Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. C... A... a demandé au tribunal administratif de Marseille de condamner le centre hospitalier de Briançon à lui verser la somme de 374 474,78 euros en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis du fait de sa prise en charge par cet établissement de soins.
Par un jugement n°1705563 du 6 mai 2019, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande et mis à sa charge les frais d'expertise.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 5 juillet 2019 et le 6 août 2020, M. A..., représenté par la SCP Alpazur Avocats, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Marseille du 6 mai 2019 ;
2°) de condamner le centre hospitalier de Briançon à lui verser la somme de 377 474,78 euros à titre indemnitaire ;
3°) de mettre à la charge du centre hospitalier de Briançon la somme de 4 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- il n'a pas été informé de la nature des blessures subies, des conséquences des blessures et des fractures et des risques de complications liés à une évolution des fractures ;
- l'intervention chirurgicale n'était pas impérieusement requise ;
- aucune information ne lui a été délivrée sur la possibilité de désigner une personne de confiance pour signer à sa place le consentement aux opérations ;
- aucun proche du patient n'a donné son consentement à l'intervention ;
- le centre hospitalier de Briançon a commis une faute lors de l'intervention chirurgicale ;
- il aurait dû être transféré dans un établissement de soins spécialisé dans la pathologie complexe qu'il présentait ;
- il doit être indemnisé de l'intégralité du préjudice subi.
Par un mémoire en défense, enregistré le 5 février 2020, le centre hospitalier de Briançon, représenté par Me E..., conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- le patient ne disposait pas d'une possibilité raisonnable de se soustraire à la première intervention qui revêtait un caractère d'urgence ;
- il a été informé de la nature de la seconde intervention pratiquée ainsi que des risques encourus ;
- les opérations chirurgicales ont été réalisées dans les règles de l'art ;
- elles ne sont pas à l'origine des séquelles (en lien avec une évolution péjorative de l'état traumatique initial) ;
- le transfert vers un établissement de soins spécialisé dans la chirurgie de l'épaule ne présentait pas d'utilité dès lors que les interventions réalisées ne nécessitaient pas une spécialisation en chirurgie de l'épaule.
La requête a été communiquée au régime social des indépendants RAM professions libérales qui n'a pas produit de mémoire.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de la sécurité sociale ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme F...,
- les conclusions de M. Gautron, rapporteur public,
- et les observations de Me B... substituant Me D..., représentant M. A....
Considérant ce qui suit :
1. M. A... relève appel du jugement du 6 mai 2019 par lequel le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande tendant à la condamnation du centre hospitalier de Briançon à l'indemniser des préjudices qu'il estime avoir subi du fait de sa prise en charge par cet établissement de soins à partir du 13 mai 2015.
Sur la responsabilité du centre hospitalier de Briançon :
En ce qui concerne le défaut d'information et l'absence de consentement éclairé :
2. Aux termes de l'article L. 1111-2 du code de la santé publique : " Toute personne a le droit d'être informée sur son état de santé. Cette information porte sur les différentes investigations, traitements ou actions de prévention qui sont proposés, leur utilité, leur urgence éventuelle, leurs conséquences, les risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu'ils comportent ainsi que sur les autres solutions possibles et sur les conséquences prévisibles en cas de refus (...) ".
3. Un manquement des médecins à leur obligation d'information engage la responsabilité de l'hôpital dans la mesure où il a privé le patient d'une chance de se soustraire au risque lié à l'intervention en refusant qu'elle soit pratiquée. C'est seulement dans le cas où l'intervention était impérieusement requise, en sorte que le patient ne disposait d'aucune possibilité raisonnable de refus, que peut être déniée l'existence d'une perte de chance.
4. La production par un établissement hospitalier d'un document écrit signé par le patient n'est ni nécessaire ni suffisante pour que puisse être considérée comme rapportée la preuve, qui lui incombe, de la délivrance de l'information prévue par les dispositions susmentionnées. Il appartient en revanche à cet établissement d'établir qu'un entretien, préalable nécessaire à la délivrance d'une information conforme à ces dispositions, a bien eu lieu et de démontrer par tout moyen que le destinataire de l'information a été mis à même de donner en connaissance de cause un consentement éclairé à l'acte de soins auquel il s'est ainsi volontairement soumis.
5. Il résulte de l'instruction, et notamment du rapport de l'expertise ordonnée par le juge des référés du tribunal administratif de Marseille, que les divers examens - scanner cérébral, scanner du rachis cervical, scanner des deux épaules et angioscanner aortique - subis par M. A..., admis le 13 mai 2016 vers 19 heures aux services des urgences du centre hospitalier de Briançon à la suite d'une chute, ont révélé, au niveau de l'épaule droite, une luxation sous coracoïdienne de la tête humérale droite, associée à une lésion fracturaire du bord antérieur de la glène humérale, et au niveau de l'épaule gauche, une luxation antéro interne sous coracoïdienne de l'épaule gauche, associée à une fracture de la grosse tubérosité, multi fragmentaire, ainsi qu'à un petit éculement de la portion antérieure de la glène humérale. Eu égard à la nécessité de prévenir la survenue d'une ostéonécrose bilatérale des deux épaules, ou l'irréductibilité de la luxation en raison des arrachements osseux associés, la réduction des fractures des deux épaules effectuée dans la nuit était impérieusement requise, de sorte que M. A... ne disposait pas de possibilité raisonnable de refus. Par suite, et en l'absence de tout document médical susceptible de remettre en cause les conclusions de l'expert sur le caractère urgent de l'intervention, c'est à bon droit que les premiers juges ont considéré que M. A... n'était fondé à rechercher la responsabilité du centre hospitalier de Briançon ni pour défaut d'information, ni du fait d'une perte de chance de se soustraire au risque qui se serait réalisé ni, enfin, au titre du préjudice d'impréparation ou d'un préjudice moral.
6. Il résulte par ailleurs de l'instruction que le lendemain, en tentant de ramasser son téléphone tombé à terre, M. A... s'est à nouveau luxé l'épaule gauche, ce qui a nécessité une seconde intervention chirurgicale consistant en une ostéosynthèse du massif trochitérien bilatéral par vis, associée à gauche à un brochage gléno-huméral. Le patient a été informé par le chirurgien de la nécessité de visser les fragments osseux détachés au niveau des épaules dès lors qu'ils ne pouvaient pas revenir spontanément et participaient à l'instabilité de l'épaule gauche. En outre, l'indication opératoire était formelle et il n'existait pas d'alternative à l'intervention pratiquée. S'il n'a en revanche reçu aucune information sur les complications possibles liées à cette intervention, les douleurs et les raideurs dont souffre le requérant à la suite du déplacement secondaire d'un fragment trochitérien ostéosynthésé sont imputables à l'évolution de l'état traumatique. Il suit de là que le tribunal a à juste titre retenu que l'évolution péjorative classique des fractures dont M. A... a été victime ne constituait pas un risque inhérent à l'intervention dont il aurait dû être informé pour écarter la responsabilité de l'établissement de soins.
7. Si l'article L. 1111-4 du code de la santé publique prévoit que lorsque le patient est hors d'état d'exprimer sa volonté, aucune intervention ou investigation ne peut être réalisée, sauf urgence ou impossibilité, sans que la personne de confiance prévue à l'article L. 1111-6 du même code, ou la famille, ou à défaut, un de ses proches ait été consulté, il ne résulte pas de l'instruction que M. A... n'aurait pas été, avant les interventions des 13 et 15 mai 2016, en état d'exprimer sa volonté. Par suite, le requérant n'est pas fondé à soutenir que le centre hospitalier de Briançon aurait manqué envers lui et sa famille à son devoir d'information.
8. Eu égard à ce qui vient d'être dit, M. A... ne saurait davantage rechercher en appel qu'en première instance la responsabilité du centre hospitalier de Briançon pour défaut d'information et absence de consentement éclairé.
En ce qui concerne les fautes :
9. L'article L. 1142-1 du code de la santé publique dispose : " I. - Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute ".
10. Il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise, que la réalisation d'une ostéosynthèse du massif trochitérien bilatéral est une indication logique et conforme lors de la constatation d'une instabilité gléno humérale gauche et l'existence d'un déplacement du massif trochitérien droit et gauche et que l'intervention chirurgicale qui a été réalisée est conforme aux données actuelles de la science. Contrairement à ce qui est soutenu par M. A..., la raideur anormale de son épaule gauche ne révèle pas de faute lors de l'acte opératoire, l'analyse de l'expert à cet égard ne pouvant être regardée comme sérieusement critiquée par les courriers émanant de médecins consultés par M. A... ou les comptes rendus opératoires des interventions pratiquées ultérieurement. C'est donc à juste titre que les premiers juges ont retenu qu'en ne procédant pas à l'ostéosynthèse des petits fragments glénoïdiens lors de l'intervention en cause, le chirurgien n'a commis aucune faute de nature à engager la responsabilité du centre hospitalier de Briançon.
11. En outre, il résulte encore du rapport de l'expert que l'ostéosynthèse du massif trochitérien et la réduction des fractures de l'humérus est une intervention de traumatologie générale qui ne nécessite pas pour la réaliser une spécialisation spécifique en chirurgie de l'épaule. Il suit de là que c'est à bon droit que les premiers juges ont estimé que le centre hospitalier de Briançon n'avait pas commis de faute en s'abstenant de faire transférer le patient vers un établissement de soins de Grenoble ou de Lyon disposant d'un plateau spécialisé dans le traitement des pathologies présentées par M. A....
Sur l'obligation d'indemnisation de l'ONIAM :
12. Il résulte des dispositions de l'article L. 11421 du code de la santé publique que l'ONIAM doit assurer, au titre de la solidarité nationale, la réparation de dommages résultant directement d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins à la condition qu'ils présentent un caractère d'anormalité au regard de l'état de santé du patient comme de l'évolution prévisible de cet état. La condition d'anormalité du dommage prévue par ces dispositions doit toujours être regardée comme remplie lorsque l'acte médical a entraîné des conséquences notablement plus graves que celles auxquelles le patient était exposé de manière suffisamment probable en l'absence de traitement. Lorsque les conséquences de l'acte médical ne sont pas notablement plus graves que celles auxquelles le patient était exposé par sa pathologie en l'absence de traitement, elles ne peuvent être regardées comme anormales sauf si, dans les conditions où l'acte a été accompli, la survenance du dommage présentait une probabilité faible. Ainsi, elles ne peuvent être regardées comme anormales au regard de l'état du patient lorsque la gravité de cet état a conduit à pratiquer un acte comportant des risques élevés dont la réalisation est à l'origine du dommage.
13. D'une part, il résulte de l'instruction que, ainsi que cela a été exposé au point 5, que M. A... présentait des fractures-luxations aux deux épaules. En l'absence d'intervention rapide pour les réduire, il était exposé à la survenue d'une ostéonècrose bilatérale des épaules ou à l'irréductibilité de la luxation à très court terme. Dans ces conditions, les deux opérations chirurgicales pratiquées n'ont pas entraîné de conséquences notablement plus graves que celles auxquelles M. A... était exposé en l'absence de prise en charge des fractures.
14. D'autre part, la récidive de luxation à gauche est sans lien avec les raideurs et douleurs de l'épaule et le risque de déplacement secondaire du massif trochitérien ostéosynthésé d'une occurrence de 10 à 15%, la survenance du dommage ne présentait pas une probabilité faible. Par suite, les conséquences des interventions chirurgicales, qui n'ont pas un caractère anormal au sens des dispositions du II de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique, ne sont pas susceptibles d'ouvrir droit à réparation au titre de la solidarité nationale comme l'ont estimé à bon droit les premiers juges.
15. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande.
Sur les dépens :
16. M. A... reste en appel la partie perdante. Il suit de là qu'il y a lieu de laisser les frais et honoraires de l'expertise liquidés et taxés à la somme de 960 euros par l'ordonnance du 7 mai 2018 du président du tribunal administratif de Marseille, ainsi que l'a fait ce tribunal, à la charge de M. A....
Sur les frais liés au litige :
17. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge du centre hospitalier de Briançon, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme dont M. A... demande le versement au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
D É C I D E :
Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... A..., au centre hospitalier de Briançon et au régime social des indépendants RAM professions libérales.
Copie pour information en sera adressée à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des infections iatrogènes et des infections nosocomiales
Délibéré après l'audience du 8 octobre 2020 où siégeaient :
- M. Alfonsi, président de chambre,
- Mme F..., première conseillère,
- M. Sanson, conseiller.
Lu en audience publique, le 22 octobre 2020.
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N° 19MA03094