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16/10/2020 | FRANCE | N°18MA01151

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 7ème chambre, 16 octobre 2020, 18MA01151


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Nîmes d'annuler la décision du 3 mai 2016 par laquelle la ministre de la défense l'a radié des cadres.

Par un jugement n° 1602267 du 11 janvier 2018, le tribunal administratif de Nîmes a, à l'article 1er, annulé cette décision, à l'article 2, enjoint au ministre des armées de réintégrer juridiquement M. A... à compter du 3 mai 2016, avec reconstitution de sa carrière et de ses droits sociaux dans un délai de deux mois à compter de la notif

ication de la présente décision et, à l'article 4, rejeté le surplus des conclusions d...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Nîmes d'annuler la décision du 3 mai 2016 par laquelle la ministre de la défense l'a radié des cadres.

Par un jugement n° 1602267 du 11 janvier 2018, le tribunal administratif de Nîmes a, à l'article 1er, annulé cette décision, à l'article 2, enjoint au ministre des armées de réintégrer juridiquement M. A... à compter du 3 mai 2016, avec reconstitution de sa carrière et de ses droits sociaux dans un délai de deux mois à compter de la notification de la présente décision et, à l'article 4, rejeté le surplus des conclusions de la requête de M. A....

Procédure devant la Cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés les 12 mars 2018, 19 avril 2018, 12 novembre 2018 et 20 août 2020 sous le n° 18MA01151, la ministre des armées demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nîmes du 11 janvier 2018 ;

2°) de rejeter la demande présentée par M. A....

Elle soutient que :

- la décision contestée n'est pas entachée d'une erreur de fait ;

- la circonstance que le conseil d'enquête ait rendu un avis défavorable au prononcé d'une sanction de 3ème groupe est sans incidence ;

- les éléments matériels sont suffisants pour établir que M. A... a commis une faute d'une particulière gravité de nature à justifier sa radiation des cadres.

La requête a été communiquée à M. A... qui n'a pas produit de mémoire.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la défense ;

- le décret n° 2005-850 du 27 juillet 2005 ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la Cour a désigné M. Georges Guidal, président assesseur, pour présider la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme D...,

- et les conclusions de M. Chanon, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. M. A..., maréchal des logis-chef, affecté à la brigade de proximité de Quissac, a été placé en garde à vue le 19 mai 2015, en raison de deux plaintes déposées à son encontre pour des faits de viols et d'agressions sexuelles sur mineur de moins de 15 ans qui se seraient déroulés entre 1992 et 2000. Il a été suspendu de ses fonctions par une décision du ministre de la défense du 20 mai 2015 puis, le 21 mai suivant, mis en examen de ces chefs d'accusation et placé en détention provisoire à la maison d'arrêt de Rodez. Le 6 août 2015, la cour d'appel de Nîmes a placé M. A... sous contrôle judiciaire et l'a autorisé à rejoindre son logement concédé pour nécessité absolue de service. Par une décision du 15 décembre 2015, le ministre de la défense a renvoyé M. A... devant un conseil d'enquête. Ce dernier réuni le 13 avril 2016 a émis un avis défavorable à ce que soit infligé à M. A..., une sanction disciplinaire de troisième groupe. Par une décision du 3 mai 2016, le ministre de la défense a prononcé la sanction disciplinaire de radiation des cadres de l'intéressé. La ministre des armées relève appel du jugement du 11 janvier 2018 du tribunal administratif de Nîmes qui, à l'article 1er, a annulé cette décision du 3 mai 2016, lui a enjoint, à l'article 2, de réintégrer juridiquement M. A... à compter du 3 mai 2016, avec reconstitution de sa carrière et de ses droits sociaux dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement et, à l'article 4, a rejeté le surplus des conclusions de la demande de M. A....

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

2. En vertu des dispositions combinées des articles L. 4137-1 et L. 4137-2 du code de la défense, sans préjudice des sanctions pénales qu'ils peuvent entraîner, les fautes ou manquements commis par les militaires les exposent à des sanctions disciplinaires réparties en trois groupes qui sont, respectivement, pour le premier : l'avertissement, la consigne, la réprimande, le blâme, les arrêts et le blâme du ministre ; pour le deuxième : l'exclusion temporaire de fonctions pour une durée maximale de cinq jours privative de toute rémunération, l'abaissement temporaire d'échelon et la radiation du tableau d'avancement ; enfin, pour le troisième : le retrait d'emploi et la radiation des cadres ou la résiliation du contrat.

3. Pour annuler la décision contestée prononçant la radiation des cadres de M. A..., le tribunal a estimé que la ministre des armées avait commis une erreur de fait en l'absence de tout autre élément susceptible de corroborer le contenu du procès-verbal de synthèse établi le 21 mai 2015 par l'inspection générale de la gendarmerie nationale à l'issue de la garde à vue de l'intéressé, qui ne permettait pas, à lui seul et en l'absence de tout autre élément, de tenir pour suffisamment établis les faits de viols et d'agressions sexuelles reprochés commis en dehors du service. Toutefois, la ministre des armées a produit, pour la première fois devant la Cour, les procès-verbaux des auditions et de confrontation de M. A..., des deux plaignantes, Mlle L. et Mme M., et de proches effectuées par les officiers de police judiciaire lors de la garde à vue de l'intéressé les 19 et 20 mai 2015. Il ressort de ces procès-verbaux que les témoignages de Mlle L. et de Mme M., qui ne se connaissaient pas, sont particulièrement précis et concordants sur la description des agressions qu'elles ont subies de la part de M. A... alors qu'elles étaient mineures, pour la première, entre ses 6 à 14 ans, de manière répétée sur une longue période allant de 1992 à 2000 et, pour la seconde, entre ses 6 et 8 ans. Si, lors de son audition, M. A... a dit ne pas se souvenir de ces faits et les a ensuite niés, il a cependant déclaré " Je suis convaincu que j'ai fait ce dont on m'accuse " ou " je conçois que j'ai pu les commettre ". En outre, à la question posée par l'officier de police judiciaire, " Reconnaissez vous avoir commis les faits d'agressions sexuelles et de viols sur les personnes de S. L. et E. M. ", il a répondu " Oui, je reconnais ". Par ailleurs, il ressort des pièces du dossier que M. A... a été placé en détention provisoire à la maison d'arrêt de Rodez puis libéré et placé sous contrôle judiciaire le 6 août 2015, par la cour d'appel de Nîmes. Par suite et alors même que le conseil d'enquête aurait émis un avis défavorable à la mesure de radiation des cadres en litige, la ministre des armées est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nîmes a annulé la décision du 3 mai 2016 portant radiation des cadres de M. A... en estimant que la matérialité des griefs retenus à l'encontre de M. A... n'était pas établie.

4. Toutefois, il appartient à la cour administrative d'appel, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. A... devant le tribunal administratif de Nîmes et devant la Cour.

5. Aux termes de l'article L. 4137-4 du code de la défense : " Le ministre de la défense ou les autorités habilitées à cet effet prononcent les sanctions disciplinaires et professionnelles prévues aux articles L.4137-1 et L.4137-2, après consultation, s'il y a lieu, de l'un des conseils prévus à l'article L.4137-3 ". Aux termes de l'article R. 4137-10 du même code : " Les autorités investies du pouvoir disciplinaire mentionnées à l'article L. 4137-4 du code de la défense et à l'article L. 311-13 du code de justice militaire sont le ministre de la défense et les autorités militaires. / Les autorités militaires sont désignées parmi les officiers (...) ". L'article 1er du décret du 27 juillet 2005 dispose que : " A compter du jour suivant la publication au Journal officiel de la République française de l'acte les nommant dans leurs fonctions ou à compter du jour où cet acte prend effet, si ce jour est postérieur, peuvent signer, au nom du ministre ou du secrétaire d'Etat et par délégation, l'ensemble des actes, à l'exception des décrets, relatifs aux affaires des services placés sous leur autorité : (...) / 3° le major général de la gendarmerie, (...) ".

6. Il ressort des pièces du dossier que par un décret du 6 avril 2012 portant nomination dans la 1ère et 2ème section et affectation d'officiers généraux, publié au Journal officiel de la République du 7 avril suivant, le général de corps d'armée Richard Lizurey a été nommé major général de la gendarmerie nationale à compter du 1er mai 2012. Il disposait ainsi d'une délégation pour signer, au nom du ministre de la défense, la décision en litige.

7. Aux termes de l'article R. 4137-66 du code de la défense : " L'envoi devant le conseil d'enquête est ordonné par le ministre de la défense ou par les autorités militaires dont la liste est fixée par arrêté du ministre de la défense. (...) ".

8. En application des dispositions citées au point 5, le général de corps d'armées Lizurey avait compétence pour signer au nom du ministre de la défense, l'ordre d'envoi de M. A... devant le conseil d'enquête.

9. Aux termes de l'article R. 4137-41 du code de la défense : " (...) / La radiation des cadres des sous-officiers de carrière de la gendarmerie nationale est prononcée par le ministre de la défense, après avis du ministre de l'intérieur. ".

10. Si les actes administratifs doivent être pris selon les formes et conformément aux procédures prévues par les lois et règlements, un vice affectant le déroulement d'une procédure administrative préalable, suivie à titre obligatoire ou facultatif, n'est de nature à entacher d'illégalité la décision prise que s'il ressort des pièces du dossier qu'il a été susceptible d'exercer, en l'espèce, une influence sur le sens de la décision prise ou qu'il a privé les intéressés d'une garantie.

11. S'il est constant que l'avis du ministre de l'intérieur n'a en l'espèce pas été recueilli en méconnaissance des dispositions de l'article R. 4137-41 du code de la défense, il ressort des pièces du dossier que les faits d'agressions sexuelles reprochés à M. A... ont été commis en dehors de l'exercice de ses fonctions de gendarme qui relève des personnels militaires de la gendarmerie nationale et sont sans lien avec celles des services de police. Dans ces conditions, l'absence de consultation du ministre de l'intérieur n'a pas privé M. A... d'une garantie ni été susceptible d'exercer, en l'espèce, une influence sur le sens de la décision prise. Ainsi, ce vice de procédure n'a pas été de nature à entacher d'illégalité cette décision.

12. Aux termes de l'article R. 4137-79 du code de la défense : " Au reçu du procès-verbal, le président fixe la date de la réunion du conseil et convoque soit d'office, soit sur la demande du comparant, les personnes dont l'audition est utile pour l'examen de l'affaire. (...) / Il notifie la date de la réunion du conseil ainsi que la liste des personnes mentionnées aux deux alinéas précédents au comparant de manière que celui-ci dispose, au reçu de cette notification, d'un délai de huit jours francs au moins avant la date de ladite réunion. Il l'invite à se présenter aux lieu, jour et heure indiqués et l'avise que, s'il ne se présente pas, le conseil pourra siéger hors de sa présence. Il informe le défenseur de ces notifications ".

13. M. A... ne peut utilement soutenir que son conseil n'a été informé de la date de réunion du conseil d'enquête que deux jours seulement avant la tenue du conseil d'enquête, le 13 avril 2016 dès lors que le délai de huit jours prévu par les dispositions de l'article R. 4137-79 du code de la défense ne s'applique qu'au comparant. En l'espèce, il ressort de l'accusé de réception de la notification de la date de la réunion du conseil que M. A... a reçu cette information le 2 avril 2016, soit dix jours francs avant la réunion prévue le 13 avril 2016.

14. Aux termes de l'article R. 4137-83 du code de la défense : " (...) / L'avis du conseil d'enquête, établi dès la fin de la séance, est signé par tous les membres du conseil et immédiatement envoyé, avec les pièces à l'appui, au ministre de la défense ou à l'autorité militaire habilitée par lui à prononcer la sanction. ".

15. Il ressort des pièces du dossier que le procès-verbal de la séance du 13 avril 2016 du conseil d'enquête comporte cinq signatures sur la dernière page correspondant aux cinq membres le composant le jour de cette séance comme le mentionne la première page de ce document. Ainsi, l'avis du conseil d'enquête a été signé par tous ses membres.

16. Il appartient au juge de l'excès de pouvoir, saisi de moyens en ce sens, de rechercher si les faits reprochés à un agent public ayant fait l'objet d'une sanction disciplinaire constituent des fautes de nature à justifier une sanction et si la sanction retenue est proportionnée à la gravité de ces fautes.

17. Si M. A... soutient qu'il a eu un comportement exemplaire durant toute sa carrière, qu'il a toujours été bien noté, qu'il n'a fait l'objet d'aucune sanction disciplinaire et a été décoré par deux fois, toutefois, eu égard à la gravité des faits mentionnés au point 3, lesquels présentes un caractère fautif, de l'exigence d'exemplarité et d'irréprochabilité qui incombe à un gendarme et de l'atteinte à la réputation de la gendarmerie nationale, l'autorité disciplinaire n'a pas pris, compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'espèce, une sanction disproportionnée en décidant de radier des cadres l'intéressé.

18. Il résulte de tout ce qui précède que la ministre des armées est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nîmes a annulé sa décision du 3 mai 2016 par laquelle elle a radié des cadres M. A....

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Nîmes du 11 janvier 2018 est annulé.

Article 2 : La demande présentée par M. A... devant le tribunal administratif de Nîmes est rejetée.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la ministre des armées et à M. B... A....

Délibéré après l'audience du 2 octobre 2020, où siégeaient :

- M. Guidal, président assesseur, président de la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,

- M. Coutier, premier conseiller,

- Mme D..., première conseillère.

Lu en audience publique, le 16 octobre 2020.

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N° 18MA01151

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Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 7ème chambre
Numéro d'arrêt : 18MA01151
Date de la décision : 16/10/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Fonctionnaires et agents publics - Discipline - Sanctions.

Fonctionnaires et agents publics - Discipline - Procédure disciplinaire et procédure pénale.

Fonctionnaires et agents publics - Cessation de fonctions - Radiation des cadres.


Composition du Tribunal
Président : M. GUIDAL
Rapporteur ?: Mme Jacqueline MARCHESSAUX
Rapporteur public ?: M. CHANON

Origine de la décision
Date de l'import : 05/11/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2020-10-16;18ma01151 ?
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