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13/10/2020 | FRANCE | N°19MA05737

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 9ème chambre, 13 octobre 2020, 19MA05737


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... D... a demandé au tribunal administratif de Marseille, d'une part, d'annuler l'arrêté du 28 novembre 2019 par lequel le préfet du Var lui a fait obligation de quitter le territoire français, a refusé de lui accorder un délai de départ volontaire, a fixé le pays à destination duquel il pourra être renvoyé et lui a interdit le retour sur le territoire français pour une durée de deux ans, d'autre part, de suspendre l'exécution de la mesure d'éloignement jusqu'à l'expiration du délai de recour

s devant la Cour nationale du droit d'asile ou, si celle-ci est saisie, soit jus...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... D... a demandé au tribunal administratif de Marseille, d'une part, d'annuler l'arrêté du 28 novembre 2019 par lequel le préfet du Var lui a fait obligation de quitter le territoire français, a refusé de lui accorder un délai de départ volontaire, a fixé le pays à destination duquel il pourra être renvoyé et lui a interdit le retour sur le territoire français pour une durée de deux ans, d'autre part, de suspendre l'exécution de la mesure d'éloignement jusqu'à l'expiration du délai de recours devant la Cour nationale du droit d'asile ou, si celle-ci est saisie, soit jusqu'à la date de la lecture en audience publique de la décision de la cour, soit, s'il est statué par ordonnance, jusqu'à la date de la notification de celle-ci.

Par un jugement n° 1910251 du 9 décembre 2019, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Marseille, faisant partiellement droit à sa demande, a annulé les décisions portant refus de délai de départ volontaire et interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans.

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 18 décembre 2019, le préfet du Var demande à la Cour d'annuler ce jugement du 9 décembre 2019 en tant, d'une part, qu'il a annulé, à la demande de M. D..., ses décisions du 28 novembre 2019 portant refus de délai de départ volontaire et interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans et, d'autre part, qu'il a mis à la charge de l'Etat une somme de 800 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

- la décision de refus de délai de départ volontaire, exclusivement fondée sur le 1° du II de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, n'est pas entachée d'illégalité contrairement à ce qu'a estimé le premier juge ;

- en l'absence d'illégalité de la décision de refus de délai de départ volontaire, la décision portant interdiction de retour, elle-même légale, ne pouvait être annulée.

La demande d'aide juridictionnelle de M. D... a été rejetée par une décision du 10 juillet 2020.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. C... a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Par un arrêté du 28 novembre 2019, le préfet du Var a fait obligation à M. D..., ressortissant géorgien, de quitter le territoire français, a refusé de lui accorder un délai de départ volontaire, a fixé le pays à destination duquel il pourra être renvoyé et lui a interdit le retour sur le territoire français pour une durée de deux ans. Le préfet du Var relève appel du jugement du 9 décembre 2019 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Marseille, faisant partiellement droit à la demande de M. D..., a annulé ses décisions portant refus de délai de départ volontaire et interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans.

Sur le motif d'annulation retenu par le premier juge :

2. Aux termes du II de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " (...) / l'autorité administrative peut, par une décision motivée, décider que l'étranger est obligé de quitter sans délai le territoire français : / 1° Si le comportement de l'étranger constitue une menace pour l'ordre public ; / 3° S'il existe un risque que l'étranger se soustraie à cette obligation (...) ".

3. Après avoir relevé que M. D... justifiait tant de la présence en France de son épouse et de ses deux filles que d'un lieu de résidence stable, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Marseille a estimé que la décision de refus de délai de départ volontaire prise à l'encontre de l'intéressé était entachée d'une " erreur manifeste d'appréciation ".

4. Il ressort des termes de l'arrêté du 28 novembre 2019 que la décision de refus de délai de départ volontaire en litige a été prise au seul motif que, M. D... ayant été incarcéré pour des faits de vol en réunion, son comportement constitue une menace pour l'ordre public. Compte tenu du caractère récent, à la date de l'arrêté attaqué, tant de l'entrée en France de l'intéressé que des faits ayant justifié sa condamnation pénale, ainsi que de la gravité des faits en cause, le préfet du Var a pu, sans faire une inexacte application des dispositions citées ci-dessus du 1° du II de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, refuser d'accorder un délai de départ volontaire à M. D... en se fondant sur ce motif. Par suite, c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Marseille a annulé la décision de refus de délai de départ volontaire, ainsi que, par voie de conséquence, la décision portant interdiction de retour sur le territoire français, pour le motif évoqué au point précédent.

5. Il appartient à la Cour d'examiner, par la voie de l'effet dévolutif, les autres moyens invoqués par M. D... devant le tribunal administratif de Marseille à l'encontre de la décision portant interdiction de retour sur le territoire français.

Sur les autres moyens :

6. Aux termes du III de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative, par une décision motivée, assortit l'obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français, d'une durée maximale de trois ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français, lorsque aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger. (...) / La durée de l'interdiction de retour mentionnée aux premier, sixième et septième alinéas du présent III ainsi que le prononcé et la durée de l'interdiction de retour mentionnée au quatrième alinéa sont décidés par l'autorité administrative en tenant compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français ".

7. En premier lieu, la décision portant interdiction de retour sur le territoire français prise à l'encontre de M. D... répond aux exigences de motivation du III de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par suite, le moyen, à le supposer réellement allégué, tiré de ce que cette décision serait insuffisamment motivée ne saurait être accueilli.

8. En deuxième lieu, M. D... excipe de l'illégalité de la décision lui faisant obligation de quitter le territoire français à l'encontre de la décision portant interdiction de retour sur le territoire français.

9. D'une part, la décision du 28 novembre 2019 portant obligation de quitter le territoire français prise à l'encontre de M. D... comporte les considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement. Cette décision, qui n'avait pas à rappeler l'ensemble des éléments relatifs à la situation personnelle et familiale de l'intéressé, est suffisamment motivée au regard des exigences du I de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

10. D'autre part, il ne ressort pas des pièces du dossier que le préfet du Var ne se serait pas livré à un examen particulier de la situation de M. D... avant de l'obliger à quitter le territoire français.

11. Par ailleurs, lorsqu'elle envisage de prononcer une obligation de quitter le territoire français à l'encontre d'un étranger en situation irrégulière, l'autorité préfectorale n'est tenue, en application des dispositions de l'article R. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, de recueillir préalablement l'avis du collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, que si elle dispose d'éléments d'information suffisamment précis permettant d'établir que l'intéressé, résidant habituellement en France, présente un état de santé susceptible de le faire entrer dans la catégorie des étrangers qui ne peuvent faire l'objet d'une telle mesure d'éloignement.

12. Il ne ressort pas des pièces du dossier que le préfet du Var aurait disposé d'éléments suffisamment précis de nature à établir que M. D..., qui indique souffrir d'une hépatite C, ne pouvait pas faire l'objet d'une mesure d'éloignement compte tenu de son état de santé. En outre, les seuls éléments produits par l'intéressé en première instance ne permettent pas d'établir qu'il ne pourra pas bénéficier d'un traitement approprié à son état de santé dans son pays d'origine. Dans ces conditions, le préfet du Var n'a pas entaché la mesure d'éloignement d'un vice de procédure en ne saisissant pas le collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration du cas de l'intéressé, ni méconnu les dispositions du 10° de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

13. Ensuite, M. D..., qui est entré irrégulièrement sur le territoire français au cours du mois de mars 2019 avec son épouse et ses deux filles, n'y justifie d'aucune attache intense et stable. L'intéressé, dont la demande d'asile a été rejetée à l'instar de celle de son épouse, n'établit pas être dépourvu d'attache dans son pays d'origine. Dans ces circonstances, compte tenu notamment des conditions et du caractère très récent du séjour en France de l'intéressé à la date de l'arrêté attaqué, la mesure d'éloignement prise à son encontre ne porte pas atteinte à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des buts en vue desquels elle a été prise. Par suite, cette décision ne méconnaît pas les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Pour les mêmes raisons, elle n'est pas davantage entachée d'une erreur manifeste d'appréciation au regard de ses conséquences sur la situation de M. D....

14. Enfin, la décision portant obligation de quitter le territoire français n'a ni pour objet ni pour effet de séparer M. D... de son épouse et de ses deux filles mineures. Il ne ressort pas des pièces du dossier que le suivi médical dont bénéficie la plus jeune enfant de l'intéressé ne pourrait être poursuivi hors de France. Dans ces conditions, cette mesure d'éloignement ne méconnaît pas les stipulations du paragraphe 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.

15. Il résulte de ce qui a été dit aux points précédents que le moyen tiré de l'illégalité, par voie d'exception, de la décision portant obligation de quitter le territoire français doit être écarté en toutes ses branches.

16. En troisième lieu, il ressort des pièces du dossier que M. D..., qui est entré irrégulièrement en France au cours du mois de mars 2019 avec son épouse et ses deux filles, ne justifie d'aucune attache intense et stable sur le territoire français. Par ailleurs, l'intéressé a été incarcéré le 17 octobre suivant à la suite de sa condamnation pour des faits de vol en réunion. Dans ces circonstances, en prononçant à l'encontre de M. D... une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans, le préfet du Var n'a pas fait une inexacte application des dispositions citées ci-dessus du III de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

17. En quatrième et dernier lieu, pour les mêmes raisons que celles exposées précédemment, la décision litigieuse portant interdiction de retour ne méconnaît pas les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

18. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet du Var est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Marseille a annulé ses décisions du 28 novembre 2019, portant refus de délai de départ volontaire et interdiction de retour, et mis à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 800 euros au conseil de M. D... au titre des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Par suite, les articles 2 et 3 du jugement attaqué doivent être annulés. La demande présentée par M. D... devant le tribunal administratif de Marseille et tendant à l'annulation de ces deux décisions, ainsi que celle présentée au titre des frais d'instance, doivent être rejetées.

D É C I D E :

Article 1er : Les articles 2 et 3 du jugement du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Marseille du 9 décembre 2019 sont annulés.

Article 2 : Les demandes présentées par M. D... devant le tribunal administratif de Marseille, tendant à l'annulation des décisions du préfet du Var du 28 novembre 2019 portant refus de délai de départ volontaire et interdiction de retour sur le territoire français et à ce qu'une somme soit mise à la charge de l'Etat sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur, à M. A... D... et à Me B....

Copie en sera adressée au préfet du Var et au procureur de la République près le tribunal judiciaire de Nice.

Délibéré après l'audience du 29 septembre 2020, à laquelle siégeaient :

- M. Chazan, président de chambre,

- Mme E..., première conseillère,

- M. C..., premier conseiller.

Lu en audience publique, le 13 octobre 2020.

2

N° 19MA05737


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 9ème chambre
Numéro d'arrêt : 19MA05737
Date de la décision : 13/10/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-03 Étrangers. Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : M. CHAZAN
Rapporteur ?: M. Raphaël MOURET
Rapporteur public ?: M. ROUX
Avocat(s) : HADDAD

Origine de la décision
Date de l'import : 18/10/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2020-10-13;19ma05737 ?
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