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15/07/2020 | FRANCE | N°19MA04116

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 7ème chambre, 15 juillet 2020, 19MA04116


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... F... a demandé au tribunal administratif de Marseille d'annuler, d'une part, la décision du 5 juillet 2016 par laquelle l'inspecteur du travail a autorisé la société SERAMM à le licencier pour motif disciplinaire, d'autre part, la décision implicite de rejet née du silence gardé par la ministre du travail sur son recours hiérarchique contre cette décision.

Par un jugement n° 1700943 du 2 juillet 2019, le tribunal administratif de Marseille a annulé ces deux décisions.

Procédure

devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 30 août 2019, la société SERAMM, représ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... F... a demandé au tribunal administratif de Marseille d'annuler, d'une part, la décision du 5 juillet 2016 par laquelle l'inspecteur du travail a autorisé la société SERAMM à le licencier pour motif disciplinaire, d'autre part, la décision implicite de rejet née du silence gardé par la ministre du travail sur son recours hiérarchique contre cette décision.

Par un jugement n° 1700943 du 2 juillet 2019, le tribunal administratif de Marseille a annulé ces deux décisions.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 30 août 2019, la société SERAMM, représentée par Me B..., demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du 2 juillet 2019 ;

2°) de rejeter la demande présentée par M. F... devant le tribunal administratif de Marseille.

Elle soutient que :

- l'inspecteur du travail a compétemment édicté la décision autorisant le licenciement de M. F... ;

- cet inspecteur n'a pas méconnu le principe du contradictoire ;

- les faits commis par M. F... sont constitutifs d'une faute d'une gravité suffisante justifiant son licenciement.

Par un mémoire en défense, enregistré le 28 octobre 2019, M. F..., représenté par Me A..., conclut au rejet de la requête et demande que soit mise à la charge de la société SERAMM la somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il fait valoir qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.

Par un mémoire, enregistré le 19 décembre 2019, la ministre du travail conclut au rejet de la requête.

Elle fait valoir qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.

Par ordonnance du 13 décembre 2020, la clôture d'instruction a été fixée au 6 janvier 2020.

Un mémoire, présenté pour la société SERAMM, enregistré le 25 juin 2020, n'a pas été communiqué.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code du travail ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Coutier, premier conseiller,

- les conclusions de M. Chanon, rapporteur public,

- et les observations de Me B..., représentant la société SERAMM, et de Me E..., représentant M. F....

Considérant ce qui suit :

1. M. F... était employé par la société de Service d'assainissement de Marseille Métropole (SERAMM) depuis le 1er septembre 1983. Il occupait en dernier lieu les fonctions d'adjoint au responsable d'activité d'entretien et exploitation des équipements électromécanique et électronique. Il était détenteur d'un mandat de délégué du personnel titulaire depuis le 20 février 2014 et de représentant syndical au comité d'entreprise depuis le 18 avril 2016. Suite à la réception le 7 avril 2016 d'une lettre anonyme faisant état de l'utilisation, par M. F..., des moyens de la société à des fins personnelles, particulièrement du véhicule de fonction service, mais aussi de l'utilisation de ces moyens dans le cadre d'un chantier de rénovation de son habitation, l'employeur a procédé à des investigations aux abords du domicile de l'intéressé. Ayant relevé des faits répréhensibles, la société SERAMM a saisi l'inspecteur du travail d'une demande d'autorisation de licencier M. F... pour motif disciplinaire. Par décision du 5 juillet 2016, l'inspecteur du travail de l'unité de contrôle " Le port - Euromed " au sein de l'unité départementale des Bouches-du-Rhône à la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE) de Provence-Alpes-Côte d'Azur a accordé cette autorisation. M. F... a formé un recours hiérarchique auprès de la ministre du travail contre cette décision. Une décision implicite de rejet est née du silence par elle gardé sur ce recours. Par jugement du 2 juillet 2019, le tribunal administratif de Marseille, saisi par M. F..., a annulé ces deux décisions. La société SERAMM relève appel de ce jugement.

2. En vertu des dispositions du code du travail, les salariés légalement investis de fonctions représentatives bénéficient, dans l'intérêt de l'ensemble des salariés qu'ils représentent, d'une protection exceptionnelle. Lorsque le licenciement d'un de ces salariés est envisagé, ce licenciement ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou l'appartenance syndicale de l'intéressé. Dans le cas où la demande de licenciement est motivée par un comportement fautif, il appartient à l'inspecteur du travail, et le cas échéant, au ministre, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si les faits reprochés au salarié sont d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement, compte tenu de l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé et des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont il est investi.

Sur le moyen d'annulation retenu par le tribunal administratif :

3. Il ressort des énonciations de la décision du 5 juillet 2016 que, pour autoriser le licenciement de M. F..., l'inspecteur du travail s'est fondé d'une part, sur le fait que l'intéressé a utilisé le 15 avril 2016, en méconnaissance des règles de la société, un véhicule de service à des fins personnelles, ainsi que sur le fait qu'il a prêté le même jour à l'un de ses subordonnés, à des fins tout aussi personnelles pour une intervention à son domicile, son véhicule de fonction, ceci durant les heures de travail des deux salariés, et d'autre part, sur un retard injustifié d'une heure à la prise de son service le 20 avril 2016.

4. Ces faits ressortent des énonciations de deux procès-verbaux de constat établis par un huissier mandaté par l'employeur. Le premier, qui concerne les faits survenus le 15 avril 2016, fait état de l'arrivée, à son domicile, de M. F... aux environs de 10h20 sur son scooter de service, suivie peu après de l'arrivée du subordonné au volant du véhicule utilitaire de fonction dont est également bénéficiaire M. F..., et constate que les deux hommes ont procédé au déchargement de pieds de vignes dans la cour du domicile de M. F... et sont repartis tous deux à 10h33, en utilisant la fourgonnette, le scooter étant laissé sur place.

5. Alors que l'intimé ne conteste pas les faits tels qu'ils ont été ainsi constatés, notamment la manutention, à son domicile, d'objets personnels transportés dans son véhicule de fonction durant les heures de travail sans en avoir été de surcroît lui-même le conducteur, son affirmation selon laquelle il aurait prêté ce véhicule à son subordonné afin que celui-ci l'accompagne pour lui permettre de récupérer ce jour-là son scooter de service qui était en réparation est démentie par les indications du chef d'atelier du garage, recueillies par la direction de la société requérante, selon lesquelles la date de la facturation d'une prestation coïncide toujours avec la date de sortie effective du véhicule, la facture correspondant à la réparation dudit scooter étant en l'occurrence datée du 14 avril 2016, soit la veille de la constatation des faits en cause.

6. En outre, le temps de trajet entre le lieu de travail et le domicile de M. F... étant approximativement équivalent à son temps de pause, soit vingt minutes, l'inspecteur du travail a pu valablement estimer que l'intéressé avait nécessairement utilisé son temps de travail à des fins personnelles. La matérialité des faits reprochés est dès lors établie. Ces faits sont constitutifs d'une faute.

7. S'agissant du retard d'une heure à la prise de service le 20 avril 2016, constaté par le second procès-verbal d'huissier, M. F... n'en conteste pas la réalité et se borne à faire valoir que ce retard est dû aux effets d'un traitement médical en relation avec l'accident du travail dont il a été victime quelques mois auparavant. Cependant, il ne ressort pas des pièces du dossier que l'intéressé aurait informé sa hiérarchie de ce retard ou tenté de le faire. Les faits reprochés tenant à une absence irrégulière sont dès lors établis, et sont constitutifs d'une faute.

8. Eu égard aux fonctions occupées par M. F... et à ses responsabilités d'encadrement, qui exigeaient une nécessaire exemplarité, et alors que les agissements de l'intéressé, notamment l'utilisation intempestive de son véhicule de fonction, ont amené un tiers à signaler ces faits au directeur général de l'entreprise et à le menacer, à défaut d'action de sa part, d'en informer les autorités municipales et la Cour de comptes, c'est à tort que le tribunal a jugé, pour annuler la décision de l'inspecteur du travail du 5 juillet 2016 autorisant le licenciement de l'intimé ainsi que la décision par laquelle la ministre du travail a implicitement rejeté son recours hiérarchique contre cette décision, que les fautes commises n'étaient pas d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement en se fondant sur le fait que la société SERAMM n'établissait pas quel préjudice direct et certain ces manquements lui ont occasionné en dehors du coût salarial lié à l'absence des deux intéressés, estimé à 107 euros, en relevant que M. F... n'avait fait l'objet d'aucun avertissement préalable permettant d'établir le caractère répété du retard et des manquements mentionnés et que l'intéressé, qui bénéficie d'une ancienneté dans l'entreprise de trente-trois ans, n'avait fait l'objet d'aucune poursuite disciplinaire antérieure.

9. Il appartient toutefois à la Cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. F... devant le tribunal administratif de Marseille et devant la Cour.

Sur les autres moyens invoqués par M. F... :

10. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que la société SERAMM a son siège au parc des Aygalades, boulevard du capitaine Gèze, à Marseille 14ème, et que l'établissement compte plus de 50 salariés. La décision du 27 juillet 2015 portant modification de la décision relative à la localisation et à la délimitation des unités de contrôle et des secteurs d'inspection du travail de la DIRECCTE de Provence-Alpes-Côte d'Azur, publiée au recueil des actes administratifs du 28 juillet 2015, place ainsi cette société dans l'unité de contrôle 5, section 09 de l'unité départementale des Bouches-du-Rhône, libellée n° 13-05-09 " Le Port- Euromed ". Et en vertu de l'article 7 bis de la décision du 28 juin 2016 relative à l'affectation des agents de contrôle et à l'organisation des unités de contrôle de la DIRECCTE publiée au recueil des actes administratifs du 29 juin 2016, les pouvoirs de décision administrative relevant de la compétence exclusive d'un inspecteur du travail et le suivi des établissements employant au moins cinquante salariés ressortissant à la 9ème section de l'unité de contrôle n° 13-05 " Le Port-Euromed " sont confiés à l'inspecteur du travail de la 3ème section de l'unité de contrôle n° 13-06, libellée n° 13-06-03 " Etang de Berre ". Or selon l'article 1 de cette même décision, M. C..., signataire de la décision contestée, est affecté au sein de cette dernière section. Il était dès lors compétent pour prendre cette décision.

11. En deuxième lieu, aux termes de l'article R. 2421-11 du code du travail dans sa rédaction applicable au litige : " L'inspecteur du travail procède à une enquête contradictoire au cours de laquelle le salarié peut, sur sa demande, se faire assister d'un représentant de son syndicat. L'inspecteur du travail prend sa décision dans un délai de quinze jours, réduit à huit jours en cas de mise à pied. Ce délai court à compter de la réception de la demande d'autorisation de licenciement. Il n'est prolongé que si les nécessités de l'enquête le justifient (...) ".

12. Le caractère contradictoire de l'enquête menée conformément aux dispositions de l'article R. 2421-11 du code du travail impose à l'inspecteur du travail, saisi d'une demande d'autorisation de licenciement d'un salarié protégé fondée sur un motif disciplinaire, de mettre à même l'employeur et le salarié de prendre connaissance de l'ensemble des éléments déterminants qu'il a pu recueillir, y compris les témoignages, et qui sont de nature à établir ou non la matérialité des faits allégués à l'appui de la demande d'autorisation.

13. A supposer même que, ainsi que M. F... le soutient, l'inspecteur du travail ne lui aurait pas communiqué le courriel du 8 juin 2016 que lui a adressé la société SERAMM dans le cadre de l'enquête contradictoire qu'il a menée, les énonciations de ce courriel, qui est une réponse de la société à une demande de l'inspecteur du travail concernant les préjudices qu'elle estime avoir subis du fait des agissements répréhensibles de M. F..., ne font pas ressortir d'éléments déterminants sur lesquels il se serait fondé pour prendre la décision litigieuse. Il y a lieu, dès lors, d'écarter le moyen tiré de ce que l'inspecteur du travail aurait méconnu le principe du contradictoire et que la procédure suivie serait entachée d'irrégularité par ce motif.

14. En dernier lieu, ainsi qu'il a été dit au point 7 ci-dessus, les fautes commises par M. F... sont d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement.

15. Il résulte de tout ce qui précède que la société SERAMM est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille a annulé la décision de l'inspecteur du travail du 5 juillet 2016 ainsi que la décision implicite de la ministre du travail.

Sur les frais liés au litige :

16. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation. ".

17. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la société SERAMM, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que M. F... demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens.

D É C I D E :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Marseille du 2 juillet 2019 est annulé.

Article 2 : La demande présentée par M. F... devant le tribunal administratif de Marseille est rejetée.

Article 3 : Les conclusions de M. F... présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la société SERAMM, à M. D... F... et à la ministre du travail.

Copie en sera adressée à la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi Provence-Alpes-Côte d'Azur.

Délibéré après l'audience du 3 juillet 2020, à laquelle siégeaient :

- M. Pocheron, président de chambre,

- M. Guidal, président-assesseur,

- M. Coutier, premier conseiller.

Lu en audience publique le 15 juillet 2020.

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N° 19MA04116

nl


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 7ème chambre
Numéro d'arrêt : 19MA04116
Date de la décision : 15/07/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Travail et emploi - Licenciements - Autorisation administrative - Salariés protégés - Bénéfice de la protection - Délégués du personnel.

Travail et emploi - Licenciements - Autorisation administrative - Salariés protégés - Conditions de fond de l'autorisation ou du refus d'autorisation - Licenciement pour faute.


Composition du Tribunal
Président : M. POCHERON
Rapporteur ?: M. Bruno COUTIER
Rapporteur public ?: M. CHANON
Avocat(s) : CABINET D'AVOCATS BLANC NICOLAI

Origine de la décision
Date de l'import : 28/07/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2020-07-15;19ma04116 ?
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