La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

15/09/2020 | FRANCE | N°18MA02630

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 9ème chambre, 15 septembre 2020, 18MA02630


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme F... D... a demandé au tribunal administratif de Montpellier de condamner La Poste à lui verser la somme totale de 85 527 euros en réparation des différents préjudices qu'elle estime avoir subis du fait du harcèlement moral dont elle dit avoir été victime de la part de son employeur.

Par le jugement n° 1603087 du 6 avril 2018, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 5 juin 2018 et un mémoire compl

mentaire enregistré le 2 juillet 2019, Mme D..., représentée par Me C..., demande à la Cour :
...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme F... D... a demandé au tribunal administratif de Montpellier de condamner La Poste à lui verser la somme totale de 85 527 euros en réparation des différents préjudices qu'elle estime avoir subis du fait du harcèlement moral dont elle dit avoir été victime de la part de son employeur.

Par le jugement n° 1603087 du 6 avril 2018, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 5 juin 2018 et un mémoire complémentaire enregistré le 2 juillet 2019, Mme D..., représentée par Me C..., demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du 6 avril 2018 du tribunal administratif de Montpellier ;

2°) de condamner La Poste à lui verser la somme totale de 84 527 euros en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis ;

3°) de mettre à la charge de La Poste la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- elle a été victime d'agissements répétés de harcèlement moral au sens de l'article 6 quinquiès de la loi du 13 juillet 1983 ;

- ces agissements engagent la responsabilité pour faute de La Poste ;

- ses préjudices présentent un lien de causalité direct et certain avec cette faute ;

- son préjudice moral doit être réparé par l'allocation d'une somme de 30 000 euros ;

- ses préjudices financiers ouvrent droit à l'allocation d'une somme de 54 527 euros.

Par des mémoires en défense enregistrés les 19 juin et 2 août 2019, La Poste, représentée par Me E..., conclut au rejet de la requête et que soit mise à la charge de la requérante la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que les moyens de la requête ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme G...,

- les conclusions de M. Roux, rapporteur public,

- et les observations de Me A..., représentant Mme D..., et Me E..., représentant La Poste.

Considérant ce qui suit :

1. Mme D..., recrutée par La Poste à compter du 7 janvier 1988, promue au grade d'agent technique et de gestion le 17 janvier 2009, exerçait ses fonctions au sein de la direction opérationnelle territoriale courrier de La Poste Ain-Haute Savoie à Annecy. Elle a demandé au tribunal administratif de Montpellier de condamner La Poste à lui verser la somme totale de 85 527 euros en réparation des préjudices matériels et moral qu'elle estime avoir subis du fait du harcèlement moral dont elle dit avoir été victime entre juillet 2011 et avril 2014 de la part de son employeur. Par le jugement du 6 avril 2018 dont Mme D... relève appel, les premiers juges ont rejeté sa demande.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

2. Aux termes des dispositions du premier alinéa de l'article 6 quinquiès de la loi du 13 juillet 1983 : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. ".

3. Il appartient à l'agent public qui soutient avoir été victime de faits constitutifs de harcèlement moral, de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles d'en faire présumer l'existence. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile. Pour être qualifiés de harcèlement moral, les agissements en cause doivent être répétés et excéder les limites de l'exercice normal du pouvoir hiérarchique. Dès lors qu'elle n'excède pas ces limites, une simple diminution des attributions justifiée par l'intérêt du service en raison d'une manière de servir inadéquate ou de difficultés relationnelles n'est pas constitutive de harcèlement moral.

4. Il ressort des pièces du dossier qu'à la fin de l'année 2010, une réorganisation générale de la direction dans laquelle Mme D... exerçait ses fonctions de " technicien organisation et process ", sans rencontrer jusqu'alors de difficultés particulières, a engendré des modifications dans le mode de fonctionnement de ce service et dans l'organigramme de l'entreprise et que la requérante s'est ainsi retrouvée sous l'autorité de nouveaux supérieurs hiérarchiques avec lesquels elle a très vite adopté une attitude conflictuelle. Notamment, la requérante a adressé le 8 décembre 2010 un courriel irrespectueux envers la directrice de sa direction, avec copie à d'autres agents, mettant en cause l'autorité et la compétence de cette dernière en des termes inappropriés, ce qui a donné lieu à un entretien le lendemain avec son supérieur, qui rentrait dans le cadre de l'exercice normal de son pouvoir hiérarchique. Estimant que son nouvel emploi qu'elle prétendait être un poste de chargé d'études et de projet correspondait à un grade supérieur à celui qu'elle détenait, elle a demandé sans succès, en avril 2011, une revalorisation de son poste de travail. Son refus d'exécuter les objectifs qui lui avaient été fixés en 2011, notamment ceux d'assurer des formations du personnel, a provoqué la nécessité pour sa hiérarchie d'organiser avec elle des entretiens répétés, entre juillet et septembre 2011, pour lui rappeler ses obligations professionnelles et son devoir de respecter ses horaires de travail et en faire preuve de plus de mesure et de réserve, dans le cadre de l'exercice normal du pouvoir de ses supérieurs. Ces entretiens, alors même qu'ils étaient menés pour certains d'entre eux par deux supérieurs hiérarchiques simultanément, ne peuvent être regardés comme des " entretiens de recadrage avec menaces de " mises au placard " et ne sauraient caractériser la volonté de La Poste de porter atteinte à sa dignité ou de compromettre son avenir professionnel. D'ailleurs, Mme D... a été promue au grade supérieur de cadre professionnel à compter du 25 octobre 2011 dans le cadre d'un dispositif de reconnaissance des acquis professionnels au regard de son mérite professionnel. Son placement en congé maladie ordinaire pour une durée de trois mois du 14 février au 27 novembre 2011, puis à compter du 7 février 2012 jusqu'à son placement à sa demande en congé de longue maladie du 28 février au 27 août 2012 pour un syndrome anxio-dépressif, eu égard à sa "réaction à une situation éprouvante" selon l'arrêt de travail du 7 février 2012 de son médecin traitant, s'il établit un lien entre cet état de santé et les difficultés professionnelles rencontrées, ne saurait par lui-même faire présumer de faits de harcèlement reprochés à La Poste. Pour tenir compte des avis d'abord du 9 février 2012 du médecin du travail préconisant une " inaptitude temporaire au poste de travail " et " un changement de service nécessaire au moins quelques mois ", puis du 25 mai 2012 attestant une " incompatibilité au poste de travail " de superviseur courrier et un "reclassement nécessaire hors de son service" lors de la reprise de fonctions en septembre 2012 de l'agent après son congé de longue maladie, Mme D... a été temporairement affectée, eu égard au nombre limité de postes disponibles de cadres de son niveau et dans l'attente d'une affectation définitive adéquate, à la direction commerciale de La Poste d'Annecy, sur un poste dont il n'est pas établi qu'il ne correspondait pas à son grade et pour une activité nécessaire à l'animation commerciale. Si la requérante soutient qu'elle ne disposait pas de téléphone dans son nouveau bureau qu'elle partageait avec une collègue de télévente qui passait la majorité de son temps au téléphone et que les rares missions qui lui ont été confiées à ce poste offraient peu d'intérêt, elle ne l'établit pas en produisant des photographies montrant une table de travail vide à l'exception d'un ordinateur et des témoignages et notamment celui émanant de collègues qui se bornent à rapporter les dires de la requérante, celui de sa collègue en télévente présente à ses côtés dont la requérante a été la supérieur hiérarchique et celui du père du fils de la requérante. Cette diminution de responsabilité justifiée par l'intérêt du service ne constitue pas des faits de harcèlement moral. Après recherche d'une solution pérenne, un poste de " responsable clients et esprit de service " lui a été proposé le 6 décembre 2012 sur l'établissement de Rumilly, à 25 kms de son domicile, dont il n'est pas établi ni même allégué qu'il ne correspondait ni à son niveau de fonction, ni à sa qualification, ni à son état de santé et que la requérante a refusé du fait de son éloignement géographique. Dans un souci d'apaisement, après son nouvel arrêt maladie du 10 décembre 2012 au 15 février 2013 pour " réaction à situation éprouvante ", son supérieur hiérarchique a retiré ce changement d'affectation à Rumilly et l'a maintenue provisoirement, à sa reprise des fonctions en février 2013 et jusqu'en mars 2014, à la direction commerciale, faute d'autre poste disponible, en accompagnant Mme D... par différentes formations et d'aide à l'élaboration de son parcours professionnel dans le cadre de son projet de mobilité à moyen terme. La requérante soutient qu'elle a alors retrouvé, pendant plus d'un an, à la direction commerciale les mêmes conditions défavorables d'exercice de ses fonctions. Si l'avis du 17 janvier 2014 du médecin de travail de La Poste, saisi par le conjoint de la requérante lui-même cadre à La Poste dans le cadre du dispositif " prévention du harcèlement moral à La Poste ", indique que Mme D... " n'a que peu de tâches à effectuer, qu'elle n'est pas intégrée dans une équipe et qu'elle ne bénéficie pas d'un tutorat " et que sa situation " peut être vécue comme relevant du dispositif Poste de harcèlement ", ce médecin qui répondait à une demande de saisine du dispositif mis en place par La Poste et qui rapporte le ressenti de la patiente ne permet pas par lui-même de faire regarder cet avis comme qualifiant la situation de Mme D... de harcèlement moral et d'atteinte à sa santé physique et morale de nature à faire présumer les faits allégués de harcèlement moral. Pour suivre cet avis du médecin de prévention qui préconisait à long terme une nouvelle affectation dans une autre région, La Poste l'a mise à disposition en avril 2014 à La Poste de Montpellier ainsi que son mari. La requérante ne peut pas utilement reprocher à son employeur une absence d'entretien d'évaluation par La Poste d'Annecy pendant trois ans dès lors qu'elle a été placée en congé de longue maladie en 2012 pendant plus de six mois et qu'en 2014, elle était en poste à Montpellier. Ainsi, eu égard à l'ensemble de ces éléments, il ne ressort pas des pièces du dossier que Mme D... aurait été victime de faits de harcèlement moral au sens de l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983. Par suite, la requérante n'est pas fondée à soutenir que la responsabilité de la Poste est engagée du fait de cette prétendue faute et à demander réparation de ses préjudices.

5. Il résulte de ce qui précède que Mme D... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande indemnitaire.

Sur les frais liés au litige :

6. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de La Poste, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de Mme D... la somme de 500 euros à verser à La Poste au titre des frais qu'elle a exposés et non compris dans les dépens.

D É C I D E :

Article 1er : La requête de Mme D... est rejetée.

Article 2 : Mme D... versera à La Poste la somme de 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme F... D... et à La Poste.

Délibéré après l'audience du 1er septembre 2020, où siégeaient :

- Mme B..., présidente assesseure, présidant la formation de jugement en application de l'article R. 222- 26 du code de justice administrative,

- Mme G..., première conseillère,

- M. Mouret, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 15 septembre 2020.

2

N° 18MA02630


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 9ème chambre
Numéro d'arrêt : 18MA02630
Date de la décision : 15/09/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

36-13-03 Fonctionnaires et agents publics. Contentieux de la fonction publique. Contentieux de l'indemnité.


Composition du Tribunal
Président : Mme SIMON
Rapporteur ?: Mme Marie-Claude CARASSIC
Rapporteur public ?: M. ROUX
Avocat(s) : BAUTES

Origine de la décision
Date de l'import : 26/09/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2020-09-15;18ma02630 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award