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22/12/2020 | FRANCE | N°19MA03331

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 8ème chambre, 22 décembre 2020, 19MA03331


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. et Mme F... ont demandé au tribunal administratif de Montpellier de condamner SNCF Réseau à leur verser la somme de 96 250 euros assortie des intérêts légaux capitalisés en réparation des préjudices subis du fait des travaux de construction d'une " base travaux " à proximité de leur habitation, et à titre subsidiaire, d'ordonner une expertise.

Par un jugement n° 1702407 du 23 mai 2019, le tribunal administratif a rejeté la demande de M. et Mme F....

Procédure devant la Cour :

Par une requête et trois mémoires, enregistrés le 22 juillet 2019, et les 5 août, 2 octobre, 12...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. et Mme F... ont demandé au tribunal administratif de Montpellier de condamner SNCF Réseau à leur verser la somme de 96 250 euros assortie des intérêts légaux capitalisés en réparation des préjudices subis du fait des travaux de construction d'une " base travaux " à proximité de leur habitation, et à titre subsidiaire, d'ordonner une expertise.

Par un jugement n° 1702407 du 23 mai 2019, le tribunal administratif a rejeté la demande de M. et Mme F....

Procédure devant la Cour :

Par une requête et trois mémoires, enregistrés le 22 juillet 2019, et les 5 août, 2 octobre, 12 octobre et 30 novembre 2020, M. D... F... et Mme B... F..., représentés par

Me E..., demandent à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Montpellier ;

2°) de condamner SNCF Réseau à leur verser la somme de 96 250 euros au titre des préjudices subis du fait des travaux de construction d'une base travaux, assortie des intérêts à compter du 23 janvier 2017 et de leur capitalisation ;

3°) à titre subsidiaire, d'ordonner une expertise ;

4°) de mettre à la charge de SNCF Réseau la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- le jugement attaqué est irrégulier pour ne pas avoir répondu à leur demande d'expertise préalable sans motiver ce rejet ; il est ainsi insuffisamment motivé ;

- le jugement attaqué ne comporte pas les signatures des magistrats et du greffier d'audience, méconnaissant ainsi les articles R. 741-7 et R. 741-8 du code de justice administrative ;

- la responsabilité pour faute de SNCF Réseau est engagée faute d'avoir honoré la promesse d'achat de leur maison ;

- la responsabilité sans faute de SNCF Réseau est engagée en raison du dommage anormal et spécial qu'ils ont enduré lié aux poussières, bruits et désagréments divers dus aux travaux de construction de la base travaux ;

- ils sont fondés à demander 50 000 euros de réparation au titre du préjudice de nuisance, et la somme de 46 500 euros qui correspond à la dépréciation de 25% de la valeur de leur maison du fait du fonctionnement de la base travaux.

Par deux mémoires en défense, enregistrés le 25 septembre 2019 et le 9 octobre 2020, ainsi que par un mémoire enregistré le 25 novembre 2020 en réponse au moyen d'ordre public, SNCF Réseau, représenté par Me C..., demande à la Cour, de rejeter la requête et de mettre à la charge de M. et Mme F... la somme de 3 000 euros de frais d'instance.

SNCF Réseau soutient que les moyens de la requête sont infondés.

Les parties ont été informées, en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt à intervenir était susceptible d'être fondé sur le moyen d'ordre public tiré de ce que le juge administratif est incompétent pour connaître du litige relatif aux conclusions indemnitaires liées à l'absence de la réalisation de la promesse d'achat.

Vu les autres pièces des dossiers.

Vu le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. A...,

- les conclusions de M. Angéniol, rapporteur public,

- et les observations de Me C..., représentant SNCF Réseau.

Considérant ce qui suit :

1. M. et Mme F... qui possèdent une maison à Carcassonne, mitoyenne d'un site appartenant à la SNCF, ont demandé au tribunal administratif de Montpellier de condamner SNCF Réseau à leur verser la somme de 96 250 euros en réparation des préjudices subis du fait des travaux de construction d'une " base travaux " à proximité de leur habitation. Ils relèvent appel du jugement n° 1702407 du 23 mai 2019 par lequel ce tribunal a rejeté leur requête.

Sur la régularité du jugement :

2. Premièrement, l'article R. 741-7 du code de justice administrative dispose : " Dans les tribunaux administratifs [...] la minute de la décision est signée par le président de la formation de jugement, le rapporteur et le greffier d'audience ".

3. Il ressort de la minute du jugement attaqué que, contrairement à ce que soutiennent M. et Mme F... qui ne font état que de l'ampliation qu'ils ont reçue, elle a été signée par le président de la formation de jugement, le rapporteur ainsi que le greffier d'audience. Par suite, le moyen tiré du défaut de signature de la minute ne peut qu'être écarté comme manquant en fait.

4. Deuxièmement, aux termes de l'article L. 9 du code de justice administrative : " Les jugements sont motivés ".

5. M. et Mme F... font valoir que les premiers juges n'ont pas motivé le rejet de leur demande d'ordonner une expertise avant dire-droit sur l'évaluation de la réalité des préjudices invoqués, alors qu'il ne ressort pas des termes de ce jugement qu'ils se sont estimés suffisamment informés sur les responsabilités encourues. Cependant, le tribunal, qui dirige seul l'instruction, a nécessairement considéré qu'il disposait d'éléments suffisants pour statuer sur la demande indemnitaire de M. et Mme F..., dès lors qu'il a rejeté leurs prétentions pour un défaut de justification des préjudices allégués. Par suite, en décidant que les conclusions indemnitaires devaient être rejetées, sans qu'il soit besoin de recourir à la mesure d'expertise sollicitée, le tribunal n'a pas entaché son jugement d'un défaut de motivation.

Sur les conclusions indemnitaires :

En ce qui concerne la responsabilité en raison d'une promesse non tenue :

6. M. et Mme F... entendent engager la responsabilité pour faute de SNCF Réseau à leur égard en raison de la promesse non tenue par laquelle cette société se serait engagée auprès d'eux à racheter leur bien immobilier. A ce titre, M. et Mme F... se prévalent des échanges oraux avec un agent chargé de la gestion du patrimoine de SNCF Réseau, et des termes de la demande préalable qu'ils ont adressée à cette société qui l'a réceptionnée le 23 juin 2017. Cependant, d'une part, faute de produire d'autres éléments probants et concordants, les communications verbales alléguées entre les requérants et SNCF Réseau n'établissent pas la réalité d'une promesse d'acquérir leur maison. D'autre part, la demande préalable qui contient l'offre de vente unilatérale de leur bien par les époux F... ne peut s'analyser comme correspondant à une véritable proposition d'achat par SNCF Réseau, en l'absence de tout élément de nature à faire seulement présumer que cette société ait entendu répondre positivement à cette proposition d'achat. Ainsi, dès lors qu'en l'espèce, l'ensemble des faits ainsi exposés ne caractérisent pas une promesse d'achat, qui n'aurait pas été tenue, M. et Mme F... ne démontrent pas que la responsabilité de SNCF Réseau peut être engagée à raison d'une faute de sa part.

En ce qui concerne la responsabilité sans faute :

7. Même en l'absence de faute, le maître de l'ouvrage ainsi que, le cas échéant, l'entrepreneur chargé des travaux sont responsables vis-à-vis des tiers des dommages causés à ceux-ci par l'exécution d'un travail public à la condition pour le demandeur d'établir le caractère anormal et spécial du préjudice qu'il invoque et le lien de causalité présenté avec les travaux publics litigieux. Le maître de l'ouvrage et l'entrepreneur dont la responsabilité est recherchée par la victime d'un dommage ne peuvent dégager celle-ci que s'ils établissent que le dommage résulte de la faute de la victime ou d'un cas de force majeure.

8. Premièrement, il résulte de l'instruction, que les époux F... sont, en 2016, propriétaires depuis 24 ans d'une parcelle sur laquelle est édifiée leur habitation, acquise auprès de la SNCF, située au 8, chemin des tramways, à Carcassonne, et qui est mitoyenne d'un site de 7 hectares appartenant à la SNCF, site qui a fait l'objet d'une exploitation pour les activités de fret, notamment à la date d'acquisition de la maison, puis a été désaffecté et occupé par des jardins partagés. Les travaux publics engagés pour réaliser la " base travaux " de SNCF Réseau nécessaires aux opérations de renouvellement des voies ferrées entre Narbonne et Castelnaudary, pour satisfaire notamment à la remise en état des faisceaux de voies, à l'aménagement des pistes carrossables et à la mise en place du réseau incendie, ont été exécutés entre le début et la fin de l'année 2016. Il est constant que les travaux nécessités par cette opération se sont accompagnés de nuisances sonores intenses et de dépôts continus de poussières jusque dans la maison des requérants, notamment du printemps à la fin de l'été, d'autant que le seul accès au chantier est accolé à leur propriété. Ils se sont plaints par ailleurs, sans être sérieusement contestés, de coupures épisodiques des abonnements téléphonique et internet, ainsi que de la présence de traces de métaux lourds détectées sur leur terrain, directement issues du chantier. A la demande de M. et Mme F..., SNCF Réseau les a d'ailleurs relogés au mois d'octobre correspondant à une période intense des travaux. Dans ces circonstances, les requérants démontrent avoir été exposés à de graves nuisances et avoir subi un préjudice spécial et anormal. Par suite, ils sont fondés à solliciter l'octroi d'une indemnité par SNCF Réseau, maître d'ouvrage des travaux publics, qui sera justement évaluée, eu égard à la durée des travaux, à la somme de 10 000 euros.

9. Deuxièmement et d'une part, il résulte de l'instruction, que la zone de 7 hectares précitée est inscrite en zone U divers 6 du plan local d'urbanisme de la commune de Carcassonne qui caractérise un secteur à vocation spécifique afin de permettre des activités liées à la zone de Fret SNCF et à la présence d'une usine d'embouteillage. D'autre part, il est constant que M. et Mme F... ont acquis leur résidence postérieurement à la mise en exploitation de cette zone de fret qui date de 1909, laquelle était toujours en activité lors de l'achat de leur parcelle par les intéressés. Ainsi, les époux F... doivent être regardés comme ayant été informé de l'existence du site dit de l'Estagnol de la SNCF lors de l'acquisition de leur propriété, et comme ayant accepté qu'il soit utilisé comme une zone de fret. Dans ces conditions, ils ne sont pas fondés à demander la réparation du préjudice allégué né de la dévalorisation partielle de la valeur vénale de leur propriété liée à l'exploitation de la base travaux après sa construction.

10. Il résulte de ce qui précède que M. et Mme F... sont en partie fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté leur demande. Par suite, il y a lieu de condamner SNCF Réseau à leur verser une somme de

10 000 euros tous intérêts compris.

Sur les frais liés au litige :

11. Il n'y a pas lieu de mettre à la charge de M. et Mme F..., qui ne perdent pas à la présente instance, la somme que demande SNCF Réseau, en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. En revanche, il y a lieu de mettre à la charge de SNCF Réseau la somme de 2 000 euros au titre des frais de justice exposés par M. et Mme F....

D É C I D E :

Article 1er : SNCF Réseau versera à M. et Mme F... la somme de 10 000 euros tous intérêts compris au titre des préjudices subis.

Article 2 : Le jugement n° 1702407 du 23 mai 2019 du tribunal administratif de Montpellier est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 3 : SNCF Réseau versera à M. et Mme F... la somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des parties est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. et Mme D... F... et à SNCF Réseau.

Délibéré après l'audience du 15 décembre 2020, où siégeaient :

- M. Badie, président,

- M. d'Izarn de Villefort, président assesseur,

- M. A..., premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 22 décembre 2020.

2

N° 19MA03331


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 8ème chambre
Numéro d'arrêt : 19MA03331
Date de la décision : 22/12/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

67-03-04 Travaux publics. Différentes catégories de dommages. Dommages créés par l'exécution des travaux publics.


Composition du Tribunal
Président : M. BADIE
Rapporteur ?: M. Didier URY
Rapporteur public ?: M. ANGENIOL
Avocat(s) : KADRAN AVOCATS (AARPI)

Origine de la décision
Date de l'import : 23/01/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2020-12-22;19ma03331 ?
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