Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société à responsabilité limitée (SARL) Etude Création Gestion a demandé au tribunal administratif de Marseille de prononcer la décharge partielle, en droits et pénalités, de la cotisation supplémentaire d'impôt sur les sociétés à laquelle elle a été assujettie au titre de l'année 2012 correspondant à la réintégration d'une provision pour dépréciation d'actif immobilisé.
Par un jugement n° 1601380 du 5 février 2019, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 5 avril 2019 et 25 novembre 2019, la SARL Etude Création Gestion, représentée par la SELARL Aizac et associés, demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du 5 février 2019 du tribunal administratif de Marseille ;
2°) de prononcer la décharge partielle des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés correspondant à la réintégration d'une provision pour dépréciation d'actif immobilisé, laquelle est justifiée à hauteur de 126 819,15 euros ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme, dont il sera justifié par la production de factures, au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- elle est fondée à se prévaloir du paragraphe 30 de l'instruction référencée BOI BIC-PROV-40-10-10 pour déduire la provision pour dépréciation des vignes dont elle est nue-propriétaire ;
- cette provision pour dépréciation est justifiée dès lors que ce matériel végétal a une durée de vie limitée à vingt-cinq ans, ainsi que le confirme le bulletin officiel des impôts BOI-BA-BASE-20-30-10-20130109, et que l'usufruitier n'a aucune obligation de remplacement des vignes mais seulement une obligation d'entretien.
Par un mémoire en défense, enregistré le 22 juillet 2019, le ministre de l'action et des comptes publics demande à la Cour de rejeter la requête de la SARL Etude Création Gestion.
Il fait valoir que les moyens invoqués par l'appelante ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme B...,
- et les conclusions de Mme Courbon, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. La SARL Etude Création Gestion, qui détenait en pleine propriété le domaine viticole La Sauveuse - Plan de Loube à Puget dans le Var, a cédé, par acte notarié du 30 octobre 2012, l'usufruit des biens correspondants, soit les bâtiments à usage agricole, les terrains et les vignes, à la société Château Reillanne pour une durée de vingt ans. A l'issue d'une vérification de comptabilité au titre de la période du 1er janvier 2011 au 31 décembre 2012, l'administration fiscale, après avoir notamment remis en cause la provision pour dépréciation des vignes cédées, à hauteur de 782 725 euros constatée au 31 décembre 2012, a réintégré cette somme aux résultats imposables de la SARL Etude Création Gestion au titre de l'exercice clos en 2012. Cette société relève appel du jugement du 5 février 2019 par lequel le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande tendant à la décharge partielle, en droits et pénalités, de la cotisation supplémentaire d'impôt sur les sociétés à laquelle elle a été assujettie au titre de l'exercice clos en 2012 correspondant à la réintégration d'une provision pour dépréciation d'actif immobilisé, laquelle est justifiée selon elle à hauteur de la somme de 126 819,15 euros.
Sur l'application de la loi fiscale :
2. En premier lieu, aux termes de l'article 39 du code général des impôts, applicable en matière d'impôt sur les sociétés en vertu de l'article 209 du même code : " 1. Le bénéfice net est établi sous déduction de toutes charges, celles-ci comprenant, (...), notamment : (...) / 5°Les provisions constituées en vue de faire face à des pertes ou charges nettement précisées et que des événements en cours rendent probables, à condition qu'elles aient effectivement été constatées dans les écritures de l'exercice ".
3. D'une part, il résulte de ces dispositions qu'une entreprise qui constate, par suite d'évènements en cours à la clôture de l'exercice, une dépréciation non définitive d'un élément de son actif immobilisé, peut, alors même que celui-ci est amortissable, constituer une provision dont le montant ne peut excéder, à la clôture de l'exercice, la différence entre la valeur nette comptable et la valeur probable de réalisation de l'élément dont il s'agit, à la condition notamment que le mode de calcul de la provision soit propre à exprimer avec une approximation suffisante le montant probable de cette dépréciation.
4. D'autre part, il résulte de ces dispositions qu'une entreprise peut valablement porter en provision et déduire des bénéfices imposables des sommes correspondant à des pertes ou charges qui ne seront supportées qu'ultérieurement par l'entreprise, à la condition que ces pertes ou charges soient nettement précisées quant à leur nature et susceptibles d'être évaluées avec une approximation suffisante, qu'elles apparaissent en outre comme probables eu égard aux circonstances de fait constatées à la date de clôture de l'exercice, et qu'enfin, elles se rattachent aux opérations de toute nature déjà effectuées à cette date par l'entreprise.
5. Il appartient enfin au contribuable, indépendamment des règles qui régissent la charge de la preuve pour des raisons de procédure, d'établir le bien-fondé et de justifier du montant d'une telle provision au regard des caractéristiques de l'exploitation au cours de la période en litige.
6. Par un acte notarié du 30 octobre 2012, la SARL Etude Création Gestion a décidé de céder de façon temporaire pour une durée de vingt ans, à la société Château Reillanne l'usufruit de son domaine viticole La Sauveuse - Plan de Loube pour un montant de 1 815 698 euros, ce dernier portant notamment sur des terrains et vignes. Pour contester la réintégration par le service dans les résultats de la société de la provision pour dépréciation des vignes, la société requérante soutient, comme en première instance, que la durée d'amortissement d'un pied de vigne est fixé à vingt-cinq ans et que si l'usufruitier doit restituer ce matériel végétal en bon état d'entretien au terme de la durée de vingt ans, il n'a pas l'obligation de remplacer ceux des pieds qui seraient morts. Selon la société requérante, compte tenu de l'ancienneté de chaque vigne et dès lors que l'usufruitier les aura exploitées durant vingt ans, une dépréciation est établie pour un montant de 126 819,15 euros.
7. Cependant, cet acte notarié du 30 octobre 2012 confiant l'usufruit de la vigne ne constitue pas, par lui-même, un évènement susceptible de rendre probable une dépréciation de sa valeur au 31 décembre 2012 dès lors, notamment, que de nombreuses causes, telles les intempéries, la sécheresse, les maladies ou la mauvaise taille des pieds, peuvent être à l'origine du dépérissement précoce des vignes pouvant amener l'usufruitier à procéder au renouvellement de tout ou partie des plantations. Par ailleurs, les conditions d'exercice de l'usufruit cédé prévoient que : " l'acquéreur de l'usufruit devra maintenir les bâtiments et le matériel végétal cultivé en bon état de réparation d'entretien afin de le laisser en fin de jouissance au moins dans l'état où il se trouve ". Ainsi, la provision comptabilisée par la requérante, qui est uniquement basée sur la dépréciation du matériau végétal, ne saurait être retenue dès lors qu'il résulte de cet acte que les vignes sont supposées être rendues en l'état, voire améliorées dans la mesure où l'usufruitier va les entretenir et les exploiter dans le but de produire sa récolte de vin. Comme l'a d'ailleurs relevé la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires dans son avis du 20 mars 2015, si l'usufruitier a l'obligation d'entretenir la vigne sans avoir celle de remplacer les plants qui ne produisent plus, rien ne lui interdit d'effectuer un tel remplacement, ce qui paraît d'ailleurs probable si l'exploitant souhaite maintenir un certain niveau de productivité du vignoble. En outre, le rapport d'un expert foncier agricole, dressant en septembre 2012 l'état des lieux du Domaine de la Sauveuse et dont se prévaut la société appelante, ne permet pas à lui seul de caractériser l'existence probable d'un risque clairement identifié à la clôture de l'exercice au cours duquel a été constituée la provision. En effet, il se borne à un simple constat de l'existant et n'est pas de nature à établir qu'à l'issue du contrat de démembrement du droit de propriété, les parcelles dont les pieds de vigne auront pour la plupart plus de vingt-cinq ans, seront inéluctablement dépréciées. Il en résulte que la dépréciation éventuelle de cet actif ne pourra ainsi être connue avec un degré de certitude suffisant qu'à l'approche de l'expiration de la durée de vingt années, en examinant son état et en s'informant des intentions de l'usufruitier quant à des remplacements éventuellement nécessaires et qui n'auraient pas été opérés.
8. Si la société soutient pour la première fois en appel qu'à l'issue des huit premières années d'exploitation, il apparaît que l'usufruitier n'a remplacé que sept hectares de vignes la première année et que, depuis lors, plus aucune plantation n'a été effectuée tandis qu'il n'a pas procédé aux arrachages indispensables à l'entretien des vignes, elle n'en justifie pas. En outre, ainsi qu'il a été rappelé au point 4 du présent arrêt, les pertes et charges qui affectent la détermination du résultat fiscal des entreprises sont susceptibles d'être déduites sous forme de provisions, lorsqu'elles sont rendues probables par un événement survenu pendant l'exercice et toujours en cours à sa clôture et l'origine de la perte doit trouver son origine dans l'exercice de constitution de la provision. Or, comme il a été dit précédemment, le seul acte notarié du 30 octobre 2012 procédant à la cession de l'usufruit ne pouvait rendre suffisamment probable, à la date de clôture de l'exercice intervenue le 31 décembre 2012, la perte encourue au sens des dispositions précitées du 5° du 1 de l'article 39 du code général des impôts.
9. Par suite, la SARL Etude Création Gestion n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que l'administration a réintégré dans ses résultats de l'exercice clos en 2012 la provision pour dépréciation du vignoble qu'elle avait comptabilisée.
Sur l'interprétation de la loi fiscale :
10. Aux termes de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales : " Il ne sera procédé à aucun rehaussement d'impositions antérieures si la cause du rehaussement poursuivi par l'administration est un différend sur l'interprétation par le redevable de bonne foi du texte fiscal et s'il est démontré que l'interprétation sur laquelle est fondée la première décision a été, à l'époque, formellement admise par l'administration. (...) ".
11. La société Etude Création Gestion se prévaut, sur le fondement du premier alinéa de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales, des énonciations du paragraphe 30 de l'instruction référencée BOI BIC-PROV-40-10-10, selon lesquelles " Du point de vue fiscal, il convient de se référer aux principes généraux de déductibilité des provisions pour dépréciation fixées au 5° du 1 de l'article 39 du code général des impôts (CGI) : pour être déductibles, les provisions doivent être constituées en vue de faire face à des pertes ou des charges nettement précisées et que des événements en cours rendent probables. ". Cependant, ces énonciations ne font que renvoyer aux dispositions du 5° du 1 de l'article 39 du code général des impôts, pour connaître les règles de déductibilité des provisions pour pertes ou charges, et ne comportent dès lors pas une interprétation de la loi fiscale opposable à l'administration.
12. En outre, si la société requérante invoque également la doctrine fiscale référencée BOI-BA-BASE-20-30-10 du 9 octobre 2013, une telle doctrine est, en tout état de cause, postérieure à l'année de l'imposition en litige.
13. Il résulte de tout ce qui précède que la SARL Etude Création Gestion n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande. Doivent être rejetées, par voie de conséquence, ses conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, lesquelles ne sont au demeurant pas chiffrées.
D É C I D E :
Article 1er : La requête de la SARL Etude Création Gestion est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société à responsabilité limitée Etude Création Gestion et au ministre de l'économie, des finances et de la relance.
Copie en sera adressée à la direction de contrôle fiscal Sud-Est Outre-mer.
Délibéré après l'audience du 17 septembre 2020, où siégeaient :
- M. Lascar, président,
- Mme B..., présidente assesseure,
- Mme A..., première conseillère.
Lu en audience publique, le 1er octobre 2020.
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N° 19MA01696
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