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02/02/2021 | FRANCE | N°18MA02362

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 9ème chambre, 02 février 2021, 18MA02362


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Par une première demande, la société Volkswind France a demandé au tribunal administratif de Montpellier d'annuler la décision implicite par laquelle le préfet de l'Hérault a refusé de lui délivrer un permis de construire en vue de l'édification de huit éoliennes et d'un poste de livraison sur le territoire de la commune de Dio-et-Valquières, ainsi que la décision implicite rejetant son recours gracieux.

Par une seconde demande, la société Volkswind France a demandé au tribunal administratif

de Montpellier d'annuler l'arrêté du 4 avril 2016 par lequel le préfet de l'Hérault ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Par une première demande, la société Volkswind France a demandé au tribunal administratif de Montpellier d'annuler la décision implicite par laquelle le préfet de l'Hérault a refusé de lui délivrer un permis de construire en vue de l'édification de huit éoliennes et d'un poste de livraison sur le territoire de la commune de Dio-et-Valquières, ainsi que la décision implicite rejetant son recours gracieux.

Par une seconde demande, la société Volkswind France a demandé au tribunal administratif de Montpellier d'annuler l'arrêté du 4 avril 2016 par lequel le préfet de l'Hérault a refusé de lui délivrer un permis de construire en vue de l'édification de cinq éoliennes et d'un poste de livraison sur le territoire de la commune de Dio-et-Valquières.

Par un jugement nos 1506417, 1602731 du 5 avril 2018, le tribunal administratif de Montpellier, après avoir joint ces demandes, a constaté qu'il n'y avait plus lieu de statuer sur les conclusions à fin d'annulation présentées dans l'instance n° 1506417 et a rejeté l'autre demande de la société Volkswind France.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire enregistrés les 24 mai 2018 et 22 janvier 2019, la société Volkswind France, représentée par le cabinet Volta, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Montpellier du 5 avril 2018 en tant qu'il a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du préfet de l'Hérault du 4 avril 2016 ;

2°) d'annuler cet arrêté du préfet de l'Hérault du 4 avril 2016 ;

3°) d'enjoindre au préfet de l'Hérault de procéder à une nouvelle instruction de sa demande de permis de construire dans le délai d'un mois à compter de l'arrêt à venir ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement attaqué est insuffisamment motivé ;

- il est entaché d'une erreur de fait dès lors que les éoliennes projetées n'ont pas vocation à être implantées sur un territoire présentant des enjeux forts pour l'aigle royal ;

- il est entaché d'une erreur d'appréciation dès lors que le parc éolien projeté n'est pas de nature à avoir des effets négatifs notables sur le cycle biologique du couple d'aigles royaux ;

- il est entaché d'une erreur d'appréciation dès lors que les mesures compensatoires envisagées sont suffisantes ;

- il est entaché d'une erreur d'appréciation dès lors que le projet litigieux n'est pas susceptible de porter une atteinte à l'aigle de Bonelli dont la présence n'est pas avérée dans le secteur en cause ;

- il est entaché d'une erreur d'appréciation dès lors que le projet litigieux n'est pas susceptible de porter atteinte aux chiroptères ;

- il est entaché d'une erreur d'appréciation dès lors que le projet litigieux n'est pas de nature à porter atteinte aux paysages avoisinants et au patrimoine.

Par un mémoire en défense enregistré le 24 décembre 2018, la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales conclut au rejet de la requête.

Elle soutient que les moyens invoqués par la société Volkswind France ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'urbanisme ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. A...,

- les conclusions de M. Roux, rapporteur public,

- et les observations de Me B..., représentant la société Volkswind France.

Considérant ce qui suit :

1. La société Volkswind France relève appel du jugement du tribunal administratif de Montpellier du 5 avril 2018 en tant qu'il a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 4 avril 2016 par lequel le préfet de l'Hérault a refusé de lui délivrer un permis de construire en vue de l'édification de cinq éoliennes et d'un poste de livraison sur le territoire de la commune de Dio-et-Valquières, laquelle est classée en zone de montagne.

Sur le bien-fondé du jugement :

2. Aux termes de l'article L. 122-9 du code de l'urbanisme : " Les documents et décisions relatifs à l'occupation des sols comportent les dispositions propres à préserver les espaces, paysages et milieux caractéristiques du patrimoine naturel et culturel montagnard ".

3. Il résulte de ces dispositions que, sans préjudice des autres règles relatives à la protection des espaces montagnards, l'article L. 122-9 du code de l'urbanisme prévoit que dans les espaces, paysages et milieux caractéristiques du patrimoine naturel et culturel montagnard, les documents et décisions relatifs à l'occupation des sols doivent être compatibles avec les exigences de préservation de ces espaces. Pour satisfaire à cette exigence de compatibilité, ces documents et décisions doivent comporter des dispositions de nature à concilier l'occupation du sol projetée et les aménagements s'y rapportant avec l'exigence de préservation de l'environnement montagnard prévue par la loi.

4. Le parc éolien projeté doit être implanté sur le massif de l'Escandorgue, au sein du parc naturel régional du Haut-Languedoc. Il ressort des pièces du dossier, et il n'est d'ailleurs pas contesté, que le secteur d'implantation du projet entre dans le champ d'application des dispositions de l'article L. 122-9 du code de l'urbanisme.

5. Pour refuser de délivrer le permis de construire sollicité par la société Volkswind France, le préfet de l'Hérault, après avoir relevé que le parc éolien projeté " consiste à densifier un parc éolien existant comportant 7 aérogénérateurs ", a d'abord considéré que les différents parcs éoliens autorisés dans la haute vallée de l'Orb et au sein du domaine vital d'un couple d'aigles royaux sont, par leurs impacts cumulés, de nature à entraîner la fragmentation des territoires de chasse de ces aigles royaux ainsi que d'accroître les risques de collision de ces rapaces avec les éoliennes. Il a ensuite relevé que le parc éolien en cause doit être implanté au sein du domaine vital de l'aigle de Bonelli et que plusieurs espèces de chiroptères " très patrimoniales " et " classées à fort risque de collision " ont été identifiées dans le secteur d'implantation du projet. Le préfet a également estimé que le parc éolien projeté aurait un " impact paysager notable " en raison de son implantation sur une crête, " des nombreuses perceptions du site à partir de la vallée de l'Orb ou du site classé "Vallée et lac du Salagou - Cirque de Mourèze et abords" ", ainsi que de la présence de différents monuments inscrits ou classés au titre des monuments historiques, en particulier la chapelle Saint-Amans. Il a enfin considéré que, en dépit de la suppression de trois des huit éoliennes initialement prévues, ce nouveau parc éolien aggraverait " l'impact des installations éoliennes dans un périmètre du massif de l'Escandorgue caractérisé par la richesse de ses habitats naturels et sa qualité paysagère ".

6. D'une part, il ressort des pièces du dossier que le secteur d'implantation du projet est situé à l'extrémité sud du domaine vital du couple d'aigles royaux, en dehors du coeur de ce domaine vital et à plus de dix kilomètres au sud de la zone de nidification de ce couple. La fréquentation du secteur en cause par cette espèce protégée est limitée au vu tant de l'étude d'impact que du rapport établi par l'association Baguage et Etudes pour la Conservation des Oiseaux et de leurs Territoires (BECOT). Au regard de l'étude d'impact, la perte de territoire de chasse ne représente qu'environ 0,4 % de ce domaine vital qui s'étend sur un périmètre de plus de 120 kilomètres carrés. Si les conclusions du rapport de l'association BECOT font état des conséquences sur les territoires de chasse de plusieurs des parcs éoliens déjà autorisés, situés à une distance comprise entre deux et quatre kilomètres de la zone de nidification, elles ne permettent pas de justifier le motif retenu par le préfet et tiré du caractère excessif de l'impact supplémentaire qui serait généré par le projet en litige, le plus éloigné de la zone de nidification, alors d'ailleurs que les permis de construire délivrés en vue de l'édification de deux autres projets situés dans le coeur du domaine vital du couple d'aigles royaux en cause ont été annulés par la juridiction administrative. En outre, s'agissant du risque de collision, il ressort tant de l'étude d'impact que des travaux de l'association BECOT que les observations effectuées sur le site ont permis de mettre en évidence un comportement d'évitement des éoliennes existantes par les aigles royaux. Si la ministre évoque un cas de mortalité d'un jeune aigle royal par collision avec une éolienne, il ressort des pièces du dossier que le parc éolien de Joncels au sein duquel cette collision s'est produite au cours de l'été 2017 est davantage survolé par l'aigle royal et qu'il est par ailleurs situé à moins de cinq kilomètres du site de nidification. Dans ces conditions, et alors que des mesures de réduction des risques de collision sont prévues, notamment l'installation d'un système d'effarouchement par détection vidéo sur trois des cinq éoliennes combiné à un système de visibilimétrie sur l'une des machines, et que le parc éolien en litige doit être implanté à plus de dix kilomètres de la zone de nidification aux abords de laquelle ces risques sont les plus importants, il ne ressort pas des pièces du dossier que le projet litigieux, implanté dans la continuité du parc éolien existant, serait susceptible d'accroître significativement ces risques.

7. D'autre part, si le secteur d'implantation du projet est inclus dans le périmètre du plan national d'actions en faveur de l'aigle de Bonelli ainsi que dans une zone dite de sensibilité maximale identifiée par la charte du parc naturel régional du HautLanguedoc, il ressort des pièces du dossier, et en particulier de l'étude d'impact, qu'aucun spécimen de cette espèce protégée n'a été recensé dans le secteur en cause depuis de nombreuses années. Par ailleurs, il ne ressort pas des pièces du dossier, compte tenu notamment des mesures de réduction des risques évoquées au point précédent, que les cinq éoliennes projetées dans le prolongement du parc éolien existant seraient, en cas de recolonisation du site par cette espèce, d'ailleurs concurrente de l'aigle royal également présent sur le site, susceptible de lui porter atteinte.

8. Ensuite, l'étude d'impact identifie précisément dix-neuf espèces de chiroptères, dont certaines présentent un intérêt patrimonial élevé, et fait état d'une fréquentation faible du secteur en cause par ces différentes espèces. Il ressort des pièces du dossier que le projet litigieux n'est pas susceptible d'entraîner la destruction de l'habitat de ces espèces de chiroptères et que les cinq éoliennes doivent être implantées sur des parcelles cultivées présentant un intérêt réduit pour la chasse. En outre, la société Volkswind France a modifié son projet en supprimant les éoliennes E3, E7 et E8 afin, notamment, de réduire les impacts potentiels du projet sur les chiroptères. Si l'éolienne E2 a été identifiée comme présentant un risque de collision, en raison de son positionnement à proximité d'un couloir de vols des oiseaux susceptible d'être également fréquenté par les chiroptères, le projet litigieux prévoit l'installation d'un système de régulation du fonctionnement de cet aérogénérateur en fonction de la vitesse du vent, laquelle détermine notamment l'activité des chauve-souris, système dont l'efficacité n'est nullement remise en cause.

9. Enfin, les cinq éoliennes projetées, d'une hauteur de 110 mètres en bout de pales, doivent être implantées dans le prolongement des aérogénérateurs du parc éolien existant situé sur le territoire de la commune de Dio-et-Valquières. Il ressort des pièces du dossier que l'impact visuel du projet sera limité sur la vallée de l'Orb. L'étude d'impact précise d'ailleurs que le secteur d'implantation du projet est situé dans une zone de sensibilité faible d'un point de vue paysager au regard de la charte du parc naturel régional du Haut-Languedoc. Il n'est pas contesté que le lac du Salagou est situé à plus de quatorze kilomètres du lieu d'implantation des éoliennes projetées. Par ailleurs, il ne ressort pas des pièces du dossier, compte tenu de la topographie des lieux en cause et de la distance qui l'en sépare, que le parc éolien serait visible depuis le cirque de Mourèze et ses abords. La seule circonstance que ce nouveau parc éolien serait, à l'instar de celui dans le prolongement duquel il doit être implanté, visible depuis certains points du site classé évoqué dans l'arrêté contesté, ainsi que depuis la chapelle de Saint-Amans située à environ 2,5 kilomètres, ne permet pas d'établir que le projet litigieux aurait un impact paysager notable.

10. Compte tenu de tout ce qui a été dit précédemment, il ne ressort pas des pièces du dossier que le projet de la société Volkswind France serait incompatible avec les exigences de préservation des espaces, paysages et milieux caractéristiques du patrimoine naturel et culturel montagnard. Par suite, en refusant de délivrer le permis de construire sollicité, le préfet de l'Hérault a méconnu l'article L. 122-9 du code de l'urbanisme.

11. Il résulte de tout ce qui précède que, sans qu'il soit besoin d'examiner la régularité du jugement attaqué, la société Volkswind France est fondée à soutenir que c'est à tort que, par ce jugement, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du préfet de l'Hérault du 4 avril 2016.

Sur l'injonction sollicitée :

12. L'exécution du présent arrêt implique que le préfet de l'Hérault procède à une nouvelle instruction de la demande de permis de construire de la société Volkswind France dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt, ainsi qu'elle le demande.

Sur les frais liés au litige :

13. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par la société Volkswind France au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D É C I D E :

Article 1er : Le jugement nos 1506417, 1602731 du tribunal administratif de Montpellier du 5 avril 2018 est annulé en tant qu'il a rejeté la demande de la société Volkswind France tendant à l'annulation de l'arrêté du préfet de l'Hérault du 4 avril 2016.

Article 2 : L'arrêté du préfet de l'Hérault du 4 avril 2016 est annulé.

Article 3 : Il est enjoint au préfet de l'Hérault de procéder à une nouvelle instruction de la demande de permis de construire de la société Volkswind France dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 4 : Les conclusions présentées par la société Volkswind France au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la société Volkswind France et à la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales.

Copie en sera adressée au préfet de l'Hérault.

Délibéré après l'audience du 19 janvier 2021, à laquelle siégeaient :

- M. Chazan, président,

- Mme Simon, président assesseur,

- M. A..., premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 2 février 2021.

6

N° 18MA02362


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 9ème chambre
Numéro d'arrêt : 18MA02362
Date de la décision : 02/02/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

68-03-025-03 Urbanisme et aménagement du territoire. Permis de construire. Nature de la décision. Refus du permis.


Composition du Tribunal
Président : M. CHAZAN
Rapporteur ?: M. Raphaël MOURET
Rapporteur public ?: M. ROUX
Avocat(s) : VOLTA AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 13/02/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2021-02-02;18ma02362 ?
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