Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme D... E... épouse A... et la SCI La Sylvabelle ont demandé au tribunal administratif de Marseille d'annuler la délibération du 11 juillet 2016 par laquelle le conseil municipal de La Rochette a décidé le classement du chemin de Pont-Sarrazin Bas dans la voirie communale et a autorisé la maire de la commune à mettre à jour le tableau de classement des voies communales en y intégrant ledit chemin.
Par un jugement n° 1607293 du 9 octobre 2018, le tribunal administratif de Marseille a rejeté cette demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistré le 7 décembre 2018 et le 17 mars 2020, Mme E... épouse A... et la SCI La Sylvabelle, représentée par Me G..., demandent à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du 9 octobre 2018 ;
2°) de surseoir à statuer sur leur demande jusqu'à ce que la juridiction judiciaire se soit prononcée sur la question préjudicielle relative à la propriété du chemin de Pont-Sarrazin Bas à La Rochette et d'en tirer les conséquences s'agissant de la compétence de la juridiction administrative pour connaître du litige ;
3°) d'annuler la délibération du 11 juillet 2016 du conseil municipal de La Rochette ;
4°) de mettre à la charge de la commune de La Rochette la somme de 4 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elles soutiennent que :
- le tribunal était incompétent pour statuer sur la question de la propriété du chemin en cause ;
- le jugement qui leur a été notifié n'a pas été signé, en méconnaissance des dispositions de l'article R. 7417 du code de justice administrative ;
- ce jugement est insuffisamment motivé en ce qu'il ne permet pas de comprendre pourquoi les premiers juges ont estimé que la circonstance selon laquelle la maire aurait exercé une influence sur la délibération litigieuse était sans incidence, alors qu'il était cependant soutenu qu'elle était personnellement intéressée ;
- il est insuffisamment motivé en ce qu'il ne permet pas de comprendre pourquoi le tribunal a écarté le titre de propriété du 14 décembre 1945, relatif à la parcelle n° AK 460 qui faisait mention de l'existence de ce chemin en évoquant le titre du 21 novembre 1970 qui, certes, ne faisait pas mention dudit chemin, mais qui concernait une toute autre parcelle ;
- il est également insuffisamment motivé en ce qu'il ne permet pas de comprendre pourquoi les premiers juges ont estimé qu'il ne ressortait pas des différentes pièces communiquées que Mme A... serait propriétaire du chemin en cause alors qu'il résultait de leurs propres constatations que celle-ci avait produit un titre datant du 14 décembre 1945, faisant état de l'existence de ce chemin sur la parcelle dont elle est propriétaire et que les différents titres produits faisait bien mention d'un chemin d'exploitation ;
- elles ont saisi le juge judiciaire sur la question de la propriété du chemin en cause ;
- la délibération contestée est entachée d'incompétence en ce qu'elle autorise la maire à procéder au classement de ce chemin dans la voirie communale, alors qu'une telle décision relève de la compétence exclusive du conseil municipal en vertu de l'article L. 141-3 du code de la voirie routière ;
- cette délibération est illégale en raison du rôle joué par la maire dans la mise au point de l'opération, celle-ci devant être regardée comme une personne intéressée au sens de l'article L. 2131-11 du code général des collectivités territoriales dès lors qu'elle est propriétaire d'un tènement immobilier desservi par le chemin en cause ;
- elle est à ce titre entachée de détournement de pouvoir ;
- elle a été prise sans enquête publique préalable, en méconnaissance des dispositions combinées des articles L. 162-5 du code de la voirie routière et L. 318-3 du code de l'urbanisme ;
- elle méconnaît l'article L. 162-1 du code rural et de la pêche maritime et est entachée d'une erreur de fait dès lors qu'elle intègre au tableau des voies communales un chemin d'exploitation dont la commune n'est pas propriétaire ;
- elle est entachée d'une erreur de droit en ce qu'elle a été prise sur le fondement de l'article L. 141-3 du code de la voirie routière alors que cet article ne s'applique qu'aux chemins dont les communes sont propriétaires ;
- elle porte atteinte à son droit de propriété garanti par les articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789.
Par un mémoire en défense, enregistré le 18 janvier 2019, la commune de La Rochette, représentée par Me C... et Me B..., conclut au rejet de la requête et demande que soit mise à la charge solidaire de Mme E... épouse A... et de la SCI La Sylvabelle la somme de 2 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code rural et de la pêche maritime ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Coutier, premier conseiller,
- et les conclusions de M. Chanon, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Mme E... épouse A... et la SCI La Sylvabelle, dont elle est la gérante, sont chacune propriétaire d'une parcelle de terrain sis " Lieu-dit Pont-Sarrazin " sur le territoire de la commune de La Rochette, dans le département des Hautes-Alpes. Ces parcelles sont, indirectement pour la première, et directement par la seconde, desservies par un chemin dénommé " chemin du Pont Sarrazin Bas ", qui débute au niveau de la RN 94, longe plusieurs parcelles dont il assure la desserte, avant de se terminer en impasse, au droit d'une parcelle privée, située sur le territoire de la commune voisine de Rambaud. Par délibération du 31 mars 2016, le conseil municipal a autorisé la maire de La Rochette à " classer la voie du quartier de Pont-Sarrazin Bas au sein de la voirie communale suivant l'article L. 141-3 du code de la voirie routière " et à " mettre à jour le tableau de classement unique des voies communales et carte de ce réseau ". Mme E... épouse A... et la SCI La Sylvabelle ont contesté cette délibération devant le tribunal administratif de Marseille. Au cours de l'instance, la commune a fait savoir au tribunal qu'elle s'était rendue compte " de vices de forme entachant la délibération contestée ", l'a informé que, par délibération du 11 juillet 2016, le conseil municipal avait procédé au retrait de cette délibération du 31 mars 2016 et lui a demandé de déclarer l'instance introduite par les requérantes sans objet. Mme E... épouse A... et la SCI La Sylvabelle ayant pris acte de ce retrait, le tribunal a jugé qu'il n'y avait plus lieu de statuer sur leur demande. Toutefois, lors de la même séance du 11 juillet 2016, le conseil municipal a adopté une délibération autorisant, dans les mêmes termes que celle du 31 mars 2016, la maire de La Rochette à procéder au classement de la voie du quartier de Pont-Sarrazin Bas au sein de la voirie communale et à l'actualisation du tableau de classement des voies communales et de la cartographie de ces voies. Mme E... épouse A... et la SCI La Sylvabelle ont contesté cette nouvelle délibération devant le tribunal administratif de Marseille. Par jugement du 9 octobre 2018, le tribunal a rejeté cette demande. Mme E... épouse A... et la SCI La Sylvabelle relèvent appel de ce jugement.
2. Aux termes de l'article L. 2131-11 du code général des collectivités territoriales : " Sont illégales les délibérations auxquelles ont pris part un ou plusieurs membres du conseil intéressés à l'affaire qui en fait l'objet, soit en leur nom personnel, soit comme mandataires ". Il résulte de ces dispositions que la participation au vote permettant l'adoption d'une délibération d'un conseiller municipal intéressé à l'affaire qui fait l'objet de cette délibération, c'est-à-dire y ayant un intérêt qui ne se confond pas avec ceux de la généralité des habitants de la commune, est de nature à en entraîner l'illégalité. De même, sa participation aux travaux préparatoires et aux débats précédant l'adoption d'une telle délibération est susceptible de vicier sa légalité, alors même que cette participation préalable ne serait pas suivie d'une participation à son vote, si le conseiller municipal intéressé a été en mesure d'exercer une influence sur la délibération.
3. Il est constant que le chemin du Pont-Sarrazin Bas, que le conseil municipal de La Rochette a décidé de classer dans la voirie communale par la délibération contestée du 11 juillet 2016, dessert la propriété de la maire de la commune. L'intéressée a d'ailleurs personnellement signé, avec quinze autres personnes, une " demande de classement du chemin " adressée au maire de l'époque en date du 7 décembre 2011. Les photographies produites au dossier révèlent que ce chemin n'est pas correctement entretenu et qu'il présente de nombreux nids-de-poule et affaissements. Il ressort également des pièces du dossier que, lors de l'enquête publique organisée en 1986 dans le cadre de la procédure de classement des voies alors engagée par la commune, procédure de laquelle le chemin en litige a expressément été exclu dans la mesure où plusieurs riverains de ce chemin avaient manifesté la volonté de lui conserver son statut privé, l'un des riverains signataire de la pétition en ce sens a néanmoins fait savoir au commissaire-enquêteur qu'il souhaitait que la commune en assure l'entretien. Il ressort enfin des pièces du dossier que, lors de la séance du 31 mars 2016 au cours de laquelle le conseil municipal a adopté la première délibération décidant le classement de ce chemin dans la voirie communale, la maire a elle-même présenté le projet de classement et a pris part au vote. Alors même que cette délibération a été retirée, cependant après que Mme E... épouse A... et la SCI La Sylvabelle en soulèvent l'irrégularité devant le tribunal administratif de Marseille, et que le conseil municipal a de nouveau délibéré sur ce même projet lors de la séance du 11 juillet 2016 et l'a adopté à l'unanimité des huit membres du conseil municipal présents, sans que la maire ne prenne cette fois part au vote, celle-ci, qui est directement intéressée par ce projet, lequel au demeurant ne concerne qu'un nombre restreint de personnes au sein de la commune et qui poursuit donc un intérêt qui ne se confond pas avec ceux de la généralité des habitants de la commune, a nécessairement, dans les circonstances particulières de l'espèce, exercé une influence sur la délibération. Ladite délibération est ainsi entachée d'illégalité au regard des dispositions précitées de l'article L. 2131-11 du code général des collectivités territoriales.
4. Par suite, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens et sans qu'il soit besoin de renvoyer au juge judiciaire la question préjudicielle portant sur la propriété du chemin du Pont-Sarrazin Bas, Mme E... épouse A... et la SCI La Sylvabelle sont fondées à demander l'annulation de la délibération du 11 juillet 2016 du conseil municipal de La Rochette.
Sur les frais liés au litige :
5. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation. ".
6. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de Mme E... épouse A... et de la SCI La Sylvabelle, qui ne sont pas les parties perdantes dans la présente instance, la somme que la commune de La Rochette demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il y a lieu, en revanche, de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge de la commune de La Rochette une somme globale de 2 000 euros au titre des frais exposés par Mme E... épouse A... et la SCI La Sylvabelle et non compris dans les dépens.
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Marseille du 9 octobre 2018 et la délibération du 11 juillet 2016 du conseil municipal de La Rochette sont annulés.
Article 2 : La commune de La Rochette versera à Mme E... épouse A... et à la SCI La Sylvabelle une somme globale de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Les conclusions de la commune de La Rochette présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme D... E... épouse A..., à la SCI La Sylvabelle et à la commune de La Rochette.
Délibéré après l'audience du 8 janvier 2021, à laquelle siégeaient :
- M. Pocheron, président de chambre,
- M. Coutier, premier conseiller,
- Mme F..., première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 22 janvier 2021.
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N° 18MA05151
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