Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. et Mme D... ont demandé au tribunal administratif de Montpellier de constater l'emprise irrégulière caractérisée par la présence d'une canalisation d'eau potable sur leurs parcelles cadastrées section AT n° 26 et 27 et AP n° 2 et 3 et d'ordonner son enlèvement, de constater l'absence de titre ou de droit de passage de la communauté urbaine Perpignan Méditerranée Métropole et de la SCA Véolia Eau sur leur chemin aux limites nord des parcelles cadastrées section AT n° 26 et 27 et AP n° 2 et 3 et de leur interdire d'y circuler, d'interdire à la communauté urbaine Perpignan Méditerranée Métropole et à la SCA Véolia Eau et à toute personne agissant en leur nom ou pour leur compte, de procéder à des opérations de vidange à partir de l'exutoire existant et de condamner solidairement la communauté urbaine Perpignan Méditerranée Métropole et la SCA Véolia Eau au paiement d'une somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts.
Par un jugement n° 1605142 du 28 juin 2018, le tribunal administratif de Montpellier a déclaré irrégulière l'emprise de la canalisation d'eau potable sur les parcelles cadastrées section AP n° 2, n° 3 et section AT n° 26 et n° 27 dont M. et Mme D... sont propriétaires, enjoint à la communauté urbaine Perpignan Méditerranée Métropole de faire établir une servitude sur les parcelles concernées conformément aux dispositions des articles L. 152-1 et R. 152-1 du code rural et de la pêche maritime, dans un délai de six mois à compter de la notification de ce jugement et rejeté le surplus des conclusions de la requête de M. et Mme D....
Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 3 août 2018 et le 11 avril 2019, M. et Mme D..., représentés par Me C..., demandent à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du 28 juin 2018 en ce qu'il a enjoint à la communauté urbaine Perpignan Méditerranée Métropole de faire établir une servitude sur les parcelles concernées conformément aux dispositions des articles L. 152-1 et R. 152-1 du code rural et de la pêche maritime et rejeté leurs conclusions tendant à ce qu'il soit enjoint à la communauté urbaine Perpignan Méditerranée Métropole et à la SCA Véolia Eau de procéder à l'enlèvement de la canalisation d'eau potable implantée sur leur propriété, de cesser d'emprunter le chemin situé sur celle-ci et d'y procéder à des opérations de vidange du château d'eau ;
2°) d'enjoindre à la communauté urbaine Perpignan Méditerranée Métropole et à la SCA Véolia Eau de procéder à l'enlèvement de la canalisation d'eau potable implantée sur leur propriété dans le délai de 3 mois, sous astreinte de 500 euros par jour de retard ;
3°) d'interdire à la communauté urbaine Perpignan Méditerranée Métropole et à la SCA Véolia Eau et pour toute personne agissant en leur nom ou pour leur compte d'emprunter le chemin situé sur leur propriété, sous astreinte de 2 000 € par violation de cette interdiction ;
4°) d'interdire à la communauté urbaine Perpignan Méditerranée Métropole et à la SCA Véolia Eau et pour toute personne agissant en leur nom ou pour leur compte de procéder à des opérations de vidange du château d'eau sur le chemin situé sur leur propriété, sous astreinte de 5 000 € par violation de cette interdiction ;
5°) de condamner solidairement la communauté urbaine Perpignan Méditerranée Métropole et la SCA Véolia Eau à leur verser une somme de 10 000 euros en réparation du préjudice résultant de ces opérations de vidange et de ces intrusions ;
6°) de mettre solidairement à la charge de la communauté urbaine Perpignan Méditerranée Métropole et de la SCA Véolia Eau une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- la dépossession partielle de leur propriété est constitutive d'une emprise irrégulière dès lors que les règles générales fixées par le code civil sur la prescription acquisitive sont sans application ;
- les dispositions des articles L. 152-1 et L. 151-37-1 du code rural ne permettent ni de régulariser la canalisation d'eau potable implantée sur leurs parcelles, ni de grever leur propriété d'une servitude de passage pour accéder au château d'eau ;
- leur créance n'est pas atteinte par la prescription quadriennale ;
- la communauté urbaine Perpignan Méditerranée Métropole et la SCA Véolia Eau sont responsables sans faute des préjudices résultant des opérations de vidange du réservoir d'eau sur le chemin leur appartenant ;
- l'usage de ce chemin et ces opérations de vidange en causent la dégradation ainsi qu'une gêne qui justifient l'allocation d'une indemnité globale de 10 000 euros.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 26 février 2019 et 10 février 2020, la SCA Véolia Eau, représentée par Me A..., conclut au rejet de la requête et à ce qu'elle soit garantie de toute condamnation par la communauté urbaine Perpignan Méditerranée Métropole.
Elle soutient que :
- elle s'en remet à l'appréciation de la communauté urbaine Perpignan Méditerranée Métropole en ce qui concerne la régularité de l'implantation de la canalisation en litige sur la propriété de M. et Mme D... ;
- l'usage du chemin litigieux par ses agents n'en caractérise pas une dépossession irrégulière ;
- les dispositions de l'articles L. 152-1 du code rural et de la pêche maritime permettent de régulariser la canalisation d'eau potable implantée irrégulièrement ;
- les conclusions tendant à ce qu'il soit enjoint de cesser tout passage sur le chemin sont irrecevables dès lors qu'il n'est pas établi que l'accord des propriétaires n'a pas été requis ;
- les conclusions tendant à l'interdiction de procéder aux opérations de vidange sont irrecevables faute pour les requérants d'avoir demandé l'annulation d'une décision de refus ;
- la réalité des dommages allégués n'est pas établie.
Par un mémoire en défense, enregistré le 1er mars 2019, la communauté urbaine Perpignan Méditerranée Métropole, représentée par Me B..., conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme chacun de 1 500 euros soit mise à la charge de M. et Mme D... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la requête, qui est insuffisamment motivée, n'est pas recevable ;
- les dispositions des articles L. 152-1 et L. 151-37-1 du code rural et de la pêche maritime permettent, respectivement, de régulariser la canalisation d'eau potable implantée irrégulièrement et d'instituer une servitude de passage pour accéder au château d'eau ;
- seule la SCA Véolia Eau peut être déclarée responsable des dommages causés par l'exploitation du service de distribution d'eau potable ;
- la créance portant sur les dommages allégués résultant des opérations de vidange est atteinte par la prescription quadriennale ;
- la réalité de ces dommages n'est pas établie.
Un mémoire, enregistré le 14 février 2020, présenté pour la communauté urbaine Perpignan Méditerranée Métropole, n'a pas été communiqué.
Par ordonnance du 21 janvier 2020, la clôture de l'instruction a été fixée au 17 février 2020 à 12 heures.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code civil ;
- le code rural et de la pêche maritime ;
- le code de la santé publique ;
- la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. F...,
- les conclusions de M. Angéniol, rapporteur public,
- et les observations de Me E..., substituant Me B..., représentant la communauté urbaine Perpignan Méditerranée Métropole, et de Me A..., représentant la SCA Véolia Eau.
Une note en délibéré présentée par la communauté urbaine Perpignan Méditerranée Métropole a été enregistrée le 8 juillet 2020.
Considérant ce qui suit :
1. M. et Mme D... sont propriétaires d'une maison située route départementale n° 39 A, dite route de Nyls, chemin de Caratg, sur le territoire des communes de Canohès et de Ponteilla. Ce chemin aboutit à un terrain appartenant à la communauté urbaine Perpignan Méditerranée Métropole sur lequel est construit un réservoir d'eau faisant partie du réseau de distribution d'eau potable exploité par la SCA Véolia Eau sous la responsabilité de cette collectivité. Cet ouvrage est relié à ce réseau par une canalisation enterrée sous ce chemin. Une autre canalisation, dont l'exutoire est localisé à l'extrémité du chemin, permet la vidange de réservoir. M. et Mme D... ont demandé au tribunal administratif de Montpellier de constater l'emprise irrégulière caractérisée par la présence de cette canalisation d'eau potable en tréfonds du chemin situé sur leurs parcelles cadastrées section AT n° 26 et 27 et AP n° 2 et 3 et d'ordonner son enlèvement, de constater l'absence de titre ou de droit de passage de la communauté urbaine Perpignan Méditerranée Métropole et de la SCA Véolia Eau sur leur chemin aux limites nord des parcelles cadastrées section AT n° 26 et 27 et AP n° 2 et 3 et de leur interdire d'y circuler, d'interdire à la communauté urbaine Perpignan Méditerranée Métropole et à la SCA Véolia Eau et à toute personne agissant en leur nom ou pour leur compte, de procéder à des opérations de vidange à partir de l'exutoire existant et de condamner solidairement la communauté urbaine Perpignan Méditerranée Métropole et la SCA Véolia Eau au paiement d'une somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts. Par un jugement du 28 juin 2018, le tribunal administratif de Montpellier a déclaré irrégulière l'emprise de cette canalisation d'eau potable, enjoint à la communauté urbaine Perpignan Méditerranée Métropole de faire établir une servitude sur les parcelles concernées conformément aux dispositions des articles L. 152-1 et R. 152-1 du code rural et de la pêche maritime, dans un délai de six mois à compter de la notification de ce jugement et rejeté le surplus des conclusions de la requête de M. et Mme D.... Ces derniers font appel de ce jugement en ce qu'il a enjoint à la communauté urbaine Perpignan Méditerranée Métropole de faire établir une servitude et a rejeté leurs conclusions tendant à ce qu'il soit enjoint à la communauté urbaine Perpignan Méditerranée Métropole et à la SCA Véolia Eau de procéder à l'enlèvement de la canalisation d'eau potable implantée sur leur propriété, de cesser d'emprunter le chemin situé sur celle-ci et d'y procéder à des opérations de vidange du château d'eau.
Sur la fin de non-recevoir opposée par la communauté urbaine Perpignan Méditerranée Métropole :
2. Aux termes de l'article R. 411-1 du code de justice administrative : " La juridiction est saisie par requête ... Elle contient l'exposé des faits et moyens ainsi que l'énoncé des conclusions soumises au juge / L'auteur d'une requête ne contenant l'exposé d'aucun moyen ne peut la régulariser par le dépôt d'un mémoire exposant un ou plusieurs moyens que jusqu'à l'expiration du délai de recours ".
3. La requête de M. et Mme D..., qui ne constitue pas la seule reproduction littérale de leurs écritures de première instance, contient un exposé des faits et moyens. La circonstance qu'ils réitèrent en appel les conclusions auxquelles le tribunal administratif n'a pas fait droit ne permet pas de regarder leur requête comme ne répondant pas aux exigences fixées par les dispositions précitées de l'article R. 411-1. Par suite, la fin de non-recevoir opposée par la communauté urbaine Perpignan Méditerranée Métropole tirée de ce que la requête serait insuffisamment motivée doit être écartée.
Sur les conclusions fondées sur l'utilisation sans titre du chemin appartenant à M. et Mme D... :
4. Ainsi qu'il a été exposé au point 1, l'accès au réservoir d'eau situé sur la parcelle voisine de celle appartenant à M. et Mme D... s'effectue en empruntant le chemin aménagé sur leur propriété. Il est constant que ni les requérants, ni les propriétaires précédents n'ont délivré à la communauté urbaine Perpignan Méditerranée Métropole ou à la SCA Véolia Eau une autorisation à cet effet ou consenti une servitude de passage. M. et Mme D..., qui soutiennent que le passage sur leur chemin des agents de la communauté urbaine Perpignan Méditerranée Métropole et de la SCA Véolia Eau contribue à sa dégradation, demandent réparation du préjudice subi et à ce que la Cour interdise à cet établissement et à cette société, et pour toute personne agissant en leur nom ou pour leur compte, d'emprunter ce chemin, sous astreinte de 2 000 euros par violation de cette interdiction. Ces conclusions ne sont pas fondées sur l'existence ou le fonctionnement des ouvrages publics liés au service public de la distribution d'eau potable, dont la communauté urbaine Perpignan Méditerranée Métropole est l'autorité organisatrice et la SCA Véolia Eau est délégataire. Ce dommage ne se rattache pas à l'exercice par la SCA Véolia Eau, personne morale de droit privé, de prérogatives de puissance publique qui lui auraient été conférées pour l'exécution de la mission de service public dont elle a été investie. Par suite, ces conclusions, qui mettent en cause le fonctionnement d'un service public à caractère industriel et commercial, ne ressortissent pas à la compétence du juge administratif. Au surplus, elles ressortissent à la compétence du juge judiciaire, comme le prévoit l'article 684 du code civil, dans la mesure où elles tendent à la réparation du dommage résultant de la servitude de passage qui, en application de l'article 682 du même code, grève la parcelle appartenant aux requérants au profit de la parcelle enclavée sur laquelle le réservoir d'eau a été construit. Dès lors, il y a lieu d'annuler le jugement attaqué du tribunal administratif de Montpellier en tant que celui-ci s'est reconnu compétent pour connaître de ces conclusions et, statuant par voie d'évocation, de rejeter celles-ci comme portées devant un ordre de juridiction incompétent pour en connaître.
Sur les conclusions fondées sur l'implantation d'une canalisation d'eau potable sous le chemin appartenant à M. et Mme D... :
5. Lorsqu'il est saisi d'une demande tendant à ce que soit ordonnée la démolition d'un ouvrage public dont il est allégué qu'il est irrégulièrement implanté par un requérant qui estime subir un préjudice du fait de l'implantation de cet ouvrage et qui en a demandé sans succès la démolition à l'administration, il appartient au juge administratif, juge de plein contentieux, de déterminer, en fonction de la situation de droit et de fait existant à la date à laquelle il statue, si l'ouvrage est irrégulièrement implanté, puis, si tel est le cas, de rechercher, d'abord, si eu égard notamment à la nature de l'irrégularité, une régularisation appropriée est possible, puis, dans la négative, de prendre en considération, d'une part les inconvénients que la présence de l'ouvrage entraîne pour les divers intérêts publics ou privés en présence, notamment, le cas échéant, pour le propriétaire du terrain d'assiette de l'ouvrage, d'autre part, les conséquences de la démolition pour l'intérêt général, et d'apprécier, en rapprochant ces éléments, si la démolition n'entraîne pas une atteinte excessive à l'intérêt général.
6. D'une part, il est constant que la canalisation d'eau implantée notamment sur la section du chemin appartenant à M. et Mme D... a été posée sans qu'une procédure d'expropriation pour cause d'utilité publique ait été mise en oeuvre ou que la servitude prévue par les dispositions de la loi du 4 août 1962 et du décret du 15 février 1964, actuellement codifiées aux articles L. 152-1, L. 152-2 et R. 152-1 à R. 152-15 du code rural ait été établie. Le maître d'ouvrage n'a, par ailleurs, conclu aucun accord amiable avec les propriétaires intéressés. Ainsi, cet ouvrage est irrégulièrement implanté, ce que ne contestent plus les défenderesses en appel.
7. D'autre part, aux termes de l'article L. 152-1 du code rural et de la pêche maritime : " Il est institué au profit des collectivités publiques, des établissements publics ou des concessionnaires de services publics qui entreprennent des travaux d'établissement de canalisations d'eau potable ou d'évacuation d'eaux usées ou pluviales une servitude leur conférant le droit d'établir à demeure des canalisations souterraines dans les terrains privés non bâtis, excepté les cours et jardins attenant aux habitations. / L'établissement de cette servitude ouvre droit à indemnité. Il fait l'objet d'une enquête publique réalisée selon les modalités prévues au livre Ier du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique. / Un décret en Conseil d'Etat fixe les modalités d'application du présent article afin notamment que les conditions d'exercice de la servitude soient rationnelles et les moins dommageables à l'utilisation présente et future des terrains. ". L'article R. 152-1 du même code dispose : " Les personnes publiques définies au premier alinéa de l'article L. 152-1 et leurs concessionnaires, à qui les propriétaires intéressés n'ont pas donné les facilités nécessaires à l'établissement, au fonctionnement ou à l'entretien des canalisations souterraines d'eau potable ou d'évacuation d'eaux usées ou pluviales, peuvent obtenir l'établissement de la servitude prévue audit article, dans les conditions déterminées aux articles R. 152-2 à R. 152-15. ".
8. Si M. et Mme D... s'opposent à la signature d'une convention de servitude, il résulte de l'instruction que la canalisation en cause a été enfouie sous un chemin dont les sections successives sont aménagées sur les parcelles appartenant aux propriétaires riverains, sur lesquelles se trouvent leurs habitations et leurs jardins, ce chemin devant être regardé, pour l'application des dispositions précitées de l'article L. 152-1 du code rural et de la pêche maritime, comme un terrain privé non bâti et non pas comme une cour ou un jardin attenant à des habitations. Toutefois, si une procédure d'établissement de la servitude prévue par ces dispositions serait susceptible d'aboutir, il ne résulte pas de l'instruction que la communauté urbaine Perpignan Méditerranée Métropole a effectivement envisagé de mettre en oeuvre cette procédure. Par suite, eu égard à la nature de l'irrégularité relevée, une régularisation appropriée n'est pas possible. Eu égard néanmoins à l'inconvénient limité que représente, par elle-même, l'enfouissement de la canalisation litigieuse sous le terrain appartenant à M. et Mme D... et à l'utilité qu'elle présente pour l'exploitation du service public de distribution d'eau potable, la démolition de cet ouvrage entraînerait une atteinte excessive à l'intérêt général.
9. Il résulte des motifs énoncés ci-dessus que le déplacement de la canalisation d'eau potable ne pouvant être ordonné, comme le demandent les requérants, ces derniers ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont enjoint à la communauté urbaine Perpignan Méditerranée Métropole de procéder à la régularisation de l'implantation de cet ouvrage public, sur le fondement des articles L. 152-1 et R. 152-1 du code rural et de la pêche maritime.
Sur les conclusions fondées sur l'écoulement d'eaux sur le chemin appartenant à M. et Mme D... :
10. En premier lieu, le maître d'un ouvrage public est responsable, même en l'absence de faute, des dommages que les ouvrages publics dont il a la garde peuvent causer aux tiers tant en raison de leur existence que de leur fonctionnement. Il ne peut dégager sa responsabilité que s'il établit que ces dommages résultent de la faute de la victime ou d'un cas de force majeure. La mise en jeu de la responsabilité sans faute d'une collectivité publique pour dommages de travaux publics à l'égard d'un justiciable qui est tiers par rapport à un ouvrage public ou une opération de travaux publics est subordonnée à la démonstration par cet administré de l'existence d'un dommage anormal et spécial directement en lien avec cet ouvrage ou cette opération. Toutefois, en cas de délégation limitée à la seule exploitation d'un ouvrage, comme c'est le cas en matière d'affermage, si la responsabilité des dommages imputables au fonctionnement de l'ouvrage relève du délégataire, sauf stipulations contractuelles contraires, celle résultant de dommages imputables à son existence, à sa nature et à son dimensionnement appartient à la personne publique délégante. Ce n'est qu'en cas de concession d'un ouvrage public, c'est-à-dire de délégation de sa construction et de son fonctionnement, que peut être recherchée par les tiers la seule responsabilité du concessionnaire, sauf insolvabilité de ce dernier, en cas de dommages imputables à l'existence ou au fonctionnement de cet ouvrage.
11. Il résulte de l'instruction que la communauté urbaine Perpignan Méditerranée Métropole, propriétaire de l'ouvrage, a confié l'exploitation de son réseau d'eau à la SCA Véolia Eau par un contrat d'affermage conclu pour la durée de 12 ans à compter du 1er janvier 2012. Il résulte notamment du rapport de l'expert désigné en référé par le président du tribunal administratif de Montpellier que l'évacuation du trop-plein éventuel et de la totalité du contenu du réservoir, lorsqu'il est procédé à sa vidange pour permettre son nettoyage et satisfaire à l'obligation fixée en ce sens à l'article R. 1321-56 du code de la santé publique, s'effectue au moyen d'une conduite débouchant, dans le sens de la pente, à l'extrémité du chemin située sur la propriété de M. et Mme D..., juste en amont de celle-ci. Aux termes de ce rapport, et ainsi que le confirment les photographies produites par les requérants, ces eaux s'écoulent sur le chemin, sur la section appartenant à M. et Mme D... et au-delà, jusqu'à la route départementale n° 39 A. Il ressort des échanges de courriers entre les requérants et la SCA Véolia Eau que des écoulements d'eau se sont produits de façon fortuite en raison d'un dysfonctionnement du système de contrôle du trop-plein, au moins jusqu'en 2004. Il résulte des dispositions de l'article R. 1321-56 du code de la santé publique que la vidange totale du réservoir en vue de son nettoyage et de sa désinfection doit avoir lieu au moins une fois par an. L'écoulement d'une telle quantité d'eau a eu pour conséquence, au moins en 1999 et en 2004, de dégrader le chemin en cause, qui est en terre revêtue de gravier, gênant l'accès à l'habitation des requérants voire rendant celui-ci impossible. Ces dommages, qui revêtent un caractère anormal et spécial, ne peuvent être regardés comme imputables au fonctionnement de l'ouvrage public, dont la SCA Véolia Eau, tenue de procéder à cette vidange au moins une fois par an, serait responsable, mais trouvent leur origine dans la localisation de l'exutoire de la buse de vidange du réservoir et donc dans l'existence et dans les caractéristiques de cet ouvrage. Dans ces conditions, ces dommages engagent la seule responsabilité de la communauté urbaine Perpignan Méditerranée Métropole à l'égard de M. et Mme D..., qui sont tiers par rapport à l'ouvrage.
12. Aux termes de l'article 7 de la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l'Etat, les départements, les communes et les établissements publics : " L'administration doit, pour pouvoir se prévaloir, à propos d'une créance litigieuse, de la prescription prévue par la présente loi, l'invoquer avant que la juridiction saisie du litige au premier degré se soit prononcée sur le fond ". Il résulte de ces dispositions que la prescription quadriennale, qui n'a pas été opposée par l'administration en première instance, ne peut être invoquée pour la première fois en appel. Dès lors, l'exception tirée de la prescription quadriennale opposée par la communauté urbaine Perpignan Méditerranée Métropole ne peut qu'être écartée.
13. Si les requérants n'ont pas produit de pièces permettant d'apprécier l'état du chemin leur appartenant après chaque vidange annuelle du réservoir d'eau, il résulte des photographies produites par la communauté urbaine Perpignan Méditerranée Métropole que ce chemin a été nivelé depuis au moins la dernière opération de vidange effectuée en 2004, qui avait contribué à sa dégradation. Au vu notamment du devis estimatif portant sur la remise en état de la partie haute de ce chemin, il sera fait une juste appréciation du préjudice résultant du montant des travaux effectués et de la gêne occasionnée par ces opérations en allouant une indemnité de 3 000 euros.
14. En second lieu, lorsque le juge administratif condamne une personne publique responsable de dommages qui trouvent leur origine dans l'exécution de travaux publics ou dans l'existence ou le fonctionnement d'un ouvrage public, il peut, saisi de conclusions en ce sens, s'il constate qu'un dommage perdure à la date à laquelle il statue du fait de la faute que commet, en s'abstenant de prendre les mesures de nature à y mettre fin ou à en pallier les effets, la personne publique, enjoindre à celle-ci de prendre de telles mesures. Pour apprécier si la personne publique commet, par son abstention, une faute, il lui incombe, en prenant en compte l'ensemble des circonstances de fait à la date de sa décision, de vérifier d'abord si la persistance du dommage trouve son origine non dans la seule réalisation de travaux ou la seule existence d'un ouvrage, mais dans l'exécution défectueuse des travaux ou dans un défaut ou un fonctionnement anormal de l'ouvrage et, si tel est le cas, de s'assurer qu'aucun motif d'intérêt général, qui peut tenir au coût manifestement disproportionné des mesures à prendre par rapport au préjudice subi, ou aucun droit de tiers ne justifie l'abstention de la personne publique. En l'absence de toute abstention fautive de la personne publique, le juge ne peut faire droit à une demande d'injonction, mais il peut décider que l'administration aura le choix entre le versement d'une indemnité dont il fixe le montant et la réalisation de mesures dont il définit la nature et les délais d'exécution.
15. Il résulte du motif énoncé au point 10 que la persistance du dommage trouve son origine dans le positionnement de l'exutoire de la canalisation de vidange du réservoir d'eau qui dirige l'écoulement des eaux sur le chemin leur appartenant. Ainsi, la cause de cette persistance consiste dans un défaut de l'ouvrage. Par suite, l'abstention de l'administration à prendre les mesures de nature à mettre fin au dommage ou à en pallier les effets revêt un caractère fautif. Toutefois, ainsi qu'il a été exposé au point 11, l'exécution d'une vidange totale du réservoir litigieux constitue une obligation pour l'exploitant qui résulte de l'article R. 1321-56 du code de la santé publique. Par ailleurs, l'expert a évalué à 25 500 euros hors taxes le coût des travaux d'enfouissement d'une canalisation de vidange sous l'intégralité du chemin, soit entre la parcelle appartenant à la communauté urbaine Perpignan Méditerranée Métropole et la route départementale n° 39 A. Si le coût de tels travaux n'est pas manifestement disproportionné et si aucun motif d'intérêt général ne justifie l'abstention de cet établissement à y procéder, leur exécution est subordonnée à l'accord de M. et Mme D... dans la mesure où ils n'entrent pas dans le champ d'application de l'article L. 152-1 du code rural et de la pêche maritime. Dans ces conditions, il n'y a pas lieu de prescrire à la communauté urbaine Perpignan Méditerranée Métropole et à la SCA Véolia Eau de cesser de procéder aux opérations de vidange litigieuses sur le chemin situé sur la propriété de M. et Mme D... comme ceux-ci le demandent mais de leur enjoindre, sauf si l'écoulement des eaux peut être régulièrement dirigé dans une autre direction que celle de ce chemin, de proposer aux requérants la construction, aux frais de la communauté urbaine Perpignan Méditerranée Métropole, d'une canalisation d'évacuation des eaux enfouie sur ce chemin, dans un délai de 6 mois à compter de la notification du présent arrêt.
16. Il résulte de ce qui précède que M. et Mme D... sont seulement fondés à soutenir que c'est à tort, que par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté leurs conclusions tendant à l'indemnisation des préjudices résultant de l'écoulement d'eaux de vidange sur le chemin leur appartenant et tendant au prononcé d'une mesure d'injonction en vue de mettre fin au dommage ou d'en pallier les effets.
Sur l'appel en garantie de la SCA Véolia Eau :
17. Le présent arrêt ne prononce aucune condamnation à l'encontre de la SCA Véolia Eau. Les conclusions que celle-ci présente aux fins d'appel en garantie sont donc sans objet et ne peuvent, dès lors, qu'être rejetées.
Sur les frais liés au litige :
18. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de M. et Mme D..., qui ne sont pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que la communauté urbaine Perpignan Méditerranée Métropole demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de la communauté urbaine Perpignan Méditerranée Métropole une somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par M. et Mme D... et non compris dans les dépens.
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Montpellier du 28 juin 2018 est annulé en tant que celui-ci a statué sur les conclusions aux fins d'indemnisation et d'injonction présentées par M. et Mme D... fondées sur l'utilisation sans titre du chemin leur appartenant et a rejeté leurs conclusions tendant à l'indemnisation des préjudices résultant de l'écoulement d'eaux de vidange sur ce chemin.
Article 2 : Les conclusions aux fins d'indemnisation et d'injonction de la demande présentée par M. et Mme D... devant le tribunal administratif de Montpellier fondées sur l'utilisation sans titre du chemin leur appartenant sont rejetées comme portées devant un ordre de juridiction incompétent pour en connaître.
Article 3 : La communauté urbaine Perpignan Méditerranée Métropole est condamnée à verser à M. et Mme D... une indemnité de 3 000 euros.
Article 4 : Il est enjoint à la communauté urbaine Perpignan Méditerranée Métropole, sauf si l'écoulement des eaux de vidange du réservoir peut être régulièrement dirigé dans une autre direction que celle du chemin appartenant aux requérants, de proposer à ces derniers la construction, aux frais de la communauté urbaine Perpignan Méditerranée Métropole, d'une canalisation d'évacuation des eaux enfouie sur ce chemin, dans un délai de 6 mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 5 : La communauté urbaine Perpignan Méditerranée Métropole versera à M. et Mme D... la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 6 : Le surplus des conclusions de la requête de M. et Mme D... est rejeté.
Article 7 : Le présent arrêt sera notifié à M. et Mme D..., à la communauté urbaine Perpignan Méditerranée Métropole et à la société en commandite par actions Véolia Eau.
Délibéré après l'audience du 7 juillet 2020, où siégeaient :
- M. Badie, président,
- M. F..., président assesseur,
- M. Ury, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 22 juillet 2020.
N° 18MA03742 2