La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

07/01/2021 | FRANCE | N°18MA03425

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 1ère chambre, 07 janvier 2021, 18MA03425


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La SCI Elsa a demandé au tribunal administratif de Nice de condamner la commune de Cannes à lui verser les sommes de 40 000 euros, 30 000 euros et 900 606 euros, avec les intérêts de droits sur lesdites sommes à compter de la demande préalable, outre la capitalisation, en application des dispositions de l'article 1154 du code civil au titre, d'une part, du préjudice matériel et du préjudice moral, commercial et de réputation qu'elle estime avoir subis et, d'autre part, au titre du bénéfice qu'elle escom

ptait réaliser de l'opération immobilière projetée.

Par un jugement n° 14...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La SCI Elsa a demandé au tribunal administratif de Nice de condamner la commune de Cannes à lui verser les sommes de 40 000 euros, 30 000 euros et 900 606 euros, avec les intérêts de droits sur lesdites sommes à compter de la demande préalable, outre la capitalisation, en application des dispositions de l'article 1154 du code civil au titre, d'une part, du préjudice matériel et du préjudice moral, commercial et de réputation qu'elle estime avoir subis et, d'autre part, au titre du bénéfice qu'elle escomptait réaliser de l'opération immobilière projetée.

Par un jugement n° 1402138 du 3 mai 2018, le tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 18 juillet 2018, et des mémoires complémentaires enregistrés les 25 avril et 18 juin 2019, la SCI Elsa, représentée par Me B..., demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du 3 mai 2018 du tribunal administratif de Nice ;

2°) de condamner la commune de Cannes à lui verser les sommes de 40 664,09 euros, 30 000 euros et 900 606 euros, avec les intérêts de droits sur lesdites sommes à compter de la demande préalable, outre la capitalisation, en application des dispositions de l'article 1154 du code civil au titre, d'une part, du préjudice matériel et du préjudice moral, commercial et de réputation qu'elle estime avoir subis et, d'autre part, au titre du bénéfice qu'elle escomptait réaliser de l'opération immobilière projetée ;

3°) de mettre à la charge de la commune de Cannes la somme de 2 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement est irrégulier car le mémoire en défense de la commune de Cannes a été communiqué le 17 décembre 2016 sans qu'un délai ait été imparti à la SCI Elsa pour répliquer et une ordonnance de clôture à effet immédiat est intervenue le 13 janvier 2017 sans qu'elle dispose d'un délai suffisant pour répliquer ;

- le maire de la commune de Cannes a commis une faute en délivrant un permis de construire illégal en 2006 et en retirant illégalement le permis de construire tacite du 3 janvier 2010 dont bénéficiait la SCI Elsa ;

- la commune de Cannes a commis un détournement de pouvoir en s'opposant systématiquement aux projets de la requérante ;

- elle justifie des préjudices dont elle demande réparation.

Par des mémoires enregistrés les 15 février et 24 mai 2019, la commune de Cannes, représentée par Me A..., conclut au rejet de la requête et à la mise à la charge de la SCI Elsa de la somme de 4 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la demande concernant le préjudice matériel est irrecevable car la requérante a majoré ce chef de préjudice par rapport à la demande de première instance ;

- les moyens de la requête ne sont pas fondés.

- subsidiairement, il y a lieu d'effectuer un partage de responsabilité.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'urbanisme ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. C...,

- les conclusions de Mme Giocanti, rapporteur public,

- et les observations de Me B..., représentant la requérante, et de Me A..., représentant la commune de Cannes.

Considérant ce qui suit :

1. Le maire de la commune de Cannes a délivré le 18 octobre 2006 à la SCI Elsa un permis de construire pour la réalisation d'un immeuble de sept logements, sur un terrain situé 26 bis rue de Roquebilière dans le quartier de Cannes-La-Boca, sur le territoire de la commune. Par un jugement du 4 décembre 2008, le tribunal administratif de Nice a annulé ce permis de construire au motif qu'il n'avait pas été précédé d'un permis de démolir. La SCI Elsa a déposé une nouvelle demande de permis de construire et a obtenu un permis de construire tacite le 3 janvier 2010. Par un arrêté du 19 mars 2010, le maire de la commune de Cannes a retiré ce permis de construire tacite en se fondant sur les dispositions des articles R. 111-21 du code de l'urbanisme et UA11 du règlement du plan local d'urbanisme de la commune. Par un jugement du 30 juin 2011, le tribunal administratif de Nice a annulé cet arrêté du 19 mars 2010 en jugeant que le maire avait commis une erreur d'appréciation au regard de l'insertion de l'immeuble dans son environnement bâti. Le maire de la commune de Cannes a délivré le 5 août 2011 un certificat de permis de construire tacite à la SCI Elsa. Celle-ci a demandé au tribunal administratif de Nice de condamner la commune de Cannes à l'indemniser des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait des fautes qu'elle lui reproche. Par un jugement du 3 mai 2018, dont la requérante relève appel, le tribunal a rejeté sa demande.

Sur la recevabilité de la requête d'appel :

2. La personne qui a demandé en première instance la réparation des conséquences dommageables d'un fait qu'elle impute à une administration est recevable à détailler ces conséquences devant le juge d'appel, en invoquant le cas échéant des chefs de préjudice dont elle n'avait pas fait état devant les premiers juges, dès lors que ces chefs de préjudice se rattachent au même fait générateur. Cette personne n'est toutefois recevable à majorer ses prétentions en appel que si le dommage s'est aggravé ou s'est révélé dans toute son ampleur postérieurement au jugement qu'elle attaque. Il suit de là qu'il appartient au juge d'appel d'évaluer, à la date à laquelle il se prononce, les préjudices invoqués, qu'ils l'aient été dès la première instance ou le soient pour la première fois en appel, et de les réparer dans la limite du montant total demandé devant les premiers juges. Il ne peut mettre à la charge du responsable une indemnité excédant ce montant que si le dommage s'est aggravé ou révélé dans toute son ampleur postérieurement au jugement attaqué.

3. La circonstance que la SCI Elsa majore devant la Cour ses prétentions, en augmentant sa demande au titre de la réparation de son préjudice matériel, est en elle-même sans influence sur la recevabilité de sa requête. Elle fait seulement obstacle à ce que la Cour mette à la charge du responsable une indemnité excédant le montant total demandé en première instance.

Sur la régularité du jugement :

4. L'article R. 611-1 du code de justice administrative dispose : " La requête et les mémoires, ainsi que les pièces produites par les parties, sont déposés ou adressés au greffe. La requête, le mémoire complémentaire annoncé dans la requête et le premier mémoire de chaque défendeur sont communiqués aux parties ... Les répliques, autres mémoires et pièces sont communiqués s'ils contiennent des éléments nouveaux. ".

5. D'une part, il résulte de ces dispositions que le tribunal n'est pas tenu d'impartir un délai à une partie pour répliquer au mémoire qui lui a été communiqué. D'autre part, si un mémoire complémentaire de la commune de Cannes a été communiqué le 16 décembre 2016 à la SCI Elsa, celle-ci a été mise ainsi en mesure, nonobstant la période des fêtes de fin d'année, d'y répliquer avant l'ordonnance de clôture à effet immédiat du 13 janvier 2017. Le moyen tiré de la méconnaissance de la règle du contradictoire doit, dès lors, être écarté.

Sur la responsabilité :

6. En premier lieu, les circonstances que le maire de la commune de Cannes a délivré à la SCI Elsa un permis de construire illégal le 18 octobre 2006, et a retiré illégalement le permis de construire tacite obtenu le 3 janvier 2010, ne révèlent pas à elles seules une hostilité de la commune à son égard. Le moyen tiré de la faute commise par la commune en faisant sciemment obstacle aux projets de la requérante ne peut qu'être écarté.

7. En deuxième lieu, le maire de la commune de Cannes a commis une faute en délivrant illégalement un permis de construire à la SCI Elsa le 18 octobre 2006.

8. En troisième lieu, le maire de la commune de Cannes a commis une faute en retirant illégalement le permis de construire tacite obtenu le 3 janvier 2010 par la SCI Elsa.

9. D'une part, la SCI Elsa a obtenu le 5 août 2011 une attestation de permis de construire tacite, et pouvait alors mettre en oeuvre son projet. Elle a fait le choix de transférer à un tiers le permis de construire ainsi obtenu et ne justifie pas avoir été contrainte d'abandonner ce projet en raison de difficultés financières résultant du retard à sa mise en oeuvre. Elle ne justifie pas dès lors d'un lien de causalité entre les fautes commises par le maire de la commune de Cannes, en lui délivrant illégalement un permis de construire le 18 octobre 2006, puis en retirant illégalement le permis de construire obtenu le 3 janvier 2010, et les frais engagés pour l'obtention du permis de construire, qui a finalement pu être exécuté.

10. D'autre part, l'ouverture du droit à indemnisation est subordonnée au caractère direct et certain des préjudices invoqués. La perte de bénéfices ou le manque à gagner découlant de l'impossibilité de réaliser une opération immobilière en raison d'un retrait illégal de permis de construire revêt un caractère éventuel et ne peut, dès lors, en principe, ouvrir droit à réparation. Il en va toutefois autrement si le requérant justifie de circonstances particulières, tels que des engagements souscrits par de futurs acquéreurs ou l'état avancé des négociations commerciales avec ces derniers, permettant de faire regarder ce préjudice comme présentant, en l'espèce, un caractère direct et certain. Il est fondé, si tel est le cas, à obtenir réparation au titre du bénéfice qu'il pouvait raisonnablement attendre de cette opération.

11. Le manque à gagner sur la commercialisation immobilière résulte du choix de la SCI Elsa de renoncer à son projet, alors qu'elle était titulaire d'un certificat de permis de construire tacite, et de demander le transfert de ce permis de construire à un tiers. Elle ne justifie pas d'un lien de causalité entre le retrait illégal du permis de construire et ce manque à gagner.

12. Enfin, et en revanche, si la SCI Elsa ne justifie pas des répercussions sur son activité professionnelle et sa réputation, du retrait illégal de permis de construire, elle a néanmoins subi un préjudice moral du fait de l'immobilisation de son projet, quand bien même elle y a ultérieurement renoncé. Il sera fait une juste évaluation de ce préjudice en condamnant la commune de Cannes, qui est seule responsable des illégalités commises en délivrant un permis de construire illégal, puis en retirant illégalement un permis de construire, à verser à la SCI Elsa une somme de 5 000 euros. Cette somme portera intérêts à compter du 27 janvier 2014, date de la réception de la réclamation préalable en indemnité. Les intérêts échus à compter du 27 janvier 2015 seront capitalisés à compter de cette date puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date.

Sur les frais liés au litige :

13. Les dispositions de l'article L. 7611 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la SCI Elsa, qui n'est pas la partie perdante, la somme que demande la commune de Cannes sur le fondement de ces dispositions. En revanche, il y a lieu de mettre à la charge de la commune de Cannes la somme de 2 000 euros à verser à la SCI Elsa au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

D É C I D E :

Article 1er : La commune de Cannes est condamnée à verser une somme de 5 000 euros à la SCI Elsa. Cette somme portera intérêts à compter du 27 janvier 2014. Les intérêts échus à compter du 27 janvier 2015 seront capitalisés à compter de cette date puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date.

Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Nice du 3 mai 2018 est réformé en ce qu'il a de contraire à l'article 1er ci-dessus.

Article 3 : La commune de Cannes versera la somme de 2 000 euros à la SCI Elsa en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la SCI Elsa et à la commune de Cannes.

Délibéré après l'audience du 17 décembre 2020, où siégeaient :

- M. Poujade, président,

- M. C..., président assesseur,

- Mme Gougot, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 7 janvier 2021.

6

N° 18MA03425

hw


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 18MA03425
Date de la décision : 07/01/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

68-03-06 Urbanisme et aménagement du territoire. Permis de construire. Contentieux de la responsabilité (voir : Responsabilité de la puissance publique).


Composition du Tribunal
Président : M. POUJADE
Rapporteur ?: M. Philippe PORTAIL
Rapporteur public ?: Mme GIOCANTI
Avocat(s) : PALOUX

Origine de la décision
Date de l'import : 27/01/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2021-01-07;18ma03425 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award