce est évaluée à 317 000 euros ;

- dans le cas où la qualification de dépendance du domaine public serait retenue, elle a droit à l'indemnisation du coût de l'acquisition du fonds de commerce auprès de la commune estimée à 297 339 euros ;

- elle a acheté du matériel pour les besoins de son exploitation pour la somme de 32 413 euros ;

- sa perte du bénéfice attendu s'élève à 93 600 euros ;

- elle a droit à l'indemnisation des immobilisations corporelles après amortissement qu'elle estime à 1 607 euros ;

- elle est fondée à demander une indemnité de remploi de 31 700 euros ;

- la fermeture de l'établissement a entraîné des frais et indemnités de licenciement évalués à 26 000 euros ;

- elle a engagé des frais de procédure chiffrés à 78 310,75 euros ;

- elle n'a commis aucune faute de nature à rejeter sa demande d'indemnisation ;

- il n'y a pas de double indemnisation dans la mesure où son assignation devant le juge judiciaire n'avait pas le même objet.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 25 novembre 2019, 30 septembre 2020, 2 et 3 novembre 2020 et 2 décembre 2020 la commune de Caussols, représentée par Me D... conclut au rejet de la requête de la Sarl Marlain et demande à la Cour de mettre à sa charge la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- à titre principal, la requête la Sarl Marlain est irrecevable ;

- à titre subsidiaire, dans l'hypothèse où la Cour viendrait à réformer le jugement attaqué, la Sarl Marlain ne peut être indemnisée de l'ensemble de ces dépenses en raison de ses propres fautes ;

- les moyens soulevés par la Sarl Marlain ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de commerce ;

- le code général de la propriété des personnes publiques ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme F...,

- les conclusions de M. Chanon, rapporteur public,

- et les observations de Me A... pour la Sarl Marlain et de Me D... pour la commune de Caussols, en présence de M. B..., maire de la commune de Caussols.

Considérant ce qui suit :

1. La commune de Caussols a installé, dans l'immeuble qui a abrité jusqu'au 1er octobre 1973 sa mairie, un commerce de restaurant-bar-boulangerie-épicerie et de location de chambres meublées. Elle a loué ces locaux à M. C... dans le cadre d'un contrat de concession de biens communaux conclu le 10 octobre 1975 qui lui faisait obligation de respecter un cahier des charges signé le 26 avril 1975. Par un acte notarié en date du 8 mars 1984, M. C... a acheté à la commune de Caussols le fonds de commerce exploité sous l'enseigne " Auberge de Caussols ". A la suite de cette acquisition, un bail à loyer commercial a été conclu le 8 mars 1984 avant d'être résilié par anticipation et remplacé, le 16 juin 2004, par un nouveau bail à loyer commercial d'une durée de neuf ans, se terminant le 30 septembre 2012. La Sarl Marlain a acquis, le 28 avril 2008, le fonds de commerce de M. C... et s'est ainsi trouvée subrogée dans les droits de ce dernier. Par la délibération du 19 mai 2015, le conseil municipal de la commune de Caussols a, d'une part, constaté que la convention d'occupation du domaine public concernant les locaux de l'auberge communale était arrivée à échéance le 30 septembre 2012 et que la Sarl Marlain était sans droit, ni titre depuis cette date et, d'autre part, décidé que ces locaux devront être libérés au plus tard le 6 juillet 2015. La société Marlain a introduit, le 6 juin 2016, une demande préalable aux fins de demander à la commune de Caussols de lui verser une indemnité de 464 000 euros au titre des préjudices qu'elle estime avoir subis en raison des fautes commises par la commune. La Sarl Marlain relève appel du jugement du 28 septembre 2018 par lequel le tribunal administratif de Nice a seulement condamné la commune de Caussols à lui verser la somme de 4 000 euros au titre de ses préjudices et a rejeté le surplus de ses conclusions.

Sur la fin de non-recevoir opposée par la commune de Caussols :

2. La commune de Caussols fait valoir, à titre principal, que l'absence d'argument nouveau rend l'appel de la société Marlain irrecevable en tant qu'il reprend à l'identique la démonstration développée depuis plusieurs années qui a été écartée par les juridictions administratives. Toutefois, l'analyse de la requête d'appel démontre qu'elle contient une critique du jugement attaqué selon laquelle la qualification des locaux de dépendance du domaine public retenue par le tribunal est erronée et de ce que ce dernier a estimé à tort qu'il ne pouvait y avoir de tacite reconduction. Elle invoque, par ailleurs, des fautes commises par la commune de Caussols et énumère ses différents préjudices dont elle demande l'indemnisation. Par suite, la requête d'appel de la société Marlain est recevable.

Sur le bien fondé du jugement attaqué :

En ce qui concerne la responsabilité de la commune de Caussols :

S'agissant de la faute résultant d'une qualification erronée des locaux de dépendance du domaine public :

3. Aux termes de l'article L. 2111-1 du code général de la propriété des personnes publiques dont la partie législative est issue de l'ordonnance du 21 avril 2006 : " Sous réserve de dispositions législatives spéciales, le domaine public d'une personne publique mentionnée à l'article L. 1 est constitué des biens lui appartenant qui sont soit affectés à l'usage direct du public, soit affectés à un service public pourvu qu'en ce cas ils fassent l'objet d'un aménagement indispensable à l'exécution des missions de ce service public. ". L'article L. 2141-1 du code précité dispose que : " Un bien d'une personne publique mentionnée à l'article L. 1, qui n'est plus affecté à un service public ou à l'usage direct du public, ne fait plus partie du domaine public à compter de l'intervention de l'acte administratif constatant son déclassement. ". Aux termes de l'article 13 de l'ordonnance du 21 avril 2006, ces dispositions sont entrées en vigueur le 1er juillet 2006.

4. Quelle que soit la qualification donnée par les parties à une convention par laquelle une personne publique confère à une personne privée le droit d'occuper un bien dont elle est propriétaire, l'appartenance de celui-ci au domaine public était, avant l'entrée en vigueur du code général de la propriété des personnes publiques, dont la partie législative est issue de l'ordonnance n° 2006-460 du 21 avril 2006, subordonnée, sauf si le bien était directement affecté à l'usage du public, à la double condition qu'il ait été affecté au service public et spécialement aménagé en vue du service public auquel il était destiné. En l'absence de toute disposition en ce sens, l'entrée en vigueur de ce code n'a pu, par elle-même, avoir pour effet d'entraîner le déclassement de dépendances qui appartenaient antérieurement au domaine public et qui, depuis le 1er juillet 2006, ne rempliraient plus les conditions désormais fixées par l'article L. 2111-1 du code général de la propriété des personnes publiques.

5. Il résulte de l'instruction que la commune de Caussols, petit village de 229 habitants, est propriétaire de l'immeuble dit " Auberge de Caussols " loué à la Sarl Marlain. Avant le 14 septembre 1973, une pièce de cet immeuble était réservée aux services de la mairie et était ainsi affectée à un service public administratif et spécialement aménagée à cet effet, constituant ainsi une dépendance du domaine public communal. Par ailleurs, selon le cahier des charges signé le 26 avril 1975, les locaux concédés à M. C... pour une durée de dix ans, par un contrat de concession du 10 octobre 1975, comprenaient un four à cuire le pain et des ustensiles nécessaires à la panification, deux salles de restaurant, un bar et une cuisine situés au rez-de-chaussée, ainsi que quatre pièces situées au premier étage. L'article 2 de ce cahier des charges imposait au concessionnaire de tenir ouvert, toute l'année, un débit de tabacs et une épicerie, pour permettre, dans l'intérêt général, l'approvisionnement quotidien des habitants de la commune. Il devait, également, selon l'article 3 de ce cahier, assurer la réception et la distribution des télégrammes et avis d'appel des Postes et Télécommunication et payer une redevance annuelle à la commune en vertu de l'article 4 du cahier des charges précité. L'article 3 ajoutait que l'obligation deviendrait caduque si " l'Administration des Postes confiait cette distribution à un facteur rural distributeur ou à tout autre agent de son choix ". Une délibération du même jour mentionnait que le concessionnaire assumera les obligations précitées inscrites dans le cahier des charges ainsi que le fonctionnement de la cabine téléphonique. Dès lors, la commune de Caussols a entendu affecter ce bâtiment à une activité de service public à l'intention de ses habitants, leur permettant un approvisionnement en produits de première nécessité en vue de pallier l'absence d'initiative privée ainsi qu' un accès aux services postaux qui n'étaient pas assurés par les opérateurs nationaux, ledit bâtiment étant spécialement aménagé à cet effet par la présence de divers équipements nécessaires à son exploitation, dont notamment un four à pain et une cabine téléphonique. Cette activité de service public n'a pas pris fin avec la délibération du 14 novembre 1982 par laquelle le conseil municipal a décidé de céder le " fonds de commerce " communal à M. C....

6. La Sarl Marlain ne peut utilement soutenir que la commune de Caussols devait justifier d'un contrat de concession de service public et que le cahier des charges ne peut tenir lieu de contrat de concession car il ne comprend aucune clause notamment relative à l'indemnisation des concessionnaires et que la durée de la convention ne correspond pas aux durées des concessions de service public dès lors qu'une activité exercée par une personne privée peut se voir reconnaître un caractère de service public alors même qu'elle n'a fait l'objet d'aucun contrat de délégation de service public procédant à sa dévolution. En outre, aucun texte n'impose une durée particulière pour les concessions de service public. Sont sans incidence les circonstances que le cahier des charges et la délibération du 14 septembre 1973 ne font pas référence à une appartenance au domaine public ni à un service public alors que, au demeurant, ce cahier mentionne l'intérêt général de l'approvisionnement quotidien des habitants de la commune et que le service chargé du contrôle de légalité n'a formulé aucune objection sur les " baux commerciaux ". Il en va de même de la délibération du 14 novembre 1982 qui a pour objet la vente du fonds de commerce communal à M. C... alors même qu'elle ferait référence à " un fonds de commerce " et mentionnerait que la gérance de ce fonds a été confiée à de nombreux gérants, sans grand profit pour la commune. Si la société Marlain soutient que la commune ne produit aucun acte d'incorporation des locaux dans le domaine public ainsi qu'une délibération montrant sa volonté d'ériger l'activité de bar-restaurant de " l'Auberge de Caussols " en service public, une telle volonté ressort du cahier des charges signé le 26 avril 1975 et de la délibération du même jour approuvant ce cahier et autorisant le maire à signer l'acte de concession, sans qu'il soit nécessaire pour la collectivité de prendre une décision de classement dans le domaine public en ce sens. Les circonstances que, d'une part, une délibération du 14 septembre 1973 a prononcé la désaffectation de la salle considérée comme mairie dans l'immeuble communal à usage de bar-restaurant et que, d'autre part, la commune a signé, le 16 juin 2004, un " bail commercial " avec M. C... ne sauraient avoir pour effet d'entraîner le déclassement implicite du domaine public de l'immeuble lequel est en tout état de cause impossible.

7. Par suite, il résulte des points 5 et 6 qu'en l'absence de mesure expresse de déclassement les concernant spécialement, la commune de Caussols n'a commis aucune faute en estimant que les locaux loués à la Sarl Marlain constituaient une dépendance du domaine public communal. Il ne résulte pas de l'instruction que la commune aurait changé sa position sur cette qualification, en fonction de ses intérêts du moment.

S'agissant de la faute résultant d'une résiliation irrégulière du fait de l'existance d'une clause de tacite reconduction :

8. Il résulte de la convention conclue le 16 juin 2004 que celle-ci ne comporte aucune clause de tacite reconduction dont l'existence ne peut être établie par la circonstance qu'elle mentionne que " le bailleur donne à bail à loyer commercial, conformément aux articles L. 145-1 à L. 145-60 du code du commerce au preneur " ni par le fait que la Sarl Marlain était titulaire d'un bail commercial. Sa durée étant de neuf années qui, ont commencé à courir rétroactivement à compter du 1er octobre 2003 pour se terminer le 30 septembre 2012, la commune de Caussols a pu légalement estimer que la Sarl Marlain était sans droit ni titre à la date de la délibération contestée. Par suite, la société requérante n'est pas fondée à soutenir que la commune aurait commis une faute en procédant à une résiliation en cours de la convention sans justifier d'un motif d'intérêt général ou d'une faute suffisamment grave ni du respect d'une procédure contradictoire avec mise en demeure préalable.

S'agissant de la faute tirée de l'erreur commise par la commune de Caussols sur la nature du bail consenti et l'existence d'un fonds de commerce :

9. En raison du caractère précaire et personnel des titres d'occupation du domaine public et des droits qui sont garantis au titulaire d'un bail commercial, un tel bail ne saurait être conclu sur le domaine public. Lorsque l'autorité gestionnaire du domaine public conclut un " bail commercial " pour l'exploitation d'un bien sur le domaine public ou laisse croire à l'exploitant de ce bien qu'il bénéficie des garanties prévues par la législation sur les baux commerciaux, elle commet une faute de nature à engager sa responsabilité. Cet exploitant peut alors prétendre, sous réserve, le cas échéant, de ses propres fautes, à être indemnisé de l'ensemble des dépenses dont il justifie qu'elles n'ont été exposées que dans la perspective d'une exploitation dans le cadre d'un bail commercial ainsi que des préjudices commerciaux et, le cas échéant, financiers qui résultent directement de la faute qu'a commise l'autorité gestionnaire du domaine public en l'induisant en erreur sur l'étendue de ses droits.

10. Si, en outre, l'autorité gestionnaire du domaine met fin avant son terme au bail commercial illégalement conclu en l'absence de toute faute de l'exploitant, celui-ci doit être regardé, pour l'indemnisation des préjudices qu'il invoque, comme ayant été titulaire d'un contrat portant autorisation d'occupation du domaine public pour la durée du bail conclu. Il est à ce titre en principe en droit, sous réserve qu'il n'en résulte aucune double indemnisation, d'obtenir réparation du préjudice direct et certain résultant de la résiliation unilatérale d'une telle convention avant son terme, tel que la perte des bénéfices découlant d'une occupation conforme aux exigences de la protection du domaine public et des dépenses exposées pour l'occupation normale du domaine, qui auraient dû être couvertes au terme de cette occupation.

11. En revanche, eu égard au caractère révocable et personnel, déjà rappelé, d'une autorisation d'occupation du domaine public, celle-ci ne peut donner lieu à la constitution d'un fonds de commerce dont l'occupant serait propriétaire. Si la loi du 18 juin 2014 relative à l'artisanat, au commerce et aux très petites entreprises a introduit dans le code général de la propriété des personnes publiques un article L. 2124-32-1, aux termes duquel " Un fonds de commerce peut être exploité sur le domaine public sous réserve de l'existence d'une clientèle propre ", ces dispositions ne sont, dès lors que la loi n'en a pas disposé autrement, applicables qu'aux fonds de commerce dont les exploitants occupent le domaine public en vertu de titres délivrés à compter de son entrée en vigueur. Par suite, l'exploitant qui occupe le domaine public ou doit être regardé comme l'occupant en vertu d'un titre délivré avant cette date, qui n'a jamais été légalement propriétaire d'un fonds de commerce, ne peut prétendre à l'indemnisation de la perte d'un tel fonds ".

12. Il résulte de l'instruction que la commune de Caussols a conclu plusieurs conventions qualifiées de " baux commerciaux " avec l'exploitant de " l'auberge de Caussols ", M. C..., lequel avait, le 14 novembre 1982, acquis auprès d'elle le " fonds de commerce " communal du restaurant-bar-épicerie. Elle a, en outre, par une délibération du 28 avril 2008, donné à ce dernier son autorisation pour la cession de ce " fonds de commerce " au profit de la Sarl Marlain. En raison du caractère précaire et personnel des titres d'occupation du domaine public et des droits qui sont garantis au titulaire d'un bail commercial, un tel bail ne pouvait légalement être conclu sur le domaine public. La commune de Caussols, en concluant un " bail commercial " pour l'exploitation des locaux de " l'auberge de Caussols " sur le domaine public, a laissé croire à la Sarl Marlain que ce bien bénéficiait des garanties prévues par la législation sur les baux commerciaux. La commune a dès lors commis une faute de nature à engager sa responsabilité, ce qu'elle ne conteste pas devant la Cour.

En ce qui concerne la responsabilité de la Sarl Marlain :

13. Si la commune de Caussols fait valoir que la Sarl Marlain a commis de nombreuses fautes compte tenu de son obstruction aux travaux de reprise des désordres constatés ou de rénovation afin de mettre en sécurité l'établissement recevant du public, qui lui auraient causées divers préjudices financiers, ces circonstances à les supposer même établies, n'ont aucun lien avec la faute retenue à l'encontre de la commune et constituent un litige distinct.

En ce qui concerne les préjudices subis par la Sarl Marlain :

S'agissant de la perte du fonds de commerce :

14. Ainsi qu'il a été dit au point 11, eu égard au caractère révocable et personnel d'une autorisation d'occupation du domaine public, celle-ci ne peut donner lieu à la constitution d'un fonds de commerce dont l'occupant serait propriétaire. La société Marlain occupant le domaine public en vertu d'un titre délivré antérieurement à la loi du 18 juin 2014 relative à l'artisanat, au commerce et aux très petites entreprises qui a permis dans certaines conditions l'exploitation d'un fonds de commerce sur le domaine public, elle n'a dès lors jamais été légalement propriétaire d'un fonds de commerce et ne peut prétendre à l'indemnisation de la perte d'un tel fonds évaluée à la somme de 321 445,08 euros.

15. Toutefois, il résulte de l'instruction que la société Marlain a acquis pour 250 000 euros le fonds de commerce du précédent exploitant qui l'a lui-même acheté en 1984 à la commune de Caussols pour le prix de 150 000 francs. Même si la commune n'a pas directement cédé le fonds de commerce à la Société Marlain, ce fonds n'a pas été initialement constitué par M. C... auprès de qui la société requérante l'a acquis mais bien par la commune, qui n'est toutefois pas à l'origine de l'accroissement ultérieur de sa valeur. Dans ces circonstances particulières, la société Marlain est fondée à réclamer l'indemnisation de la valeur du fonds de commerce illégalement constitué et cédé par la commune elle-même, qui doit être évaluée à la somme de 25 000 euros.

S'agissant de la perte des bénéfices :

16. La Sarl Marlain ne pouvait être propriétaire d'un " fonds de commerce " sur le domaine public et, dès lors, tirer des bénéfices de son activité au-delà de la durée de l'autorisation d'occupation du domaine public qui a pris fin le 30 septembre 2012, en l'absence de clause de renouvellement tacite ainsi qu'il a été dit au point 8. Elle ne peut, dans ces conditions, prétendre à être indemnisée du préjudice résultant de la perte des bénéfices dont elle allègue avoir été privée sur la période postérieure à son expulsion du domaine public, lesquels bénéfices n'auraient d'ailleurs pu découler que d'une occupation conforme aux exigences de protection du domaine public.

S'agissant de l'indemnité de remploi :

17. Ce chef de préjudice estimée à 31 700 euros et correspondant à 10 % de la valeur du fonds de commerce qui vise à permettre le financement du coût de recherche et d'acquisition d'un nouveau fonds de commerce ne peut être indemnisé dès lors qu'il concerne la reconstitution du fonds de commerce dont la société Marlain n'a jamais été légalement propriétaire sur le domaine public.

S'agissant de l'indemnisation des préjudices résultant de la fermeture de l'établissement :

18. Si la Sarl Marlain se réfère à une expertise comptable du mois de mars 2016 qui chiffre ce préjudice à 26 000 euros correspondant à des indemnités de licenciement, celles-ci sont dépourvues de tout lien de causalité avec la faute de la commune dans la mesure où elles auraient été dues de la même manière aux salariés à l'expiration du bail au 30 septembre 2012. Par ailleurs, il ne peut être fait droit à la demande de versement de la somme de 25 260 euros correspondant à des frais de déménagements et de réinstallation du fonds de commerce dont la société requérante n'a jamais été légalement propriétaire.

S'agissant des frais d'amortissement :

19. La Sarl Marlain se prévaut de son bilan de l'année 2016 qui indique que les immobilisations corporelles après amortissement s'élèvent à 1 607 euros. Toutefois, il n'est pas établi que ces immobilisations auraient été acquises antérieurement au 30 septembre 2012 et seraient ainsi en lien avec la faute de la commune.

S'agissant de l'indemnisation des frais de procédure :

20. La Sarl Marlain demande l'indemnisation de divers frais de procédure estimés à 78 310,75 euros qu'elle a engagés et constitués de frais d'avocats, d'huissiers, d'expert-comptable, d'experts judiciaires, ainsi que d'honoraires d'expertise pour la valorisation de l'indemnité compensatrice due par la commune. Toutefois, outre que certains de ces frais ne sont nullement justifiés, l'indemnisation du préjudice résultant des dépenses engagées pour assurer la défense de la Sarl Marlain relève de l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Cette demande doit dès lors être rejetée.

21. Il résulte de tout ce qui précède que la société Marlain est seulement fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif a condamné la commune de Caussols à ne lui allouer que la somme de 4 000 euros. Il convient de porter cette somme à 29 000 euros.

Sur les intérêts :

22. La société Marlain a droit aux intérêts au taux légal correspondant à l'indemnité de 29 000 euros à compter du 6 juin 2016, date de réception de sa demande par la commune de Caussols.

Sur les frais liés au litige :

23. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la Société Marlain, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que la commune de Caussols demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la commune de Caussols la somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par la société Marlain et non compris dans les dépens.

D É C I D E :

Article 1er : La somme de 4 000 euros que la commune de Caussols a été condamnée à verser à la société Marlain, par le jugement du tribunal administratif de Nice du 28 septembre 2018 est portée à 29 000 euros avec intérêts au taux légal à compter du 6 juin 2016.

Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Nice du 28 septembre 2018 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 3 : La commune de Caussols versera à la Sarl Marlain une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la Sarl Marlain et à la commune de Caussols.

Délibéré après l'audience du 19 février 2021, où siégeaient :

- M. Pocheron, président de chambre,

- M. Guidal, président assesseur,

- Mme F..., première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 5 mars 2021.

2

N° 18MA05006

nl


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 7ème chambre
Numéro d'arrêt : 18MA05006
Date de la décision : 05/03/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

24-01-02-01-01-03 Domaine. Domaine public. Régime. Occupation. Utilisations privatives du domaine. Droits à indemnisation de l'occupant.


Composition du Tribunal
Président : M. POCHERON
Rapporteur ?: Mme Jacqueline MARCHESSAUX
Rapporteur public ?: M. CHANON
Avocat(s) : AONZO

Origine de la décision
Date de l'import : 16/03/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2021-03-05;18ma05006 ?
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