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22/12/2020 | FRANCE | N°19MA01550

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 8ème chambre, 22 décembre 2020, 19MA01550


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... a demandé au tribunal administratif de Toulon d'annuler la décision du 15 juin 2016 par laquelle le garde des sceaux, ministre de la justice, l'a sanctionnée d'une exclusion temporaire de fonctions pour une durée de dix jours dont cinq jours avec sursis, de condamner l'Etat à lui rembourser les jours non payés au titre de la sanction et de condamner l'Etat à lui verser la somme de 2 000 euros au titre de son préjudice moral.

Par un jugement n° 1602975 du 7 mars 2019, le tribunal administrat

if de Toulon a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requêt...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... a demandé au tribunal administratif de Toulon d'annuler la décision du 15 juin 2016 par laquelle le garde des sceaux, ministre de la justice, l'a sanctionnée d'une exclusion temporaire de fonctions pour une durée de dix jours dont cinq jours avec sursis, de condamner l'Etat à lui rembourser les jours non payés au titre de la sanction et de condamner l'Etat à lui verser la somme de 2 000 euros au titre de son préjudice moral.

Par un jugement n° 1602975 du 7 mars 2019, le tribunal administratif de Toulon a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et deux mémoires enregistrés le 2 avril 2019 et les 30 juillet et

26 août 2020, Mme A... B..., représente par Me C..., demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Toulon ;

2°) d'annuler la décision du 15 juin 2016 par laquelle le garde des sceaux, ministre de la justice, l'a sanctionnée d'une exclusion temporaire de fonctions pour une durée de dix jours dont cinq jours avec sursis à compter de la date de la notification de la sanction ;

3°) de condamner l'Etat à lui rembourser les jours non payés au titre de la sanction ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la décision attaquée est insuffisamment motivée ;

- elle n'a pas reçu communication de son dossier administratif ;

- les droits de la défense ont été méconnus lors de la procédure disciplinaire ;

- la décision contestée est entachée d'erreur de fait et d'une inexacte qualification juridique des faits, ainsi que d'une erreur d'appréciation concernant la proportionnalité entre les faits reprochés et la sanction appliquée, et d'une erreur de droit quant à la qualification de faute retenue pour les faits qui lui sont reprochés ;

- l'administration n'a pas tenu compte du contexte de travail très difficile pour prendre la décision contestée ;

- les préjudices invoqués sont justifiés.

Par un mémoire en défense enregistré le 5 août 2020, le garde des sceaux, ministre de la justice, conclut au rejet de la requête.

Il soutient à titre principal que la requête est irrecevable faute de contenir des moyens d'appel, et au surplus, que les moyens de la requête ne sont pas fondés.

Par ordonnance du 4 août 2020, la clôture de l'instruction a été fixée au

7 septembre 2020 à 12 heures.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 modifiée portant droits et obligations des fonctionnaires ;

- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 modifiée portant dispositions relatives à la fonction publique de l'Etat ;

- le décret n° 84-961 du 25 octobre 1984 modifié relatif à la procédure disciplinaire concernant les fonctionnaires de l'Etat ;

- le décret n° 92-344 du 27 mars 1992 modifié portant statut du corps des éducateurs de la protection judiciaire de la jeunesse ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus, au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Ury, rapporteur,

- et les conclusions de M. Angéniol, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. Par une décision du 15 juin 2016, le garde des sceaux, ministre de la justice, a pris à l'encontre de Mme B..., éducatrice titulaire de 2ème classe de la protection judiciaire de la jeunesse, exerçant ses fonctions depuis le 1er septembre 2015 à l'unité éducative de milieu ouvert (UEMO) de Draguignan après avoir été affectée à l'unité éducative d'hébergement collectif (UEHC) de Nice, une sanction disciplinaire portant exclusion temporaire de ses fonctions pour une durée de dix jours dont cinq avec sursis, pour " un manquement grave de professionnalisme ". Mme B... relève appel du jugement du 7 mars 2019 par lequel le tribunal administratif de Toulon a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision ainsi qu'à la condamnation de l'Etat à lui rembourser les jours non payés au titre de la sanction, et à lui verser la somme de 2 000 euros en réparation du préjudice moral qu'elle estime avoir subi.

Sur la fin de non-recevoir opposée par le garde des sceaux, ministre de la justice :

2. Contrairement à ce qu'allègue le garde des sceaux, ministre de la justice, la requête d'appel Mme B... contient des moyens et une argumentation distincte de ceux soulevés en 1ère instance et critique clairement le jugement rendu par le tribunal administratif. Par suite, cette requête est recevable.

Sur le bien-fondé du jugement :

3. Aux termes de l'article 19 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires : " (...) Le fonctionnaire à l'encontre duquel une procédure disciplinaire est engagée a droit à la communication de l'intégralité de son dossier individuel et de tous les documents annexes et à l'assistance de défenseurs de son choix. " En application de l'article 1er du décret susvisé du 25 octobre 1984 relatif à la procédure disciplinaire concernant les fonctionnaires de l'Etat : " L'administration doit dans le cas où une procédure disciplinaire est engagée à l'encontre d'un fonctionnaire informer l'intéressé qu'il a le droit d'obtenir la communication intégrale de son dossier individuel et de tous les documents annexes et la possibilité de se faire assister par un ou plusieurs défenseurs de son choix. Les pièces du dossier et les documents annexes doivent être numérotés ". Il résulte de ces dispositions d'une part, qu'en vertu d'un principe général du droit, une sanction ne peut être légalement prononcée à l'égard d'un agent public sans que l'intéressé ait été mis en mesure de présenter utilement sa défense et, d'autre part, qu'un agent public faisant l'objet d'une mesure prise en considération de sa personne, qu'elle soit ou non justifiée par l'intérêt du service, doit être mis à même d'obtenir communication de son dossier et de tous les documents annexes.

4. Il ressort des pièces du dossier que, préalablement à la réunion de la commission administrative paritaire compétente à l'égard du corps des éducateurs de la protection judiciaire de la jeunesse réunie en conseil de discipline du 23 mars 2016, le conseil de Mme B... a sollicité auprès de l'administration la communication de diverses pièces, dont notamment des procès-verbaux d'auditions rédigés lors d'une visite sur place des services de la protection judiciaire de la jeunesse, qui a donné lieu à un rapport d'inspection du 20 mai 2015, un écrit d'un agent l'incriminant, un compte rendu d'entretien, le " cahier de réunion " 2013/2014 transcrivant l'incident reproché ainsi que le cahier de liaison entre éducateurs. Il est constant que les faits contenus dans le rapport d'inspection et des témoignages relevés par procès-verbal et ceux retranscrits dans le " cahier de réunion " ont été retenus pour fonder l'arrêté attaqué.

Par suite, même si préalablement à la saisine du conseil de discipline, Mme B... a pu prendre connaissance de son dossier le 11 mars 2016, ce dossier ne contenait pas les documents sollicités. L'absence de transmission à l'intéressée de ces éléments, où il n'est pas contesté que dans certains d'entre eux elle était directement mise en cause, et qui étaient utiles à sa défense, l'a effectivement privée de la garantie prévue par les dispositions visées au point 4. Il en résulte que la décision du 15 juin 2016 est intervenue selon une procédure irrégulière.

5. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens, que Mme B... est fondée à demander l'annulation du jugement attaqué et de la décision du 15 juin 2016.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

6. D'une part, en cas d'annulation par le juge de l'excès de pouvoir d'une mesure illégale d'éviction, l'agent doit être regardé comme n'ayant jamais été évincé de son emploi. Cette annulation a pour effet de replacer l'agent dans la situation administrative où il se trouvait avant l'intervention de la mesure contestée. D'autre part, si en l'absence de service fait, l'agent ne peut prétendre au versement des rémunérations qu'il aurait perçues s'il était resté en fonctions, il a néanmoins droit à une indemnité égale au montant des rémunérations dont il a été illégalement privé. Le présent arrêt implique que le garde des sceaux, ministre de la justice, verse à Mme B... une somme correspondant aux cinq jours de travail dont elle a été privée du fait de son éviction irrégulière. La Cour ne trouvant pas au dossier les éléments nécessaires à la détermination du montant de cette somme, il y a lieu de renvoyer la requérante devant l'Etat aux fins de liquidation de cette indemnité et donc d'enjoindre au garde des sceaux, ministre de la justice, d'y procéder dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.

Sur les frais liés au litige:

7. L'Etat, partie perdante au litige, versera la somme de 2 000 euros à Mme B... en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D É C I D E :

Article 1er : Le jugement n° 1602975 du 7 mars 2019 du tribunal administratif de Toulon est annulé.

Article 2 : La décision du 15 juin 2016 par laquelle le garde des Sceaux, ministre de la justice, a sanctionné Mme B... d'une exclusion temporaire de fonctions pour une durée de dix jours dont cinq jours avec sursis à compter de la date de la notification de l'arrêté, est annulée.

Article 3 : L'Etat est condamné à verser à Mme B... une somme correspondant aux jours de traitement dont elle a été privée en raison de son exclusion temporaire de fonctions pour une durée de dix jours dont cinq jours avec sursis.

Article 4 : Il est enjoint à l'Etat de prendre la mesure mentionnée au point 6. dans un délai de deux mois suivant la notification du présent arrêt.

Article 5 : L'Etat versera 2 000 euros à Mme B... en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... B... et au garde des sceaux, ministre de la justice.

Délibéré après l'audience du 15 décembre 2020, où siégeaient :

- M. Badie, président,

- M. d'Izarn de Villefort, président assesseur,

- M. Ury, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 22 décembre 2020.

2

N° 19MA01550


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 8ème chambre
Numéro d'arrêt : 19MA01550
Date de la décision : 22/12/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

36-09-04 Fonctionnaires et agents publics. Discipline. Sanctions.


Composition du Tribunal
Président : M. BADIE
Rapporteur ?: M. Didier URY
Rapporteur public ?: M. ANGENIOL
Avocat(s) : SCP BENHAMOU et RANDO-BREMOND

Origine de la décision
Date de l'import : 23/01/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2020-12-22;19ma01550 ?
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