La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

17/12/2020 | FRANCE | N°18MA02689

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 1ère chambre, 17 décembre 2020, 18MA02689


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La SCI " Le Hameau de Tabarry " a demandé au tribunal administratif de Toulon de condamner solidairement la commune du Luc-en-Provence et l'Etat à lui verser la somme de 511 972 euros en réparation de divers préjudices liés à une opération de construction ayant échoué.

Par un jugement n° 1500970 du 3 avril 2018, le tribunal administratif de Toulon a condamné la commune du Luc-en-Provence à verser à la SCI " Le Hameau de Tabarry " la somme de 7 800 euros avec intérêts au taux légal à compter

du 24 novembre 2014 et a rejeté le surplus des conclusions de sa demande.

Procédure...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La SCI " Le Hameau de Tabarry " a demandé au tribunal administratif de Toulon de condamner solidairement la commune du Luc-en-Provence et l'Etat à lui verser la somme de 511 972 euros en réparation de divers préjudices liés à une opération de construction ayant échoué.

Par un jugement n° 1500970 du 3 avril 2018, le tribunal administratif de Toulon a condamné la commune du Luc-en-Provence à verser à la SCI " Le Hameau de Tabarry " la somme de 7 800 euros avec intérêts au taux légal à compter du 24 novembre 2014 et a rejeté le surplus des conclusions de sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire enregistrés les 10 juin 2018 et 4 août 2019, la SCI " Le Hameau de Tabarry ", représentée par Me B..., demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Toulon du 3 avril 2018 ;

2°) de condamner solidairement la commune du Luc-en-Provence et l'Etat à lui verser la somme de 511 972 euros, en réparation de l'intégralité des préjudices subis, d'assortir cette même somme des intérêts au taux légal à compter du 24 novembre 2014, date à laquelle ont été reçues les demandes indemnitaires préalables, capitalisés à compter du 24 novembre 2015, date à laquelle est due au moins une année entière d'intérêts ;

3°) de mettre à la charge solidaire de la commune et de l'Etat le versement d'une somme de 8 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la prescription quadriennale des dettes de l'Etat n'était pas acquise ;

- la commune a commis une faute en adoptant un comportement déloyal, d'une part, en soumettant la vente de la parcelle n° 688 dont elle est propriétaire au doublement du pont du Solliès et, d'autre part, en exigeant de manière abusive que la SARL Fracheboud immobilier succède à la société GFI dans le cadre de la vente de la parcelle n° 688 ;

- la commune a commis une faute en retirant illégalement le permis du 2 juin 2009, qui avait déclenché un nouveau délai de péremption ;

- la commune a commis une faute en délivrant un permis le 2 juin 2009 alors que le permis initial était périmé, ce que le tribunal a constaté en première instance ; toutefois c'est à tort que le tribunal a atténué la responsabilité de la commune de 50 %, compte tenu de la qualité de professionnel de la SCI " Le hameau de Tabarry " ;

- la commune a commis une faute, la décision du 5 août 2010, constatant la caducité du permis initial, étant intervenue au terme d'une procédure irrégulière ;

- la commune a commis une faute en ne soumettant pas l'autorisation accordée le 29 septembre 2005 à des prescriptions au titre de l'article R. 111-2 du code de l'urbanisme, alors qu'elle ne pouvait ignorer l'existence de risques sur son territoire ; ce moyen, déjà invoqué en première instance, est recevable ;

- l'Etat a commis une faute en tardant à délimiter les zones de risques d'inondation sur le territoire de la commune et à identifier les terrains d'assiette du projet comme étant situés en zone " R1 " d'aléa très fort dans le cadre de la procédure d'élaboration du plan de prévention des risques naturels ;

- l'Etat a commis une faute dans l'exercice de sa mission de contrôle de légalité ;

- elle a subi un préjudice résultant des frais engagés dans l'opération ; les frais préalables à la construction s'élèvent à 3 933,20 euros (CERES Toulon BE), 46 642,14 euros (Architecte), 36 202,31 euros (géomètre), 3 360 euros (CEBTP), 1 672,24 euros (Ingénieur Pozzana), outre les frais d'agence (MILEO Le Crau, promoteur) de 30 000 euros, les frais notariés de 7 447,04 euros, les frais de reprise de la SCI " Le Hameau de Tabarry ", avec les honoraires d'avocat de 70 000 euros, le rachat des parts de 15 000 euros, le solde du prix de rachat, y compris les comptes courants, de 76 821 euros, les honoraires d'avocat de 7 250 euros, les frais engagés dans le cadre de l'exécution des travaux (constructeur VRD Terrassement) de 111 644,31 euros, les taxes diverses de 44 334 euros, les frais divers de 1 680 euros (SOCEM expert-comptable), le coût de diverses factures de 41 806,02 euros, et enfin celui du protocole transactionnel du 23 février 2007 à 25 000 euros ;

- il existe un lien de causalité entre les fautes commises par la commune et l'Etat et les préjudices dont il est réclamé réparation.

Par des mémoires enregistrés les 31 mai 2019 et 16 avril 2020, la commune du Luc-en-Provence conclut à l'annulation du jugement, au rejet de la requête et à ce que le versement d'une somme de 7 000 euros soit mis à la charge de la SCI " Le Hameau de Tabarry ".

Elle fait valoir que :

- c'est à tort que les premiers juges ont écarté l'exception de prescription quadriennale ;

- elle n'a pas commis de faute en délivrant un permis de construire le 2 juin 2009 et, en tout état de cause, il n'existe pas de lien de causalité entre la faute et les préjudices allégués ;

- elle n'a pas commis d'agissements déloyaux ayant retardé l'exécution des travaux autorisés le 29 septembre 2005 ;

- la décision de péremption n'entre pas dans le champ des décisions devant être édictées après qu'une procédure contradictoire ait été respectée ;

- elle n'a pas commis de faute dans le processus d'élaboration du plan de prévention des risques naturels et l'appréciation du risque d'inondation ;

- la demande qui se fonde pour la première fois en appel sur la faute de la commune, tirée de l'existence d'une erreur manifeste d'appréciation du maire, qui aurait dû refuser d'accorder le permis de construire du 29 septembre 2005, sur le fondement de l'article R. 111-2 du code de l'urbanisme, est irrecevable ; en tout état de cause le maire n'a pas commis de faute tirée de l'existence d'une erreur manifeste d'appréciation au regard du risque d'inondation alors connu en délivrant le permis de construire du 29 septembre 2005 ;

- l'existence d'une faute sera en tout état de cause atténuée alors que la SCI " Le Hameau de Tabarry " était un professionnel ;

- il n'existe pas de lien de causalité entre les fautes reprochées et les préjudices dont il est demandé réparation.

Par un mémoire enregistré le 31 mai 2019, le ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales conclut au rejet de la requête.

Il s'en rapporte aux écritures développées par le préfet du Var en première instance.

Vu :

- le jugement attaqué ;

- les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'urbanisme ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme A..., rapporteur ;

- et les conclusions de Mme Giocanti, rapporteur public ;

- les observations de Me C..., de la SELARL Mauduit Lopasso Goirand et associés, représentant la commune du Luc-en-Provence.

Considérant ce qui suit :

1. La SCI " Le Hameau de Tabarry " a déposé une demande de permis de construire le 1er février 2005 pour la réalisation de 14 villas sur les parcelles cadastrées n° 688, 689 et 690 sur le territoire de la commune du Luc-en-Provence, qui a été délivré par un arrêté du 29 septembre 2005. La déclaration d'ouverture du chantier a été faite le 30 août 2007. La SCI " Le Hameau de Tabarry " a ensuite déposé une demande de permis de construire le 5 mars 2009, pour la réalisation de deux villas supplémentaires, qui a été accordé par un arrêté du 2 juin 2009. Par une décision du 25 août 2010, la commune a constaté la péremption des deux permis de construire au motif que le chantier n'avait pas évolué depuis le 30 août 2007 et a indiqué à la SCI " Le Hameau de Tabarry " qu'en tout état de cause les terrains étaient classés en zone rouge de la carte d'aléas d'avril 2010 et qu'ils étaient en conséquence inconstructibles. La SCI " Le Hameau de Tabarry " a alors demandé au tribunal administratif de Toulon de condamner solidairement la Commune du Luc-en-Provence et l'Etat à lui verser une somme de 511 972 euros en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis résultant de diverses fautes commises par chacun d'eux. Par un jugement n° 1500970 du 3 avril 2018, le tribunal administratif de Toulon a déclaré la commune du Luc-en-Provence responsable pour avoir délivré le permis de construire du 2 juin 2009 alors que le permis initial était périmé, mais a estimé que la qualité de professionnel de la SCI Tabarry était de nature à l'exonérer à hauteur de 50 % de sa responsabilité. En conséquence le tribunal a condamné la commune du Luc-en-Provence à verser à la SCI " Le Hameau de Tabarry" la somme de 7 800 euros, correspondant aux sommes exposées inutilement pour la réalisation du projet entre la date de délivrance de l'autorisation du 2 juin 2009 et le 5 août 2010, date de l'arrêté constatant la péremption, outre un préjudice moral de 5 000 euros, ladite somme étant accordée avec intérêts au taux légal à compter du 24 novembre 2014. Puis le tribunal a rejeté le surplus des conclusions de la demande. La SCI " Le Hameau de Tabarry " interjette appel du jugement en tant qu'il n'a pas fait droit à l'intégralité de sa demande. Et la commune du Luc-en-Provence forme un appel incident en tant que le tribunal l'a condamnée à verser une somme de 7800 euros à la société " Le hameau de Tabarry ".

Sur le bien-fondé du jugement :

En ce qui concerne l'exception de prescription quadriennale :

2. Aux termes de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1968 : " Sont prescrites, au profit de l'Etat, des départements et des communes, sans préjudice des déchéances particulières édictées par la loi, et sous réserve des dispositions de la présente loi, toutes créances qui n'ont pas été payées dans un délai de quatre ans à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle les droits ont été acquis. (...). ". Aux termes de l'article 2 de la même loi : " La prescription est interrompue par : / (...) Tout recours formé devant une juridiction, relatif au fait générateur, à l'existence, au montant ou au paiement de la créance, quel que soit l'auteur du recours et même si la juridiction saisie est incompétente pour en connaître, et si l'administration qui aura finalement la charge du règlement n'est pas partie à l'instance ; (...) ".

3. En l'espèce, le fait générateur de la créance de la société appelante est la décision du 25 août 2010 par laquelle la commune a constaté la péremption du permis de construire initial du 29 septembre 2005 et du permis délivré le 2 juin 2009. Contrairement à ce que soutient la commune du Luc-en-Provence, la SCI " Le Hameau de Tabarry " n'était pas en mesure de connaître l'existence de sa créance à la date de délivrance du permis du 2 juin 2009, qui ne la privait alors d'aucun droit à construire. Il en résulte que la prescription quadriennale, dont le cours a débuté au 1er janvier 2011, ainsi que l'a jugé à bon droit le tribunal administratif au point 4 du jugement, n'était pas acquise lorsque, par lettres du 24 novembre 2014, la SCI " Le Hameau de Tabarry " a saisi la commune du Luc-en-Provence et l'Etat d'une demande préalable d'indemnisation.

En ce qui concerne la responsabilité de la commune :

Quant à l'existence d'une faute :

4. En premier lieu, la SCI " le Hameau de Tabarry " soutient que la commune a adopté un " comportement déloyal " en délivrant le permis de construire le 29 septembre 2005 sur les parcelles cadastrées n° 688, 689 et 690, tout en conditionnant la vente de la parcelle n° 688, dont elle est propriétaire, au doublement du pont du Solliès, ce qui aurait, selon elle, retardé le début du chantier. Toutefois, en se bornant à se prévaloir de la délibération du conseil municipal du 3 mars 2005 et de la délivrance d'un permis de construire, pour un projet englobant la parcelle n° 688, la société requérante ne démontre pas que la commune se serait engagée à vendre la parcelle cadastrée n° 688 sans aucune condition et serait ensuite revenue sur son engagement de vendre en y ajoutant une condition. Au contraire, il résulte de l'instruction que, dans le dossier de demande d'autorisation déposé en 2005, la notice précise que le pont devra être doublé. La société requérante n'établit donc pas que la commune aurait adopté un comportement déloyal sur ce point, constitutif d'une faute de sa part, alors en outre qu'il résulte de l'instruction que la commune a relancé le notaire en septembre 2006 et décembre 2006 afin de finaliser la vente de la parcelle en cause. Au demeurant, la vente de la parcelle n° 688 est intervenue le 26 février 2007, ce qui laissait à la SCI " Le Hameau de Tabarry " plus de six mois pour commencer les travaux et faire obstacle à la péremption de l'autorisation. La circonstance que la commune ait validé le devis des travaux fin septembre 2007 n'est pas non plus de nature à démontrer qu'elle aurait adopté un comportement fautif, alors notamment que la vente avait déjà été formalisée. En outre, l'absence de démarrage du chantier ne résulte pas des seules difficultés relatives à la vente de la parcelle n° 688, mais également des difficultés tenant à la mise en liquidation judiciaire de la société de TPB terrassement, constatée en mai 2008. Ainsi, la SCI " Le Hameau de Tabarry " n'est pas fondée à soutenir que la commune aurait adopté un " comportement déloyal " qui aurait eu pour effet de retarder le début du chantier. C'est donc à bon droit que le tribunal a estimé que la commune n'avait commis aucune faute à ce titre.

5. En deuxième lieu, la SCI " Le Hameau de Tabarry " soutient que la commune a commis une faute en exigeant de manière abusive que la SARL Fracheboud immobilier succède à la société GFI au mois de février 2007 dans le processus de rachat des parts de la SCI " Le Hameau de Tabarry ". Toutefois elle n'apporte aucun élément de nature à établir une telle allégation. C'est donc également à bon droit que le tribunal a estimé que la commune du Luc-en-Provence n'avait pas commis une faute sur ce point de nature à engager sa responsabilité.

6. En troisième lieu, le permis de construire délivré le 2 juin 2009, qui n'avait pour objet que la construction de deux villas supplémentaires et ne modifiait pas l'économie générale du projet, ne constitue pas un nouveau permis. La SCI " Le Hameau de Tabarry " n'est donc pas fondée à soutenir que la commune aurait commis une faute en procédant, par la décision du 5 août 2010, au retrait du permis de construire accordé le 2 juin 2009, alors qu'un nouveau délai de péremption était, selon elle, ouvert par ce nouveau permis. Au demeurant, par sa décision du 5 août 2010, qui se borne à constater la caducité du permis initial, la commune ne peut être regardée comme ayant retiré le permis modificatif du 2 juin 2009.

7. En quatrième lieu, aux termes de l'article R. 42417 du code de l'urbanisme, dans sa rédaction applicable à la date du 25 août 2010 : " Le permis de construire [...] est périmé si les travaux ne sont pas entrepris dans le délai de deux ans à compter de la notification mentionnée à l'article R. 424-10 ou de la date à laquelle la décision tacite est intervenue. / Il en est de même si, passé ce délai, les travaux sont interrompus pendant un délai supérieur à une année. ". Ces dispositions ne peuvent recevoir application que si l'inexécution ou l'arrêt des travaux n'est pas imputable au fait de l'administration.

8. La SCI " Le Hameau de Tabarry " soutient que la commune aurait commis une faute en délivrant un permis modificatif le 2 juin 2009 alors que le permis initial était périmé. Il résulte de l'instruction que la déclaration d'ouverture du chantier a été réalisée le 30 août 2007 et qu'aucun des travaux prévus n'a été entrepris sur le site. Si des travaux de voiries et réseaux divers ont à ce titre été réalisés entre le 30 août 2007 et le 30 août 2008, ils ne sont pas suffisamment importants pour justifier d'un véritable début d'exécution du chantier. Dans ces conditions, le permis de construire initial délivré le 29 septembre 2005 était périmé à compter du 30 août 2008, en application des dispositions précitées de l'article R. 424-17 du code de l'urbanisme. Ce permis périmé ne pouvait servir légalement de fondement au permis modificatif délivré le 2 juin 2009 qui était de ce fait illégal. C'est donc à bon droit que le tribunal a estimé que la commune avait commis une faute de nature à engager sa responsabilité en délivrant le permis du 2 juin 2009.

9. En cinquième lieu, la SCI " Le hameau de Tabarry " soutient que la commune a commis une faute au motif que la décision du 5 août 2010, qui constate la caducité du permis initial, serait intervenue au terme d'une procédure irrégulière. Toutefois, la péremption du permis de construire instituée par les dispositions de l'article R. 424-17 du code de l'urbanisme est acquise par le seul écoulement du temps lorsque les constructions n'ont pas été entreprises ou ont été interrompues, sans que soit nécessaire l'intervention d'une décision de l'autorité qui a délivré le permis. Ainsi, l'acte constatant la péremption de l'autorisation de construire n'est pas au nombre des décisions qui doivent être motivées. Et ainsi qu'il a été dit au point 6, dans la décision du 5 août 2010, la commune se borne à constater la caducité du permis initial et ne saurait être regardée comme ayant retiré le permis modificatif du 2 juin 2009. Par suite, la société requérante ne peut utilement invoquer la violation des dispositions de l'article 24 de la loi du 12 avril 2000 pour défaut de procédure contradictoire, afin de soutenir que la commune aurait commis une illégalité fautive de nature à engager sa responsabilité.

10. En sixième et dernier lieu, la SCI " Le Hameau de Tabarry " soutient qu'en délivrant le permis de construire du 29 septembre 2005, le maire du Luc-en-Provence aurait entaché sa décision d'erreur manifeste d'appréciation sur le fondement de l'article R. 111-2 du code de l'urbanisme, compte tenu de l'existence du risque d'inondation dont il avait selon elle connaissance.

11. Toutefois, il résulte de l'instruction que l'élaboration du plan de prévention des risques d'inondation n'était pas suffisamment avancée à la date de délivrance du permis du 29 septembre 2005 pour caractériser l'existence d'un risque, qui ne ressort pas des autres pièces du dossier. A cet égard, la seule présence du ruisseau du Solliès ou la circonstance que la commune est soumise à " une exposition notoire aux inondations " ne sont pas suffisantes pour démontrer que le maire aurait dû préalablement à la délivrance du permis initial, demander une étude du risque inondation à la direction départementale des territoires et de la mer et aurait commis une erreur manifeste d'appréciation en délivrant le permis de construire sollicité.

12. Par suite, et sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir soulevée par la commune du Luc-en-Provence, la SCI requérante ne démontre pas non plus l'existence d'une illégalité fautive de la commune sur ce point.

13. Il résulte de ce qui précède que c'est à bon droit que le tribunal administratif de Toulon a jugé que la commune avait seulement commis une faute de nature à engager sa responsabilité en délivrant le permis modificatif du 2 juin 2009, alors que le permis initial du 29 septembre 2005 était périmé.

Quant à la faute de la victime :

14. Eu égard à la qualité de professionnel de l'immobilier de la SCI " Le Hameau de Tabarry ", c'est à bon droit que le tribunal a estimé qu'elle avait commis une faute de nature à atténuer de moitié la responsabilité de la commune. En revanche il ne résulte pas de l'instruction que la société " Le Hameau de Tabarry " ait commis une faute tirée de l'existence d'une fraude consistant à solliciter la délivrance d'un permis modificatif dont elle ne pouvait ignorer la caducité, alors même que le formulaire Cerfa rappelle les conditions de validité d'un permis de construire.

En ce qui concerne la responsabilité de l'Etat :

15. En premier lieu, la SCI " Le Hameau de Tabarry " soutient que l'Etat aurait commis une faute en raison du caractère anormalement long du processus d'élaboration du plan de prévention des risques alors qu'il était informé des risques d'inondation relatifs aux parcelles d'assiette du projet. Toutefois, il résulte de l'instruction que l'élaboration du plan de prévention des risques naturels, des mouvements de terrain et d'inondation, a été prescrite sur le territoire de la commune en 1997, qu'un dossier de risques majeurs a été transmis à la commune en 1998 et que cet aléa inondation a été actualisé en 2008. L'Etat a présenté un aléa inondation actualisé à la commune en 2009 sur la base d'une étude hydraulique stabilisée. En 2013, les parcelles litigeuses ont été classées en zone " UC " soumise à un aléa inondation fort et incluses dans un emplacement réservé pour la création d'un bassin de rétention. Le PPRI était toujours en cours d'élaboration à la date à laquelle la SCI a présenté sa demande indemnitaire préalable. Dans ces conditions, et compte tenu notamment des diverses études techniques nécessaires pour l'élaboration d'un tel acte, l'Etat n'a commis aucune faute de nature à engager sa responsabilité dans l'élaboration de ce plan.

16. En second lieu, la SCI " Le Hameau de Tabarry " soutient également que l'Etat a commis une faute dans l'exercice du contrôle de légalité de nature à engager sa responsabilité. Toutefois, à la date des arrêtés portant permis de construire des 29 septembre 2005 et 2 juin 2009, le plan de prévention des risques était toujours en cours d'élaboration. Il ressort par ailleurs du point 15 du présent arrêt que l'Etat n'a pas commis de faute dans l'élaboration du plan de prévention des risques. Dans ces conditions il n'est pas démontré que l'Etat aurait commis une faute lourde dans l'exercice de son contrôle de légalité de nature à engager sa responsabilité.

En ce qui concerne l'existence d'un préjudice :

17. D'une part, la SCI " Le Hameau de Tabarry " est en droit d'obtenir l'indemnisation des préjudices en lien avec la faute commise par la commune, tirée de la délivrance d'un permis modificatif le 2 juin 2009 sur le fondement d'un permis initial périmé. Ainsi que l'a jugé à bon droit le tribunal administratif de Toulon, seule une facture du 11 mars 2010 d'un montant de 5 600 euros a été réglée au cabinet Arragon, pour l'exécution du permis délivré illégalement le 2 juin 2009. Eu égard au partage de responsabilité retenu au point 14, c'est à bon droit que le tribunal administratif de Toulon a condamné la commune à lui verser à ce titre une indemnité représentant la moitié de cette somme, soit 2 800 euros.

18. D'autre part, c'est également par une juste appréciation que le tribunal a estimé que cette même faute de la commune avait aussi causé à la SCI " Le Hameau de Tabarry " un préjudice moral qu'il a indemnisé à hauteur de 5 000 euros. Il y a toutefois lieu de réformer le jugement de première instance en diminuant de moitié la somme mise à la charge de la commune, en application du partage de responsabilité retenu au point 14. Il y a donc lieu de réduire le montant accordé à ce titre à la somme de 2 500 euros.

En ce qui concerne les intérêts et la capitalisation :

19. La société " Le Hameau de Tabarry " a droit aux intérêts sur la somme de 5 300 euros à compter du 24 novembre 2014, date de réception de la demande indemnitaire préalable par la commune. Il y a lieu de faire droit à la demande de capitalisation des intérêts à compter du 24 novembre 2015, date à laquelle était due pour la première fois une année d'intérêts, ainsi qu'à chaque échéance annuelle à compter de cette date, sous réserve que le jugement du 3 avril 2018 n'ait pas été exécuté.

Sur l'appel incident de la commune du Luc-en-Provence :

20. Il résulte de ce qui a été dit ci-dessus que la commune du Luc-en-Provence est fondée à soutenir que c'est à tort que, par leur jugement attaqué, les premiers juges l'ont condamnée à verser une somme de 7 800 euros à la SCI " Le Hameau de Tabarry ", cette somme devant être ramenée à 5 300 euros.

Sur les frais liés au litige :

21. Aux termes de l'article L. 761 1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation. ".

22. Il n'y a pas lieu dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la SCI " Le hameau de Tabarry " et de la commune du Luc-en-Provence les sommes qu'elles réclament au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D É C I D E :

Article 1er : L'indemnité de 7 800 euros que la commune du Luc-en-Provence a été condamnée par le tribunal administratif de Toulon à verser à la SCI " Le Hameau de Tabarry " est ramenée à la somme de 5 300 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 24 novembre 2014.

Article 2 : Les intérêts sur la somme de 5 300 euros que la commune du Luc-en-Provence a été condamnée à verser à la SCI " Le Hameau de Tabarry ", échus à la date du 24 novembre 2015, puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date, seront capitalisés à chacune de ces dates, au cas où le jugement attaqué n'aurait pas encore été exécuté, pour produire euxmêmes intérêts.

Article 3 : Le jugement n° 1500970 du 3 avril 2018 du tribunal administratif de Toulon est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la SCI " Le Hameau de Tabarry ", à la commune du Luc-en-Provence et à la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales.

Délibéré après l'audience du 3 décembre 2020, où siégeaient :

- M. Poujade, président,

- M. Portail, président assesseur,

- Mme A..., première conseillère,

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 17 décembre 2020.

Pour expédition conforme,

La greffière,

2

N° 18MA02689

nb


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 18MA02689
Date de la décision : 17/12/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Responsabilité de la puissance publique - Problèmes d'imputabilité - Personnes responsables - État ou autres collectivités publiques - État ou commune.

Responsabilité de la puissance publique - Réparation - Préjudice - Absence ou existence du préjudice - Existence.

Responsabilité de la puissance publique - Réparation - Causes exonératoires de responsabilité - Faute de la victime.


Composition du Tribunal
Président : M. POUJADE
Rapporteur ?: Mme Isabelle GOUGOT
Rapporteur public ?: Mme GIOCANTI
Avocat(s) : DURSENT

Origine de la décision
Date de l'import : 08/01/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2020-12-17;18ma02689 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award