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04/03/2021 | FRANCE | N°19MA04205

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 2ème chambre, 04 mars 2021, 19MA04205


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... D... a demandé au tribunal administratif de Bastia de condamner le centre hospitalier de Bastia à lui verser la somme de 100 740 euros en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis du fait de sa prise en charge par cet établissement de soins.

Par un jugement n° 1700296 du 4 juillet 2019, le tribunal administratif de Bastia a condamné le centre hospitalier de Bastia à lui verser la somme de 31 700 euros et a mis à sa charge les frais d'expertise.

Procédure devant la Cour :


Par une requête et un mémoire, enregistrés le 9 septembre 2019 et le 11 octobre 2019, ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... D... a demandé au tribunal administratif de Bastia de condamner le centre hospitalier de Bastia à lui verser la somme de 100 740 euros en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis du fait de sa prise en charge par cet établissement de soins.

Par un jugement n° 1700296 du 4 juillet 2019, le tribunal administratif de Bastia a condamné le centre hospitalier de Bastia à lui verser la somme de 31 700 euros et a mis à sa charge les frais d'expertise.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 9 septembre 2019 et le 11 octobre 2019, le centre hospitalier de Bastia, représenté par Me B..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Bastia du 4 juillet 2019 ;

2°) de rejeter la demande présentée par M. D... devant le tribunal administratif de Bastia.

Il soutient que :

- le jugement est insuffisamment motivé ;

- l'intervention initiale était urgente ;

- la conservation du fragment osseux était un choix médicalement justifié pour limiter le risque de pseudarthrose septique ;

- une antibioprophylaxie a été mise en oeuvre lors de l'intervention initiale ;

- aucun retard dans la mise en oeuvre ultérieure d'une antibiothérapie adaptée ne peut être retenu ;

- à titre subsidiaire, le taux de perte de chance ne peut excéder 8 % ;

- à titre encore plus subsidiaire, les sommes allouées au titre des souffrances endurées, du déficit fonctionnel permanent et du préjudice esthétique doivent être ramenées à de plus juste proportions.

Par un mémoire en défense, enregistré le 10 décembre 2019, M. D..., représenté par Me A..., demande à la cour :

1°) de rejeter la requête du centre hospitalier de Bastia ;

2°) par la voie de l'appel incident :

- de réformer le jugement du 4 juillet 2019 par lequel le tribunal administratif de Bastia a limité à la somme de 31 700 euros l'indemnité au versement de laquelle il a condamné le centre hospitalier de Bastia en réparation du préjudice qu'il a subi ;

- de porter à la somme de 100 740 euros le montant de l'indemnité due ;

3°) de mettre à la charge du centre hospitalier de Bastia la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le rapport critique produit par l'établissement de soins n'a pas été soumis au contradictoire et doit être écarté des débats ;

- la conservation d'un fragment intermédiaire dévitalisé constitue une faute médicale ;

- l'antibiothérapie n'était pas adaptée pour le traitement d'une infection osseuse ;

- le taux de perte de chance doit être fixé à 100 % ;

- aucune information des risques encourus n'a été délivrée ;

- les frais exposés, l'assistance par tierce personne, le déficit fonctionnel temporaire, les souffrances endurées, les préjudices esthétiques temporaire et définitif et le déficit fonctionnel permanent ont été insuffisamment évalués ;

- le préjudice sexuel doit être indemnisé.

La requête a été communiquée à la caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Corse qui n'a pas produit de mémoire.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de la sécurité sociale ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme F...,

- et les conclusions de M. Gautron, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. Le centre hospitalier de Bastia demande l'annulation du jugement du 4 juillet 2019 par lequel le tribunal administratif de Bastia l'a condamné à verser à M. D... la somme de 31 700 euros à titre indemnitaire. M. D... demande, par la voie de l'appel incident, une meilleure indemnisation des préjudices qu'il a subis.

Sur le manquement à l'obligation d'information :

2. Il résulte des dispositions de l'article L. 1111-2 du code de la santé publique que lorsque l'acte médical envisagé, même accompli conformément aux règles de l'art, comporte des risques connus de décès ou d'invalidité, le patient doit en être informé dans des conditions qui permettent de recueillir son consentement éclairé. Si cette information n'est pas requise en cas d'urgence, d'impossibilité, de refus du patient d'être informé, la seule circonstance que les risques ne se réalisent qu'exceptionnellement ne dispense pas les praticiens de leur obligation. Un manquement des médecins à leur obligation d'information engage la responsabilité de l'hôpital dans la mesure où il a privé le patient d'une chance de se soustraire au risque lié à l'intervention en refusant qu'elle soit pratiquée. C'est seulement dans le cas où l'intervention était impérieusement requise, en sorte que le patient ne disposait d'aucune possibilité raisonnable de refus, que peut être déniée l'existence d'une perte de chance. La preuve de la délivrance de l'information peut être apportée par tout moyen.

3. Il résulte de l'instruction, et notamment du rapport de l'expertise ordonnée par le juge des référés du tribunal administratif de Bastia, que la réduction de la fracture ouverte du tibia et du péroné droits avec l'issue du tibia fracturé et de la fracture fermée du premier métatarsien du pied gauche dont M. D... a été victime présentait un caractère d'urgence, ce qui excluait toute possibilité raisonnable de refuser l'intervention, sous peine d'évolution à bref délai vers des conséquences plus graves et plus importantes. Compte tenu de la nécessité impérieuse de l'acte chirurgical, M. D... n'est pas davantage fondé à soutenir que l'information aurait dû être délivrée à son épouse. Par ailleurs, il ne peut utilement soutenir que l'information préalable aurait pu lui être délivrée par l'établissement de soins postérieurement à la première opération. Dans ces conditions, le défaut d'information sur les risques de l'intervention ne peut être regardé, dans les circonstances de l'espèce, comme lui ayant fait perdre une chance d'échapper aux complications qui sont survenues. Par suite, c'est à bon droit que les premiers juges ont écarté la responsabilité du centre hospitalier de Bastia à raison du défaut d'information.

Sur la responsabilité :

4. Le I de l'article L. 11421 du code de la santé publique prévoit que la responsabilité de tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins peut être engagée en cas de faute. (Dans le cas où la faute commise lors de la prise en charge ou du traitement d'un patient a compromis ses chances d'obtenir une amélioration de son état de santé ou d'échapper à son aggravation, le préjudice résultant directement de la faute commise par l'établissement et qui doit être intégralement réparé, n'est pas le dommage corporel constaté, mais la perte de chance d'éviter que ce dommage soit advenu. La réparation qui incombe à l'hôpital doit alors être évaluée à une fraction du dommage déterminée en fonction de l'ampleur de la chance perdue.)

5. Il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise, que l'antibioprophylaxie administrée au patient est conforme à la littérature médicale et que le syndrome des loges apparu le lendemain de l'intervention chirurgicale a été traité de façon adéquate par aponévrotomie de décharge des loges antéro-latérale et postérieure. Par ailleurs, et dès lors que M. D... présentait une fracture ouverte survenue dans un environnement tellurique, c'est à bon droit que les premiers juges ont retenu que l'infection par Staphylococcus aureus et Entérobacter cloacae ne présentait pas de caractère nosocomial.

6. Selon ce même rapport de l'expert chirurgien et l'avis du sapiteur infectiologue, l'absence de retrait lors de l'ostéosynthèse du fragment osseux dévitalisé et la mise en place d'une antibiothérapie à diffusion osseuse sur Staphylococcus aureus et Enterococcus cloacae au mois de mars alors que des écoulements au niveau des broches du fixateur sont apparus au mois de décembre précédent ont entraîné un retard de consolidation d'environ trois mois. Toutefois, ces conclusions sont remises en cause par un avis critique particulièrement circonstancié et très documenté produit en appel par le centre hospitalier de Bastia, qui précise que, selon la littérature médicale, le taux de pseudarthrose septique des fractures du tibia, c'est-à-dire de non consolidation, est de 5,4 à 7,5 % majoré à 26 % en cas de fracture ouverte et d'absence de remise en place des fragments, tandis que le risque infectieux est estimé entre 2 et 5 % pour une fracture ouverte du type de celle présentée par M. D... et que la nécessité de procéder à l'ablation des gros défects osseux, qui est controversée, doit être laissée à l'appréciation de l'opérateur auquel il appartient d'apprécier les bénéfices et les risques pour le patient. Cet avis précise également que les recommandations de bonne pratique médicale en ce qui concerne les infections ostéo articulaires sur matériel préconisent, lors de la prise en charge des écoulements sur broche, un traitement antibiotique d'épreuve à visée tissulaire, sans en codifier les modalités ni en préciser la durée, en l'absence de signe d'atteinte osseuse, comme chez M. D..., dont le suivi radiographique montrait une amélioration. Ces mêmes recommandations déconseillent l'écouvillonnage de l'écoulement présent autour de la fiche de fixateur externe.

7. Eu égard aux conclusions de l'avis mentionné ci-dessus, qui ne sont pas utilement critiquées par l'avis non documenté du médecin-conseil de M. D... et qui, contrairement à ce que fait valoir ce dernier, a été soumis à une discussion contradictoire entre les parties à l'occasion de l'instance d'appel, il y a lieu d'admettre, comme le soutient le centre hospitalier requérant et contrairement à ce qu'ont retenu les premiers juges, qu'aucune faute de nature à engager la responsabilité du centre hospitalier de Bastia n'a été commise lors de la prise en charge de M. D....

8. Il résulte de tout ce qui précède que, sans qu'il soit besoin d'examiner le moyen relatif à la régularité du jugement attaqué, le centre hospitalier de Bastia est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Bastia l'a condamné à indemniser M. D.... Par suite, il y a lieu de rejeter la demande présentée par M. D... devant le tribunal administratif de Bastia ainsi que, par voie de conséquence, les conclusions d'appel incident qu'il a présentées devant la cour.

Sur les dépens :

9. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de laisser les frais de l'expertise à la charge définitive du centre hospitalier de Bastia.

Sur les frais liés au litige :

10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge du centre hospitalier de Bastia, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que M. D... demande au titre des frais non compris dans les dépens qu'il a exposés.

D É C I D E :

Article 1er : L'article 2 du jugement du tribunal administratif de Bastia du 4 juillet 2019 est annulé.

Article 2 : La demande présentée par M. D... devant le tribunal administratif de Bastia, ses conclusions d'appel incident et celles qu'il a présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au centre hospitalier de Bastia, à M. C... D... et à la caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Corse.

Délibéré après l'audience du 11 février 2021 où siégeaient :

- M. Alfonsi, président de chambre,

- Mme E..., présidente-assesseure,

- Mme F..., première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 4 mars 2021.

6

N° 19MA04205

kp


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 19MA04205
Date de la décision : 04/03/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-02-01-01-02-02 Responsabilité de la puissance publique. Responsabilité en raison des différentes activités des services publics. Service public de santé. Établissements publics d'hospitalisation. Responsabilité pour faute médicale : actes médicaux. Absence de faute médicale de nature à engager la responsabilité du service public.


Composition du Tribunal
Président : M. ALFONSI
Rapporteur ?: Mme Agnes BOURJADE
Rapporteur public ?: M. GAUTRON
Avocat(s) : LE PRADO

Origine de la décision
Date de l'import : 16/03/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2021-03-04;19ma04205 ?
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