Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La Société Berto Provence a demandé au tribunal administratif de Nîmes d'annuler la décision du 12 août 2016 par laquelle la ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social a, d'une part, retiré sa décision implicite du 13 juin 2016, portant rejet du recours hiérarchique de M. B... A... à l'encontre de la décision du 12 février 2016 de l'inspecteur du travail le déclarant inapte à son poste et, d'autre part, annulé cette décision de l'inspecteur du travail.
Par un jugement n° 1603159 du 31 décembre 2018, le tribunal administratif de Nîmes a rejeté cette demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 14 février 2019, sous le n° 19MA00706, la Société Berto Provence, représentée par Me C..., demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Nîmes du 31 décembre 2018 ;
2°) d'annuler la décision du 12 août 2016 ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le tribunal a estimé à tort que le moyen tiré du non respect du principe du contradictoire était inopérant ;
- la ministre chargée du travail a méconnu le principe du contradictoire ;
- l'absence de l'avis médical ne constitue pas la violation d'une formalité substantielle et n'a pas été, en l'espèce, susceptible d'avoir exercé une influence sur la décision de l'inspecteur du travail ;
- la décision de retrait contestée a été effectuée hors du délai de quatre mois ;
- la formalité de disposer de l'avis du médecin inspecteur du travail étant, en l'espèce, impossible à remplir, l'acte retiré n'était pas illégal ;
- cette formalité était également impossible à remplir au stade du recours hiérarchique dès lors que le salarié n'a pas satisfait aux convocations qui lui ont été adressées ;
- en annulant la décision de l'inspecteur du travail, la décision de la ministre chargée du travail se substitue intégralement à la décision d'origine ;
- la décision contestée est illégale dès lors qu'elle a été obtenue suite à la fraude de M. A... qui ne s'est pas présenté aux convocations médicales.
La requête a été communiquée à M. A... et à la ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, qui n'ont pas produit de mémoire.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code du travail ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme E...,
- et les conclusions de M. Thiélé, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. M. B... A... a été embauché par la société Berto Provence le 19 avril 2006, en contrat à durée déterminée puis en contrat à durée indéterminée, en qualité de conducteur poids-lourds, plus particulièrement affecté à la conduite de camions toupie. A la suite d'un accident du travail et de plusieurs arrêts de travail, en dernier lieu du 15 janvier au 16 novembre 2015, le médecin du travail, consulté à la demande de l'employeur, l'a estimé, par un avis du 26 novembre 2015, " apte à la conduite avec restriction de manutention lourde : pas de manutention de plus de 5 kg ". Par un courrier du 15 décembre 2015, la société Berto Provence a contesté cet avis auprès de l'inspecteur du travail, lequel a, par une décision du 12 février 2016, estimé que M. A... était " inapte à son poste de conducteur de camion toupie " et " apte à la conduite d'un véhicule poids-lourds sans manutention manuelle supérieure à 5 kg ou tout autre poste respectant cette restriction médicale (travail administratif, ...) ". Sur recours hiérarchique de M. A..., la ministre chargée du travail a, par une décision du 12 août 2016, d'une part, retiré sa décision implicite du 13 juin 2016 portant rejet de ce recours hiérarchique et, d'autre part, annulé la décision du 12 février 2016 de l'inspecteur du travail. Par jugement du 31 décembre 2018, le tribunal administratif de Nîmes a rejeté la demande de la société Berto tendant à l'annulation de la décision ministérielle du 12 août 2016. La société Berto Provence relève appel de ce jugement.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. Aux termes de l'article L. 4624-1 du code du travail, dans sa version applicable : " Le médecin du travail est habilité à proposer des mesures individuelles telles que mutations ou transformations de postes, justifiées par des considérations relatives notamment à l'âge, à la résistance physique ou à l'état de santé physique et mentale des travailleurs. Il peut proposer à l'employeur l'appui de l'équipe pluridisciplinaire du service de santé au travail ou celui d'un organisme compétent en matière de maintien dans l'emploi. / L'employeur est tenu de prendre en considération ces propositions et, en cas de refus, de faire connaître les motifs qui s'opposent à ce qu'il y soit donné suite. / En cas de difficulté ou de désaccord, l'employeur ou le salarié peut exercer un recours devant l'inspecteur du travail. Il en informe l'autre partie. L'inspecteur du travail prend sa décision après avis du médecin inspecteur du travail. / (...) ". Aux termes de l'article R. 4624-35 du même code : " En cas de contestation de cet avis médical par le salarié ou l'employeur, le recours est adressé dans un délai de deux mois, par tout moyen permettant de leur conférer une date certaine, à l'inspecteur du travail dont relève l'établissement qui emploie le salarié. La demande énonce les motifs de la contestation. ".
3. Il résulte de ces dispositions qu'en cas de difficulté ou de désaccord sur les propositions formulées par le médecin du travail concernant l'aptitude d'un salarié à occuper son poste de travail, il appartient à l'inspecteur du travail, saisi par l'une des parties, ou le cas échéant au ministre en cas de recours hiérarchique, de se prononcer définitivement sur cette aptitude. Cette appréciation, qu'elle soit confirmative ou infirmative de l'avis du médecin du travail, se substitue à cet avis. Seule la décision rendue par l'inspecteur du travail et, le cas échéant, par le ministre, est susceptible de faire l'objet d'un recours devant le juge de l'excès de pouvoir.
4. Il ressort des pièces du dossier que, par la décision en litige, la ministre chargée du travail a, d'une part, retiré sa décision implicite de rejet du recours hiérarchique de M. A..., du 13 juin 2016 et, d'autre part, annulé la décision du 12 février 2016 de l'inspecteur du travail se prononçant sur l'aptitude du salarié au motif que cette décision était intervenue en méconnaissance des dispositions de l'article L. 4624-1 du code du travail dès lors qu'elle avait été rendue sans le recueil préalable de l'avis du médecin inspecteur du travail dont le poste était temporairement vacant à la date de la décision en cause selon la société Berto Provence qui n'est pas contredite sur ce point. Par ailleurs, la décision contestée révèle qu'afin de permettre à la ministre chargée du travail de rendre une décision sur l'aptitude du salarié, le médecin inspecteur du travail a convoqué M. A... à deux reprises mais que ce dernier ne s'est pas présenté aux deux convocations médicales, sans apporter aucun justificatif d'absence, et qu'en conséquence le médecin inspecteur du travail s'est trouvé dans l'impossibilité de rendre un avis. Ainsi, la ministre chargée du travail qui a assuré elle-même le respect de la procédure qui impliquait la saisine du médecin du travail, ne pouvait retirer sa décision implicite de rejet et annuler la décision de l'inspecteur du travail 12 février 2016 au motif que ce dernier ne l'avait pas respectée. Par ailleurs, la ministre chargée du travail a commis une erreur de droit en estimant qu'en l'absence d'avis écrit et circonstancié du médecin inspecteur du travail, elle ne pouvait valablement se prononcer sur l'aptitude de M. A... à son poste du travail alors qu'ainsi qu'il a été dit au point 3, il lui appartenait de se prononcer définitivement sur cette aptitude, cette appréciation se substituant à cet avis.
5. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que la Société Berto Provence est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nîmes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision ministérielle du 12 août 2016.
Sur les frais liés au litige :
6. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par la société Berto Provence et non compris dans les dépens.
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement du 31 décembre 2018 du tribunal administratif de Nîmes et la décision du 12 août 2016 de la ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social sont annulés.
Article 2 : L'Etat versera à la société Berto Provence une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société Berto Provence, à M. B... A... et à la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion.
Délibéré après l'audience du 4 décembre 2020, où siégeaient :
- M. Pocheron, président de chambre,
- M. Guidal, président assesseur,
- Mme E..., première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 18 décembre 2020.
2
N° 19MA00706
bb