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22/10/2020 | FRANCE | N°19MA01693

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 3ème chambre, 22 octobre 2020, 19MA01693


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... E... a demandé au tribunal administratif de Marseille, à titre principal, de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu, de la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus et de contributions sociales auxquelles il a été assujetti au titre des années 2011, 2012 et 2013 ainsi que des pénalités correspondantes, ou à titre subsidiaire, que les impositions supplémentaires précitées soient réduites à concurrence de sa participation dans le capital de la SAR

L Atelier 32.

Par un jugement n° 1700167 du 8 février 2019, le tribunal admin...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... E... a demandé au tribunal administratif de Marseille, à titre principal, de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu, de la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus et de contributions sociales auxquelles il a été assujetti au titre des années 2011, 2012 et 2013 ainsi que des pénalités correspondantes, ou à titre subsidiaire, que les impositions supplémentaires précitées soient réduites à concurrence de sa participation dans le capital de la SARL Atelier 32.

Par un jugement n° 1700167 du 8 février 2019, le tribunal administratif de Marseille a, d'une part, déchargé M. E... de la part des cotisations supplémentaires de contributions sociales ayant résulté de la majoration de 25 % de la base imposable des années 2011, 2012 et 2013, en tant qu'elles résultent des sommes distribuées par la SARL Atelier 32 et, d'autre part, rejeté le surplus de sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 5 avril 2019, ainsi que des mémoires complémentaires, enregistrés les 15 octobre et 18 décembre 2019, M. E..., représenté par Me A..., demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du 8 février 2019 du tribunal administratif de Marseille en tant qu'il a rejeté le surplus de sa demande ;

2°) de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des impositions demeurant en litige ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

Sur la régularité du jugement contesté :

- le jugement est insuffisamment motivé en ce qui concerne le moyen tiré de l'insuffisance de motivation de la proposition de rectification du 29 juillet 2014 ;

Sur la régularité de la procédure d'imposition :

- s'agissant du moyen tiré du défaut de motivation de la proposition de rectification, le tribunal administratif, qui mentionne que le conseil du requérant a " fait référence au contenu " de la proposition de rectification adressée à la société, aurait dû vérifier que le requérant avait bien pris part au débat oral et contradictoire au cours de la vérification de comptabilité, et a ainsi entaché son jugement d'une erreur de droit ; contrairement à ce qu'a retenu le tribunal, qui a également dans cette mesure commis une erreur de droit, il n'a pas fait expressément référence à la proposition de rectification adressée à la société ; par ailleurs, le tribunal ne pouvait tirer de la circonstance que le contribuable et la société avaient le même avocat un élément démontrant que l'intéressé avait disposé d'une information suffisante propre à garantir le respect des dispositions de l'article L. 57 du livre des procédures fiscales ; en tant qu'il se fonde sur l'identité de l'avocat et les actes de celui-ci relatifs à la procédure de la société, le jugement viole les droits garantis par les §1 et §3 de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; par ailleurs, c'est bien à l'administration qu'incombe le respect de la garantie prévue à l'article L. 57 précité, lequel doit s'apprécier à l'aune du comportement de cette dernière ;

- s'agissant du moyen tiré du défaut de réponse aux observations du contribuable, le tribunal administratif a entaché son jugement d'une contradiction de motifs ; il a également commis une erreur de droit relative à la possibilité pour un contribuable de motiver ses observations par référence aux motifs de contestation précédemment invoqués à l'encontre d'une autre proposition de rectification ; son raisonnement porte atteinte au principe de l'équilibre des droits des parties, tel qu'il découle de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, et à celui de l'égalité des armes, inhérent au droit du procès équitable garanti par l'article 6§1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la proposition de rectification du 29 juillet 2014 n'est pas suffisamment motivée en méconnaissance des dispositions de l'article L. 57 du livre des procédures fiscales, dès lors qu'elle fait référence à une proposition de rectification notifiée à la société dont il était le gérant, qui n'a pas été jointe et dont le contenu n'a pas été repris ; à cet égard, il se prévaut de la doctrine administrative référencée BOI-CF-IOR-10-40, n° 190 du 12 septembre 2012 ;

- la réponse aux observations du contribuable à la proposition de rectification du 29 juillet 2014 n'est pas suffisamment motivée dès lors que le service n'a pas répondu aux observations qu'il avait formulées en réponse à la première proposition de rectification du 10 juin 2014 et auxquelles il s'était expressément référé ;

Sur le bien-fondé des impositions :

- l'administration ne démontre ni l'existence ni le montant des minorations de recettes qu'elle invoque s'agissant des trois exercices vérifiés ; elle ne justifie pas davantage des motifs l'ayant conduite à écarter tout ou partie des déficits déclarés par la SARL Atelier 32 au titre de l'exercice clos en 2011 ; il appartient au service d'établir l'existence et le montant des distributions sur le fondement de l'article 109 du code général des impôts ;

- s'agissant des revenus distribués au titre du 1° de l'article 109 de ce code, la proposition de rectification du 29 juillet 2014 ne fait aucune référence à l'assujettissement à l'impôt sur les sociétés des recettes de la société Atelier 32 que l'administration affirme avoir reconstituées ; cette omission prive de toute portée la qualification de " bénéfices " retenue pour l'application des dispositions précitées ;

- s'agissant des revenus distribués au titre du 2° de l'article 109 du même code, l'administration n'établit ni leur montant ni leur existence dès lors qu'elle a omis de chiffrer la part imputable à la remise en cause des déficits reportables ;

- la méthode de reconstitution du chiffre d'affaires est viciée ; en particulier, l'administration a estimé à tort qu'elle ne pouvait tenir compte des conditions d'exploitation de l'entreprise pour opérer cette reconstitution à raison du placement en liquidation judiciaire de la société ;

- l'administration n'apporte pas la preuve de l'appréhension des distributions alors qu'elle n'a pas mis en oeuvre les dispositions de l'article 117 du code général des impôts ; il ne peut être regardé comme le seul maître de l'affaire au regard des règles jurisprudentielles et des conditions concrètes de fonctionnement de l'entreprise ; il n'existe aucune confusion entre son patrimoine et celui de la SARL Atelier 32 ; le service n'a démontré ni le désinvestissement des sommes litigieuses par la société ni qu'il se serait lui-même enrichi au détriment de cette dernière ;

Sur les pénalités :

- la décision de mettre à sa charge la pénalité prévue au a) de l'article 1729 du code général des impôts est insuffisamment motivée au sens et pour l'application de l'article L. 80 D du livre des procédures fiscales ;

- les éléments de fait et de droit retenus par le service ne justifient pas l'application de cette pénalité.

Par un mémoire en défense, enregistré le 29 août 2019, le ministre de l'action et des comptes publics demande à la Cour de rejeter la requête de M. E....

Il fait valoir que les moyens invoqués par le requérant ne sont pas fondés.

Un mémoire en défense, enregistré le 14 novembre 2019, et présenté par le ministre de l'action et des comptes publics, n'a pas été communiqué en application des dispositions de l'article R. 611-1 du code de justice administrative.

Par une ordonnance en date du 20 décembre 2019, la clôture de l'instruction a été fixée au 9 janvier 2020 à 12 heures.

Un mémoire en défense, enregistré le 8 janvier 2020, et présenté par le ministre de l'action et des comptes publics, n'a pas été communiqué en application des dispositions de l'article R. 611-1 du code de justice administrative.

Un mémoire présenté pour M. E..., enregistré le 27 janvier 2020, après la clôture de l'instruction fixée par l'ordonnance précitée, n'a pas été communiqué.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme D...,

- les conclusions de Mme Courbon, rapporteur public,

- et les observations de Me A... représentant M. E....

Considérant ce qui suit :

1. La SARL Atelier 32, dont M. E... était le gérant, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité portant sur la période du 1er avril 2010 au 31 mars 2013. La vérification de comptabilité s'est traduite, pour la société, par des rectifications en matière d'impôt sur les sociétés et de taxe sur la valeur ajoutée. Concomitamment et à l'issue d'un contrôle sur pièces, M. E... a vu les bases de ses cotisations d'impôt sur le revenu rehaussées à raison de sa qualité de bénéficiaire des revenus distribués par la société vérifiée. Par un jugement du 8 février 2019, le tribunal administratif de Marseille l'a uniquement déchargé de la part des suppléments de contributions sociales consécutifs à la majoration de 25 % de la base imposable des années 2011, 2012 et 2013, résultant des sommes distribuées par la SARL Atelier 32. M. E... relève appel de ce jugement en tant que le tribunal a rejeté le surplus de sa demande.

Sur la régularité de la procédure d'imposition :

2. Aux termes de l'article L. 57 du livre des procédures fiscales : " L'administration adresse au contribuable une proposition de rectification qui doit être motivée de manière à lui permettre de formuler ses observations ou de faire connaître son acceptation. / (...) ". Aux termes de l'article R. 57-1 du même livre : " La proposition de rectification prévue par l'article L. 57 fait connaître au contribuable la nature et les motifs de la rectification envisagée ".

3. Il résulte de ces dispositions que l'administration doit indiquer au contribuable, dans la proposition de rectification, les motifs et le montant des rehaussements envisagés, leur fondement légal et la catégorie de revenus dans laquelle ils sont opérés, ainsi que les années d'imposition concernées. En cas de motivation par référence, l'administration doit, en principe, annexer les documents auxquels elle se réfère dans la proposition de rectification ou en reprendre la teneur.

4. En l'espèce, si la proposition de rectification adressée à M. E... le 29 juillet 2014 - qui annule et remplace une première proposition de rectification du 10 juin 2014 -, adressée personnellement à ce dernier, et dont il a accusé réception le 4 août 2014, mentionne le fondement légal et la catégorie de revenus dans laquelle les rehaussements sont opérés, ainsi que les années d'imposition concernées, elle se borne à indiquer que la SARL Atelier 32 a fait l'objet d'une vérification de comptabilité ayant donné lieu à une proposition de rectification du 29 juillet 2014 et que la reconstitution de son chiffre d'affaires a permis de constater des omissions de recettes d'un montant respectif de 97 396 euros, 81 407 euros et 191 249 euros au titre des exercices clos en 2011, 2012 et 2013, lesquelles sont retracées dans un tableau qui fait seulement apparaître, pour chacune des années, un écart global entre chiffre d'affaires déclaré et chiffre d'affaires encaissé. Il est constant que n'était pas annexée à cette proposition de rectification, celle adressée à la SARL Atelier 32, dont l'administration n'a pas repris la teneur dans la proposition de rectification adressée à M. E..., en particulier ses mentions pertinentes concernant les éléments sur lesquels l'administration s'est fondée pour rejeter la comptabilité de la société, reconstituer son chiffre d'affaires et remettre en cause un déficit reporté. En outre, la proposition de rectification relative à la société a été adressée à l'attention du mandataire judiciaire de la société, placée en liquidation judiciaire, au siège de cette dernière, situé à une adresse distincte du domicile de l'appelant. Si le ministre fait valoir en défense que le requérant a formulé, par l'intermédiaire de son conseil, également avocat de la société précitée, des observations sur la proposition de rectification qui lui avait été personnellement adressée, par courrier du 9 septembre 2014, ce dernier ne comporte toutefois, contrairement à ce qu'ont estimé les premiers juges, aucune référence précise à la proposition de rectification adressée à la société ni même à son contenu. Par ailleurs, la circonstance que cet avocat a demandé, par deux courriers distincts datés du 10 août 2014, la prorogation du délai de réponse aux propositions de rectification adressées respectivement à la société distributrice et au bénéficiaire des distributions ne saurait à elle seule témoigner que M. E... ait pu disposer à son entière convenance du contenu précis de la proposition de rectification relative à la société Atelier 32. Dans ces conditions, l'intéressé ne peut être regardé comme ayant bénéficier des informations lui permettant de formuler ses observations ou de faire connaître son acceptation en application des dispositions précitées de l'article L. 57 du livre des procédures fiscales. Par suite, l'appelant a été privé des garanties attachées à la procédure contradictoire et les impositions demeurant en litige sont donc intervenues à l'issue d'une procédure irrégulière.

5. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de statuer sur la régularité du jugement attaqué ni sur les autres moyens de la requête, que M. E... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille a rejeté le surplus des conclusions de sa demande. Il est, par suite, fondé à demander la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu, de la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus et du surplus des contributions sociales auxquelles il a été assujetti au titre des années 2011, 2012 et 2013 ainsi que des pénalités correspondantes.

Sur les frais liés à l'instance :

6. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat le versement à M. E... de la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D É C I D E :

Article 1er : L'article 2 du jugement n° 1700167 du 8 février 2019 du tribunal administratif de Marseille est annulé.

Article 2 : M. E... est déchargé des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu, de la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus et du surplus des contributions sociales auxquelles il a été assujetti au titre des années 2011, 2012 et 2013 ainsi que des pénalités correspondantes.

Article 3 : L'Etat versera à M. E... une somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... E... et au ministre de l'économie, des finances et de la relance.

Copie en sera adressée à la direction de contrôle fiscal Sud-Est Outre-mer.

Délibéré après l'audience du 8 octobre 2020, où siégeaient :

- M. Lascar, président,

- Mme D..., présidente assesseure,

- Mme C..., première conseillère.

Lu en audience publique, le 22 octobre 2020.

N° 19MA01693 4

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Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 19MA01693
Date de la décision : 22/10/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

19-01-03-02-02-01 Contributions et taxes. Généralités. Règles générales d'établissement de l'impôt. Rectification (ou redressement). Proposition de rectification (ou notification de redressement). Motivation.


Composition du Tribunal
Président : M. LASCAR
Rapporteur ?: Mme Mylène BERNABEU
Rapporteur public ?: Mme COURBON
Avocat(s) : CABINET JEAN-CLAUDE BENSA

Origine de la décision
Date de l'import : 07/11/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2020-10-22;19ma01693 ?
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