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04/02/2021 | FRANCE | N°19MA01907

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 3ème chambre, 04 février 2021, 19MA01907


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. E... D... a demandé au tribunal administratif de Marseille de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de prélèvements sociaux auxquelles il a été assujetti au titre des années 2011 et 2012 ainsi que des pénalités correspondantes.

Par un jugement n° 1701840 du 27 février 2019, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 24 avril 2019, et un mémoire complémenta

ire, enregistré le 27 janvier 2020, M. D..., représenté par la SELAS Philae agissant par Me C..., d...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. E... D... a demandé au tribunal administratif de Marseille de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de prélèvements sociaux auxquelles il a été assujetti au titre des années 2011 et 2012 ainsi que des pénalités correspondantes.

Par un jugement n° 1701840 du 27 février 2019, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 24 avril 2019, et un mémoire complémentaire, enregistré le 27 janvier 2020, M. D..., représenté par la SELAS Philae agissant par Me C..., demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du 27 février 2019 du tribunal administratif de Marseille ;

2°) d'annuler la décision du 3 février 2017 portant rejet de sa réclamation préalable ;

3°) d'annuler les deux propositions de rectification du 20 janvier 2014 ;

4°) de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des impositions en litige ;

5°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le jugement est entaché d'erreur de droit au regard des dispositions de l'article L. 76 AA du livre des procédures fiscales ;

- les premiers juges ont entaché leur décision d'une erreur d'appréciation des faits en considérant que les deux propositions de rectification en cause étaient suffisamment motivées et ont commis des erreurs matérielles au point 4 de leur jugement ;

- les premiers juges ont statué ultra petita en relevant que M. D... " ne soutient ni même n'allègue que les cartons trouvés dans sa voiture ou dans le box loué par ses soins proviendraient de cartons chargés entre le 16 novembre 2011 et le 27 décembre 2011 et le 4 janvier 2012 et le 14 mars 2012 et devraient ainsi venir en déduction des cartons dont il est supposé avoir eu la libre disposition " ;

- les premiers juges ont commis une erreur de droit et une erreur d'interprétation des faits au regard des dispositions de l'article 1649 quater-0 B bis du code général des impôts ; leur interprétation de ces dispositions viole le principe d'égalité devant les charges publiques ;

- ce jugement porte atteinte au principe de sécurité juridique dès lors que les premiers juges se sont écartés de jurisprudences constantes ; pour le même motif, ces derniers devaient saisir le Conseil d'Etat pour avis sur le fondement de l'article L. 113-1 du code de justice administrative ;

- le signataire des propositions de rectification du 20 janvier 2014 ne justifie pas de sa compétence au regard des dispositions des articles L. 76 AA et R. 76 AA-1 du livre des procédures fiscales dès lors qu'il détient un grade inférieur à celui d'inspecteur divisionnaire des finances publiques ; une délégation de signature ne pouvait en l'espèce être admise en l'absence de texte particulier l'autorisant et, en toute hypothèse, elle aurait dû être expressément mentionnée sur ces propositions de rectification ;

- les propositions de rectification sont insuffisamment motivées au sens de l'article L. 57 du livre des procédures fiscales et de l'instruction fiscale référencée BOI-BOI-CF-IOR-10-40 du 12 septembre 2012, paragraphe 40 ;

- les dispositions de l'article 1649 quater-0 B bis du code général des impôts ne permettent pas à l'administration de réintégrer la totalité de la valeur vénale résultant du trafic de cigarettes dans sa base d'imposition ; il peut seulement être regardé comme ayant eu la libre disposition des cartouches de cigarettes et de la somme d'argent saisies à son domicile par l'autorité judiciaire lors d'une perquisition réalisée en mars 2012 ;

- la position de l'administration et des premiers juges qui ont retenu, sur le fondement de simples estimations, la présomption de revenus et la libre disposition des biens supposés, alors que dans la jurisprudence qu'il cite, seuls les biens saisis ont été qualifiés ainsi, constitue une violation du principe d'égalité des charges publiques consacré tant par l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme que par la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, en ses articles 1er et 6 ;

- dès lors que seize autres personnes ayant été condamnées intervenaient dans le trafic de cigarettes illicite, l'administration aurait dû, à tout le moins, répartir proportionnellement la base imposable entre l'ensemble des personnes impliquées dans ce trafic.

Par un mémoire en défense, enregistré le 29 novembre 2019, le ministre de l'action et des comptes publics demande à la Cour de rejeter la requête de M. D....

Il fait valoir que les moyens invoqués par le requérant ne sont pas fondés.

Par lettre du 12 janvier 2021, les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur des moyens relevés d'office, tirés de l'irrecevabilité des conclusions à fin d'annulation des propositions de rectification du 20 janvier 2014 et de la décision du 3 février 2017 portant rejet de la réclamation préalable de M. D..., dès lors que de telles décisions ne sont pas susceptibles de recours pour excès de pouvoir.

Le 13 janvier 2021, le ministre de l'économie, des finances et de la relance a produit un mémoire en réponse à ces moyens d'ordre public, qui n'a pas été communiqué.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et son premier protocole additionnel ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le décret n° 2010-986 du 26 août 2010 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme G...,

- les conclusions de Mme Courbon, rapporteur public,

- et les observations de Me J... substituant Me C... pour M. D....

Considérant ce qui suit :

1. M. D..., docker au port de Marseille, a fait l'objet de deux examens contradictoires de sa situation fiscale personnelle portant respectivement sur les années 2009 à 2011 et 2012. L'administration fiscale, ayant fait usage de son droit de communication auprès des autorités judiciaires, a été informée qu'au cours des années 2011 et 2012, ce dernier s'était livré à un important trafic de cigarettes. Mettant en oeuvre les dispositions de l'article 1649 quater-0 B bis du code général des impôts, l'administration a notifié à M. D..., selon la procédure contradictoire prévue à l'article L. 55 du livre des procédures fiscales, des rehaussements en matière d'impôt sur le revenu et de contributions sociales résultant de la réintégration dans sa base imposable de la valeur vénale des biens et d'une somme en numéraire issus de la contrebande de cigarettes. M. D... relève appel du jugement du 27 février 2019 par lequel le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande tendant à la décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales auxquelles il a été assujetti au titre des années 2011 et 2012.

Sur la régularité du jugement :

2. D'une part, il appartient au juge d'appel non d'apprécier le bien-fondé des motifs par lesquels le juge de première instance s'est prononcé sur les moyens qui lui étaient soumis mais de se prononcer directement sur les moyens dont il est saisi dans le cadre de l'effet dévolutif de l'appel. M. D... ne peut donc utilement se prévaloir des erreurs de droit ou d'appréciation des faits que les premiers juges auraient commises pour demander l'annulation du jugement attaqué. Il en est de même des moyens tirés de ce que leur raisonnement juridique est contraire aux principes de sécurité juridique, d'égalité devant les charges publiques et de non-discrimination.

3. D'autre part, la faculté de transmettre le dossier au Conseil d'Etat pour avis, prévue par les dispositions de l'article L. 113-1 du code de justice administrative, constitue un pouvoir propre du juge. Par suite, l'appelant ne saurait se prévaloir du non recours à cette procédure pour contester la régularité du jugement.

4. Enfin, contrairement à ce que soutient M. D..., les premiers juges n'ont pas statué ultra petita en relevant qu'il " ne soutient ni même n'allègue que les cartons trouvés dans sa voiture ou dans le box loué par ses soins proviendraient de cartons chargés entre le 16 novembre 2011 et le 27 décembre 2011 et le 4 janvier 2012 et le 14 mars 2012 et devraient ainsi venir en déduction des cartons dont il est supposé avoir eu la libre disposition ", dès lors qu'ils se sont bornés à répondre au moyen tiré de l'absence de libre disposition d'une partie des biens retenus par l'administration dans ses bases imposables.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

5. Les propositions de rectification et les décisions par lesquelles l'administration fiscale statue sur les réclamations contentieuses des contribuables ne constituent pas des actes détachables de la procédure contentieuse d'imposition. Elles ne peuvent, en conséquence, être déférées à la juridiction administrative par la voie du recours pour excès de pouvoir et ne peuvent faire l'objet d'un recours de plein contentieux qu'au titre de la procédure fixée par les articles L. 199 et suivants du livre des procédures fiscales. Dès lors, les conclusions du requérant tendant à l'annulation des deux propositions de rectification du 20 janvier 2014 et de la décision du 3 février 2017 par laquelle le directeur départemental des finances publiques des Bouches-du-Rhône a rejeté sa réclamation préalable sont irrecevables et doivent être rejetées.

Sur les conclusions aux fins de décharge :

6. Aux termes de l'article 1649 quater-0 B bis du code général des impôts : " 1. Lorsqu'il résulte des constatations de fait opérées dans le cadre d'une des procédures prévues aux articles 53,75 et 79 du code de procédure pénale et que l'administration fiscale est informée dans les conditions prévues aux articles L. 82 C, L. 101 ou L. 135 L du livre des procédures fiscales qu'une personne a eu la libre disposition d'un bien objet d'une des infractions mentionnées au 2, cette personne est présumée, sauf preuve contraire appréciée dans le cadre des procédures prévues aux articles L. 10 et L. 12 de ce même livre, avoir perçu un revenu imposable équivalent à la valeur vénale de ce bien au titre de l'année au cours de laquelle cette disposition a été constatée. / La présomption peut être combattue par tout moyen et procéder notamment de l'absence de libre disposition des biens mentionnés au premier alinéa, de la déclaration des revenus ayant permis leur acquisition ou de l'acquisition desdits biens à crédit. (...) / Lorsqu'il résulte des constatations de fait opérées dans le cadre d'une des procédures prévues aux articles 53, 75 et 79 du code de procédure pénale et que l'administration fiscale est informée dans les conditions prévues aux articles L. 82 C, L. 101 ou L. 135 L du livre des procédures fiscales qu'une personne a eu la libre disposition d'une somme d'argent, produit direct d'une des infractions visées au 2, cette personne est présumée, sauf preuve contraire appréciée dans le cadre des procédures prévues aux articles L. 10 et L. 12 de ce même livre, avoir perçu un revenu imposable égal au montant de cette somme au titre de l'année au cours de laquelle cette disposition a été constatée. La présomption peut être combattue par tout moyen et procéder notamment de l'absence de libre disposition des sommes mentionnées au quatrième alinéa, du caractère non imposable de ces sommes ou du fait qu'elles ont été imposées au titre d'une autre année. / Lorsque plusieurs personnes ont la libre disposition des biens ou de la somme mentionnés respectivement au premier et au quatrième alinéas, la base du revenu imposable est, sauf preuve contraire, répartie proportionnellement entre ces personnes. / 2. Le 1 s'applique aux infractions suivantes : (...) d. délits à la réglementation sur les alcools et le tabac prévus à l'article 1810 du présent code ; (...) ".

En ce qui concerne la régularité de la procédure :

7. En premier lieu, aux termes de l'article L. 76 AA du livre des procédures fiscales : " 1. Lorsque les agents des impôts sont informés pour un contribuable de la situation de fait mentionnée à l'article 1649 quater-0 B bis du code général des impôts, ils peuvent modifier la base d'imposition sur le fondement des présomptions établies par cet article. 2. La décision de faire application du 1 est prise par un agent de catégorie A détenant au moins un grade fixé par décret en Conseil d'Etat, qui vise à cet effet la proposition prévue au premier alinéa de l'article L. 57 ou la notification prévue à l'article L. 76. ". Aux termes de l'article R. 76 AA-1 du même livre : " La décision de mettre en oeuvre les dispositions du 1 de l'article L. 76 AA est prise par un agent ayant au moins le grade d'inspecteur divisionnaire ". L'article 2 du décret du 26 août 2010 portant statut particulier des personnels de catégorie A de la direction générale des finances publiques dispose en outre que : " Les fonctionnaires de la catégorie A mentionnés à l'article 1er sont répartis dans les grades ci-après : / 1° Administrateur des finances publiques adjoint : 6 échelons ; / 2° Inspecteur principal des finances publiques : 9 échelons ; / 3° Inspecteur divisionnaire des finances publiques qui comporte deux classes : / - hors classe : 3 échelons ; /- classe normale : 4 échelons ; /4° Inspecteur des finances publiques : 12 échelons et un échelon d'inspecteur stagiaire. ".

8. Il résulte de l'instruction que les décisions de modifier la base d'imposition de M. D... sur le fondement des présomptions établies par l'article 1649 quater-0 B bis du code général des impôts ont été matérialisées dans les deux propositions de rectification du 20 janvier 2014. Si ces propositions ont été signées par M. I... A..., inspecteur des finances publiques, chargé des opérations de contrôles, elles ont été également visées par M. B... H..., inspecteur principal des finances publiques, et donc par un agent qui, en application de l'article 2 du décret susvisé du 26 août 2010, avait un grade supérieur au grade d'inspecteur divisionnaire. Le moyen tiré de la méconnaissance de l'article R. 76 AA-1 du livre des procédures fiscales doit, par suite, être écarté comme manquant en fait.

9. En second lieu, aux termes de l'article L. 57 du livre des procédures fiscales : " L'administration adresse au contribuable une proposition de rectification qui doit être motivée de manière à lui permettre de formuler ses observations ou de faire connaître son acceptation. (...) " et aux termes de l'article R. 57-1 du même livre : " La proposition de rectification prévue par l'article L. 57 fait connaître au contribuable la nature et les motifs de la rectification envisagée (...) ".

10. Il résulte de ces dispositions que, pour être régulière, une proposition de rectification doit comporter la désignation de l'impôt concerné, de l'année d'imposition et de la base d'imposition, et énoncer les motifs sur lesquels l'administration entend se fonder pour justifier les rectifications envisagées, de façon à permettre au contribuable de formuler ses observations de façon entièrement utile. En revanche, sa régularité ne dépend pas du bien-fondé de ses motifs.

11. Les propositions de rectification du 20 janvier 2014, adressées à M. D..., à l'issue de l'examen contradictoire de sa situation fiscale personnelle portant d'une part, sur les années 2009 à 2011 et, d'autre part, sur l'année 2012, mentionnent les impositions concernées, la période d'imposition, le montant des rehaussements envisagés et les motifs de droit et de fait qui constituent le fondement de ces rehaussements. Le vérificateur y indique, à ce titre, que l'enquête préliminaire diligentée le 30 mai 2011 a permis de constater que M. D..., docker au port de Marseille, se livrait à un important trafic de cigarettes et que les surveillances et commissions rogatoires mises en oeuvre ont mis en évidence que ce dernier a chargé, au minimum, 137 cartons de 50 cartouches de cigarettes de contrebande entre le 16 novembre et le 27 décembre 2011 et 220 cartons de 50 cartouches de cigarettes de contrebande entre le 4 janvier et le 14 mars 2012. La proposition de rectification au titre des revenus pour l'année 2012 précise en outre que 38 cartons de 50 cartouches de cigarettes et une somme de 60 829 euros ont été saisis lors de la perquisition menée, en mars 2012, au domicile de M. D.... Le service a relevé ensuite que l'intéressé avait eu la libre disposition de la somme précitée et des cartouches de cigarettes achetées de manière illicite auprès de commandants de navire et qu'ainsi, il était fondé à mettre en oeuvre la présomption de revenus prévue au 1 de l'article 1649 quater-0 B bis du code général des impôts. En outre, d'une part, si M. D... conteste le nombre de cartons retenu par l'administration qui diffère de celui établi selon lui dans le cadre de la procédure pénale, et dont il aurait eu la libre disposition, ces critiques concernent le bien-fondé des impositions mises à sa charge et non la forme des propositions de rectification. D'autre part, si l'intéressé fait valoir que l'administration n'a pas précisé les sources d'information auxquelles elle a pu avoir accès et qui ont donné lieu à la prise en compte de quantités différentes de celles retenues par les juges judiciaires, il ne résulte pas de l'instruction que l'agent vérificateur aurait procédé à un droit de communication en dehors de celui opéré auprès de l'autorité judiciaire sur le fondement des dispositions des articles L. 81, L. 82 C et L. 101 du livre de procédures fiscales et de celui mis en oeuvre auprès d'organismes bancaires en application de l'article L. 85 du même livre, ce dont les propositions de rectification font bien mention. Ainsi, contrairement à ce que soutient le requérant, cette motivation circonstanciée était suffisante pour répondre aux exigences des dispositions rappelées ci-dessus, en particulier, pour lui permettre de formuler utilement ses observations, ce qu'il a d'ailleurs fait le 17 mars 2014 par l'intermédiaire de son conseil.

12. Enfin, le moyen tiré de l'invocation du paragraphe 40 de l'instruction fiscale référencée BOI-BOI-CF-IOR-10-40 du 12 septembre 2012 doit être écarté dès lors que cette doctrine, qui est relative à la procédure d'imposition, ne peut être regardée comme comportant une interprétation d'un texte fiscal au sens de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales.

En ce qui concerne le bien-fondé des impositions supplémentaires :

13. Il résulte des dispositions de l'article 1649 quater-0 B bis du code général des impôts, citées au point 6 du présent arrêt, qu'une personne qui a eu la libre disposition d'un bien, objet d'infractions liées " aux délits à la réglementation sur (...) le tabac prévus à l'article 1810 du présent code ", est présumée avoir perçu un revenu imposable équivalent à la valeur vénale de ce bien au titre de l'année au cours de laquelle cette disposition a été constatée. Le même mécanisme est applicable aux sommes d'argent, produit direct des mêmes infractions, dont la personne a eu la libre disposition. Il appartient alors au contribuable de combattre cette présomption, en établissant notamment qu'il n'a pas eu, en réalité, la disposition des biens ou des sommes d'argent en cause.

14. M. D... remet en cause le nombre de cartons de cigarettes dont il a pu avoir la libre disposition, au sens des dispositions précitées, en soutenant que l'administration fiscale ne pouvait se fonder que sur les biens saisis lors de la perquisition intervenue en mars 2012 au domicile de ce dernier.

15. Il résulte de l'instruction que, par un jugement correctionnel du 21 octobre 2015, devenu définitif en ce qui le concerne, M. D... a été condamné à une peine de trois ans d'emprisonnement délictuel, dont dix-huit mois avec sursis, pour les faits de contrebande de marchandise prohibée ou fortement taxée commise en bande organisée (détention et transport), perpétrés entre le 1er janvier 2010 et le 29 mars 2012 à Marseille, et de blanchiment aggravé commis au titre de la même période à Marseille et Venelles. Il résulte de ce jugement que M. D... était à la tête d'une équipe se livrant au trafic de cigarettes et qu'il gérait l'approvisionnement auprès des navires, procédait au paiement des fournisseurs, s'occupait d'organiser la réception des marchandises puis leur stockage, avant de les revendre à divers clients. Le jugement relève que si, au départ, deux équipes se livraient à du trafic sur le port de Marseille, la seconde équipe a été confrontée à une perte de confiance des fournisseurs à compter du mois de novembre 2011, de telle sorte que M. D... est devenu le seul opérateur du trafic organisé avec deux navires. Pour procéder à l'évaluation des cartons mis à disposition de M. D..., l'administration fiscale s'est fondée sur des " des constatations de fait opérées dans le cadre d'une des procédures prévues aux articles 53,75 et 79 du code de procédure pénale ", au sens de l'article 1649 quater-0 B bis du code général des impôts, à savoir celles effectuées par les services enquêteurs dans le cadre d'une enquête préliminaire d'abord diligentée en mai 2011, puis, d'une information judiciaire ouverte le 6 octobre 2011, laquelle a donné lieu, le 7 octobre 2011, à une commission rogatoire générale et à quatre commissions rogatoires techniques destinées à la surveillance des lignes téléphoniques utilisés notamment par M. D.... Il résulte ainsi de la proposition de rectification du 20 janvier 2014 relative aux rectifications de l'année 2011 que, sur la base des informations recueillies dans le cadre précité, notamment par un rapport de synthèse partiel du 19 mars 2012 (côte 324 du dossier pénal), les enquêteurs ont évalué, au titre de la période du 16 novembre au 27 décembre 2011, le nombre de cartons de 50 cartouches de cigarettes chargés par M. D... à 137, en précisant le jour et le navire de provenance de ces cartons. Il résulte en outre de la proposition du même jour relative aux rectifications de l'année 2012 que, sur la base du même rapport, les enquêteurs ont évalué à 220, entre le 4 janvier et le 14 mars 2012, ce nombre de cartons, en donnant également des précisions sur la date et la provenance de ces derniers. Au demeurant, M. D... ne conteste nullement les constations de fait opérées lors des enquêtes pénales ni ne remet en cause le fait d'avoir été bénéficiaire de chacune de ces livraisons, l'intéressé ayant, au demeurant, reconnu aux termes du jugement correctionnel précité avoir importé illégalement une moyenne de 15 cartons de 50 cartouches de cigarettes par semaine. Enfin, le requérant ne soutient pas davantage en appel que les cartons saisis dans sa voiture et le garage situé à son domicile, le 29 mars 2012, correspondraient à des cartons préalablement réceptionnés lors des périodes précitées et déjà pris en compte par l'administration. Par suite, M. D... n'est dès lors pas fondé à remettre en cause l'évaluation des biens et de la somme en numéraire dont il a eu la libre disposition, dans le cadre du trafic pour lequel il a fait l'objet d'une condamnation pénale, et à laquelle l'administration fiscale s'est correctement livrée en application des dispositions précitées de l'article 1649 quater-0 B bis du code général des impôts.

16. A supposer que le requérant ait entendu se prévaloir de l'inconstitutionnalité des dispositions de l'article 1649 quater-0 B bis du code général des impôts au regard des articles 1er et 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1798, il ne présente, par mémoire distinct, aucune demande de transmission d'une question prioritaire de constitutionnalité en application de l'article R. 771-3 du code de justice administrative. Par suite, un tel moyen est irrecevable.

17. Aux termes de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. / Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes " et selon l'article 14 de la même convention : " La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation". Une distinction entre des personnes placées dans une situation analogue est discriminatoire, au sens de ces stipulations, si elle n'est pas assortie de justifications objectives et raisonnables, c'est-à-dire si elle ne poursuit pas un objectif d'utilité publique ou si elle n'est pas fondée sur des critères objectifs et rationnels en rapport avec les buts de la loi.

18. M. D... invoque une différence de traitement entre les contribuables condamnés dans le cadre de trafics, selon que l'imposition ferait suite à une information judiciaire, ce qui permettrait d'inclure dans la base d'imposition les quantités de produits illicites ressortant des informations recueillies au cours de l'enquête pénale, ou à une procédure de flagrance, qui ne permettrait d'inclure dans cette même base que les biens saisis par l'autorité judiciaire. Cependant, les dispositions de l'article 1649 quater-0 B bis du code général des impôts et l'interprétation, qui en a été faite au point 15 du présent arrêt, ne sont constitutives d'aucune discrimination dès lors que, d'une part, une information judiciaire et une enquête de flagrance n'ont ni le même objet, ni les mêmes effets, et d'autre part, la présomption de perception d'un revenu équivalent à la valeur vénale des biens s'applique, dans les deux cas, aux seuls biens dont le contribuable a eu la libre disposition.

19. Il résulte des dispositions, précitées au point 6, du dernier alinéa du 1 de l'article 1649 quater-0 B bis du code général des impôts que, lorsque le contribuable établit que plusieurs personnes ont eu la libre disposition des biens ou de la somme, visés au premier et quatrième alinéas de cet article, la base du revenu imposable doit, en principe, être répartie par parts égales entre ces personnes. Le contribuable comme l'administration peuvent toutefois apporter par tout moyen la preuve que les circonstances de l'espèce imposent une répartition différente.

20. M. D... persiste à soutenir en appel que l'administration fiscale ne pouvait le regarder comme ayant eu la libre disposition exclusive des produits en cause, alors qu'il ressort de la procédure pénale que les faits ont été perpétrés en bande organisée, et qu'elle aurait dû, en application du dernier alinéa du 1 de l'article 1649 quater-0 B bis du code général des impôts, répartir la base du revenu imposable proportionnellement entre l'ensemble de ses bénéficiaires. Toutefois, ainsi qu'il a été exposé au point 15, le jugement du tribunal correctionnel de Marseille du 21 octobre 2015 fait apparaître M. D..., qui récupérait la marchandise et la revendait auprès d'une clientèle désignée comme étant la sienne, comme l'unique organisateur du trafic. Si le requérant soutient que c'est dans le respect du principe de répartition proportionnelle que l'action douanière engagée dans le cadre du procès pénal a abouti à une condamnation solidaire de huit des seize personnes impliquées dans le trafic à une amende douanière de 330 000 euros, cette circonstance ne démontre nullement que les sept autres personnes condamnées à cette amende aient pu avoir la libre disposition des cartons de cigarettes de contrebande au même titre que M. D..., qui était l'instigateur du trafic. Ce dernier se prévaut également de la situation de M. B. qui a été condamné à une peine d'emprisonnement de deux ans dont un an avec sursis pour avoir importé, détenu, transporté en violation des dispositions légales et réglementaires des marchandises fortement taxées, en l'espèce des cigarettes, avec cette circonstance que les faits ont été commis en bande organisée. Cependant, aux termes du même jugement, M. B. est désigné comme un " guetteur " ou un " ouvreur ", ce qui est reconnu par l'intéressé lui-même et n'implique nullement une mise à disposition à son égard des cartons de cigarettes devant être revendus, sans autre élément factuel pouvant en justifier. La circonstance que les commandants des navires auprès desquels le requérant s'approvisionnait régulièrement ont été condamnés pour des faits de contrebande de marchandise prohibée ou fortement taxée en bande organisée n'est pas davantage de nature à démontrer que M. D... n'avait pas seul la libre disposition des cartons de cigarettes dès lors que les intéressés ont cédé leur marchandise au requérant, qui en a alors librement disposé.

21. Enfin, une telle interprétation du dernier alinéa du 1 de l'article 1649 quater-0 B bis du code général des impôts, qui ne procède d'aucun revirement jurisprudentiel, ne peut être regardée comme attentatoire au principe de sécurité juridique ou comme nécessitant de saisir le Conseil d'Etat d'une demande d'avis contentieux au titre de l'article L. 113-1 du code de justice administrative, procédure qui relève, de surcroît, ainsi qu'il a été dit au point 3, d'un pouvoir propre du juge.

22. Dans ces conditions, M. D... n'est pas fondé à soutenir que l'administration fiscale a méconnu les dispositions du dernier alinéa du 1 de l'article 1649 quater-0 B bis précité en considérant qu'il avait la libre disposition exclusive de la marchandise litigieuse et en réintégrant dans sa base imposable la totalité de sa valeur vénale.

23. Il résulte de tout de ce qui précède que M. D... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions tendant à l'allocation de frais liés à l'instance doivent également être rejetées.

D É C I D E :

Article 1er : La requête de M. D... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. E... D... et au ministre de l'économie, des finances et de la relance.

Copie en sera adressée à la direction de contrôle fiscal Sud-Est Outre-mer.

Délibéré après l'audience du 21 janvier 2021, où siégeaient :

- Mme K..., présidente de la Cour,

- Mme G..., présidente assesseure,

- Mme F..., première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 4 février 2021.

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N° 19MA01907

mtr


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 19MA01907
Date de la décision : 04/02/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

19-04-01-02-03-01 CONTRIBUTIONS ET TAXES. IMPÔTS SUR LES REVENUS ET BÉNÉFICES. RÈGLES GÉNÉRALES. IMPÔT SUR LE REVENU. DÉTERMINATION DU REVENU IMPOSABLE. REVENUS À LA DISPOSITION. - IMPOSITION DE LA VALEUR VÉNALE DES BIENS, OBJETS D'UNE INFRACTION ÉNUMÉRÉE PAR L'ARTICLE 1649 QUATER-0 B BIS DU CODE GÉNÉRAL DES IMPÔTS - ÉVALUATION DES BIENS DONT LE CONTRIBUABLE A EU « LA LIBRE DISPOSITION », AU SENS DE CET ARTICLE.

19-04-01-02-03-01 Il résulte des dispositions de l'article 1649 quater-0 B bis du code général des impôts, introduites par l'article 19 de la loi n° 2009-1674 du 30 décembre 2009 de finances rectificative pour 2009, qu'une personne qui a eu « la libre disposition d'un bien, objet d'une des infractions » limitativement énumérées au 2 de cet article, est présumée avoir perçu un revenu imposable équivalent à la valeur vénale de ce bien au titre de l'année au cours de laquelle cette disposition a été constatée.... ,,Cette présomption est subordonnée à « la constatation de fait opérées dans le cadre d'une des procédures visées aux articles 53, 75 et 79 du code de procédure pénale », soit une enquête de flagrance, une enquête préliminaire ou une information judiciaire, dont l'administration a été informée dans le cadre de son droit de communication auprès de l'autorité judiciaire.,,,La Cour a jugé qu'en application de ces dispositions, l'administration fiscale a pu légalement imposer la valeur des biens, sur la base de la reconstitution des quantités des marchandises de contrebande (en l'espèce, des cartouches de cigarettes) dont le contribuable a disposé, opérée dans le cadre de l'information judiciaire, et non exclusivement sur la base des quantités saisies à son domicile lors d'une perquisition par l'autorité judiciaire.


Composition du Tribunal
Président : Mme HELMLINGER
Rapporteur ?: Mme Mylène BERNABEU
Rapporteur public ?: Mme COURBON
Avocat(s) : SELAS PHILAE ASSOCIÉS

Origine de la décision
Date de l'import : 16/03/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2021-02-04;19ma01907 ?
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